L’enseignement de l’hortithérapie aux New York Botanical Gardens

Suite et fin. Cette semaine, Tamara détaille les quatre volets de la formation. Elle sera de retour dans quelques semaines pour raconter son expérience au Rusk Institute for Rehabilitation. Merci, Tamara, pour ce récit très détaillé d’une des formations américaines les plus poussées (hortustherapy (at) gmail.com).

 

Aperçu de la bibliothèque de l'hortithérapeute

Aperçu de la bibliothèque de l’hortithérapeute

Le Horticultural Therapy Certificate dispensé au New York Botanical Gardens (NYBG), programme qui a maintenant plus de 30 ans, se met explicitement sous le patronage de l’«occupational therapy», l’ergothérapie. La plaquette de communication de la formation le souligne d’emblée. Il n’est pas anodin qu’une des fondatrices de l’enseignement à NYBG, Nancy Chambers, moteur de l’hortithérapie au Rusk Institute for Rehabilitation ait jumelé cette discipline au département d’ergothérapie. Pratiquer aux cotés des psychomotriciens et des kinésithérapeutes plutôt qu’en « recréational therapy »  (la ludothérapie où l’on trouve les loisirs créatifs mais souvent aussi des thérapies complémentaires créatives, comme l’art thérapie) n’est pas sans conséquence. Cliniquement, la différence est vaste. Le garder en tête permet de comprendre le type de cours dispensés, comme les lacunes que l’on peut ressentir ou deviner.

Passons en revue les quatre pôles d’enseignement évoqués dans la première partie de ce billet.  Pour rappel, le certificat à NYBG se veut une formation post licence (Bac +3/4) et se décline en 181 heures de cours théoriques, 8 heures de visites de sites et au minimum 100 heures de stage. Le tout premier module – que l’on peut prendre sans s’engager dans le certificat, Introduction to Horticultural Therapy – sert d’orientation. On y fait le lien entre le «hortus» et la thérapie, en abordant l’histoire des jardins de soin, pour en arriver aux hypothèses de la biophilia de Wilson, et la théorie de l’attention restaurée de Kaplan. Ce cours est obligatoire pour pouvoir se lancer dans les autres modules.

Sciences cliniques

Cette série de cours est axée sur une bonne compréhension des populations que l’on risque de côtoyer. Il y a quatre modules : Handicapés physiques, gériatrie, pédiatrie, approche de la santé mentale. Chaque module se penche sur les pathologies et déficiences les plus habituelles par type de population. Les symptômes, les limites et les difficultés qui en découlent, les dysfonctionnements et leurs expressions les plus probables. Par exemple, dans le cours de Horticultural Therapy for Physical Rehabilitation, on passe en revue les traumatismes crâniens et ceux de la colonne vertébrale, l’AVC, certaines pathologies congénitales, la sclérose en plaques ou les suites des interventions lourdes en cardiologie. Il s’agit de populations ayant à réapprendre à vivre avec des moyens parfois très diminués. L’hortithérapeute doit savoir proposer des interventions selon les besoins des patients (coordination bilatérale, endurance, exercice de la mémoire entre autres), interventions permettant de maintenir ou récupérer des gestes de la vie quotidienne et l’estime de soi.

En Horticultural Therapy for the Aging Population, on propose une approche de la maladie d’Alzheimer bien sûr mais aussi comment proposer des activités horticoles à des personnes souffrant des déficiences physiologiques et sensorielles les plus communes liées à l’âge. Pour les autres modules, Horticulture Therapy in Behavioral Health (santé mentale) ou Exceptional Youth (pédiatrie), une même approche : déconstruire les écueils et découvrir en quoi un traitement par une activité horticole peut apporter des modifications de comportement ou des bénéfices positifs sur le plan physique, cognitif, social et émotif.

Dans chaque module, on s’attèle à la mise en œuvre de plans de traitement suite à l’évaluation des patients. Il s’agit de peaufiner l’opérationnalisation d’un objectif (souvent hérité en amont des services médicaux) afin de les traduire en interventions horticoles porteuses de sens. On apprend donc à énoncer le comportement final, les conditions dans lesquels ce dernier sera exécuté, les critères de réussite. Ces modules cliniques sont aussi une ouverture sur la recherche actuelle dans le domaine des neurosciences, de la psychologie environnementale ou de l’écopsychologie. Certains des enseignants sont des auteurs publiés.

