Le Jardin de Vezenne : un jardin éducatif et thérapeutique « hors les murs »

Mise à jour, le 5 septembre 2019. Le Jardin de Vezenne ouvre ses portes le 14 septembre. Allez leur dire bonjour si vous êtes dans le coin.

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En octobre 2012, je vous avais parlé du Ability Garden implanté en Caroline du Nord aux Etats-Unis. Cela fait une vingtaine d’années que ce jardin thérapeutique installé dans un lieu public accueille des participants venus de toute la région. Après avoir survécu à la retraite de sa fondatrice, il est plus actif que jamais. En France, les jardins thérapeutiques « hors des murs » ne courent pas les rues non plus. Il y a bien les Jardins de l’Humanité dans les Landes et le projet longuement muri de Romane Glotain en Loire-Atlantique.

Depuis quelques mois, le Jardin de Vezenne dans le Loiret ouvre de nouvelles perspectives, porté par une équipe formée d’Emmanuelle Lutton (travailleuse sociale), Bastien Fouchez (éducateur spécialisé) et Céline Gillot (psychologue clinicienne). Propriétaires des lieux depuis 10 ans, ils ont créé une association et dédié 4 000 m2 à ce projet très original implanté à Lailly en Val en Sologne.

Une respiration pour les institutions

Emmanuelle Lutton

Emmanuelle Lutton s’occupe des chèvres du Jardin de Vezenne

Lorsqu’Emmanuelle était chef de service socio-éducatif pour un institut médico-éducatif (IME) auprès d’enfants et de jeunes adultes en situation de handicaps, elle constatait tous les jours la difficulté à trouver des lieux adaptés hors établissement. « La politique est de faire des projets et de sortir, mais on ne trouvait pas de lieux appropriés. Dans les fermes pédagogiques par exemple, il manque parfois cette fibre sociale, cette flexibilité nécessaire dans l’approche avec ce public », explique-t-elle. « Un retard de quinze minutes devient un problème alors que convaincre un enfant en situation de handicap de monter dans le bus peut être très long, par exemple. »

Le manque de lieux permettant le contact avec la nature combiné avec le besoin d’apporter du sens à sa carrière ont mené à un an de réflexion avec ses deux partenaires pour aboutir au Jardin de Vezenne tel qu’il a été inauguré en avril 2019. « Nous avons mûri le projet à l’écrit pour avoir des objectifs précis. Puis, nous l’avons fait relire par plusieurs corps de métier dans le social et le médico-social », précise-t-elle. De son côté, elle s’est également formée au domaine de Chaumont-sur-Loire où je l’ai rencontrée pour la première fois.

Et voici le résultat. Un jardin extra-institutionnel qui « s’adresse à toutes personnes en difficulté et/ou vulnérables qui recherchent un lieu ressource, dédié à des activités éducatives et thérapeutiques autour du vivant. Nous proposons des activités à destination des institutions sociales et médico-sociales  et des familles ».

Ailleurs sur leur site, le trio décrit le Jardin de Vezenne comme « un lieu ressource, où la respiration est possible, une pause dans l’univers des collectivités et des institutions. Un endroit refuge, ressource, extra institutionnel qui permet à chacun (enfants, parents, accompagnateurs, équipe, aidants…) de s’extraire d’un quotidien institutionnel. Nous voulions aller au delà de la création d’un « joli » jardin où il ferait bon se promener, et nous appuyer sur la richesse que nous offre la nature, sur ses dons pour créer un « jardin-outil », un « jardin-support » pour le soin des personnes. »

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Depuis des mois, l’association se préparait à l’ouverture. Travaux, terrassement, serre de récupération, bois récolté dans la forêt. Et travail de « démarchage » pour Emmanuelle avec des appels et des rendez-vous dans les structures des environs. « Quand je parle de jardin thérapeutique, je sens une écoute. Il y a beaucoup de travail d’explication. En plus des bienfaits du jardin, je leur parle beaucoup du bien que cela fait de sortir de l’institution, autant pour les personnes que pour les équipes. »

Les premiers jardiniers de Vezenne

Depuis l’ouverture à la mi-avril, le jardin a accueilli plusieurs groupes : MECS (maison d’enfants à caractère social, FAM (foyer d’accueil médicalisé) et maison de retraite. Des projets sont en cours avec des IME et des MAS (maison d’accueil spécialisée).

