Paule Lebay ! Stagiaires ensemble dans l’une de toutes premières formations aux jardins de soin dispensées par le Domaine de Chaumont, nous nous connaissons depuis 2012. « We go way back ! », comme on dit en anglais, une langue que Paule s’est mise à pratiquer pour lire la littérature existante sur les jardins qui soignent et pour communiquer avec des interlocutrices internationales. Vous verrez que la curiosité et l’envie d’apprendre sont essentielles pour elle.
Car cet été, nous avons décidé de nous donner mutuellement la parole sur nos blogs respectifs. Ici, vous lirez l’auto-portrait de Paule et là vous lirez le mien sur son blog.
Sur Le bonheur est dans le jardin, j’ai déjà parlé plusieurs fois avec Paule au fil des années pour marquer des moments forts: la création d’un jardin de soin à la maison de retraite d’Onzain, le prix remis par la Fondation Truffaut ou des conseils sur le financement d’un jardin de soin (déjà le partage d’information était au cœur de sa démarche). Nous avions aussi fait une visite guidée en vidéo ensemble.
Aujourd’hui, la vidéo a d’ailleurs pris une place importante dans le travail de Paule et sur son blog Plus de Vert Less Béton (malin ce nom, je l’aime beaucoup). Elle vient de se lancer un défi vidéo qu’elle vous invite à suivre sur la chaine YouTube de son blog ainsi que sur sa page Facebook. Paule, elle se démène pour amener aux initiateurs de jardins thérapeutiques des informations concrètes, des conseils, des pistes.

Comment es-tu tombée dans la marmite des jardins de soin? Quel est ton plus ancien souvenir qui t’a convaincue que le jardin avait des pouvoirs thérapeutiques?
Je ne suis pas tombée dans la marmite des jardins de soins! Cela a véritablement été un choix de ma part. Tout a commencé par un besoin récurrent dans l’établissement où je travaillais. Chaque année, les soignants, certains résidents et famille demandaient à la direction de l’établissement s’il était possible d’avoir quelques jardinières avec des pieds de tomates, des aromatiques, des fleurs, et si les chemins extérieurs pouvaient être remis en état afin qu’ils soient circulables pour les personnes en fauteuils roulants et a fortiori par des piétons. Chaque année, au printemps, cela revenait sur le tapis. Chaque année, des histoires de budget restreints faisaient que le moindre achat devenait un vrai casse-tête. Comment justifier comptablement que les personnes ressentaient le besoin de Nature et que, oui, cela nécessiterait un investissement financier ?
Lorsqu’on m’a proposé le poste de coordinatrice en accueil de jour spécialisé, pour les personnes souffrant de troubles cognitifs de type Alzheimer ou apparentés, j’ai vu une occasion et j’ai foncé. Il était plus simple pour moi de pouvoir peser dans la balance grâce à mes nouvelles fonctions. Très vite, j’ai donc proposé en réunion de direction le fait qu’il serait sans doute bon de créer un jardin, un espace adapté où des activités à visées thérapeutiques pourraient être conduites par des soignants (en l’occurrence mes deux collègues et moi, de l’accueil de jour) et d’en faire par la même occasion profiter les patients de l’unité « Alzheimer » qui jouxtait l’espace envisagé pour le projet.
Quant au moment où j’ai pris conscience du potentiel du jardin dans l’aide à la thérapie, cela s’est fait en deux temps :
Le premier correspond à une intuition profonde
Le deuxième, lorsque j’ai commencé avec mes collègues à mettre en place des ateliers autour du Vivant. Nous avons très vite remarqué le potentiel incroyable du jardin comme médium à la thérapie. Tout cela a été par la suite confirmé dans le temps, par la formation, mes rencontres et l’expérience terrain auprès des patients lors de séances d’hortithérapie.
Comment as-tu évolué dans ta vision des jardins de soin depuis la formation que nous avons suivie ensemble en 2012 ?