Sciences ergothérapeutiques

Accompagner les patients dans un processus de changement passe selon l’enseignement NYBG par l’appropriation de quelques approches thérapeutiques empruntées à l’ «occupational therapy». En ergothérapie, on œuvre pour l’amélioration et/ou le maintien de la qualité de vie quand une personne est en perte d’autonomie (ce qui implique  une bonne compréhension analytique des actes de la vie quotidienne). Dans le jargon des thérapies par l’action, on parle de « activity analysis ». Observer le patient ou le client, évaluer les besoins, proposer des activités de réhabilitation en rapport avec les difficultés à dépasser ou à contourner en déclinant chaque geste sur le plan moteur, cognitif, psychosocial. Si l’ergothérapeute doit savoir décortiquer les activités, c’est pour mieux imaginer comment le patient pourra s’adapter ou s’armer de stratégies de compensation.

Activity Analysis for Horticultural Therapy donc. Pièce clé du point de vue de l’école de formation en hortithérapie à NYBG. Quand on proposera une activité dans le jardin, il faudra s’appliquer à comprendre les propriétés physiques des éléments à manipuler, quels sens seront stimulés ; quelles demandes sociales ou émotionnelles sollicitées, le tempo d’une activité, le déroulement d’une séquence de gestes, quels outils intellectuels comme le fait de choisir ou de se rappeler, comprendre quelle partie du corps devra exécuter l’action. Le but n’est pas de tomber dans un cours d’anatomie. Au contraire, il faut toujours savoir se mettre à la disposition de l’équipe médicale, car il y a néanmoins une hiérarchie médicale et paramédicale dans les soins.  Mais il s’agit de permettre une prise de conscience et de sensibiliser l’hortitherapeute: les gestes du jardinier, les gestes horticoles doivent être réfléchis dans leur intégralité afin de proposer l’intervention.

Il est vrai que la formation à NYBG tend à préparer à ce cas extrême de pratique, au sein d’une institution médicale de réhabilitation en soins intensifs, où l’équipe médicale fixe des objectifs pertinents, mesurables, concrets aux patients et qui doivent figurer dans un dispositif de documentation très pointu. A ce titre, la communication fluide avec ses pairs demande un savoir-faire tout particulier. Les cours sont donc aussi un lieu d’initiation à la documentation médico-clinique des patients.

En dehors du monde purement médical, l’hortitherapeute peut avoir à encadrer des séances sans faire des analyses hautement structurées de l’activité. Beaucoup de programmes d’hortitherapie ne sont pas non plus bornés par le besoin d’interventions de soins individualisés avec documentation d’objectifs mesurables. Plus qu’en soins intensifs de réhabilitation, où le plan tend à être individuel, on aura recours à des techniques de thérapie de groupe (« group process »). Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’objectifs du tout : prisons, SDF, femmes battues, personnes âgées isolées, jeunesse à risque, écoles en zone éducatives prioritaires, toxicomanes.

L’hortithérapeute doit savoir naviguer cet autre registre avec bonne humeur, intelligence, flexibilité et spontanéité. Cela peut s’apparenter parfois à l’animation, à la pédagogie. Sauf que l’intentionnalité et l’alliance thérapeutiques y seront toujours de mise. L’engagement empathique et une dynamique relationnelle saine dans laquelle le patient ou le client peut se sentir en sécurité offrent l’occasion de l’amélioration de son estime de soi et plus généralement l’espace d’expression du rôle social des participants. Si les «counselling skills » sont utiles, ce n’est pas pour mettre à nu les participants. Il ne s’agit pas d’une psychothérapie de groupe. Au contraire, le processus de groupe permet aux participants d’interagir, de socialiser, de communiquer, de rompre leur isolement, de s’inspirer des autres. Ces techniques d’encadrement du groupe reviennent dans plusieurs modules.

Adaptation d'outils

Adaptation d’outils

Une fois les besoins et les limites de ceux en demande d’hortithérapie évaluées, quelles activités et avec quels outils, quelles plantes ou quels actes au jardin ? Car, au final, il faut pouvoir traduire les objectifs, les opérationnaliser en termes d’interventions horticoles. Horticultural Therapy Methods and Materials propose de se pencher sur les méthodes et les matériaux les plus utilisés par les hortithérapeutes. Le vivant comme l’art créatif, la plante tropicale comme la native. En tant que module à suivre dans un deuxième temps, cet enseignement est une invitation à la réflexion sur les succès et les difficultés liées à certaines activités. Recherche sur les qualités thérapeutiques des matériaux végétaux. Recherche autour des adaptations et aux outils (de jardin) selon les handicaps. Où les trouver pour s’en équiper ou comment en fabriquer si besoin à partir d’éléments disponibles.

