Faut-il encore présenter Paule Lebay *? Infirmière de métier et co-créatrice d’un jardin thérapeutique à l’accueil de jour de la maison de retraite d’Onzain (Loir-et-Cher) dès 2012, elle a créé le site Plus de vert less béton à travers lequel elle « aide les professionnels de santé qui ont le sentiment de perte de sens dans leur vie, à rétablir une relation d’aide auprès de personnes vulnérables, grâce au jardin de soins et à l’hortithérapie ».
Suite logique à cet engagement, écrire un livre pour partager ce qu’elle a appris depuis 10 ans sur la création, la réalisation et l’animation d’un jardin de soins. C’est chose faite avec la sortie chez Terre Vivante de « Créer un jardin de soins : du projet à la réalisation ».
Après la sortie en 2017 de « Jardins thérapeutiques et hortithérapie » de Juliette Pellissier chez Dunod, livre réédité ces jours-ci, le livre de Paule vient compléter la bibliothèque de tout.e hortithérapeute francophone ou personne curieuse de cette médiation autour du vivant avec des conseils éminemment pratiques. C’est le livre de chevet indispensable dès que l’idée d’un jardin de soins commence à trotter dans la tête.
Son livre sous le bras, Paule Lebay est entourée plusieurs membres de la FFJNS (de gauche à droite, Sébastien Guéret, Jérôme Rousselle, Thomas Guizard et Isabelle Launet) en route pour une table ronde sur l’hortithérapie dans les établissements de soins à Jardins, Jardin le 12 juin 2022.
« Le jardin de soins est un lieu où domine le vivant »
« Le jardin de soins est un espace dans lequel les plantes sont prédominantes, qui a été pensé et adapté à un public vulnérable précis, avec la volonté de reconnecter l’Homme au vivant, par une immersion et/ou des activités horticoles réfléchies, dans l’intérêt de son bien-être, de sa santé et de son autonomie », définit Paule d’entrée de jeu, prenant le parti de préférer ce terme à celui de jardin thérapeutique qui lui semble prématuré en France du fait de l’absence de formation spéficique.
Des définitions de base à la construction du projet (les questions à se poser en amont, la constitution de l’équipe, le temps de l’observation, l’estimation des coûts, la recherche de mécénat,…) à l’aménagement du jardin de soins (les éléments du jardin de soin, le points de vigilance,…) et à l’animation (les compétences d’un animateur au jardin de soins, la dimension soignante des séances au jardin, préparer une séance d’hortithérapie,…), Paule vous prend par la main tout en vous poussant à la réflexion.
Paule ponctue son livre de quatre interviews avec des pionnières du mouvement : Rebecca Haller, une Américaine qui dirige le centre de formation Horticultural Therapy Institute et a présidé la American Horticultural Therapy Association (AHTA) et trois Françaises. Anne Ribes, auteure de « Toucher la terre » et créatrice de nombreux projets en France depuis les années 1990, France Criou, médecin et paysagiste également à l’origine de plusieurs jardins emblématiques et Emmanuelle Lutton, confondatrice du Jardin de Vezenne. Leurs témoignages et leurs éclairages enrichissent énormément le livre de Paule.
Depuis quelques semaines, le livre de Paule fait partie de tous mes déplacements. Attention, vous pourriez devenir accro.
L’avenir des jardins qui soignent
Enfin, Paule nous laisse avec ses réflexions sur cette nouvelle médiation, à la fois dans son développement auprès des personnes vulnérables et dans son développement en tant que profession(s) nouvelle(s). « Pour conclure, je dirais que si nous souhaitons une reconnaissance des jardins de soins, cela devrait passer par le développement de la professionnalisation plurielle. Accueillir la pluralité permettra de renforcer les échanges et donc la qualité pour chaque corps de métier. S’y opposer, rester dans l’entre-soi incitera des personnes totalement étrangères au secteur du soin à créer des produits inadaptés, voire néfastes pour les jardins de soin et l’hortithérapie. »
En effet pour elle, les compétences nécessaires au jardin de soins sont diverses : les pathologies et handicaps avec leurs méthodes de prise en soin bien sûr, mais aussi les approches psychologiques, le vivant, les moyens de communication, les méthodes d’éducation thérapeutique du patient, les méthodes d’animation de groupe sans oublier les techniques de jardinage. Un programme complet.
* J’ai rencontré Paule pour la première fois en octobre 2012 lors d’une formation à Chaumont-sur-Loire. Depuis, nous sommes restées en contact, avons participé à l’aventure de la création de la Fédération Française Jardins Nature et Santé et échangé à propos de ce projet de livre qu’elle a patiemment mûri. C’est un plaisir de tenir enfin ce livre en mains (et cerise sur le gâteau, ma mère aime beaucoup la couverture, Paule).
Paule Lebay ! Stagiaires ensemble dans l’une de toutes premières formations aux jardins de soin dispensées par le Domaine de Chaumont, nous nous connaissons depuis 2012. « We go way back ! », comme on dit en anglais, une langue que Paule s’est mise à pratiquer pour lire la littérature existante sur les jardins qui soignent et pour communiquer avec des interlocutrices internationales. Vous verrez que la curiosité et l’envie d’apprendre sont essentielles pour elle.
Car cet été, nous avons décidé de nous donner mutuellement la parole sur nos blogs respectifs. Ici, vous lirez l’auto-portrait de Paule et là vous lirez le mien sur son blog.
Aujourd’hui, la vidéo a d’ailleurs pris une place importante dans le travail de Paule et sur son blog Plus de Vert Less Béton (malin ce nom, je l’aime beaucoup). Elle vient de se lancer un défi vidéo qu’elle vous invite à suivre sur la chaine YouTube de son blog ainsi que sur sa page Facebook. Paule, elle se démène pour amener aux initiateurs de jardins thérapeutiques des informations concrètes, des conseils, des pistes.
