Le Jardin de Vezenne : un jardin éducatif et thérapeutique « hors les murs »

Mise à jour, le 5 septembre 2019. Le Jardin de Vezenne ouvre ses portes le 14 septembre. Allez leur dire bonjour si vous êtes dans le coin.

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En octobre 2012, je vous avais parlé du Ability Garden implanté en Caroline du Nord aux Etats-Unis. Cela fait une vingtaine d’années que ce jardin thérapeutique installé dans un lieu public accueille des participants venus de toute la région. Après avoir survécu à la retraite de sa fondatrice, il est plus actif que jamais. En France, les jardins thérapeutiques « hors des murs » ne courent pas les rues non plus. Il y a bien les Jardins de l’Humanité dans les Landes et le projet longuement muri de Romane Glotain en Loire-Atlantique.

Depuis quelques mois, le Jardin de Vezenne dans le Loiret ouvre de nouvelles perspectives, porté par une équipe formée d’Emmanuelle Lutton (travailleuse sociale), Bastien Fouchez (éducateur spécialisé) et Céline Gillot (psychologue clinicienne). Propriétaires des lieux depuis 10 ans, ils ont créé une association et dédié 4 000 m2 à ce projet très original implanté à Lailly en Val en Sologne.

Une respiration pour les institutions

Emmanuelle Lutton

Emmanuelle Lutton s’occupe des chèvres du Jardin de Vezenne

Lorsqu’Emmanuelle était chef de service socio-éducatif pour un institut médico-éducatif (IME) auprès d’enfants et de jeunes adultes en situation de handicaps, elle constatait tous les jours la difficulté à trouver des lieux adaptés hors établissement. « La politique est de faire des projets et de sortir, mais on ne trouvait pas de lieux appropriés. Dans les fermes pédagogiques par exemple, il manque parfois cette fibre sociale, cette flexibilité nécessaire dans l’approche avec ce public », explique-t-elle. « Un retard de quinze minutes devient un problème alors que convaincre un enfant en situation de handicap de monter dans le bus peut être très long, par exemple. »

Le manque de lieux permettant le contact avec la nature combiné avec le besoin d’apporter du sens à sa carrière ont mené à un an de réflexion avec ses deux partenaires pour aboutir au Jardin de Vezenne tel qu’il a été inauguré en avril 2019. « Nous avons mûri le projet à l’écrit pour avoir des objectifs précis. Puis, nous l’avons fait relire par plusieurs corps de métier dans le social et le médico-social », précise-t-elle. De son côté, elle s’est également formée au domaine de Chaumont-sur-Loire où je l’ai rencontrée pour la première fois.

Et voici le résultat. Un jardin extra-institutionnel qui « s’adresse à toutes personnes en difficulté et/ou vulnérables qui recherchent un lieu ressource, dédié à des activités éducatives et thérapeutiques autour du vivant. Nous proposons des activités à destination des institutions sociales et médico-sociales  et des familles ».

Ailleurs sur leur site, le trio décrit le Jardin de Vezenne comme « un lieu ressource, où la respiration est possible, une pause dans l’univers des collectivités et des institutions. Un endroit refuge, ressource, extra institutionnel qui permet à chacun (enfants, parents, accompagnateurs, équipe, aidants…) de s’extraire d’un quotidien institutionnel. Nous voulions aller au delà de la création d’un « joli » jardin où il ferait bon se promener, et nous appuyer sur la richesse que nous offre la nature, sur ses dons pour créer un « jardin-outil », un « jardin-support » pour le soin des personnes. »

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Depuis des mois, l’association se préparait à l’ouverture. Travaux, terrassement, serre de récupération, bois récolté dans la forêt. Et travail de « démarchage » pour Emmanuelle avec des appels et des rendez-vous dans les structures des environs. « Quand je parle de jardin thérapeutique, je sens une écoute. Il y a beaucoup de travail d’explication. En plus des bienfaits du jardin, je leur parle beaucoup du bien que cela fait de sortir de l’institution, autant pour les personnes que pour les équipes. »

Les premiers jardiniers de Vezenne

Depuis l’ouverture à la mi-avril, le jardin a accueilli plusieurs groupes : MECS (maison d’enfants à caractère social, FAM (foyer d’accueil médicalisé) et maison de retraite. Des projets sont en cours avec des IME et des MAS (maison d’accueil spécialisée).

Avec les jeunes enfants de la MECS, les objectifs sont plus éducatifs que thérapeutiques : cycle de vie, responsabilité, conséquences des actions, attention, patience, cohésion de groupe sont mises en œuvre. Autour d’un projet rédigé avec les éducateurs et validé par la direction de l’établissement, les enfants fréquentent le jardin qui devient aussi un lien avec les familles. « Nous avons fait des mini jardins aromatiques que les enfants ramènent chez eux puisqu’ils rentrent dans leur famille le weekend. »

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Les jardiniers du FAM sont des adultes porteurs de plusieurs handicaps. « C’est à la fois un projet de groupe et un projet individuel qui s’appuie sur le projet d’accompagnement individualisé. Pour une personne qui n’arrive pas à se poser et exprime sa frustration par des troubles du comportement, on a travaillé la concentration et la patience avec des semis de radis qui poussent relativement vite. Pour une autre personne malvoyante, le maïs qui est une grosse graine douce a été semé au godet avec le plaisir sensoriel de plonger les mains dans les graines. Un projet est de tracer un chemin planté de maïs pour le suivre au toucher. »

Plusieurs groupes de personnes âgées fréquentent le Jardin de Vezenne. « Les anciens nous disent en catimini qu’ils sont bien contents de sortir de la maison de retraite et de respirer un nouvel air. Bernard nous raconte ses plantations de citrouille d’avant… Françoise sème une « forêt » de concombre en éclatant de rire », raconte Emmanuelle et ses partenaires sur leur page Facebook. En général, ces jardiniers ne sont pas autonomes dans les gestes de la vie quotidienne. Eux aussi rapportent des plantes chez eux, notamment ceux qui ont un balcon prêt à les accueillir. En sens inverse, Emmanuelle intervient dans une maison de retraite où le jardin existant était peu utilisé. « L’objectif pour ces personnes très âgées qui sortent peu de leur chambre, voire de leur lit, est de sortir pour aller au jardin. »

Une place pour les particuliers

« Nous ne sommes pas uniquement un lieu qui accueille des personnes en situation de handicap. Nous accueillons aussi des particuliers. Ainsi, une jeune fille souffrant de phobie scolaire a pu travailler la confiance, l’autonomie et la prise d’initiative. D’autres parents commencent à nous appeler. Un golf local nous a également sollicités pour des ateliers avec les enfants. C’est en réflexion. Car nous ne sommes pas animateurs, ni orientés vers l’occupationnel. » En tant que jeune association, le Jardin de Vezenne étudie toutes les pistes dans le respect de ses objectifs de départ.

Le Jardin de Vezenne vit aussi autour d’animations ouvertes à tous, comme ce récent atelier autour des plantes sauvages et comestibles avec un temps de cueillette et un temps de dégustation. Notons en passant que le Jardin de Vezenne a fait l’objet d’une campagne de financement participatif sur le site Tudigo et a reçu des financements locaux, notamment du Crédit Agricole.

Il est encore un peu tôt pour parler de bilan. Dix semaines, c’est une goutte d’eau dans la vie d’un jardin. Emmanuelle et ses partenaires ont le plaisir d’avoir concrétisé leur rêve et d’y accueillir des personnes dont le visage s’illumine souvent au contact de la nature et des animaux (canards, chèvres). Emmanuelle constate qu’il n’est pas toujours facile de travailler en collaboration avec les équipes déjà surmenées. Ainsi, sa proposition de fournir des écrits d’évaluation et de synthèse ne semble pas susciter beaucoup d’intérêt. Mais l’idée que le contact avec la nature apporte des bienfaits fait son chemin auprès de ses interlocuteurs. Et le Jardin de Vezenne est désormais un lieu où des personnes vulnérables font l’expérience de ce contact.