Sciences et Arts horticoles et paysagères

Si le monde végétal peut être thérapeutique par sa matière, c’est aussi un lieu de savoir complet qui est toujours en évolution. Ces trois modules sont très théoriques et reposent sur les avancées en sciences de la vie. De ce fait , il y a une certaine transparence dans l’attente de l’apprentissage de beaucoup d’éléments et très vite. L’initiation à la Botanique (Plant Science) permet de mieux comprendre les structures, formes, adaptations, et l’histoire passionnelle de l’homme pour l’univers des plantes. Mais aussi les théories de l’évolution des familles, l’écologie, la systématique.

Dans le module d’Horticulture-Gardening, le jardinage est abordé par ses côtés théoriques, c’est-à-dire la science des sols, les besoins des plantes, les nuisances et parasites dans le jardin ou encore la taille. Enfin, un module avec travaux pratiques sera dédié à la propagation, très utilisée par les hortithérapeutes dans l’élaboration d’activités avec les patients et clients. Multiplier et bouturer diverses plantes, de la fougère aux grimpantes ligneux.

Dans Garden Design for Special Populations, il s’agit d’une initiation à « l’universal design », l’accès au jardin pour tous. Pratiquer le dessin et le design de projets porteurs dans des espaces intérieurs et extérieurs selon les besoins d’une population et les souhaits des établissements accueillant un jardin de soin. Un jardin destiné aux usagers souffrant de la maladie d’Alzheimer ne ressemble pas à au jardin destiné à des enfants dans des zones scolaires difficiles. Et même si cette initiation ne suggère pas de se passer des services d’un architecte paysagiste lorsque l’on en a besoin, on sera bien placé pour pouvoir entamer le dialogue si besoin pour le remaniement structurel d’un espace.

Développement professionnel

C’est l’heure de la confrontation avec le monde réel dans ces modules de fin de cycle. Dans Horticultural Therapy Program Management, on survole les types d’institutions et leurs logiques de gestion interne, point important pour comprendre comment leur présenter un projet, communiquer une vision, aborder une administration parfois encore réticente. Comment démarcher, quelles instances pour des financements, comment communiquer avec les administrateurs de telle ou telle institution sur le bien fondé des services que l’hortitherapeute peut apporter ? Quelle solution personnelle professionnelle : salarié, consultant, auto-entrepreneur, association, création d’entreprise, ou l’élaboration d’un projet collaboratif de jardins de soins avec un paysagiste?

Lors d'une visite de terrain

Lors d’une visite de terrain

En parallèle, on peut se lancer dans les « sites visits », des visites de programmes en hortitherapie qui doivent représenter un investissement de 8 heures. Les visites sont souvent en comité restreint sur une journée afin de voir la théorie prendre forme en situation réelle et en temps réel. On observe et puis on partage lors du débriefing. Certaines visites sont l’occasion d’un cours magistral, comme à Rusk, sur la physiatrie. D’autres visites sont des instants de confrontations avec des pathologies rares ou particulièrement débilitantes. A Térence Cardinal Cook, un « hospice residence », les enfants dont beaucoup souffrent de paralysie cérébrale sont sévèrement handicapés. Il y a également une unité de patients souffrant de chorée de Huntington, une maladie qui provoque une dégénérescence neurologique grave. Les visites peuvent être vécues comme une forme de voyeurisme pudique. Il n’est pas rare de repartir en état de choc. Car on quitte la théorie et le jardin pour découvrir des souffrances graves. Cérébro-lésés, handicapés mentaux et physiques, maladies rares du sang, cancers, greffés du cœur, diabétiques amputés. C’est le moment d’une mise en cause fondamentale mais nécessaire. Il faut du temps, jardiniers, on le savait déjà.