Avec les jeunes enfants de la MECS, les objectifs sont plus éducatifs que thérapeutiques : cycle de vie, responsabilité, conséquences des actions, attention, patience, cohésion de groupe sont mises en œuvre. Autour d’un projet rédigé avec les éducateurs et validé par la direction de l’établissement, les enfants fréquentent le jardin qui devient aussi un lien avec les familles. « Nous avons fait des mini jardins aromatiques que les enfants ramènent chez eux puisqu’ils rentrent dans leur famille le weekend. »

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Les jardiniers du FAM sont des adultes porteurs de plusieurs handicaps. « C’est à la fois un projet de groupe et un projet individuel qui s’appuie sur le projet d’accompagnement individualisé. Pour une personne qui n’arrive pas à se poser et exprime sa frustration par des troubles du comportement, on a travaillé la concentration et la patience avec des semis de radis qui poussent relativement vite. Pour une autre personne malvoyante, le maïs qui est une grosse graine douce a été semé au godet avec le plaisir sensoriel de plonger les mains dans les graines. Un projet est de tracer un chemin planté de maïs pour le suivre au toucher. »

Plusieurs groupes de personnes âgées fréquentent le Jardin de Vezenne. « Les anciens nous disent en catimini qu’ils sont bien contents de sortir de la maison de retraite et de respirer un nouvel air. Bernard nous raconte ses plantations de citrouille d’avant… Françoise sème une « forêt » de concombre en éclatant de rire », raconte Emmanuelle et ses partenaires sur leur page Facebook. En général, ces jardiniers ne sont pas autonomes dans les gestes de la vie quotidienne. Eux aussi rapportent des plantes chez eux, notamment ceux qui ont un balcon prêt à les accueillir. En sens inverse, Emmanuelle intervient dans une maison de retraite où le jardin existant était peu utilisé. « L’objectif pour ces personnes très âgées qui sortent peu de leur chambre, voire de leur lit, est de sortir pour aller au jardin. »

Une place pour les particuliers

« Nous ne sommes pas uniquement un lieu qui accueille des personnes en situation de handicap. Nous accueillons aussi des particuliers. Ainsi, une jeune fille souffrant de phobie scolaire a pu travailler la confiance, l’autonomie et la prise d’initiative. D’autres parents commencent à nous appeler. Un golf local nous a également sollicités pour des ateliers avec les enfants. C’est en réflexion. Car nous ne sommes pas animateurs, ni orientés vers l’occupationnel. » En tant que jeune association, le Jardin de Vezenne étudie toutes les pistes dans le respect de ses objectifs de départ.

Le Jardin de Vezenne vit aussi autour d’animations ouvertes à tous, comme ce récent atelier autour des plantes sauvages et comestibles avec un temps de cueillette et un temps de dégustation. Notons en passant que le Jardin de Vezenne a fait l’objet d’une campagne de financement participatif sur le site Tudigo et a reçu des financements locaux, notamment du Crédit Agricole.

Il est encore un peu tôt pour parler de bilan. Dix semaines, c’est une goutte d’eau dans la vie d’un jardin. Emmanuelle et ses partenaires ont le plaisir d’avoir concrétisé leur rêve et d’y accueillir des personnes dont le visage s’illumine souvent au contact de la nature et des animaux (canards, chèvres). Emmanuelle constate qu’il n’est pas toujours facile de travailler en collaboration avec les équipes déjà surmenées. Ainsi, sa proposition de fournir des écrits d’évaluation et de synthèse ne semble pas susciter beaucoup d’intérêt. Mais l’idée que le contact avec la nature apporte des bienfaits fait son chemin auprès de ses interlocuteurs. Et le Jardin de Vezenne est désormais un lieu où des personnes vulnérables font l’expérience de ce contact.