Pour contacter l’équipe du Jardin de Vezenne :

jardindevezenne@gmail.com

http://www.jardindevezenne.fr/

https://www.facebook.com/jardindevezenne/

 

Le bonheur

Le bonheur est dans le jardin, certes. Mais qu’est-ce que le bonheur ? Je n’ai jamais pris le temps d’explorer cette question depuis six ans que ce blog a vu le jour. Il est peut-être temps d’y réfléchir…

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Mes deux garçons, heureux, dans un jardin au Canada il y a plusieurs années.

 

Il y a quelque semaines, un CATTP (Centre d’activité thérapeutique à temps partiel) m’a demandé d’animer un débat sur le bonheur avec un groupe de patients. L’équipe avait préparé le débat en regardant une conférence de Christophe André sur ce sujet dont il est spécialiste. Franchement, intervenir après Christophe André est intimidant. Mais en fait, je n’étais pas là pour étaler ma (petite) science, même si mon intérêt pour la psychologie positive était sans doute la raison qui m’avait valu cette invitation. J’étais là pour animer le débat avec la vingtaine de personnes présentes, des usagers ayant des problèmes de santé mentale dont je ne connaissais pas les détails. Et tant mieux car je pouvais ainsi les considérer d’abord comme des personnes, plutôt que comme des étiquettes pathologiques. Le débat fut très animé. A part quelques timides, la plupart des présents avaient des idées bien affirmées et des questions très pertinentes. Au bout de deux heures, nous avons dû mettre fin à la discussion qui aurait pu continuer encore un bon moment. Nous avons tous une petite idée sur le bonheur, si nous nous arrêtons quelques instants pour y réfléchir.

Des micro moments de bonheur

Tout d’abord, je vous renvoie vers la conférence de Christophe André (partie 1 et partie 2). Une conférence pleine de faits scientifiques et de bon sens. Où l’on apprend que le bonheur est un état vers lequel on tend sans cesse plutôt qu’un but qu’on peut atteindre une fois pour toutes. Une équation entre ressentir un certain bien-être et en avoir conscience. Sinon on passe à côté du bonheur et on ne le reconnaît que quand il est parti.

Le bonheur, c’est une série de moments fuyants et éphémères que la psychologue américaine Barbara Fredrickson appelle des « micro moments ». Dans sa théorie de l’élargissement constructif des émotions positives – broaden and build theory of positive emotions en anglais– elle considère que toutes les émotions positives élargissent notre façon de penser, le répertoire de nos idées et de nos actions. Je trouve cette idée très séduisante.

A quoi sert le bonheur ? Christophe André le décrit comme un carburant qui nous permet de résister à la tragédie humaine et à la certitude que nous mourrons un jour, un carburant qui rend la vie non seulement supportable, mais aussi appréciable. On peut ici distinguer l’hédonisme qui fait du plaisir le bien suprême et l’eudémonisme qui fait du bonheur la conséquence d’une vertu parfaite et d’une existence accomplie (ce qu’on appelle aussi « the good life » ou la vie bonne).

Les points communs des gens heureux 

Les gens heureux ont quelques habitudes, a-t-on remarqué. Ils sont plus enclins à accomplir des actes de gentillesse (random acts of kindness), ils font de l’exercice et cultivent leur bien-être physique. Ils sont mus par une motivation intrinsèque : ils agissent dans le sens de leurs valeurs et font ce qu’ils aiment au point de perdre la notion du temps et d’eux-mêmes. C’est ce que Mihaly Csikszentmihalyi, l’autre père de la psychologie positive avec Martin Seligman, appelle le « flow ». Ils sont animés par une vision positive faite d’optimisme, de gratitude d’espoir, de capacité à pardonner et de bienveillance envers soi. Ils possèdent certaines forces de caractère (la créativité, l’humour, la persévérance, l’humilité, le courage, la curiosité, l’appréciation de la beauté) que l’on peut explorer chez soi sur ce site.

Mais il ne faut pas croire que nous sommes naturellement soit des surdoués, soit des ratés du bonheur. Bien sûr, il existe des obstacles au bonheur. Christophe André en liste quelques-uns : l’anxiété et la dépression, des prédispositions génétiques qui laissent cependant toujours une marge de manœuvre, certaines leçons de l’enfance, le manque de soutien social, notre mode de vie matérialiste avec la publicité qui fait des raccourcis entre consommation et bonheur, le règne de l’image, la pléthore de choix qui nous assaillent,…Mais chacun de nous peut cultiver le bonheur. Sans tomber non plus dans la dictature du bonheur. Les gens heureux ne fuient pas les moments difficiles, ils les accueillent et les acceptent.

Et le jardin dans tout cela?

Et nous voici de retour au jardin. Pourquoi est-ce que ce blog s’appelle Le bonheur est dans le jardin ? C’est un nom qui sonnait bien quand je l’ai choisi il y a six ans, mais qui a pris tout son sens au fil du temps pour moi. Parce que dans un jardin, malade ou bien-portant, on vit beaucoup de moments qui boostent le bonheur directement ou en combattant certains obstacles au bonheur. Des moments où on est pris dans le « flow », la tâche qui nous motive au point de s’oublier dans l’activité. Des moments de pleine conscience. Des moments de lien social où on rompt l’isolement. Le jardin permet une activité physique (rappelez-vous, l’activité physique est une source de bonheur), qui est en plus pleine de sens. Au jardin, on cultive aussi l’estime de soi, la motivation, l’attention, l’espoir, la gratitude, la bienveillance, la connexion au temps, à l’espace et tant d’autres choses…

 

Les jardins qui soignent dans les média

Et pendant ce temps-là, l’idée que les jardins soignent fait son bonhomme de chemin. Chaque émission de radio, chaque article sur le sujet répand l’idée que le jardin est un remède naturel si accessible. Merci à Didier, à Paule et à Vitalija.

Les jardins thérapeutiques sur France Inter

Nature en ville et jardin « didactique » sur le toit d’un hôpital en Suisse

Un jardin thérapeutique dans l’hôpital psychiatrique St-Jean-de-Dieu à Leuze-en-Hainaut en Belgique

Un potager contre la désespérance sociale et la criminalité à Marseille

Si vous rencontrez des articles sur les jardins thérapeutiques, n’hésitez pas à partager vos liens dans les commentaires.

Anna Six : « Je revendique le droit au jardin pour tous »

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Vous avez découvert Anna dans le dernier billet. En pleine reconversion professionnelle à l’Ecole du Breuil où elle est en train de terminer une licence professionnelle Eco Paysage Végétal Urbain, elle amène un regard nouveau et une grande sensibilité aux jardins de soin. Après une formation initiale en arts appliqués, elle se lance d’abord dans le métier de sérigraphe et de dessinatrice textile en agence. Mais il lui manquait quelque chose. « Il y a un an et demi, j’ai eu une grosse remise en question. J’étais intéressée par la permaculture, le lien social. Le jardin me travaillait », raconte-t-elle.

Sur lettre de motivation, elle intègre la 3e année de la licence à l’Ecole du Breuil. Dans le cadre de son stage en alternance, elle rencontre Florence Pougheon Pultier du Conseil général des Hauts-de-Seine qui s’intéresse de près aux vertus du jardin thérapeutique. Une rencontre déterminante puisqu’Anna assiste aux ateliers du Parc des Chanteraines et rédige un mémo sur les bénéfices des jardins de soin pour les usagers (en chemin, elle rencontre aussi Stéphanie Personne et Laure Bentze de Terr’Happy qui viennent de rendre une étude détaillée sur le jardin thérapeutique du Parc des Chanteraines). Mais le Conseil général a d’autres projets dans les cartons et Anna se met au travail sur la requalification d’un jardin pédagogique sur l’Île Saint-Germain.

« C’est un jardin qui a 20 ans et qui est devenu obsolète. L’idée était de le rendre accessible aux personnes à mobilité réduite, aux personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer, aux personnes souffrant de déficiences intellectuelles et aux collégiens. J’ai imaginé un projet de jardin que je présente au Conseil général ces jours-ci », explique Anna. Tonnelle, fruitiers, le jardin conçu par Anna offrira plusieurs ambiances malgré quelques difficultés d’accessibilité inhérentes à la topologie. « On revendique le droit au jardin pour tous, en autonomie ou accompagné, pour participer à des activités ou juste pour profiter. »

Un parcours de rencontres

Elle revient sur le concours Truffaut qu’elle a gagné il y a quelques semaines. « Daniel Joseph de la Fondation Truffaut est venu nous présenter le concours. Je l’ai pris comme exercice pour réfléchir de A à Z à un projet. Je savais que Truffaut travaillait déjà avec l’hôpital Robert Debré qui est proche de chez moi et qu’il y avait d’autres pistes possibles. Comme je suis un peu perfectionniste, j’ai eu pas mal de rendez-vous et d’échange avec les équipes ainsi que de la réflexion en dehors des cours. L’équipe était très motivée », raconte Anna qui a également bénéficié du soutien d’un de ses enseignantes, Anne Breuil.