Le stage de 100 heures est entamé après l’accord de la directrice du département. Bien que réduit il y a quelques années à 100 heures pour ne pas effrayer les candidats, il ne s’agit que d’un aperçu car on est encore loin de la résidence clinique supervisée de longue durée (dont on aura l’occasion de reparler peut-être dans un autre billet) comme les 500 heures exigées par l‘AHTA, sans parler des 800 ou 1000 heures des professions de thérapies complémentaires annexes comme l’art thérapie. Mais c’est une opportunité d’asseoir enfin les acquis théoriques dans une pratique immédiate et de commencer à développer de réelles compétences. On teste ses aptitudes à l’observation et à l’intégration des protocoles de sécurité. On démontre que l’on a compris les risques liés aux populations fragiles, non seulement selon leur diagnostic mais dans le contexte où ils se trouvent. Ce n’est qu’en situation clinique que l’on apprendra que chaque personne vit de façon singulière son diagnostic et par extension les écueils. Sous une bonne supervision, on apprend à se faire assez confiance pour improviser des adaptations, car les activités de l’hortithérapie, même préparées à l’avance, ne sont pas des recettes de cuisine. Le stage c’est un début de déconstruction des grilles rigides pour se fier plus aux individualités des patients dans une situation in situ en perpétuelle mouvance.

Voilà un aperçu de la formation d’hortithérapie telle qu’elle se présente actuellement à NYBG. Comme elle ne cesse d’évoluer n’hésitez pas à visiter le site du jardin botanique ou à contacter les administrateurs pour de plus amples renseignements.

Tamara Singh

Au New York Botanical Gardens, on enseigne l’hortithérapie

Après Carole Nahon et Romain R., je passe cette semaine la parole à Tamara Singh dont j’avais fait un portrait avant qu’elle ne quitte New York pour venir s’installer à Paris. Depuis, nous avons eu le plaisir de nous rencontrer « dans la vraie vie » et elle nous fait la gentillesse de partager son expérience américaine. En deux parties, car il y a beaucoup, beaucoup à raconter. Merci, Tamara. Vous pouvez la joindre à hortustherapy (at) gmail.com.

Tamara Singh  à l'hôpital NYU Langone Tisch.

Tamara Singh à l’hôpital NYU Langone Tisch.

New York Botanical Gardens, institution vénérable faisant partie d’un réseau de jardins –dont Kew à Londres– est reconnu pour l’étendue et l’intérêt historique et scientifique de ses fonds et collections botaniques. Soutenu par des financements publics et des donations privées, l’organisme témoigne sa volonté pour initier la recherche tout en mettant l’excellence académique à la portée de ceux qui veulent s’y parfaire. Couvant des personnalités, des conservateurs et des spécialistes renommés, on y mise sur l’ouverture des approches et des formations novatrices. Parmi leur offre de formations de pointe, le programme d’hortithérapie qui remonte au début des années 1980. Fondée par un triumvirat de précurseurs qui inclut alors Nancy Chambers –directrice du Glass Garden au Rusk Institute for Réhabilitation a New York pendant plus de 35 ans, partie à la retraite depuis peu– cette filiation, si on peut s’exprimer ainsi, en fait un des programmes formels d’hortithérapie professionnelle parmi les plus anciens et aussi un des plus expérimentés en Amérique du Nord. La formation à NYBG n’a cessé d’évoluer, tantôt pour imposer une vision, tantôt pour répondre à des phénomènes de société et de santé. Cela retentit sur l’enseignement de cette thérapie certes complémentaire, mais qui a toute sa place auprès de populations en souffrance en mal-être ou en réhabilitation.

Un « horticultural therapy certificate », fruit d’une évolution

Le « horticultural therapy certificate » qui est dispensé à NYBG a pu s’exprimer sous des formats divers dans le passé. Au tout début par exemple, les cours ne comptaient que deux ou trois heures, on est maintenant sur des modules de 15 ou18 heures; il y avait aussi moins de compétences exigées en préalable pour pouvoir s’y inscrire, aujourd’hui on veille sur les pré-requis. Il y a plus d’heures en situation réelle pour moins d’heures théoriques ; et puis aussi l’inverse, plus d’enseignements pour moins d’heures dans la pratique supervisée. Ont pu s’y ajouter et puis disparaître les cours à la carte et au choix, choisis parmi l’offre de NYBG. Ces « electives »  destinées à complémenter le savoir-faire des hortithérapeutes en devenir incluaient des modules de design floral, d’herboristerie, d’arboriculture, de la gestion de serre horticole, ou de l’illustration botanique. Cette obligation a été aujourd’hui supprimée afin de rendre la formation moins onéreuse en coût et en temps mais surtout pour inciter les uns et les autres à concentrer leurs efforts sur le cœur d’un programme déjà chargé.