Comment es-tu tombée dans la marmite des jardins de soin? Quel est ton plus ancien souvenir qui t’a convaincue que le jardin avait des pouvoirs thérapeutiques?
Je ne suis pas tombée dans la marmite des jardins de soins! Cela a véritablement été un choix de ma part. Tout a commencé par un besoin récurrent dans l’établissement où je travaillais. Chaque année, les soignants, certains résidents et famille demandaient à la direction de l’établissement s’il était possible d’avoir quelques jardinières avec des pieds de tomates, des aromatiques, des fleurs, et si les chemins extérieurs pouvaient être remis en état afin qu’ils soient circulables pour les personnes en fauteuils roulants et a fortiori par des piétons. Chaque année, au printemps, cela revenait sur le tapis. Chaque année, des histoires de budget restreints faisaient que le moindre achat devenait un vrai casse-tête. Comment justifier comptablement que les personnes ressentaient le besoin de Nature et que, oui, cela nécessiterait un investissement financier ?
Lorsqu’on m’a proposé le poste de coordinatrice en accueil de jour spécialisé, pour les personnes souffrant de troubles cognitifs de type Alzheimer ou apparentés, j’ai vu une occasion et j’ai foncé. Il était plus simple pour moi de pouvoir peser dans la balance grâce à mes nouvelles fonctions. Très vite, j’ai donc proposé en réunion de direction le fait qu’il serait sans doute bon de créer un jardin, un espace adapté où des activités à visées thérapeutiques pourraient être conduites par des soignants (en l’occurrence mes deux collègues et moi, de l’accueil de jour) et d’en faire par la même occasion profiter les patients de l’unité « Alzheimer » qui jouxtait l’espace envisagé pour le projet.
Quant au moment où j’ai pris conscience du potentiel du jardin dans l’aide à la thérapie, cela s’est fait en deux temps :
Le premier correspond à une intuition profonde
Le deuxième, lorsque j’ai commencé avec mes collègues à mettre en place des ateliers autour du Vivant. Nous avons très vite remarqué le potentiel incroyable du jardin comme médium à la thérapie. Tout cela a été par la suite confirmé dans le temps, par la formation, mes rencontres et l’expérience terrain auprès des patients lors de séances d’hortithérapie.
Comment as-tu évolué dans ta vision des jardins de soin depuis la formation que nous avons suivie ensemble en 2012 ?
Comme je l’expliquais juste avant, le temps, les expériences, les rencontres, mes nombreuses lectures et autres m’ont petit à petit conduit à avoir une vision de plus en plus précise du potentiel du jardin dans l’aide à la thérapie et le bien-être de tous les bénéficiaires, qu’ils soient professionnels, patients ou familles. Cela fait quelques années que je pense qu’il y a un travail immense encore à mener. Il faut selon moi moderniser, souffler un vent nouveau sans pour autant mettre un voile sur tout le travail déjà accompli. Cette modernité doit selon moi passer par l’innovation dans les outils proposés aux professionnels, aux patients, dans la coordination, dans la coopération entre pays, entre experts et dans l’utilisation des moyens actuels de communication.
Attention l’expert ne se limite pas pour moi aux professionnels bien au contraire, le rôle du patient en tant qu’expert est à mettre de plus en plus en avant. Et dans outils, je ne parle pas simplement d’outils de jardinage ! Mais plutôt de mettre à disposition ce dont a réellement besoin chaque co-créateur du domaine des jardins de soins. Le principe est simple en théorie. Posons-nous les questions suivantes : De quoi ont réellement besoin les porteurs de projet ? De quoi ont réellement besoin les professionnels du paysage ? les professionnels soignants ? Les familles, les patients ? Identifier les besoins et se donner les moyens d’y répondre, voilà ma vision pour l’avenir dans les jardins de soins.
Parle-nous du livre que tu es en train d’écrire pour Terre Vivante à paraitre en 2021. Quelle approche as-tu choisie? Quelles leçons tires-tu de cette expérience nouvelle?
Ça fait plusieurs années déjà que j’avais en tête un jour d’écrire un livre sur les jardins de soins. Seulement j’ai longtemps cru que je n’avais aucune légitimité à le faire. Cette idée a fait son chemin et les retours que j’avais de certaines personnes qui venaient me poser des questions, me rencontrer m’ont petit à petit, doucement, convaincue que j’avais peut-être finalement des choses à transmettre. Bien entendu je doute chaque jour encore de cette légitimité. Mais là encore, les retours très positifs que j’obtiens, les mots encourageants que j’ai régulièrement, m’aident à casser cette image d’imposture que j’ai ou peut être devrais-je dire que j’avais ? Un jour alors que je travaillais encore pour le Centre de formation du Domaine de Chaumont sur Loire, j’ai sur un coup de tête, sauter dans le grand bain. Qu’avais-je à perdre ? Un mail a suffi à avoir un rendez-vous avec mon éditrice actuelle. Dans ma tête je devais faire ce livre et mettre en avant mon travail au sein du Domaine de Chaumont sur Loire. Les choses ont pris une tournure différente, lorsque je suis partie de mon poste. Le jour même où je venais de signer ma rupture de contrat, soit une heure précisément après, je terminais mon entretien avec mon éditrice qui venait de me dire banco ! En une heure de temps je suis passée de « les jardins de soins c’est fini pour moi » à « je vais écrire un livre sur les jardins de soins ».