Comme je l’expliquais juste avant, le temps, les expériences, les rencontres, mes nombreuses lectures et autres m’ont petit à petit conduit à avoir une vision de plus en plus précise du potentiel du jardin dans l’aide à la thérapie et le bien-être de tous les bénéficiaires, qu’ils soient professionnels, patients ou familles. Cela fait quelques années que je pense qu’il y a un travail immense encore à mener. Il faut selon moi moderniser, souffler un vent nouveau sans pour autant mettre un voile sur tout le travail déjà accompli. Cette modernité doit selon moi passer par l’innovation dans les outils proposés aux professionnels, aux patients, dans la coordination, dans la coopération entre pays, entre experts et dans l’utilisation des moyens actuels de communication.
Attention l’expert ne se limite pas pour moi aux professionnels bien au contraire, le rôle du patient en tant qu’expert est à mettre de plus en plus en avant. Et dans outils, je ne parle pas simplement d’outils de jardinage ! Mais plutôt de mettre à disposition ce dont a réellement besoin chaque co-créateur du domaine des jardins de soins. Le principe est simple en théorie. Posons-nous les questions suivantes : De quoi ont réellement besoin les porteurs de projet ? De quoi ont réellement besoin les professionnels du paysage ? les professionnels soignants ? Les familles, les patients ? Identifier les besoins et se donner les moyens d’y répondre, voilà ma vision pour l’avenir dans les jardins de soins.
Parle-nous du livre que tu es en train d’écrire pour Terre Vivante à paraitre en 2021. Quelle approche as-tu choisie? Quelles leçons tires-tu de cette expérience nouvelle?
Ça fait plusieurs années déjà que j’avais en tête un jour d’écrire un livre sur les jardins de soins. Seulement j’ai longtemps cru que je n’avais aucune légitimité à le faire. Cette idée a fait son chemin et les retours que j’avais de certaines personnes qui venaient me poser des questions, me rencontrer m’ont petit à petit, doucement, convaincue que j’avais peut-être finalement des choses à transmettre. Bien entendu je doute chaque jour encore de cette légitimité. Mais là encore, les retours très positifs que j’obtiens, les mots encourageants que j’ai régulièrement, m’aident à casser cette image d’imposture que j’ai ou peut être devrais-je dire que j’avais ? Un jour alors que je travaillais encore pour le Centre de formation du Domaine de Chaumont sur Loire, j’ai sur un coup de tête, sauter dans le grand bain. Qu’avais-je à perdre ? Un mail a suffi à avoir un rendez-vous avec mon éditrice actuelle. Dans ma tête je devais faire ce livre et mettre en avant mon travail au sein du Domaine de Chaumont sur Loire. Les choses ont pris une tournure différente, lorsque je suis partie de mon poste. Le jour même où je venais de signer ma rupture de contrat, soit une heure précisément après, je terminais mon entretien avec mon éditrice qui venait de me dire banco ! En une heure de temps je suis passée de « les jardins de soins c’est fini pour moi » à « je vais écrire un livre sur les jardins de soins ».
Mon approche pour ce livre à tout de suite était claire et je l’ai de suite défendue auprès de ma maison d’édition : je souhaitais créer le livre que j’aurais aimé avoir lorsque j’ai moi-même monté le projet d’Onzain, à mes tous débuts. Un pas à pas basé sur l’expérience et non pas simplement sur des théories certes intéressantes, mais pas toujours parlantes lorsqu’il s’agit de leur donner forme très concrètement, là, physiquement au projet que l’on porte. Ce livre correspond à MON expérience. Je ne prétends pas détenir LA vérité absolue. Je dis juste : voilà ce qui a marché pour moi, ce qui n’a pas marché, ce que mon expérience dans sa globalité m’a apporté et voilà ce que je vous conseille de faire. Libre à vous de suivre ou non ces conseils. Dans ce livre il y a mon expérience, mais aussi celles des centaines de stagiaires que j’ai pu former, celles des gens que j’ai pu rencontrer, conseiller aussi. Enfin, j’ai voulu intégrer dans ce livre le témoignage de personnes qui comptent dans le domaine comme Rebecca Haller qui a de suite répondu favorablement à ma demande ou encore une porteuse de projet, Emmanuelle du jardin de Vezenne, que j’ai formée avec mes anciens collègues, puis avec qui j’ai pu échanger de nombreuses fois.