Il aura donc fallu des refontes argumentées et somme toute justifiables avant de trouver un l’équilibre entre la qualité des enseignements pour une profession en pleine évolution et les qualités des candidats. Mais le pari a toujours été là : attirer des étudiants non conventionnels prêts à s’engager dans un métier lui-même tout aussi inhabituel.

Portrait-robot des étudiant(e)s

Le "conservatory" des NYBG

Le « conservatory » des NYBG

Aujourd’hui, la formation s’adresse à des étudiants « post Bachelors » –bac+4–   ayant déjà une première expérience professionnelle ou académique par ailleurs (qui équivaut au moins à une licence et/ou à des années passées dans l’exercice d’une activité validante, professionnelle ou bénévole). L’étudiant admis sur dossier et après entretien a déjà, pour la plupart, le visage de la profession aux Etats-unis. Selon une enquête menée en 2010 sur les hortitherapeutes pratiquant membres du AHTA (American Horticultural Therapy Association) qui affiche la volonté de représenter cette profession en développement aux Etats-Unis, les membres se dévoilent majoritairement, mais pas exclusivement, comme « mature » c’est-à-dire 45 ans+, en reconversion professionnelle, éduqués, féminins, appartenant à une catégorie ethnique. Mais là aussi on est en droit de s’attendre à des mutations! Le diplôme d’hortithérapie à NYBG bénéficie du fait très actuel et de haute importance que les cours ont depuis 2008-2009 une valeur d’équivalence. Cette formalité est essentielle dans un pays où les frais de scolarité universitaires sont élevés. (Pour mémoire, les frais d’inscription en hortithérapie avoisinent $6000). Actuellement on peut faire valoir les modules du NYBG contre des « crédits » universitaires standards transférables partout aux Etats-Unis.  Ceci ne manquera pas de faire évoluer le portrait type des hortitherapeutes qui passent par le jardin botanique.

A la recherche de profils variés et engagés

La carte des lieux

La carte des lieux

Un des premiers vrais atouts dans la formation à NYBG, on l’aura compris : les étudiants viennent d’horizons professionnels divers ayant déjà eu le temps d’accumuler des expériences de vie. Quand on se lance dans n’importe quel domaine d’accompagnement thérapeutique cela peut s’avérer être un avantage non négligeable. Mais quand on entame un enseignement comme celui-ci, chacun avec son style thérapeutique en devenir, le trésor des personnalités est précieux. On y trouve alors : l’animateur socio-éducatif comme le designer, le graphiste comme l’architecte paysagiste, une neuro-lesée ayant retrouvé ses fonctionnalités (permettant de suivre la formation) comme une grand-mère quittant la retraite pour mieux comprendre et accompagner son petit enfant autiste, l’historien comme le psychologue, le jardinier comme le doctorant en philosophie, le photographe comme un cadre du service des jardins publics remarquables, l’agent de la publicité comme la mère de famille suractive dans sa communauté, le traiteur bio en slow food comme l’éleveur de chevaux, l’infirmier comme l’artiste, l’institutrice comme le cadre en ressources humaines.  (J’ai mieux su déchiffrer la prise en charge et l’entretien téléphonique très long mais plein d’humour que j’ai passé avec la directrice du programme Phyllis d’Amico).

Lors de l’entretien d’admission et l’étude de dossier, on vérifie les preuves d’engagement dans la vie sociale ou dans les arts et sciences humaines. Le socle commun étant une vie menée dans l’interrogation et la mise en disponibilité du soi pour les autres. Mais le souci, lors du recrutement semble aussi se porter sur les «abilities », une fibre innée, des élans non appris, insaisissables, plutôt qu’uniquement sur les connaissances ou une technicité déjà disponible ou encore à acquérir. La mise à plat, et ensuite la remise à niveau pour tout le monde commence ainsi, à partir de ce « aha », pour reprendre un terme de l’histoire des jardins, chose inattendue dans le paysage de la vie des candidats qu’on ne s’attend pas à voir. Des individualités car on forme des thérapeutes.