Pour contacter l’équipe du Jardin de Vezenne :

jardindevezenne@gmail.com

http://www.jardindevezenne.fr/

https://www.facebook.com/jardindevezenne/

 

A l’EHPAD d’Onzain, un jardin sort des cartons

Quelques fleurs d'entrée de jeu

Quelques fleurs d’entrée de jeu

Autre région, autre EPHAD, autre équipe, mais les problématiques sont souvent similaires. Infirmière, Paule Lebay commence à travailler dans l’unité protégée de l’EPHAD La Treille à Onzain (Loir-et-Cher, près de Blois) avec des patients souffrant de la maladie d’Alzheimer et de démences apparentées. « L’unité protégée a des baies vitrées vers l’extérieur et elle est censée être ouverte. Mais par souci de sécurité, on ne laisse pas sortir les résidents. Nous sommes dans un bâtiment tout neuf entouré d’un parc et d’une zone boisée, mais ils n’en profitent pas. Cela me gênait beaucoup dans ma pratique des soins », explique cette amoureuse des jardins. Devenue infirmière coordinatrice, elle s’occupe désormais de l’accueil de jour où les participants ont les mêmes troubles, mais vivent chez eux. Le but de l’accueil de jour est de maintenir le lien social et l’autonomie à travers des activités afin que le maintien à domicile puisse se poursuivre aussi longtemps que possible.

Jean-Paul Ribes apprécie la qualité de la terre

Pendant la visite au futur jardin, Jean-Paul Ribes apprécie la qualité de la terre

« J’ai proposé au directeur de l’établissement de faire un jardin. Il a été d’accord, mais m’a dit que je devrais me débrouiller toute seule. Il m’a parlé d’une formation sur le jardin de soin à Chaumont [à quelques kilomètres de l’autre côté de la Loire, NDLR] », explique Paule. En octobre 2012, elle suit cette formation et son projet devient un exercice pratique pour tout le groupe qui se rend sur place comme je l’ai raconté ici. « Je ne suis pas paysagiste. J’avais l’idée et l’éthique, mais pas les connaissances en horticulture. La formation m’a permis de comprendre ce qu’il faudrait trouver dans le jardin pour que ce soit un jardin de soin. » Après la formation, elle travaille son dossier, « un peu tous les jours, sur mon temps personnel, pour ne pas que le soufflé retombe. » Elle est convaincue que le futur jardin doit obligatoirement permettre de jardiner. « Ce n’est pas que de l’ornemental, il faut un endroit réservé à la pratique avec des bacs de culture. Il faut organiser des activités comme le ramassage des graines, la confection de bouquets ou les semis. En parlant avec les gens, je me suis aperçue que certains n’aimaient pas jardiner, mais aimaient tailler. Il faut donc prévoir des arbustes à tailler comme des forsythias ou des groseilliers à fleurs. Il faut aussi des plantes qui marquent les saisons comme le lilas ou le muguet. » Si on lui répond que le muguet ou le chèvrefeuille dont l’odeur déclenche des choses dans la mémoire sont toxiques, Paule est consciente du risque. « Je prends ce risque car c’est pour leur bien-être et pour la stimulation. »

Sébastien Guéret, un autre pionnier de l'hortithérapie en France, apporte ses lumières à Paule.

Sébastien Guéret, un autre pionnier de l’hortithérapie en France, apporte ses lumières à Paule.