Quels enseignements tire-t-elle du concours ? « Il y a beaucoup à faire, c’est passionnant. J’ai l’impression que nous avons pas mal de retard. Parler de jardin thérapeutique reste difficile en France, les Anglo-saxons ont moins de complexe. » Cet été, Anna est en train de rédiger son rapport sur le projet de l’Ile Saint-Germain qu’elle présentera en septembre pour l’obtention de la licence, partenariat entre l’Ecole du Breuil, Paris Sud et le Muséum d’Histoire Naturelle. « On constate que les malades sont trop peu amenés au jardin et inversement le jardin de soin ne devrait pas être réservé aux malades. A l’Ile Saint-Germain, on traverse le parc pour aller au jardin. Marcher, observer les oiseaux et les libellules, c’est déjà énorme. Faire des ateliers, c’est un plus. » Anna a initié des partenariats avec un CITL (Centre d’Initiation au Travail et aux Loisirs) car elle constate qu’il peut être intéressant d’externaliser les ateliers jardins par manque de moyens sur place, avec une maison de retraite aussi. Elle aimerait travailler sur le lien aidant-aidé.

Et après la licence ?

Anna adorerait réaliser le jardin perché à Robert Debré. Elle aimerait bien travailler avec Terr’Happy aussi. « Je suis attirée par le rapport entre la nature et le bien-être. Dans le fait de travailler avec une collectivité locale comme le Conseil général, j’aime agir sur le bien commun, au sein de la ville. Tout se joue au gré des rencontres. » Je pense que nous retrouverons Anna dans les mois à venir, comme Romaine Glotain, la gagnante du Concours Truffaut 2016. Décidément ce concours fait émerger les talents. Je remarque aussi que la « scène » parisienne du jardin de soin est en train de décoller…

Vous pouvez joindre Anna (anna.six (at) laposte.net).

 

Concours 2017 de la Fondation Truffaut : comprendre les jardins thérapeutiques

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Les lauréats en tablier et le jury avec Gilles Mollard, PDG de Truffaut et Daniel Joseph, directeur de la Fondation Truffaut

Pour la 3e année (concours 2015 et concours 2016), la Fondation Truffaut organisait le concours « Projet d’avenir » pour encourager les étudiants de la filière horticole et paysagère à découvrir les jardins thérapeutiques et à en concevoir un – lié à un établissement de santé ou sorti de leur imagination sans support concret. Sélectionnés par des jurys régionaux sur dossiers, sept lauréats ont fait le déplacement au siège de Truffaut à Lisses dans l’Essonne le 15 juin pour défendre leur projet devant la salle et le jury dont je faisais partie cette année encore. Pour la seconde année, les candidats concouraient dans deux catégories : Espoir (CAP, BEP, Bac, Bac Pro) et Excellence (BTS, Licence).

Il n’est pas évident lorsqu’on est un jeune élève de contacter un établissement pour rencontrer les soignants – et si possible les patients, résidents, usagers qui profiteront au final du jardin. Mais il est clair que les projets sont plus percutants lorsqu’ils sont ancrés dans un lieu précis et surtout dans une bonne connaissance des troubles dont souffrent les personnes qui fréquenteront le jardin. Difficile pour un jardin thérapeutique de n’être qu’un jardin de contemplation : des activités et une animation doivent être envisagées dès la création du jardin à laquelle il est idéal que les futurs jardiniers soient associés le plus possible.

Dans la catégorie Espoir, la gagnante est…

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Daniel Joseph, un représentant du ministère de l’Agriculture avec les gagnants de la catégorie Espoir (Romain Rousseau, Elodie Arbogast et Marie-Amélie Janin).

Marie-Amélie Janin, élève en Première Aménagement paysager au Lycée horticole de Saint Ilan dans les Côtes-d’Armor, a convaincu avec un projet autour de l’autisme. Touchée personnellement par ce trouble neurodéveloppemental à travers sa cousine, Marie-Amélie a imaginé un jardin pour « procurer des sensations à travers les plantes ». On sentait dans son projet une connaissance du trouble plus approfondi.

La 2e place revient à Romain Rousseau en Terminale d’un Bac Pro au Lycée Saint Nicolas dans le département de l’Essonne pour son jardin conçu pour la résidence médicalisée Médicis de Viry-Châtillon. Il l’a conçu comme « un lieu de partage et de rencontre pour les personnes âgées valides et invalides…il répond aussi à la demande des intervenants médicaux d’avoir un outil de travail complémentaire sur des activités de motricité, de travail de la mémoire… ».

En 3e place, le jardin d’Elodie Arbogast, élève en Première Aménagement paysager au LEGTPA Colmar Wintzenheim dans le Haut-Rhin, est destiné à l’Ehpad du Centre Hospitalier de Munster-Haslach. Elle avait à cœur l’autonomie, la déambulation et la sécurité des résidents.

 

Dans la catégorie Excellence, la gagnante est… 

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Les lauréats de la catégorie Excellence (Anna Six, Hugo Fery, Sabrina Serres et Alexandre Rigollé)

Anna Six est arrivée en tête. Etudiante en licence professionnelle Ecopaysage Végétal Urbain à l’Ecole du Breuil, elle a conçu son Jardin Perché pour une terrasse de l’hôpital pédiatrique Robert-Debré accessible aux patients et aux soignants du service de néphrologie qui accueille de jeunes patients atteints de maladies rénales. Son projet s’inscrit dans la volonté de l’hôpital de mettre en valeur les espaces verts et espaces extérieurs, dont les 7500 m2 de terrasses. Quel beau rêve si ce jardin pouvait se concrétiser et faire école….On sent dans son projet une grande sensibilité au lieu et aux besoins des patients ainsi qu’une concertation approfondie avec les soignants. Sur la petite terrasse de 18 m2, Anna a imaginé un nid perché, un lieu accueillant pour s’évader de l’hôpital autour d’un potager, d’un jardin d’herbes, de fruits rouges et de fleurs dans un camaïeu de violet et de blanc. On entendra sans doute reparler d’Anna comme de la lauréate 2016, Romane Glotain, qui participait cette année au jury et a raconté son parcours depuis un an (après une année de service civique dédiée aux jardins de soin, elle s’apprête à faire une Licence Professionnelle Techniques d’intervention et d’animation auprès de publics vulnérables à Tours pour affiner sa préparation).

Sabrina Serres est arrivée 2e avec son projet de jardin thérapeutique pour la maison de retraite La Grèze à Montdragon dans le Tarn. Etudiante en licence professionnelle Agriculture Biologique Conseil et Développement à l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand en co-habilitation avec VetAgro Sup, elle avait choisi de se concentrer sur le pôle d’activités et des soins adaptés (PASA) de l’établissement qui accueille des patients présentant un diagnostic de type Alzheimer. Ce jardin d’antan doit voir le jour grâce à l’embauche d’un ouvrier d’entretien et comprendra plusieurs univers : un espace culture avec des bacs en hauteur, sur butte et au sol, des espaces de détente, un espace floral et aromatique, des espaces de biodiversité, un espace famille et une aire de déambulation colorée.

En 3e place, Alexandre Rigollé, étudiant en BTS Aménagements paysagers au CFA du Mené à Merdrignac dans les Côtes-d’Armor, a conçu un Jardin des 4 saisons pour l’Ehpad des Menhirs. Chaque saison encourage une activité (pour le printemps un potager surélevé, pour l’hiver une volière pour nourrir les oiseaux). Alexandre avait pris une journée dans son emploi du temps d’apprenti pour venir défendre son projet, signe de l’engagement des étudiants dans le concours.