Mon approche pour ce livre à tout de suite était claire et je l’ai de suite défendue auprès de ma maison d’édition : je souhaitais créer le livre que j’aurais aimé avoir lorsque j’ai moi-même monté le projet d’Onzain, à mes tous débuts. Un pas à pas basé sur l’expérience et non pas simplement sur des théories certes intéressantes, mais pas toujours parlantes lorsqu’il s’agit de leur donner forme très concrètement, là, physiquement au projet que l’on porte. Ce livre correspond à MON expérience. Je ne prétends pas détenir LA vérité absolue. Je dis juste : voilà ce qui a marché pour moi, ce qui n’a pas marché, ce que mon expérience dans sa globalité m’a apporté et voilà ce que je vous conseille de faire. Libre à vous de suivre ou non ces conseils. Dans ce livre il y a mon expérience, mais aussi celles des centaines de stagiaires que j’ai pu former, celles des gens que j’ai pu rencontrer, conseiller aussi. Enfin, j’ai voulu intégrer dans ce livre le témoignage de personnes qui comptent dans le domaine comme Rebecca Haller qui a de suite répondu favorablement à ma demande ou encore une porteuse de projet, Emmanuelle du jardin de Vezenne, que j’ai formée avec mes anciens collègues, puis avec qui j’ai pu échanger de nombreuses fois.
Je ne pourrai pas tout mettre dans ce livre, c’est l’une des raisons qui m’a conduite à créer le site Plus de Vert Less Béton.
Et le blogging? Raconte-nous comment l’idée est née et quels sont tes objectifs aujourd’hui?
Le blogging est arrivé dans ma vie, grâce à ma curiosité insatiable et mon désir d’apprendre de nouvelles choses constamment. Ensuite, je me demande toujours :
Qu’est-ce que j’aimerais apprendre ? Qu’est ce qui m’apporterait vraiment du plaisir ?
Une fois la chose identifiée, je me dis :
Ok maintenant comment cette chose, pourrait être utile dans mon chemin de vie ? Comment je pourrais optimiser ce nouveau savoir, qui me procure par là même du plaisir, dans ma vie ? Comment cela va servir MA cause ? Comment cela va m’être utile dans le chemin que je souhaite prendre ?
Certains vont penser que je suis égoïste, ils auront sans doute raison quelque part. Je pense que si plus de personnes agissaient en conscience, en faisant des choses selon leurs propres désirs, le monde ne s’en porterait que mieux. Faire ce que l’on aime vraiment, faire de son travail un plaisir au quotidien permet d’avoir des gens passionnés, investis, qui diffusent tellement plus autour d’eux que celles et ceux qui subissent leur vie, qui font parce que la société est comme ci ou que le monde va comme ça, les conventions, les biens pensants… Je ne souhaite pas vivre la vie des autres mais bel et bien la mienne. Après, cela ne signifie pas que le chemin sera tout rose et la route pavée de fleurs ! Les gamelles, les difficultés, les échecs font partie du jeu. Mais on les encaisse mieux à partir du moment où on les a choisis et où on sait qu’ils feront partie de l’équation.
J’ai donc choisi de m’intéresser au blogging dans un premier temps par curiosité et par volonté d’apprendre d’un domaine auquel je ne connaissais absolument rien. C’est tellement exaltant d’apprendre quelque chose qui vous est totalement inconnu ! C’est comme redevenir cet enfant qui d’un coup se met à marcher et pour qui un nouveau monde, le même pourtant qu’il pensait connaître avant, se révèle totalement nouveau avec un nouveau champ des possibles. J’ai créé un premier blog, Les jardins de Paule, qui m’a permis de me faire les dents, qui aujourd’hui est davantage délaissé au profit de Plus de Vert Less Béton. Comme je l’expliquais, après le désir, l’envie, le plaisir, c’est se demander en quoi je peux ensuite mettre à profit ces nouvelles compétences dans ma vie ? Développer Plus de Vert less Béton me permet de faire cela. Et d’un, ce site me permet de mettre par écrit tout ce que je n’ai pas mis dans mon livre. Et de deux, de poursuivre le chemin que j’ai choisi dans un domaine qui me passionne toujours autant, que sont les jardins de soins, en créant, innovant, bousculant les codes parfois, créant de la valeur pour celles et ceux qui s’intéressent à cette thématique.
Parfois on ne trouve pas toujours la raison de nos choix, pourquoi nous sommes attirés par telle compétence ou autre. C’est là qu’entre en jeu ce qu’on appelle l’intuition. Parfois on fait par plaisir et intuition sans savoir où cela va nous mener et pourtant je suis convaincue qu’il y a une bonne raison pour que suivions celle-ci, pour que nous vivions telle expérience. Je vais donner l’exemple de Steve Jobs : celui-ci a fait lors de ses années universitaires de la calligraphie. Il éprouvait un immense plaisir à la pratiquer. Il ignorait comme tout son entourage à l’époque à quoi pourrait bien lui servir cette nouvelle passion dans notre société d’aujourd’hui où la calligraphie pourrait paraître désuète pour une bonne majorité des gens ! Eh bien, il a poursuivi et finalement bien des années plus tard, la calligraphie lui a permis de mettre au point cette idée de déroulant que l’on retrouve sur chaque ordi à présent vous proposant plusieurs centaines de styles d’écritures. Cette compétence acquise en suivant ses envies, son plaisir et son intuition des années auparavant lui a permis de révolutionner le monde informatique.
Je ne sais pas encore où le blogging va me mener, mais j’y trouve du plaisir et même si je ne révolutionnerai peut-être rien, mon intuition me dit que cela me sera utile dans mon parcours.
Que voudrais-tu qu’on sache sur toi que peu de monde sait?
Je voudrais dire aux gens que je suis dans une situation très précaire financièrement, que je vis depuis plusieurs années seule avec mes enfants et que cela ne m’a pas fait renoncer à mes rêves ou à mes valeurs profondes de liberté, à mon désir d’être en perpétuelle évolution de mon être, à ma volonté de faire avancer le monde de manière positive. L’argent ne fait pas le bonheur. Certes il y contribue, mais je peux vous assurer que je préfère mille fois être à ma place ici, à m’éclater dans ce que je fais plutôt que d’être sous le joug d’un patron par exemple, le postérieur dans un bureau ou à courir dans un service en perdant de vue MON essentiel, ce que je suis réellement, le sens de mes actions, MON pourquoi. La vie est courte et chaque jour est comme une urgence pour moi à la vivre pleinement. Qui sait peut-être que ma passion et mon engouement à la tâche me permettront un jour d’en vivre ! Ce sera la cerise sur le gâteau, mais je peux vous dire que le gâteau aura été déjà énorme et délicieux auparavant.