Des enseignants issus du terrain

Dans les collections

Dans les collections

Le deuxième grand atout n’en est pas des moindres : les cours sont dispensés par des professionnels engagés. Il s’agit d’un corps enseignant ayant accumulé une grande expérience de 20 à 30 ans dans leur milieu, en situation clinique réelle ou par leurs interventions diverses, leurs publications, par leur création de fondation/d ‘association ou d’entreprise comme par la recherche ou leur participation à moult événements publics au nom de leur spécialité. En passant par Matt Wichrowski (hortithérapeute senior à Rusk et chercheur) ou Nancy Gerlach Spriggs (paysagiste), Gary Lincoff (botaniste) et Francisca Coelho (conservatrice en chef et spécialiste des plantes tropicales), on a un accès formidable car les enseignants sont disponibles et abordables. Il s’ensuit en corollaire que la confiance que l’on peut faire à cette équipe, malgré les cotés parfois excentriques de certains éléments –n’oublions pas qu’il s’agit de personnes de près ou de loin très ébahies par « la nature végétale» sous toutes ses formes extraordinaires, ce qui n’enlève rien à leur compétence ni à leur expérience– est totalement réfléchie dans la posture de l’administration pédagogique. Les cours sont inspectés et revus par l’organisme des études supérieures de l’Etat de New York et une université jumelée avec NYBG pour la formation. C’est ainsi que le gage de qualité fourni par le jardin botanique est doublé par une évaluation indépendante et extérieure. C’est également par ce biais que NYBG peut offrir des « crédits universitaires » en hortithérapie et figurer sur la liste des formations reconnues par la AHTA.

Le cursus

À quoi ressemble donc dans le détail le programme du certificat ? Et quelles sont les connaissances, les savoir-faire, les habiletés, et les techniques à acquérir ou développer ?

Aujourd’hui pour être certifié par NYBG en hortithérapie il faut :

  • 14 modules obligatoires (181 heures)
  • De l’observation clinique d’hortithérapie se faisant in situ (8 heures)
  • Un stage de 100 heures minimum avec rapport de stage

Les 181 heures s’articulent en gros autour de quatre pôles ou types de modules bien que la brochure du NYBG ne les présente pas sous cette houlette :

Sciences cliniques,

Sciences et arts horticoles,

Sciences ergothérapeutiques,

Développement professionnel

Les cours sont programmés afin de mieux servir les attentes des étudiants qui tendent pour la plupart à travailler et mener une vie de famille. Il s’agit d’adultes avec leurs contraintes par ailleurs. Et puis certains viennent de très loin, y compris de l’étranger. Dans cette optique, les cours ont souvent lieu le soir et/ou le week-end et se déroulent sur quelques semaines seulement. Les cours sont structurés de façon assez transparente. Il faut par exemple suivre certains enseignements avant d’accéder à d’autres selon une logique interne. Voir le programme en ligne.

La formation du NYBG peut se faire en une année, parfois commencée pendant les sessions d’été en intensif. Mais avec les aléas de la vie et du temps, ou dans le cas où il n’y ait pas assez d’élèves ou bien trop, il peut arriver que certains cours, offerts qu’une ou deux fois par an, nous passent sous le nez. La plupart des élèves mettent deux ans au moins à achever le certificat. La flexibilité n’est tout à l’honneur du programme. On accumule les modules sur plusieurs saisons. Ce qui fait sens pour la modalité qui est la nôtre.

Module par module

Le bâtiment principal

Le bâtiment principal

En ce qui concerne le format des modules, ils sont en partie magistraux, reposant sur l’exposé de l’enseignant, des supports multimédia, le partage d’articles venus de journaux scientifiques lus et préparés pour les discussions participatives, mais aussi des simulations et des jeux de rôle. Il y a des cours comme celui qui traite de l’analyse des activités (« activity analysis ») qui n’accueillent que les candidats au diplôme d’hortithérapie. D’autres cours, comme la botanique, sont partagés avec les autres filières enseignées à NYBG. Les évaluations en continu sous la forme de petits devoirs sur table chaque semaine incitent à la maîtrise des informations ; les devoirs à rendre d’une semaine à l’autre mettent en exergue notre capacité d’intégration et de réflexion critique, voire de créativité.