Je ne pourrai pas tout mettre dans ce livre, c’est l’une des raisons qui m’a conduite à créer le site Plus de Vert Less Béton.
Et le blogging? Raconte-nous comment l’idée est née et quels sont tes objectifs aujourd’hui?
Le blogging est arrivé dans ma vie, grâce à ma curiosité insatiable et mon désir d’apprendre de nouvelles choses constamment. Ensuite, je me demande toujours :
Qu’est-ce que j’aimerais apprendre ? Qu’est ce qui m’apporterait vraiment du plaisir ?
Une fois la chose identifiée, je me dis :
Ok maintenant comment cette chose, pourrait être utile dans mon chemin de vie ? Comment je pourrais optimiser ce nouveau savoir, qui me procure par là même du plaisir, dans ma vie ? Comment cela va servir MA cause ? Comment cela va m’être utile dans le chemin que je souhaite prendre ?
Certains vont penser que je suis égoïste, ils auront sans doute raison quelque part. Je pense que si plus de personnes agissaient en conscience, en faisant des choses selon leurs propres désirs, le monde ne s’en porterait que mieux. Faire ce que l’on aime vraiment, faire de son travail un plaisir au quotidien permet d’avoir des gens passionnés, investis, qui diffusent tellement plus autour d’eux que celles et ceux qui subissent leur vie, qui font parce que la société est comme ci ou que le monde va comme ça, les conventions, les biens pensants… Je ne souhaite pas vivre la vie des autres mais bel et bien la mienne. Après, cela ne signifie pas que le chemin sera tout rose et la route pavée de fleurs ! Les gamelles, les difficultés, les échecs font partie du jeu. Mais on les encaisse mieux à partir du moment où on les a choisis et où on sait qu’ils feront partie de l’équation.
J’ai donc choisi de m’intéresser au blogging dans un premier temps par curiosité et par volonté d’apprendre d’un domaine auquel je ne connaissais absolument rien. C’est tellement exaltant d’apprendre quelque chose qui vous est totalement inconnu ! C’est comme redevenir cet enfant qui d’un coup se met à marcher et pour qui un nouveau monde, le même pourtant qu’il pensait connaître avant, se révèle totalement nouveau avec un nouveau champ des possibles. J’ai créé un premier blog, Les jardins de Paule, qui m’a permis de me faire les dents, qui aujourd’hui est davantage délaissé au profit de Plus de Vert Less Béton. Comme je l’expliquais, après le désir, l’envie, le plaisir, c’est se demander en quoi je peux ensuite mettre à profit ces nouvelles compétences dans ma vie ? Développer Plus de Vert less Béton me permet de faire cela. Et d’un, ce site me permet de mettre par écrit tout ce que je n’ai pas mis dans mon livre. Et de deux, de poursuivre le chemin que j’ai choisi dans un domaine qui me passionne toujours autant, que sont les jardins de soins, en créant, innovant, bousculant les codes parfois, créant de la valeur pour celles et ceux qui s’intéressent à cette thématique.
Parfois on ne trouve pas toujours la raison de nos choix, pourquoi nous sommes attirés par telle compétence ou autre. C’est là qu’entre en jeu ce qu’on appelle l’intuition. Parfois on fait par plaisir et intuition sans savoir où cela va nous mener et pourtant je suis convaincue qu’il y a une bonne raison pour que suivions celle-ci, pour que nous vivions telle expérience. Je vais donner l’exemple de Steve Jobs : celui-ci a fait lors de ses années universitaires de la calligraphie. Il éprouvait un immense plaisir à la pratiquer. Il ignorait comme tout son entourage à l’époque à quoi pourrait bien lui servir cette nouvelle passion dans notre société d’aujourd’hui où la calligraphie pourrait paraître désuète pour une bonne majorité des gens ! Eh bien, il a poursuivi et finalement bien des années plus tard, la calligraphie lui a permis de mettre au point cette idée de déroulant que l’on retrouve sur chaque ordi à présent vous proposant plusieurs centaines de styles d’écritures. Cette compétence acquise en suivant ses envies, son plaisir et son intuition des années auparavant lui a permis de révolutionner le monde informatique.