Je ne pose pas en moralisatrice, chacun est libre de faire comme il l’entend et je comprends que certaines ou certains éprouvent du plaisir à être dans un bureau, ou à suivre les directives de leur patron, ou encore puissent s’épanouir dans les services. C’est d’ailleurs très bien ainsi. Si tout le monde était pareil, le monde serait bien fade ! Maintenant j’expose juste mon point de vue sans prosélytisme aucun.
Qu’est-ce qui te manque et qu’est-ce qui ne te manque pas de ton métier d’infirmière?
Ce qui me manque sans hésitation aucune, ce sont les patients. La relation d’aide que j’avais avec eux, les échanges toujours riches d’instruction pour moi me manquent. Je grandissais aussi à leur contact. Je garde cette volonté de venir en aide, d’être attentive aux besoins des gens mais je le fais différemment à présent. Le livre sera ma façon d’aider les porteurs de projets, afin qu’ils se lancent et que de nouveaux jardins voient le jour. Paf ! Un jardin, une aide de plus aux patients, aux familles… La création d’outils pour les pros, les patients… Paf ! une nouvelle aide, un nouveau soutien. Inspirer, motiver, former et informer, guider… tout cela est une façon pour moi de vivre mon métier de soignante. Le prendre soin ne se limite pas aux actes techniques, Dieu merci. A chacun d’inventer sa manière de contribuer au monde.
Que t’a appris la vie à travers le jardin depuis 8-10 ans?
La Nature nous apprend deux choses :
Un, que nous ne sommes pas grand-chose, que le temps nous est compté et qu’il faut vivre sa vie pleinement, ne pas se contenter de la voir passer en reportant ses désirs au moment de la retraite.
Deux, que nous avons inversement un potentiel extraordinaire en nous, mais qu’il étouffe sous nos peurs et celles des autres. Croyez en vous, en vos rêves, en votre pouvoir d’action ! Vous valez tellement plus que ce qu’on vous a fait croire, tellement plus que ce que finalement vous avez fini par croire vous-même ! Cassez ça et foncez pour n’avoir aucun regret. La Nature nous a tous offert ce potentiel, nous appartenons à un grand tout, aux pouvoirs incroyables.
En conclusion, la Nature m’a appris que je ne suis rien dans ce vaste tout, mais que j’ai en moi des capacités insoupçonnées qui ne demandent qu’à s’exprimer, sinon pourquoi serions-nous là finalement ?
L’idée couvait depuis un moment. En septembre 2017, le directeur du centre de formation de Chaumont, Hervé Bertrix, et une bonne partie de l’équipe de formateurs intervenant dans les modules sur les jardins de soin rencontrent Chantal Colleu-Dumond, la directrice du Domaine de Chaumont-sur-Loire. Objectif, discuter du triple intérêt pour le domaine de se doter de son propre jardin de soin : terrain d’application pour la centaine de stagiaires concernés tous les ans, outil de sensibilisation pour le grand public (plus de 400 000 visiteurs par an!) et jardin d’accueil pour des établissements de soin de la région. Avec son feu vert et le déblocage d’un budget, les concepteurs de l’équipe – Dominique Marboeuf et Florence Gottiniaux – se mettent immédiatement au travail. Très rapidement, un plan est validé et au printemps 2018 les travaux commencent. Au coeur du domaine (à deux pas de l’extraordinaire potager), le jardin de soin a accueilli les premiers stagiaires en mai, stagiaires du module de base, puis stagiaires d’une formation à l’animation. Ce fut un sacré tour de force de mener le projet à terme en si peu de temps, avec la participation active d’Hervé Bertrix et de Paule Lebay pour chouchouter le jardin, arroser les plantes ou dissuader les chevreuils. Le jardin est en partie financé par la Matmut.
A ma connaissance, une formation dotée d’un jardin de soin est une première en France avec un seul précédent en Europe (en Suède). Quant aux Etats-Unis, de rares formations comme celle du Chicago Botanic Gardens ont des jardins d’application sur place. Je vous invite à découvrir le jardin de soin de Chaumont-sur-Loire en vidéo avec Hervé Bertrix et Florence Gottiniaux.
Avant de donner la parole à Paule, trois événements à ne pas manquer en avril, juin et août.
Le mercredi 13 avril prochain à 15h00 à Port-Royal des Champs (78), une conférence intitulée « Flore et végétation entre Saint-Quentin et Port-Royal » avec Gérard Arnal (botaniste lié au Conservatoire botanique national du Bassin parisien) et Joanne Anglade-Garnier (conservatrice de la réserve naturelle nationale de St-Quentin-en-Yvelines).
Les 21-24 juin au parc départemental des Chanteraines (92), une formation pour les professionnels du jardin ou les amateurs éclairés sur le thème « Le Jardin Vivant » avec Sébastien Guéret qu’on ne présente plus ici et François Drouvin, paysagiste et thérapeute des lieux.
Du 1 au 8 août, un colloque à Cerisy sur le thème « Jardins en politique (autour de Gilles Clément) » sous la direction de Patrick Moquay et Vincent Piveteau et avec le concours de l’École nationale supérieure de paysage de Versailles-Marseille (ENSP).
Mais revenons à Paule Lebay. Rien n’arrête Paule. Même pas les cambrioleurs qui ont récemment braqué la maison de retraite d’Onzain où Paule et l’équipe de Graines de Jardin ont fait pousser un magnifique jardin de soin depuis 2012. « Ils ont abîmé le grillage du jardin et utilisé un poteau pris sur le chantier pour fracturer la porte. Il faut remettre tout cela en place pour les beaux jours », m’expliquait Paule au téléphone il y a quelques semaines. Indémontable dans l’adversité!