En 4e place, Hugo Fery, également étudiant en BTS Aménagements paysagers au Lycée agricole d’Airion dans l’Oise, a lui aussi imaginé un « Jardin des 4 saisons » en quatre grandes zones bordées de charmille et offrant des espaces intimes pour la détente et la rencontre ainsi que des zones de culture pour des ateliers de jardinage.

Une piste pour faire évoluer le concours

Bravo à tous ces élèves et étudiants dont certains ont été encadrés par leurs professeurs et d’autres ont travaillé seuls. Bravo pour leur esprit de curiosité et d’aventure, pour cette prise de risque dans leur jeune parcours. Certains projets sont des jardins purement « techniques ». Ces présentations ne parlent que de végétaux, éventuellement des cinq sens (ce qui fait à chaque fois bondir ceux qui travaillent dans les jardins avec des malades car ce n’est que le petit bout de la lorgnette). On ne sent pas toujours le côté humain et la compréhension des personnes malades. Normal car cette dimension n’est pas leur spécialité et ne s’apprend pas en cinq minutes sur Internet. Si la Fondation Truffaut veut sensibiliser les jeunes de la filière horticole aux jardins thérapeutiques, il y a bien une solution qui m’a traversé l’esprit pendant que j’écoutais les candidats. Le concours serait tellement plus riche si un binôme étudiant en horticulture/étudiant en santé pouvait plancher ensemble sur les projets. L’un apporterait sa connaissance de l’humain, le point de départ. Et l’autre sa connaissance des végétaux, cette indispensable méditation vivante.

 

Retour sur projets 1/2

Je ne sais pas vous, mais j’étais curieuse de savoir comment certains projets dont j’ai déjà parlé avaient évolué au fil du temps. J’avais envie de prendre des nouvelles de ces concepteurs et animateurs de jardins de soins rencontrés ces dernières années. En utilisant ce masculin de convention, je m’aperçois en fait que les femmes sont très actives dans ce domaine. Ce mois-ci, nous retrouvons France Pringuey, Carole Nahon et Jeannine Lafrenière. Le mois prochain, ce sera le tour de Cécile Deschamps, Sarah Bertolotti, Jean-Luc Valot et Alain Flandroit.

 

France Pringuey, la conception et la formation envers et contre tout

Billets d’origine : Première rencontre “virtuelle” en 2014, suivie par une visite à Nice en 2015.

Les projets : chacun son rythme

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Le Jardin des Mélisses au CHU de Saint-Etienne

« Le projet Jardin des Mélisses à Saint Etienne a certainement été ma plus belle expérience dans le domaine parce qu’accompli dans sa méthode de manière réellement professionnelle avec un succès rapide et complet », rapporte France Pringuey. « Ce projet m’a permis de valider le choix d’une méthode de conception participative s’inspirant de l’éthique et des principes de la permaculture. Le programme permet de concevoir à la fois un plan du jardin et un plan de soins conformes aux critères internationaux, répondant aux attentes de l’équipe, dans le respect des valeurs locales et réalisé avec les moyens alloués. » Une grande satisfaction doit également venir de son partenaire dans ce projet, Romain Pommier qui, fin 2016, a soutenu sa thèse sur le thème des jardins thérapeutiques. Un nouveau psychiatre 100% convaincu de la place des jardins dans le soin des patients !

Le projet de jardin à l’IME des Hirondelles de Biot avance, lui, moins rapidement. Mais l’espoir de le réaliser est toujours vivant. Cette expérience et les difficultés rencontrées pour la réalisation du Jardin thérapeutique de l’hôpital de Tende qui dépend du CHU de Nice en très grosses difficultés financières ont conduit France Pringuey à changer d’approche. « Je reviens à mes premiers objectifs : soutenir le personnel, le former, lui donner les moyens ».

L’indispensable formation : personnels soignants, paysagistes et entreprises

France Pringuey s’y investit sur plusieurs fronts. Tout d’abord, elle continue à former des personnels soignants aux concepts scientifiques qui sous-tendent les bénéfices de la relation à la nature (en particulier biophilie et phyto-résonance qui lui sont chères) et leurs applications pratiques au quotidien dans les établissements de soin. « C’est peut être finalement le point le plus important et j’essaie de le développer autant que possible. Je suis soutenue et portée par l’association Recherche et Formation-LIFT dans ce domaine », explique-t-elle. Ainsi au CHU de Tende dans les Alpes-Maritimes, le projet d’aménagement de jardin thérapeutique est en souffrance pour des raisons budgétaires. Mais cela n’a pas empêché une formation pour les personnels soignants en EHPAD et SSR (service de Suite de Soins et Réadaptation accueillant des personnes âgées souffrant de multiples pathologies et dépendantes ou à risque de le devenir).

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Le groupe formé au CHU de Tende dans les Alpes-Maritimes (France Pringuey en tee shirt blanc au centre)

 

« Le groupe projet reste mobilisé et motivé. Il a pris conscience des ressources déjà en place (Jardin de l’hôpital et salle « comme chez soi ») et de leur potentiel pour le soin au quotidien », explique France Pringuey. « Deux sessions de formation axées sur le concept de Biophilie ont permis aux participants de mieux comprendre les bénéfices de la relation à la nature pour l’être humain et ses applications pour améliorer la prise en charge et la qualité de vie à l’hôpital. S’appuyer sur des actions à caractère biophilique stimule les émotions positives et la vitalité, régule le niveau de stress, améliore les capacités d’attention, favorise la créativité au quotidien. » Les soignants sont encouragés à proposer des sorties au jardin aux patients. Pour les plus fragilisés il s’agit de rétablir une prise de contact vitale avec la réalité. Dans les services ils sont stimulés par l’exposition à la lumière du jour, les vues par la fenêtre, l’aération naturelle des chambres, une relation personnalisée au végétal, une installation intentionnée dans la salle « comme chez soi ». « Chez le soignant les actions biophiliques soutiennent l’ouverture à l’autre, une meilleure disposition à l’accueil et au « prendre soin » », conclut la formatrice pour qui il s’agit de faire avancer des projets, mais aussi d’ouvrir les esprits.

Par ailleurs, elle a mené des formations auprès de paysagistes pour les sensibiliser au concept de jardin thérapeutique, aux fondements scientifiques et aux principes de la conception participative à travers des rencontres soignants/paysagistes au CFPPA de Vaucluse. De nouvelles sessions sont prévues en 2017 avec deux niveaux, initiation et perfectionnement. Elle mène également des formations intra-entreprise et des consultations/conceptions de projets pour les jardins de bien-être en entreprise.

Publier et faire connaitre

Fin 2015, France Pringuey intervenait dans une conférence au Salon de l’immobilier d’Entreprise Porte Maillot sur le thème Biophilie et Santé. Oyez, chers lecteurs du Sud. France Pringuey signale un colloque sur les jardins thérapeutiques organisé par le CRES (Centre régional d’éducation pour la santé) le 30 juin 2017 à Marseille : l’appel à poster auprès des équipes soignantes de la région PACA est ouvert jusqu’au 15 avril. Elle y interviendra sur le thème général de l’intérêt du jardin au sein des établissements de soins ainsi que dans une table ronde « Pour la pérennité des jardins thérapeutiques, les différentes animations qui participent aux soins ».

Avec son mari, le psychiatre Dominique Pringuey, elle mène un travail de recherche pour sensibiliser les médecins psychiatres au monde des jardins thérapeutiques. On peut retrouver leurs articles sur Google Scholar (une recherche sur France Pringuey Jardin produit plusieurs articles et posters, dont certains en libre accès).

 

Carole Nahon, des enfants aux personnes âgées

Billets d’origine : le Jardin des (S)ages lancé en 2013 et déjà un retour d’expérience en 2015.

Je reproduis in extenso les commentaires que Carole Nahon m’a fait parvenir sur ses activités de l’année dernière et ses projets de cette année. Une période riche d’ateliers, de partages et d’initiatives du côté de Draguignan.