À la fin de chaque cours, il y a soit un examen de fin de cours et/ou un projet de recherche. Il y a de quoi faire. Mais on en retire que ce que l’on y met. Il est prévu que les élèves aillent de l’avant et commencent à circuler : à travers les recherches se faisant dans le domaine, à adhérer aux associations locales d’hortithérapie, à faire les premières démarches de stage ou de bénévolat, à étancher toute soif en botanique avancée, les ressources du jardin sont là pour cela. D’ailleurs quand le propos s’y prête, les cours ont lieu dehors. Il y a les collections des grandes serres comme les parterres et collections en extérieur remarquables. À cela s’ajoute une bibliothèque de recherche agréable, praticable et achalandée. En conclusion, une infrastructure de qualité à portée de mains, et aux portes de la ville de New York.

Dans un deuxième volet, on passera en revue les quatre pôles du certificat.

Tamara Singh

Agenda des sorties des jardins de soin

Mise à jour

21 mars, journée de soutien au Bois Dormoy à Paris

Bois Dormoy affiche21mars

Je vous ai déjà parlé du Bois Dormoy, un espace social et sauvage dans le 18e arrondissement, menacé de disparition. Ce samedi, fête de soutien pour les petits et pour les grands (voir l’affiche ci contre pour le programme). Dans la jungle urbaine, les espaces où la nature reprend ses droits et accueille les urbains en manque ne sont pas si nombreux. On comprend que tous ceux qui aiment cet endroit veuillent le sauver. Bombes à graine, illuminations aux bougies à la nuit tombante, table ronde, dinette biologique, arbre à voeux, le programme est tentant, avec un grain de folie qui va bien au Bois Dormoy.

19 mars et 28-29 mars, Niort (79)

Le conseil général des Deux-Sèvres et la Société d’Horticulture des Deux-Sèvres proposent une conférence « Jardins de bien-être, jardins de soin » animée par Michel Racine le jeudi 19 mars à 20h00 à la Maison du Département à Niort. Tous les détails ici. La conférence sera suivie les 28 et 29 mars par le Printemps aux jardins (32e fête des plantes) organisé par la Société d’Horticulture des Deux-Sèvres toujours avec un programme axé sur les « jardins, sources de bien être » au parc des expositions de Niort.

Samedi 4 avril, Port-Royal des Champs (78)

Gilles ClémentNicole Brès et moi sommes fans de Port-Royal des Champs que nous avions visité en mai dernier et où Nicole était retournée pour rencontrer des patients hors les murs. Début mars, nous avons récidivé en compagnie de Romain R.  et c’est toujours un plaisir de retrouver cet endroit magique et de revoir Sylvain Hilaire, historien et responsable du centre de Ressources et d’Interprétation du musée national de Port-Royal-des-Champs, qui en parle avant tant d’érudition et de passion. Si vous cherchez une excuse pour visiter ce secret bien gardé, haut lieu de l’alliance entre « la plume et la bêche », vous pourriez prendre comme prétexte la rencontre programmée le samedi 4 avril de 15h00 à 17h00 avec Frédérique Basset, auteure d’une biographie de Gilles Clément intitulée « Les 4 saisons de Gilles Clément : Itinéraire d’un jardinier planétaire ». Tous les détails sur le site du musée.

La revue Jardins consacre un numéro au soin par le jardin

Dans son numéro attendu dans quelques semaines, la revue Jardins (éditions du Sandre) donne la parole à un panel d’auteurs sur le sujet qui nous tient à cœur. Sous la direction de Marco Martella et avec l’aide de Sylvain Hilaire, ce numéro devrait fourmiller de textes plus intéressants les uns que les autres. On est impatients de les lire. Pour découvrir les numéros passés et suivre la parution, la page dédiée à la revue.

Le Japon s’inspire des Etats-Unis

Masahiro Toyoda, universitaire et chercheur à l’université de Hyogo, enseigne dans le programme d'hortithérapie d'ALPHA.

Masahiro Toyoda, hortithérapeute, universitaire et chercheur

L’universitaire Masahiro Toyoda est considéré comme l’un des principaux experts de l’hortithérapie au Japon. Professeur à l’université de Hyogo, il est lui-même hortithérapeute et chercheur dans ce domaine. De plus, il enseigne au sein d’un programme de certification en hortithérapie à la Awaji Landscape Planning and Horticulture Academy (ALPHA), l’unique établissement formant des hortithérapeutes au Japon à être accrédité par un gouverneur de préfecture. Le programme est né en 2002 peu après le tremblement de terre de Hanshin-Awaji de 1995. Dix ans plus tard, il comptait 125 diplômés en hortithérapie.