Je ne sais pas encore où le blogging va me mener, mais j’y trouve du plaisir et même si je ne révolutionnerai peut-être rien, mon intuition me dit que cela me sera utile dans mon parcours.
Que voudrais-tu qu’on sache sur toi que peu de monde sait?
Je voudrais dire aux gens que je suis dans une situation très précaire financièrement, que je vis depuis plusieurs années seule avec mes enfants et que cela ne m’a pas fait renoncer à mes rêves ou à mes valeurs profondes de liberté, à mon désir d’être en perpétuelle évolution de mon être, à ma volonté de faire avancer le monde de manière positive. L’argent ne fait pas le bonheur. Certes il y contribue, mais je peux vous assurer que je préfère mille fois être à ma place ici, à m’éclater dans ce que je fais plutôt que d’être sous le joug d’un patron par exemple, le postérieur dans un bureau ou à courir dans un service en perdant de vue MON essentiel, ce que je suis réellement, le sens de mes actions, MON pourquoi. La vie est courte et chaque jour est comme une urgence pour moi à la vivre pleinement. Qui sait peut-être que ma passion et mon engouement à la tâche me permettront un jour d’en vivre ! Ce sera la cerise sur le gâteau, mais je peux vous dire que le gâteau aura été déjà énorme et délicieux auparavant.
Je ne pose pas en moralisatrice, chacun est libre de faire comme il l’entend et je comprends que certaines ou certains éprouvent du plaisir à être dans un bureau, ou à suivre les directives de leur patron, ou encore puissent s’épanouir dans les services. C’est d’ailleurs très bien ainsi. Si tout le monde était pareil, le monde serait bien fade ! Maintenant j’expose juste mon point de vue sans prosélytisme aucun.
Qu’est-ce qui te manque et qu’est-ce qui ne te manque pas de ton métier d’infirmière?
Ce qui me manque sans hésitation aucune, ce sont les patients. La relation d’aide que j’avais avec eux, les échanges toujours riches d’instruction pour moi me manquent. Je grandissais aussi à leur contact. Je garde cette volonté de venir en aide, d’être attentive aux besoins des gens mais je le fais différemment à présent. Le livre sera ma façon d’aider les porteurs de projets, afin qu’ils se lancent et que de nouveaux jardins voient le jour. Paf ! Un jardin, une aide de plus aux patients, aux familles… La création d’outils pour les pros, les patients… Paf ! une nouvelle aide, un nouveau soutien. Inspirer, motiver, former et informer, guider… tout cela est une façon pour moi de vivre mon métier de soignante. Le prendre soin ne se limite pas aux actes techniques, Dieu merci. A chacun d’inventer sa manière de contribuer au monde.
Que t’a appris la vie à travers le jardin depuis 8-10 ans?
La Nature nous apprend deux choses :
Un, que nous ne sommes pas grand-chose, que le temps nous est compté et qu’il faut vivre sa vie pleinement, ne pas se contenter de la voir passer en reportant ses désirs au moment de la retraite.
Deux, que nous avons inversement un potentiel extraordinaire en nous, mais qu’il étouffe sous nos peurs et celles des autres. Croyez en vous, en vos rêves, en votre pouvoir d’action ! Vous valez tellement plus que ce qu’on vous a fait croire, tellement plus que ce que finalement vous avez fini par croire vous-même ! Cassez ça et foncez pour n’avoir aucun regret. La Nature nous a tous offert ce potentiel, nous appartenons à un grand tout, aux pouvoirs incroyables.
En conclusion, la Nature m’a appris que je ne suis rien dans ce vaste tout, mais que j’ai en moi des capacités insoupçonnées qui ne demandent qu’à s’exprimer, sinon pourquoi serions-nous là finalement ?