« Concernant les ateliers en 2016,

  • J’ai poursuivi les ateliers avec les résidents de l’Ehpad. Nous avons organisé une première fête des plantes en mai, proposant à la vente des réalisations de potées fleuries et de plants de basilics et de tomates, la recette étant destinée au budget du jardin du secteur protégé. Petite recette (180 euros) mais fière d’avoir lancé cette journée. Nous avons pu rencontrer les familles, les amis de l’association et leur faire visiter le jardin, leur présenter les résidents qui participaient à l’ateliers.
  • Les activités ont été élargies à la crèche qui accueillaient ma petite fille. Là, l’accueil de très jeunes enfants m’a montré que je ne me trompais pas en créant cette activité. Si certains comportements m’ont rappelé les résidents plus âgés, j’ai pu constaté le grand intérêt des tous petits pour le jardinage. Mettre les mains dans la terre, toucher l’eau, arroser les plantes, les voir pousser, grandir et les déguster est très enrichissant. Chaque enfant est reparti avec un bouquet de basilic à la maison. Les retours des éducatrices ont été très positifs, attente de l’atelier, rappel pour certains de l’activité jardin montrent à quel point cela leur faisait du bien. Du côté des éducatrices, l’activité est un grand bonheur pour elles, elles observent les enfants avec un autre oeil et ont constaté que certains, parfois réservés, pouvaient être très présents dans l’activité. Ces ateliers sont aussi bénéfiques pour elles!

 

  • Concernant le projet d’amélioration du jardin de l’unité protégée, c’est un peu moins bien. Il n’a pas beaucoup avancé, enfin pas dans le sens que nous aurions voulu, les animateurs et moi. La direction a répondu à un appel à projet (qu’elle a décroché) très contraignant dans la mesure où les  travaux engagés se feraient à condition qu’ils soient fait en dur. Ce qui a profondément modifié l’aspect du jardin. Plus de kiosque en fer forgé, plus de pergola légère…Ne maîtrisant pas ce budget, j’attends que les travaux soient terminés (ils ont commencé en janvier) pour revoir ceux du jardin, à proprement parlé. Nous envisageons de faire une fête de ce jardin avec les partenaires. Le crédit agricole, mes amies Soroptimist qui nous ont remis un chèque de 1115 euros et mon ami pépiniériste qui nous fournira les plantes et les représentants de la commune, bien entendu.
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Travaux au jardin

Depuis septembre, j’interviens au PASA. Les ateliers sont très intéressants parce que le suivi est efficace; l’arrosage, le désherbage font l’objet d’activités entre les ateliers et pour certaines des résidentes, ce sont des moments précieux et apaisants.

En novembre, accompagnées des Soroptimists et d’un bénévole de l’association de visiteurs de malades, nous avons désherbé puis végétalisé un mur que les résidents pourront voir fleurir, un peu je l’espère au printemps et en été. Jusque là ce n’était qu’un mur gris envahi de mauvaise herbe…

Et en 2017

A la fin du mois de février, j’ai commencé une activité dans une résidence pour personnes âgées. J’interviendrai une fois par mois, sur la journée. Je me réjouis d’avance car ces personnes sont plus valides, donc plus mobiles. Nous pourrons les emmener acheter les plantes qu’elles auront choisies, et j’envisage aussi la visite dans un beau jardin de la région.

Nous allons réitérer la journée des plantes fin mai, en élargissant le cercle aux autres associations qui interviennent dans la structure, avec repas et goûter pour les familles.

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Le jardin de la crèche. Les enfants ont la main verte!

Et enfin, la crèche m’a proposé de réfléchir à des interventions dans d’autres crèches du réseau « La maison bleue ». Je formerais les éducateurs-trices aux ateliers de jardinage. Challenge intéressant, non?

 

Jeannine Lafrenière inaugure un mur vivant au Québec

Billet d’origine : présentation de la Fondation Oublie pour un instant en 2015.

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Jeannine Lafrenière entourée de partenaires qui ont permis la réalisation du premier mur vivant québécois en milieu de santé.

Jeannine Lafrenière continue à puiser dans son expérience personnelle pour guider ses projets. C’est en accompagnant sa mère en maison de retraite qu’elle se rend compte de l’importance d’amener la nature à l’intérieur à cause des hivers canadiens très froids. Dans un très beau billet intitulé La dernière leçon de ma mère, elle raconte la création d’un mur végétal au Centre Bon Séjour à Gatineau au Québec. L’inauguration a eu lieu le 2 mars. Le projet est présenté sur le site de la Fondation et dans un article suite à l’inauguration.

« Les personnes du Centre Bon Séjour à Gatineau (Québec) pourront pour la première fois profiter de la Nature auprès d’elles sans avoir à se risquer dehors. Et malgré les rigueurs de l’hiver, elles pourront apprécier jour après jour tous les bienfaits que seule la Nature peut leur apporter. Leur saison d’hiver sera différente cette année et toutes les années à venir », se félicite Jeannine Lafrenière. Sa mère ne pourra pas en profiter, elle s’en est allée il y a quelques semaines. Mais elle serait fière du projet de sa fille.

Beaucoup de beaux projets, beaucoup d’énergie et beaucoup de personnes touchées grâce aux efforts de ces pionnières passionnées. Au mois prochain pour la suite.

 

 

 

Les Jardins de l’Humanité sortent de terre

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Les Jardins de l’Humanité dans la brume

Dans les Landes, à l’entrée de la ville de Saint-Vincent de Tyrosse et à 10 minutes de l’Atlantique, Estelle Alquier est en train de réaliser un rêve. Après avoir acquis une prairie de deux hectares, elle y construit depuis un peu plus d’un an 12 jardins thématiques. Un vaste projet qu’elle a baptisé les Jardins de l’Humanité et qui attire déjà des bénévoles réguliers pour l’aider dans son immense tâche. Porté par son association « Terres Océanes, Culture d’Humanité », le projet s’est fixé parmi ses objectifs principaux de « participer à la sensibilisation, la connaissance et la préservation de la diversité végétale et animale et du patrimoine local et régional auprès d’une large public. » Mais aussi de mener « des actions et pratiques écologiques, thérapeutiques, solidaires et respectueuses des hommes et de leur environnement. » Le potager Bonnot va, par exemple, servir à démontrer que la permaculture peut fournir une famille en fruits et légumes toute l’année sans trop de travail.

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Estelle Alquiler

Dans le jardin thérapeutique, il s’agira d’accueillir des enfants et des adultes. Déjà un premier projet avec le CCAS de Tyrosse pour permettre à une douzaine de bénéficiaires de venir jardiner régulièrement est en cours de montage. « J’aimerais organiser un pique-nique tous les trimestres pour qu’ils puissent faire visiter leur jardin à leur famille », explique Estelle qui propose par ailleurs des formations à l’hortithérapie aux personnels soignants en gérontologie, mais aussi auprès d’enfants et de jeunes. Autour du jardin thérapeutique, d’autres idées de partenariats sont à l’étude avec un EHPAD et une école primaire. Pour se familiariser avec l’expérience d’Estelle en matière de jardins thérapeutiques, direction son site dédié : après avoir suivi la formation à l’hortithérapie de Jean-Luc Sudres à l’université du Mirail à Toulouse en 2010, elle a déjà participé à la conception de plusieurs projets dont un jardin dans l’EHPAD « Notre Maison » à Biarritz.

Après avoir démarré le projet sur ses propres fonds et fait appel au financement participatif, Estelle est actuellement dans une phase de demandes de financements auprès de divers mécènes (la Fondation Yves Rocher Terre de femmes, Nature & Découvertes et d’autres). « Il reste encore quelques postes lourds comme le parking et les panneaux pédagogiques », confie cette ancienne journaliste, enseignante d’histoire-géographie et animatrice d’un centre sur l’environnement avec boutique bio et équitable. Mais aujourd’hui, les Jardins de l’Humanité sont devenus le projet qui donne un sens à sa vie. « Les bénévoles qui viennent régulièrement sont impressionnés. Moi, je trouve que cela n’avance pas assez vite. Ce projet est un aboutissement de mon parcours de vie depuis mes engagements à la fac. Mon côté militant est que les gens soient heureux. » Elle, elle le sait depuis qu’elle est enfant, être au jardin lui fait du bien. Les jeunes et les moins jeunes qu’elle accueille pour quelque temps viennent travailler sur son projet avec elle car ils cherchent leur voie et veulent essayer de nouvelles formes de solidarité.