Toujours à l’affût d’idées et confrontée à de nouvelles questions, Paule cherche des réponses sur un groupe Google créé à l’issue de la formation qu’elle a suivie à Chaumont (pour rejoindre le groupe Jardins de soin, me contacter). « Une membre du groupe a parlé d’une charte du jardin qu’elle élabore dans son établissement et elle va me la faire passer. Un autre membre a fait une liste d’observations sur le comportement des patients Alzheimer qui m’a été très utile. C’est hyper enrichissant », rapporte Paule. Lors d’une seconde session de formation à Chaumont au mois d’avril, elle a reçu les participants dans son futur jardin et une nouvelle idée est née. « Je vais créer une noue, une sorte de rigole pour évacuer l’eau du terrain qui est très humide et argileux. Cela va représenter une économie de 50% sur mon projet initial de terrassement et permettra d’avoir des plantes de berge et des plantes aquatiques. »

Après les questions techniques, le problème du financement est la question qui fait perdre le sommeil à Paule. Sans soutien financier de l’établissement ou du département, elle tape à d’autres portes. « J’ai contacté des fondations dont la Fondation Truffaut qui m’a déjà alloué une aide. Le directeur du magasin voisin m’a proposé de l’aide et des conseils. L’assurance AG2R La Mondiale m’a également promis une aide. J’ai fait des dossiers auprès de Carrefour, Total, de plusieurs laboratoires pharmaceutiques car nous sommes de gros consommateurs de médicaments. » Précisons que Paule a créé une association pour faciliter ses démarches et demandes de financement. Pour l’instant, il ne se passe rien sur le terrain. Paule a pu acheter du bois pour fabriquer des bacs. Mais elle ne les a pas installés car le terrassement doit être la première étape. « Je ne veux pas créer quelque chose pour le défaire ensuite. Je pense que ça ne serait pas bon pour les résidents. »

En attendant, une petite partie du jardin qui ne sera pas remaniée accueille quelques plantes : du muguet, des pensées, des radis que les participants ont plantés. Par ailleurs, Paule remplace parfois une collègue dans l’unité protégée et elle en profite pour mener quelques ateliers de jardinage dans le patio. Avec beaucoup de succès. « Je suis aidée par deux dames de l’accueil de jour et nous arrivons avec le matériel, des graines, des arrosoirs. Alors qu’ils étaient installés devant la télé, les résidents se retrouvent dehors. Une dame qui ne parlait pas a pu toucher l’eau dans l’arrosoir et son visage s’est éclairé d’un sourire immense. Une autre dame a laissé ses deux canes anglaises et elle est partie en boitant avec un arrosoir faire le tour du patio. Il ne faut pas avoir de préjugés sur ce qu’ils peuvent faire et il ne faut pas les culpabiliser. L’activité se termine par un goûter dehors. Les soignants se rendent compte que ce n’est pas plus de travail, au contraire car les résidents sont occupés. » Paule estime que ces activités de jardinage, malheureusement trop ponctuelles, offrent plusieurs bénéfices. « Ils s’entraident et cela crée du lien entre eux, ce qui est un des objectifs. Ces activités changent le rapport entre les soignants et les soignés car là on leur demande leur avis, on valorise ce qu’ils font. »

« J’avance doucement, pas aussi vite que je le souhaiterais. » Mais après plusieurs mois d’investissement dans son projet, Paule peut faire profiter ceux et celles qui sont tentés par l’aventure de quelques conseils. « Il faut s’entourer et se créer un réseau. Je suis soignante et j’ai besoin d’idées en horticulture que d’autres peuvent me donner en quelques minutes car c’est évident pour eux. Avec un groupe qui soutient le projet et attend sa réalisation, on se sent portée. Il faut garder confiance car il y a des hauts et des bas et on se sent seule parfois. Il est important de se déplacer pour voir d’autres réalisations dont on tire toujours quelque chose, mais aussi pour aller se présenter quand on demande quelque chose car on fait une plus forte impression. » Si Paule se bat et donne bénévolement de son temps pour ce projet, c’est parce qu’elle convaincue que le jardin de soin améliorera la qualité de vie des personnes âgées. « En maison de retraite, on n’est pas là à attendre la mort. Oui, on a des projets de vie. Mais il ne faut pas que les activités soient infantilisantes. Il faut proposer des choses qui leur plaisent. » Comme un jardin.