Le jardin de la maison de retraite d’Onzain en chantier (hiver 2014).
En tant que pionnière récompensée par plusieurs prix, Paule a une expérience à partager et une voix qui porte. Ecoutez-la. « Je conseille de créer une association avec une mission assez large. Par exemple, le handicap plutôt que simplement le jardin. Ainsi, on ne se ferme pas de portes. Le statut d’association est important quand on se tourne vers des mécènes. » Comme l’expliquait la semaine dernière Ingrid Antier-Perrot de la Fondation Hospitalière Sainte Marie (FHSM), Paule rappelle qu’il est important de cibler les fondations et mécènes selon leurs axes d’intervention. Elle recommande le site annuaire des fondations françaises. Avec les fondations et les autres mécènes, elle insiste sur l’atout local. « Où est leur siège ? Si on peut axer la demande sur la proximité, c’est un plus. D’ailleurs, même une banque locale peut aider. Par exemple, pour une inauguration du jardin, ils peuvent fournir des affiches ou des objets. »
Brulons un peu les étapes et passons à l’inauguration officielle du jardin. « C’est un coup de pub pour montrer que des initiatives existent et que les choses sont possibles. La communication permet de créer un réseau. J’accueille souvent des personnes qui ont un projet en tête. Je les guide et je les réconforte, c’est un soutien technique et moral. Je suis contente de répondre à leurs questions et de faire part des écueils que j’ai rencontrés. J’accueille aussi des étudiants. Créer des liens avec d’autres est important car on n’a pas toutes les réponses », continue Paule qui se trouve de fait au cœur d’un réseau très actif.
Faire rêver les financeurs
Campagne de plantation intergénérationnelle en avril 2014
Mais replongeons dans les premières étapes et le dur labeur de trouver les financements qui permettront au jardin de sortir de terre. « Dans le dossier de présentation, il faut vulgariser son propos et éviter les acronymes et le jargon de son domaine. Les dossiers sont lus en diagonal et il faut mieux être succinct. Mais il faut mettre beaucoup d’images. Si rien n’existe encore, on peut trouver des photos de plantes et de mobiliers sur des catalogues ou sur Internet. Pour donner envie et aider les mécènes à se projeter, les croquis et les dessins d’ambiance sont indispensables. Nous avons eu de la chance d’avoir Fabienne Peyron qui a fait des croquis pour le dossier. Le dossier doit aussi chiffrer le coût du jardin et le prévisionnel pour le fonctionnement annuel. »
Mais un jardin a aussi besoin de plantes, d’outils, de bras. « La ville nous a donné du paillage, la communauté de communes du compost, un pépiniériste des arbres. J’ai contacté le lycée agricole de Blois, mais ils étaient surbookés. Des familles des résidents nous ont aidés à planter. Nous avons récupéré des outils grâce à une émission dont Truffaut est partenaire », énumère Paule.
La noue, imaginée dès le départ pour s’adapter aux spécificité du terrain, prend forme.
Faut-il solliciter l’agence régionale de santé (ARS) ? La question ne laisse pas Paule indifférente. « L’ARS nous serine sur le sujet des approches non-médicamenteuses, mais ne finance pas de projets dans ce domaine. Elle devrait financer des projets comme la zoothérapie, les poneys, les piscines en psychiatrie. Mais tout cela, c’est fini. » Et la question de l’évaluation comme argument pour convaincre le milieu médical et peut-être aussi les financeurs ? « C’est une excuse bidon pour ne pas faire avancer les choses de la part de l’ARS qui a des moyens, mais ne les met pas aux bons endroits. Nous savons tous que le jardin a un impact positif. Bien sûr, l’évaluation crédibilise le jardin. Mais il faut trouver ce qu’on veut évaluer et comment le faire. Car une évaluation clinique comme la tension ou la glycémie est très contraignante pour les participants. Le sommeil, ce serait différent. Par exemple, pour les patients atteints de la maladie d’Alzheimer, ce serait intéressant d’observer les troubles du comportement comme la déambulation, l’agitation, l’agressivité, le langage, le sommeil, l’appétit pour voir si le jardin les atténue. »
La semaine dernière, je suis allée au festival des jardins de Chaumont. Impensable de ne pas faire un saut de l’autre côté de la Loire pour aller rendre visite à Paule Lebay à la maison de retraite d’Onzain. Elle nous raconte le jardin en quelques vidéos : l’entrée du jardin, la serre, la butte en fleur, les futurs ateliers d’hortithérapie,…
Paule Lebay (gauche) et Gisèle Rousseau au jardin.
Infirmière coordinatrice de l’accueil de jour à la maison de retraite de La Treille à Onzain (Loir-et-Cher), Paule Lebay nourrit un projet de jardin depuis longtemps, deux ans au bas mot. Dans ce billet de mai 2013, elle racontait les débuts de l’association Graine de Jardins qu’elle a créée avec ses collègues Gisèle Rousseau qui est aide soignante (secrétaire de l’association) et Martine Carlet qui est aide médico-psychologique (trésorière) pour donner corps au projet de jardin. L’équipe s’est aussi étoffée d’une paysagiste, Fabienne Peyron, qui a apporté ses conseils. En mai 2014, Graines de jardin recevait le prix du jardin thérapeutique de la Fondation Truffaut qui a beaucoup soutenu le projet depuis le départ.
Travaux de terrassement, le chantier.