Récemment, Sébastien Guéret de Formavert est venu visiter les Jardins de l’Humanité. Il a été bluffé par le souffle du projet et par la vision d’Estelle. On croise les doigts pour que l’inauguration se déroule, comme prévu, à la Saint-Jean en juin 2017. Pour contacter Estelle Alquier : terreoceane@yahoo.fr

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Le plan des Jardins

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Une structure en osier sépare le jardin médiéval du ruisseau en contrebas.

Création d’un jardin : le point de vue institutionnel

« Intégration d’un jardin thérapeutique en établissement accueillant des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer et troubles apparentés ». C’est le titre du mémoire de Master 1 en Promotion et Gestion de la Santé soutenu par Arnaud Kowalczyk à l’Université de Tours en juin 2016. Vous pouvez le lire en intégralité ici.

Lorsque Paule Lebay m’a parlé du travail en cours d’Arnaud Kowalczyk, mon intérêt a été immédiat. Car si les étudiants en paysagisme se penchent de plus en plus sur les jardins thérapeutiques, c’était la première fois que j’entendais parler d’un étudiant issu du monde de l’administration des établissements intéressé par le sujet. Précisément, ce master prépare « des professionnels capables d’initier, de développer ou d’évaluer des programmes d’action en prévention et promotion de la santé efficaces et efficients » et « des professionnels sachant mettre en œuvre une gestion et un management performants au niveau de structures sanitaires et/ou sociales. » Nous aimons à dire que les animateurs de jardin devraient idéalement combiner une approche du soin et une approche du végétal. Bien sûr, mais les responsables d’établissements ont évidemment un poids très important dans la création et le succès des projets de jardins. Arnaud Kowalczyk plaide pour le besoin d’une reconnaissance institutionnelle.

Le mémoire d’Arnaud Kowalczyk commence très bien. J’ai été sensible à son rappel de la définition de la santé selon l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) : « un état complet de bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité ». Comme il l’écrit, « Il est important de rappeler cette définition qui va nous permettre de nous focaliser non pas sur la maladie d’Alzheimer ou des troubles apparentés de façon médicale et scientifique en institution, mais plutôt de l’amélioration du bien-être chez les personnes souffrant de cette pathologie et troubles associés. Ainsi, la santé environnementale définie par l’OMS, nous rappelle le rôle des facteurs environnementaux, de la qualité de vie, dans la maladie et dans l’amélioration de celle-ci ou du moins, du maintien du bien-être. »

Le mémoire s’articule autour de deux axes : les dimensions et finalités du jardin thérapeutique au niveau institutionnel pour lesquels l’auteur s’est appuyé sur la littérature et des entretiens, et la réflexion sur un jardin thérapeutique en établissement menée dans le cadre de son stage en accueil de jour.

L’auteur rappelle les différents plans qui peuvent servir de leviers d’action :

  • le plan Alzheimer de 2008-2012 dont la mesure 33 prévoit l’amélioration de l’évaluation des thérapies non médicamenteuses
  • le plan maladies neurodégénératives 2014-2019 et sa mesure 83 qui encourage une prise en charge « tournée vers des liens sociaux conservés évitant un sentiment de frustration, d’isolement pour les personnes atteintes de maladies neurodégénératives »
  • la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement qui doit favoriser la modernisation des établissements avec des bâtiments lumineux, végétalisés, dans le respect des besoins des personnes âgées et du personnel soignant…

 

Ambigüité législative et institutionnelle

L’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) souffle le chaud et le froid : ses bonnes pratiques mentionnent « la liberté d’aller et venir, précisant que l’accès libre à un espace extérieur sécurisé et clos (jardin, terrasse) est recommandé et permet la déambulation en toute sécurité ». Mais en parallèle, l’agence rappelle qu’aucune intervention non médicamenteuse n’a apporté la preuve de son efficacité sur l’évolution de la maladie et elle se garde de mentionner explicitement le recours aux jardins thérapeutiques. Même chose du côté de la Haute Autorité de Santé. « Nous apercevons ici l’ambigüité législative, institutionnelle, quand il s’agit d’évoquer le jardin. Institutionnaliser le jardin de soin permettrait de légitimer la pratique et d’encourager les décideurs à plus de vigilance sur l’importance d’un espace pour que s’expriment les émotions, les besoins, les envies des bénéficiaires mais aussi des soignants parfois frileux à l’idée de pénétrer dans un espace non médicalisé. La rigueur de l’évaluation des traitements médicamenteux ne permet pas d’exposer aujourd’hui les évaluations souvent qualitatives des thérapies non-médicamenteuses », écrit Arnaud Kowalczyk. Ces approches sont encouragées, mais de fait marginalisées faute d’avoir fait la preuve de leur efficacité…

Après avoir fait état des associations qui œuvrent dans ce domaine – l’incontournable Belles Plantes d’Anne et Jean-Paul Ribes, la Fondation Truffaut, l’association Jardins & Santé, la Fondation de France et la fondation Médéric Alzheimer -, l’auteur s’est lancé dans un recensement des établissements accueillant des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer qui offrent un jardin thérapeutique dans le département d’Indre-et-Loire. Sur 48 établissements figurant dans le Fichier National des Établissements Sanitaires et Sociaux (FINESS), il a réussi grâce à des appels téléphoniques à identifier 15 établissements possédant un jardin thérapeutique (souvent mal connu). Signe d’espoir, plusieurs établissements lui ont répondu qu’un projet était en phase de conception. Cette méconnaissance est-elle due à au manque de visibilité des jardins thérapeutiques et la formation pourrait-elle aider ? C’est la question que l’auteur se pose en constatant, comme nous tous, que la formation est encore très embryonnaire en France. Parmi les finalités du jardin (ce que nous aurions tendance à appeler les bienfaits), Arnaud Kowalczyk liste la sociabilité, le sentiment d’utilité sociale, la spiritualité et l’imaginaire, la thérapeutique cognitive et la thérapeutique physique et sensorielle.

Réflexion dans un accueil de jour en Touraine

Dans la seconde partie du mémoire, l’auteur partage l’expérience de son stage d’un mois au sein de l’accueil de jour Relais Cajou à Ballan-Miré près de Tours qui accueille des personnes présentant des troubles mnésiques et vivants à domicile. Les Relais Cajou, gérés par la Mutualité Française, ont pour objectif d’offrir une ambiance conviviale, non médicalisée et non stigmatisante. Alors qu’un autre Relais Cajou proche (Chambray-Lès-Tours) possède déjà un jardin potager, celui de Ballan-Miré, direction et personnel confondu, a exprimé la volonté de concevoir un jardin thérapeutique dans un espace vert existant. Dans le cadre de son stage, l’auteur a participé à l’élaboration du projet. Avec l’équipe, il identifie plusieurs objectifs généraux :

  • Stimulation des cinq sens, le renforcement de la proprioception et la consolidation des conduites motrices.
  • Proposer un espace de déambulation extérieur, un but de sortie.
  • Favoriser le lien social entre l’équipe professionnelle et les bénéficiaires.

Et plusieurs objectifs spécifiques :

  • Stimuler la motricité par le travail de la terre et des outils et la marche.
  • Stimulation cognitive avec l’activité calendrier et le rappel des noms de plantes, fleurs, ce qui a été planté.
  • Stimulation visuelle et orientation temporo-spatial par cet espace de déambulation.
  • Travailler sur la réminiscence.

 

Après avoir défini les points à couvrir dans l’étude de faisabilité technique, financière et environnementale, l’auteur regrette que l’avancée du projet ait été limitée par la durée du stage même si un potager a bien été planté au printemps. Dans la dernière partie du mémoire, il s’attarde sur quelques limites humaines (la légitimité du jardin comme support au sein, l’absence de formation, le manque de temps, la peur d’un support que les soignants ne maitrisent pas) et organisationnelles (le financement, implication au long terme du personnel, les normes de sécurité et d’hygiène imposées, les freins à la consommation de la production hors d’une cuisine thérapeutique).

Et le mémoire se conclut sur ce constat. « Car, en dépit du mouvement engagé pour l’intégration des jardins dans les établissements, la dichotomie entre le soin et la nature freine l’investissement dans les formations et l’implantation en structure. Notre travail ne s’inscrit pas dans la médicalisation du jardin thérapeutique car une banalisation dans la création des jardins qui se voudrait standardisée et normée ferait perdre tout le potentiel de cet espace. L’intégration d’un jardin thérapeutique vient donc par son essence même accompagner le soigné et prendre soin de celui-ci. »

En conclusion, on sent qu’Arnaud Kowalczyk veut croire au futur des jardins thérapeutiques tout en restant conscient des obstacles à leur acceptation institutionnelle.

Patchwork

Au fil des semaines, j’accumule des références d’articles qui touchent, de plus ou moins près, au jardin de soin, à l’hortithérapie ou à la place de la nature pour les urbains. Beaucoup de ces liens circulent sur le groupe Facebook Jardins de soin ou me sont envoyés par des connaissances au courant de mon intérêt pour le sujet (merci Cléa, Nicole, Stew, Elise,…). Aujourd’hui, je les partage avec vous. Un peu en vrac. A vous de piocher dans ce qui vous intéresse.

Les Jardins de l’Humanité ont besoin de votre soutien

Les jardins de l'Humanité

Les jardins de l’Humanité

Estelle Alquier, présidente de l’association Terres Océanes, donne régulièrement des nouvelles des Jardins de l’Humanité. Voici son appel. « Les jardins de l’Humanité (19 jardins à vocation thérapeutique, historique, conservatoire, pédagogique et sociale) sont en cours de réalisation depuis septembre dernier (2015) dans le sud des Landes. Ce projet ambitieux est porté par l’association « terres océanes, cultures d’humanité » et avance grâce à l’implication de nombreux bénévolesvenus de toute la France. Nous arrivons au bout du budget de départ et pour continuer, nous faisons appel aux fondations, au financement public et à tous! Aucun doute qu’il verra le jour, cependant nous avons besoin de tous pour continuer. Une campagne de dons a démarré la semaine dernière sur le site helloasso, chaque don, dès 5 euros, est déductible des impôts et contribue à l’aboutissement de ce lieu hautement humain et écologique. Vous trouverez plus de détails sur notre site internet, accessible depuis le site de financement. »

Un jardin de soin à l’Institut Mutualiste Montsouris

Les acteurs en présence autour de ce jardin de soin inauguré en 2014: l’Institut Mutualiste Montsouris (département hospitalo-universitaire de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte de l’Université Paris Descartes), l’association Jardin Art et Soin d’Alain Calender et le paysagiste Louis Benech.

Quantifier les bienfaits des espaces verts en ville

« Quand les élus, ou les promoteurs, regardent le budget d’un espace vert, c’est plutôt en termes de coûts que de recettes. Vu au mieux comme un plaisir apporté à l’habitant, au pire comme une onéreuse danseuse, le jardin n’est jamais crédité de ses bienfaits. Ils existent pourtant et peuvent même être chiffrés. Pour en avoir le cœur net, l’Union nationale des entreprises du paysage a demandé à l’institut Asterès de les recenser et, mieux encore, d’en faire une traduction monétaire. De cet exercice inédit se dégagent deux informations majeures : le jardin fait faire des économies en dépenses de santé et rapporte des rentrées en recettes liées à l’attractivité. » Lire l’article de Sybille Vincendon dans Libération.

Potagers en pied d’immeuble, jardins thérapeutiques en maisons de retraite

Une émission de Périphéries sur France Inter dédié à un jardin vivrier dans le quartier Bel Air de Montreuil. Montreuil, cela vous rappellera peut-être le projet de Yves-Aubert Alonzeau, l’un des gagnants du concours d’Avenir de la Fondation Truffaut en 2016. Décidemment, on jardine beaucoup à Montreuil.

Le site Ehpadeo, créé par deux frères pour aider les personnes âgées et leurs familles, dédie une rubrique aux jardins thérapeutiques en mettant en avant des projets dans plusieurs maisons de retraite.

Des jardins qui rapprochent

En Suisse, cette initiative qui date de 2011 permet à des migrants et à des réfugiés de s’insérer au travers d’une parcelle de jardin. En Alsace-Lorraine, j’ai entendu parler de trois jardins interreligieux de la Meinau, de Valff et de Saverne. Mais peu d’information filtre sur Internet malheureusement.

L’intelligence émotionnelle des plantes

« Est-ce que les plantes sont en résonnance avec l’Homme et le règne du vivant ? » C’est la question posée dans l’émission de radio Retour aux Sources à partir du livre « L’intelligence émotionnelle des plantes » de Cleve Backster avec deux invités autour de la table de Joëlle Vérai : Bénédicte Fumey qui est porte-parole du Pacte civique et Jacques Collin, ingénieur, écrivain et conférencier. J’avoue que je n’ai pas encore écouté l’émission jusqu’au bout…

Encore plus méconnue que l’hortithérapie, la bibliothérapie

« Inspirée par la philosophie grecque, plébiscitée par Marcel Proust à la fin du XIXè siècle et complètement reconnue aujourd’hui en Grande Bretagne, la bibliothérapie se fait attendre en France. Pourtant, l’apaisement des maux de l’âme ou le renforcement du bien-être psychologique par la lecture résonnent presque comme des effets on ne peut plus évidents. Il faut dire que ces pouvoirs prêtés au livre ont des origines très anciennes et sont désormais scientifiquement prouvés. » Cet article très complet fait un bilan historique et contemporain de la lecture comme acte thérapeutique.

Le coin anglophone : une maternelle dans les arbres, des ordonnances de nature et un nouveau livre

Une jeune élève à la Fiddleheads Forest School à Seattle (photo du New York Times).

Une jeune élève à la Fiddleheads Forest School à Seattle (photo du New York Times).

A Seattle, une maternelle installée dans University of Washington Botanic Gardens fait classe dans la forêt. Un article du New York Times raconte l’expérience de Fiddleheads Forest School. On dirait que l’appel de Richard Louv dans son célèbre livre Last kid in the woods a été entendu.

De San Francisco à Washington, des médecins américains prescrivent des marches dans la nature à leurs patients. Pas seulement pour faire de l’exercice, mais aussi pour raviver leur connexion avec la nature et stimuler leur cerveau. La pratique existe aussi en Angleterre. En France, j’ai entendu une professionnelle de la santé conseiller à une patiente de marcher en pleine conscience à travers un parc qui se trouve quotidiennement sur son chemin…

David Kamp a fondé Dirtworks Landscape Architecture à New York pour explorer l’interaction de la nature, de la santé et du bien-être. Il vient juste de publier Healing Garden, un livre qui mêle théorie et pratique. Je ne l’ai pas lu. La description du livre n’est pas sans rappeler Therapeutic Landscapes de Clare Cooper Marcus et Naomi Sachs.

De l’Oregon à la Suisse, des jardins qui soignent

Roger Ulrich

Roger Ulrich

Ces jours-ci, l’American Horticultural Therapy Association se réunissait pour sa conférence annuelle à Portland dans l’Oregon. Avec Roger Ulrich comme keynote speaker, la rock star de la recherche sur les effets de la nature sur les malades. Il aura sans doute donné plus d’éléments sur une étude qu’il a menée dans le jardin de l’hôpital Legacy Health à Portland, « A Nature Place: Quantifying Benefits of a Healing Garden among Hospital Populations ». L’étude cherche à mesurer les effets du jardin à Legacy Health sur trois populations : une étude sur des mères et leurs bébés (on mesure le niveau de stress et le rythme cardiaque des mères et des bébés pendant l’accouchement), une étude sur les familles de patients en soins intensifs et enfin une dernière étude sur les infirmières. On attend avec impatience les résultats…

Michael Schumacher : récupérer d’un coma dans un jardin 

Le jardin de 300 m2 ouvert il y a un an au CHUV à Lausanne.

Le jardin de 300 m2 ouvert il y a un an au CHUV à Lausanne.