Dans le projet, le terrassement représentait un gros morceau pour rendre le terrain argileux propice au jardin. « J’ai demandé trois devis qui ont atteint 20 000 euros. Une difficulté était que les entreprises ne voulaient pas diviser le travail en deux lots : les bacs/le potager et la noue. Heureusement on a trouvé une entreprise du coin, l’entreprise Girard Paysage de Dame Marie, qui a proposé des tarifs plus abordables. » L’entrepreneur dont le père a été touché par la maladie d’Alzheimer a sans doute été sensible au projet. Il s’est aussi montré flexible dans le cas des fondations qui débloquent les aides sur présentation des factures acquittées, une difficulté supplémentaire pour une petite association sans trésorerie. Jusque là, Paule estime que le budget du jardin ne dépasse pas 8 000 euros, terrassement, équipements, mobilier compris. Elle aborde son premier bilan comptable avec sérénité grâce notamment aux sommes reçues par le Prix Truffaut (5 000 euros) et au prix des internautes de NotreTemps.com qui a beaucoup touché l’équipe (2 000 euros).
Un jardin ouvert dans un monde protégé
« Notre objectif était de ne pas crouler sous l’aspect sécurité. Avec Fabienne, on a voulu éviter les barrières. On a aussi choisi des plantes comme le chèvrefeuille et le muguet qui sont toxiques, mais qui sentent bon et que les résidents ne vont pas manger. Nous avons aussi des seringas, des lilas et des fleurs classiques pour des gens de cet âge, des dahlias, des glaïeuls, des capucines. Je voulais aussi des choses à picorer: framboises, cassis, groseilles, fraises. Céline du domaine de Chaumont nous a également orientés pour le choix des plantes qui parlent aux personnes âgées. »
En avril pendant la journée de plantation, rencontre entre les âges.
Un beau samedi d’avril, les membres de l’association, des patients et des familles se sont retrouvés pour faire les plantations. Les familles sont très demandeuses et prêtes à aider car elles sont convaincues des bienfaits pour leurs proches. Les soignants sont plus réticents car ils pensent que le jardin représente un travail supplémentaire et ils ne voient pas toujours son intérêt. « Mais les choses changent. Une soignante me demande où est une résidente. Quand je lui dis qu’elle est avec nous au jardin, la soignante vient voir… », raconte Paule qui organise des réunions avec la psychologue et l’animatrice pour que chacun s’approprie le jardin.
Le jardin est un lieu de vie
Les jardiniers investissent leur espace.
Car les personnes de l’accueil de jour et les résidents de l’unité Alzheimer ont investi les lieux. D’ailleurs ouvrir la porte entre les deux espaces a incité les résidents de l’unité protégée à venir spontanément dans le jardin. Pour la lecture du journal le matin, pour le café après le déjeuner, pour le goûter, le jardin est devenu un réflexe. « On fait un tour, on arrose. Dans l’après-midi, on plante ou en rempote. On voit qu’ils sont plus détendus. » Du coup, Paule pense à la suite. « J’aimerais proposer des grandes jardinières devant les 30 chambres. Ce serait un espace d’expression libre qu’ils pourraient aménager comme ils le voudraient. A leur arrivée, ils recevraient un kit de jardinage avec chapeau, tablier et petits outils. J’ai chiffré le projet à 6 000 euros. Je cherche des sponsors et j’ai des rendez-vous. »
Paule énumère les aides, financières ou non, qui ont permis au projet d’avancer : la Fondation Truffaut, AGR2 La Mondiale, la caisse de retraite Ircem, Gamm Vert, Véolia et le regroupement de communes. Le projet a aussi une marraine à la dimension à la fois locale et nationale en la personne de Coline Serreau. Engagée en écologie, la réalisatrice a mis Paule en relation avec Philippe Desbrosses de la ferme de Sainte Marthe qui a fourni au jardin quelques-unes de ses graines bio. L’implication de Paule dans la formation sur les jardins de soin donnée deux fois par an à Chaumont-sur-Loire et animée par Anne et Jean-Paul Ribes est une source régulière d’enrichissement et de rencontres.
Elle a récemment reçu un collègue du CH de Brives qui se lance dans un projet de jardin thérapeutique et rencontré une infirmière-puéricultrice qui veut monter un projet dans une crèche en milieu hospitalier, histoire de leur faire profiter de son expérience et de répondre à leurs questions. Le journal local a écrit un article sur cette initiative locale récompensée par un prix national. Paule a aussi frappé à la porte de Maurice Leroy, élu local et ancien ministre. Elle attend une réponse de la Fondation Kronenbourg pour le mois de novembre….A Onzain, on se démène pour que les résidents puissent profiter des bienfaits du jardin. Au point de devenir une source d’inspiration pour d’autres projets dans toute la France.
Je vous dis à la rentrée pour de nouvelles découvertes. Pour les quelques semaines à venir, Le Bonheur est en vacance.
Jacqueline tient des étiquettes pour les plantes que l’association prépare et vend pour quelques centimes au sein de la maison de retraite.
Guy, qui a choisi de venir vivre dans la maison de retraite, est l’aide jardinier le plus dédié.
Cette semaine je vous propose de suivre avec moi la rédactrice de votre blog préféré, Isabelle Boucq, sous la tente du Sanglier, parmi les VIP du salon Jardins, jardin aux Tuileries à Paris. Étant membre du jury des prix Georges Truffaut, fondation d’entreprise, Isabelle fut happée par le protocole de l’évènement et moi, simple fidèle du blog accompagnant Isabelle, me voilà prendre sa place pour vous raconter ce moment rempli d’émotions.
Daniel Joseph, le très souriant président de cette fondation, a ouvert la cérémonie en nous rappelant l’histoire de la fondation et des prix. Créée il y a trois ans, elle récompense d’un chèque de 5 000 euros trois associations œuvrant dans trois jardins : un pédagogique, un thérapeutique et un d’insertion. L’année dernière, le jury composé de huit bénévoles a examiné tous les dossiers pour en retenir 25 puis trois. Cette année, la fondation a reçu 150 dossiers et en a retenu 50 puis le jury en a sélectionné trois. La qualité des dossiers est exponentielle…Si vous êtes intéressés, regardez sur le site de la fondation. Vous trouverez toutes les infos pour concourir en 2015 et pour déjà vous y préparer.