En attendant, je vous invite à découvrir cette expérience de jardin au CHUV (Centre hospitalier universitaire vaudois) à Lausanne avec des patients sortant du coma. C’est le journal Le Temps qui rapporte l’expérience dans un article daté de septembre dernier. « Cette structure unique en son genre dans un hôpital universitaire suisse, qui a fêté sa première année d’existence à la fin août, montre des résultats très positifs. Le contact de la nature, la stimulation olfactive des plantes aromatiques, le bruit de l’eau qui clapote dans une fontaine, ou encore le souffle du vent sur un visage offrent de nouvelles possibilités de stimulation du patient. Celui-ci devient alors capable d’effectuer un mouvement qu’il n’était pas forcément en mesure d’exécuter au sein de sa chambre d’hôpital, faute de motivation suffisante », écrit la journaliste. L’article est largement basé sur une interview avec Karin Diserens, médecin adjointe au sein du service de neurologie et responsable de l’Unité de neuro-rééducation aiguë du CHUV. Parmi les patients de Karin Discernes, l’ancien champion de Formule 1 Michael Schumacher suivi au CHUV suite à un accident de ski.

En Suisse, signalons aussi le projet d’Amanda Juillon à l’hôpital universitaire de Genève qui s’adressait plus particulièrement aux patients obèses. Cette expérience en éducation du patient qui a duré deux ans a donné lieu à une publication scientifique en 2012.

Au CHU de Nice, un jardin thérapeutique ancré dans la double compétence

France Pringuey nettoie un bosquet de papyrus.

France Pringuey nettoie un bosquet de papyrus.

« Dr France Pringuey, Conceptrice, Consultante en jardins de soins auprès des professionnels et des particuliers ». C’est la signature de cette femme qui personnifie l’alliance de compétences dans le monde du soin et dans celui des plantes. Médecin généraliste pendant 25 ans, elle a eu envie d’une reconversion qui mêlerait tout ce qui l’avait motivée à devenir médecin (la rencontre et le potentiel thérapeutique, bien loin de la technicité de la médecine qu’elle trouve pesante) et une passion ancienne pour le jardin (« Quand j’étais étudiante, je n’avais pas de jardin, mais je lisais des revues de jardinage dans ma chambre de 10 m2 »). « Le jardin contribue à une atmosphère qui est bénéfique à la rencontre et une autre relation avec les patients », résume-t-elle. « La rencontre au jardin est suffisante en elle-même. C’est le retour à un monde commun qui permet la rencontre de deux êtres au niveau humain. Les bénéfices physiques, psychiques et sociaux sont l’expression d’un phénomène plus profond. Et la science nous le raconte. Dans les minutes qui suivent l’arrivée dans le jardin, le stress baisse. » Après avoir assisté au symposium de l’association Jardin & Santé en 2010, elle voit mieux le lien entre son passé et son futur potentiel. « J’ai mesuré l’étendu du problème entre le monde du paysagisme et celui de la santé qui ont une difficulté à se rencontrer par défaut de connaissances et de compétences. On manque aussi souvent de temps pour comprendre le monde de l’autre. Je défends que faire le lien entre ces deux mondes demande une double compétence. » Tentée par une formation à l’Ecole du Paysage de Versailles malheureusement difficilement compatible avec la vie de famille, elle choisit une formation de paysagiste dispensée à distance par Natura-Dis qu’elle vient de terminer. En parallèle, elle multiplie les expériences (le domaine du Rayol avec Gilles Clément et les jardins des Méditerranées, une formation à Chaumont-sur-Loire animée par Martine Brulé et Michel Racine, la rencontre de Claude Jeangirard, fondateur de la clinique psychiatrique en milieu ouvert de La Chesnaie,…).

L’histoire du jardin de l’Armillaire 

En germe depuis 2010, le projet qui deviendra le Jardin de l’Armillaire au sein d’une unité psychiatrique du CHU Pasteur de Nice commence à prendre forme et elle le présente à l’hôpital à l’été 2012. « Malgré la méfiance face à un médecin extérieur et au carcan administratif, le projet a séduit tout le monde et on m’a demandé des devis pour octobre. Je reste émerveillée que, malgré les difficultés, quelques personnes très motivées aient pu se rencontrer autour de ce projet », résume-t-elle aujourd’hui. Parmi ces rencontres, celle de Stéphane Piernet d’Unik TV qui lance une série documentaire pour suivre le jardin au fil de trois saisons. Le premier épisode est en ligne et c’est une expérience incroyable de voir le projet sortir de terre et les premiers patients planter des jacinthes. Le prochain épisode est annoncé pour bientôt.

Outre ses alliés dans l’hôpital, le docteur Pringuey travaille avec un paysagiste qu’elle connait pour réaliser le jardin. Aujourd’hui installée en autoentrepreneur comme consultante en jardins thérapeutiques, elle aimerait travailler avec les paysagistes pour faire ce lien qui fait tellement défaut. « Pour les gros paysagistes, on est vu comme concurrentiels. Ils pensent avoir les compétences pour comprendre le « client santé ». Du côté du monde de la santé, on s’intéresse au jardin, mais on n’a pas d’ouverture au monde du jardin. On se contente de faire des tomates et des salades », constate-t-elle. Conceptrice du jardin, France Pringuey s’est maintenant retirée et a passé le flambeau à Martine Brulé qui anime des ateliers hebdomadaires d’hortithérapie. « On fait des formations du personnel. J’ai expliqué au CHU que c’était bien de faire des jardins. Mais il faut quelqu’un pour accueillir. Il n’existe pas de jardinier thérapeute, ça reste une animation », continue-t-elle.

Quant à la sempiternelle question de l’évaluation, elle espère que le service sera assez motivé pour travailler sur des évaluations, dans un cadre publiable, au moyen d’échelles des émotions et de qualité de vie. Côté financement, la création du jardin et les ateliers ont été soutenus par la Fondation S. Niarchos, l’association « Jardin et Santé », la CPAM des Alpes-Maritimes et le fonds de dotation AVENI du CHU. Cette brochure, Le Jardin de l’Armillaire, donne beaucoup d’informations sur le projet et la démarche. Apprenez de plus le sens du nom donné au jardin lié au lieu historique qui l’héberge : « L’esprit du lieu est renforcé par la présence d’une sphère armillaire. Symbole de la connaissance et de la sagesse jusqu’à la renaissance, son histoire évoque celle de l’abbaye Saint Pons, haut lieu culturel et historique qui connaît son apogée au XVe siècle. La modélisation de la sphère céleste est aussi un outil pédagogique pour expliquer, en fonction des saisons les mouvements du Soleil et de la Lune dans le ciel.»

Phyto-résonance : une relation intime aux plantes

Mystère-spatialité existentielle

Mystère-spatialité existentielle

France Pringuey s’intéresse en parallèle à la phyto-résonance, la réaction des humains aux plantes. « Quand je regarde cet espace très structuré du jardin (voir photo), je suis immédiatement saisie par l’atmosphère de mystère qui s’en dégage, par l’harmonie et la beauté de l’œuvre…Cette prise de connaissance intuitive de l’essence est fondatrice de l’être. Son domaine s’étend bien au-delà du monde de la perception sensorielle et de ses expressions qu’elles soient biologiques ou psychologiques. Il raconte le lien originaire de l’être au monde. Quant à l’équilibre des perspectives et l’analyse de l’espace géométrique objectif, mon être résonne avec la forme dynamique de la scène même si je fais abstraction de son contenu. Je suis pénétrée par l’équilibre et l’harmonie. C’est en cela que la co-relation au végétal peut être bénéfique et qu’elle ne peut être réduite à « la stimulation des cinq sens » et de la mémoire. C’est une relation de vitalité et de créativité essentielle pour l’homme. »

La nécessaire formation

« On ne peut pas être qualifié d’hortithérapeute sans compétence dans le monde de la santé (psychologue, ergothérapeute, infirmier,…). Il faut réellement aboutir à une formation en hortithérapie. En Allemagne, il y a les garden thérapeutes qui ont une double compétence, mais tout est en allemand…Il faudrait un diplôme universitaire (DU) qui fédére des enseignants compétents dans le soin et le jardin », avance France Pringuey qui dit réfléchir à la question avec son mari, professeur de psychiatrie.

Mise à jour (décembre 2014). Le CHU de Nice vient d’obtenir la labellisation 2014 « Droit des Usagers »de l’ARS au niveau national pour le projet Jardins de soins en Psychiatrie. Un dossier monté en septembre par France Pringuey qui espère que cette reconnaissance donnera envie à la direction de péréniser le projet…