En ce 5 juin 2014, après avoir honoré la paix et célébré l’avenir des jardins, Daniel Joseph a parlé de l’importance dans les associations primées de cultiver ensemble notre générosité, de donner de notre temps et d’avoir un projet regroupant des hommes et des femmes qui écoutent, entendent et partagent autour du végétal .Ils se mettent au service de l’Humain grâce à un vrai contact avec notre Terre nourricière. Truffaut les accompagne par ces prix et un ambassadeur, collaborateur du magasin Truffaut le plus proche de chez eux.
Prix pédagogique : Les jardins du Zépyr à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis)
Le premier prix du jardin pédagogique fut remis à l’association Les Jardins du Zéphyr qui a été récompensée pour avoir réussi à introduire des jardins familiaux au cœur de leur quartier, au pied de leurs immeubles à Aulnay sous Bois. L’A.J.Z., représentée à la cérémonie par sa présidente Madame Sago et plusieurs jardinières et jardiniers, développe avec et entre les jardiniers, le sens de l’entraide et de la solidarité, le goût des échanges et la pratique de l’action collective (achats groupés de graines, de plantes, d’outils, etc.). On parle 15 langues aux jardins du Zéphir ! Une parcelle pédagogique de 60m2 est destinée aux enfants des écoles de la ville d’Aulnay-sous-Bois. L’animateur, sous contrat unique d’insertion à mi-temps, fait de cet espace un lieu d’échange et de connaissance autour du végétal et de son environnement. Le jury a voulu mettre en avant cette association qui a remis le végétal à la place qu’il doit avoir dans les zones urbaines.
Prix insertion : Le Maillon à Cergy (Val d’Oise)
Le prix du jardin d’insertion fut remis à l’association Le Maillon et ce sont des hommes qui sont, cette fois, montés sur le podium. D’abord épicerie sociale, Le Maillon a mis en place depuis 2001 des ateliers d’insertion sociale et professionnelle pour accueillir un public en difficulté économique, fragilisé ou exclu. Le projet «jardin d’insertion du Maillon» a pour objectif de proposer des fruits et légumes aux familles en situation difficile. La ville de Cergy a mis initialement à disposition de l’association un terrain de 2 800m2. Aujourd’hui, près de 15 000 m2 sont cultivés, grâce à des prêts de terrains de propriétaires privés. Le projet est animé par une équipe de trois bénévoles et de cinq salariés embauchés en contrat d’insertion. Cette action permet aux salariés de reprendre confiance en leurs capacités et de mieux orienter leurs recherches de formation ou d’emploi. « Ils ont, au Maillon, un point d’accueil avant de repartir du bon pied dans la vraie vie d’activité professionnelle. » C’est le double effet de l’action qui a convaincu les membres du jury : réinsérer socialement et professionnellement, par la culture de légumes, des personnes isolées et redistribuer ensuite ces ressources alimentaires à 1 300 familles en situation difficile.
Jardin thérapeutique : Graines de jardin à l’Ehphad d’Onzain (Loir-et-Cher)
Last but not least, le prix du jardin thérapeutique a été remis à une autre équipe de femmes : l’association Graines de jardin pour son projet dans l’Ehpad d’Onzain. J’ai eu le plaisir de visiter ce projet lors de ma formation au « Jardin de soin et de santé » à Chaumont sur Loire. Ce jardin dans l’aile Alzheimer de l’Ehpad est à présent un lieu de partage et d’échanges (entre patients et soignants, entre patients et familles, entre familles…). Il a fallu toute la ténacité de Paule Lebay pour faire accepter à l’établissement ce projet d’atelier d’hortithérapie pour les résidents qui le demandaient. Le Jury a souhaité récompenser le tandem staff médical (Paule et ses collègues Gisèle et Martine) / paysagiste (Fabienne Peyron). Cette approche unissant les expertises médical et végétal est la clé de la réussite d’un jardin thérapeutique et l’avenir de cette activité. En prime, Graine de jardin remporte le prix des internautes du site Notretemps.com!
Mon reportage s’arrête sur le sourire d’Isabelle « fleurie » par la fondation Georges Truffaut et une reconnaissance réelle (non virtuelle) des lecteurs du blog.
* Nicole Brès termine une formation d’art-thérapeute et travaille aux côtés d’Anne Ribes à la Pitié-Salpétrière dans un jardin de soin fréquenté par des enfants.
Autre région, autre EPHAD, autre équipe, mais les problématiques sont souvent similaires. Infirmière, Paule Lebay commence à travailler dans l’unité protégée de l’EPHAD La Treille à Onzain (Loir-et-Cher, près de Blois) avec des patients souffrant de la maladie d’Alzheimer et de démences apparentées. « L’unité protégée a des baies vitrées vers l’extérieur et elle est censée être ouverte. Mais par souci de sécurité, on ne laisse pas sortir les résidents. Nous sommes dans un bâtiment tout neuf entouré d’un parc et d’une zone boisée, mais ils n’en profitent pas. Cela me gênait beaucoup dans ma pratique des soins », explique cette amoureuse des jardins. Devenue infirmière coordinatrice, elle s’occupe désormais de l’accueil de jour où les participants ont les mêmes troubles, mais vivent chez eux. Le but de l’accueil de jour est de maintenir le lien social et l’autonomie à travers des activités afin que le maintien à domicile puisse se poursuivre aussi longtemps que possible.
Pendant la visite au futur jardin, Jean-Paul Ribes apprécie la qualité de la terre
« J’ai proposé au directeur de l’établissement de faire un jardin. Il a été d’accord, mais m’a dit que je devrais me débrouiller toute seule. Il m’a parlé d’une formation sur le jardin de soin à Chaumont [à quelques kilomètres de l’autre côté de la Loire, NDLR] », explique Paule. En octobre 2012, elle suit cette formation et son projet devient un exercice pratique pour tout le groupe qui se rend sur place comme je l’ai raconté ici. « Je ne suis pas paysagiste. J’avais l’idée et l’éthique, mais pas les connaissances en horticulture. La formation m’a permis de comprendre ce qu’il faudrait trouver dans le jardin pour que ce soit un jardin de soin. » Après la formation, elle travaille son dossier, « un peu tous les jours, sur mon temps personnel, pour ne pas que le soufflé retombe. » Elle est convaincue que le futur jardin doit obligatoirement permettre de jardiner. « Ce n’est pas que de l’ornemental, il faut un endroit réservé à la pratique avec des bacs de culture. Il faut organiser des activités comme le ramassage des graines, la confection de bouquets ou les semis. En parlant avec les gens, je me suis aperçue que certains n’aimaient pas jardiner, mais aimaient tailler. Il faut donc prévoir des arbustes à tailler comme des forsythias ou des groseilliers à fleurs. Il faut aussi des plantes qui marquent les saisons comme le lilas ou le muguet. » Si on lui répond que le muguet ou le chèvrefeuille dont l’odeur déclenche des choses dans la mémoire sont toxiques, Paule est consciente du risque. « Je prends ce risque car c’est pour leur bien-être et pour la stimulation. »
Sébastien Guéret, un autre pionnier de l’hortithérapie en France, apporte ses lumières à Paule.
Toujours à l’affût d’idées et confrontée à de nouvelles questions, Paule cherche des réponses sur un groupe Google créé à l’issue de la formation qu’elle a suivie à Chaumont (pour rejoindre le groupe Jardins de soin, me contacter). « Une membre du groupe a parlé d’une charte du jardin qu’elle élabore dans son établissement et elle va me la faire passer. Un autre membre a fait une liste d’observations sur le comportement des patients Alzheimer qui m’a été très utile. C’est hyper enrichissant », rapporte Paule. Lors d’une seconde session de formation à Chaumont au mois d’avril, elle a reçu les participants dans son futur jardin et une nouvelle idée est née. « Je vais créer une noue, une sorte de rigole pour évacuer l’eau du terrain qui est très humide et argileux. Cela va représenter une économie de 50% sur mon projet initial de terrassement et permettra d’avoir des plantes de berge et des plantes aquatiques. »
Après les questions techniques, le problème du financement est la question qui fait perdre le sommeil à Paule. Sans soutien financier de l’établissement ou du département, elle tape à d’autres portes. « J’ai contacté des fondations dont la Fondation Truffaut qui m’a déjà alloué une aide. Le directeur du magasin voisin m’a proposé de l’aide et des conseils. L’assurance AG2R La Mondiale m’a également promis une aide. J’ai fait des dossiers auprès de Carrefour, Total, de plusieurs laboratoires pharmaceutiques car nous sommes de gros consommateurs de médicaments. » Précisons que Paule a créé une association pour faciliter ses démarches et demandes de financement. Pour l’instant, il ne se passe rien sur le terrain. Paule a pu acheter du bois pour fabriquer des bacs. Mais elle ne les a pas installés car le terrassement doit être la première étape. « Je ne veux pas créer quelque chose pour le défaire ensuite. Je pense que ça ne serait pas bon pour les résidents. »
En attendant, une petite partie du jardin qui ne sera pas remaniée accueille quelques plantes : du muguet, des pensées, des radis que les participants ont plantés. Par ailleurs, Paule remplace parfois une collègue dans l’unité protégée et elle en profite pour mener quelques ateliers de jardinage dans le patio. Avec beaucoup de succès. « Je suis aidée par deux dames de l’accueil de jour et nous arrivons avec le matériel, des graines, des arrosoirs. Alors qu’ils étaient installés devant la télé, les résidents se retrouvent dehors. Une dame qui ne parlait pas a pu toucher l’eau dans l’arrosoir et son visage s’est éclairé d’un sourire immense. Une autre dame a laissé ses deux canes anglaises et elle est partie en boitant avec un arrosoir faire le tour du patio. Il ne faut pas avoir de préjugés sur ce qu’ils peuvent faire et il ne faut pas les culpabiliser. L’activité se termine par un goûter dehors. Les soignants se rendent compte que ce n’est pas plus de travail, au contraire car les résidents sont occupés. » Paule estime que ces activités de jardinage, malheureusement trop ponctuelles, offrent plusieurs bénéfices. « Ils s’entraident et cela crée du lien entre eux, ce qui est un des objectifs. Ces activités changent le rapport entre les soignants et les soignés car là on leur demande leur avis, on valorise ce qu’ils font. »
« J’avance doucement, pas aussi vite que je le souhaiterais. » Mais après plusieurs mois d’investissement dans son projet, Paule peut faire profiter ceux et celles qui sont tentés par l’aventure de quelques conseils. « Il faut s’entourer et se créer un réseau. Je suis soignante et j’ai besoin d’idées en horticulture que d’autres peuvent me donner en quelques minutes car c’est évident pour eux. Avec un groupe qui soutient le projet et attend sa réalisation, on se sent portée. Il faut garder confiance car il y a des hauts et des bas et on se sent seule parfois. Il est important de se déplacer pour voir d’autres réalisations dont on tire toujours quelque chose, mais aussi pour aller se présenter quand on demande quelque chose car on fait une plus forte impression. » Si Paule se bat et donne bénévolement de son temps pour ce projet, c’est parce qu’elle convaincue que le jardin de soin améliorera la qualité de vie des personnes âgées. « En maison de retraite, on n’est pas là à attendre la mort. Oui, on a des projets de vie. Mais il ne faut pas que les activités soient infantilisantes. Il faut proposer des choses qui leur plaisent. » Comme un jardin.