On peut découvrir tous les détails en anglais sur le site de l’académie. Il s’agit d’un programme professionnalisant en un an, dont un stage de cinq mois. Formation complémentaire pour la plupart des étudiants, le programme attire infirmières, ergothérapeutes, assistants de soin, nourrices, enseignants, employés dans le paysagisme, mais aussi des personnes de 40 ou 50 ans ayant fini d’élever leurs enfants et des retraités (je cite Masahiro Toyoda). Le curriculum semble très proche de l’esprit des cursus américains avec un mélange de cours en horticulture/botanique et en thérapie/sciences humaines, sans oublier un module sur la gestion de programmes d’hortithérapie et un stage. Au total 405 heures de cours et 800 heures de stage clinique.

Démarrage dans les années 1990

Illustrations tirés du texte en ligne de Masahiro Toyoda

Illustrations tirées du texte en ligne de Masahiro Toyoda

Rien d’étonnant à cela quand on sait, comme l’explique Masahiro Toyoda dans cet article disponible sur le site d’ALPHA, que l’hortithérapie a été introduite au Japon dans les années 1990 par des Japonais qui l’avaient étudiée aux Etats-Unis. « They were not necessarily medical staffs, which might be one reason horticultural therapy became popular among citizens (je souligne car cela semble particulièrement intéressant). The 1990s was the period after the bubble economy burst and Japanese people‟s sense of values changed greatly from material affluence to spiritual richness. The Japanese like gardening by nature and a big gardening boom came in the wake of the International Garden and Greenery Exposition held in Osaka in 1990. Around that time, European herbs and English gardens were also introduced and became popular and the number of people who enjoyed gardening increased. People in various kinds of occupational areas showed interest in horticultural therapy: gardening company workers, doctors /nurses/occupational therapists who had interest in gardening or alternative healthcare and teachers searching for effective support methods for students such as school refusal students, students with autism, mentally-retarded students, etc. Many citizens also had much interest― especially gardening-loving housewives who finished child-raising or post-retirement people who wanted to do something for others in need of support. »

Il explique également dans ce même texte que « Since then, horticultural therapy has been spread by citizens who learned or were interested in it. The citizens who learned horticultural therapy are still taking important roles as volunteers of therapeutic horticulture in the hospitals, welfare facilities for the elderly and institutions for those with intellectual disabilities. The difference between horticultural therapy and therapeutic horticulture was not clear in the 1990s when horticultural therapy was introduced into Japan. But now, horticulture for health is classified into two categories: « horticultural therapy » for people in need of support implemented by specialists who learned horticultural therapy and « therapeutic horticulture » for health done by medical staffs, care workers or citizens. »

L’évaluation (assessment) fait partie de la pratique sur le terrain avec cette Awaji Horticultural Therapy Assessment Sheet (AHTAS) qu’on découvre dans le texte de Masahiro Toyoda déjà cité. Motivation, orientation dans le temps, attention, mémoire à court et à long terme, raisonnement, jugement, compréhension et exécution des tâches, communication et satisfaction sont les grands domaines observés, avec une échelle de 0 à 3. Là aussi, l’influence américaine se ressent profondément. Certes, on n’a pas évoqué la tradition japonaise du jardin. Il serait intéressant de voir comment cette tradition se mêle à la pratique nouvelle de l’hortithérapie importée des Etats-Unis.

Les neurosciences à la rescousse

En 2013, Masahiro Toyoda avait participé à la conférence annuelle de l’American Horticultural Therapy Association (AHTA) où il était intervenu sur un thème tout à fait fascinant : l’activation du cortex préfrontal dans les activités de jardinage (semer, éclaircir, planter, arroser, désherber ou parler de légumes familiers), une étude réalisée grâce à la technique NIRS (Near Infra Red Spectroscopy ou spectroscopie proche infrarouge). Il avait permis à son auditoire de comprendre l’activité du cortex préfrontral pendant le jardinage et particulièrement l’importance de la conversation dans le jardinage. Il leur avait aussi montré les différences dans l’activation chez les personnes jeunes, les personnes âgées et les personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer. Un article scientifique sur ces recherches doit être publié prochainement.

Kenshi Nishino, médecin et hortithérapeute, spécialiste des démences

Kenshi Nishino, médecin et hortithérapeute, spécialiste des démences

En 2014, c’est un autre intervenant japonais qui a présenté ses travaux à la conférence de l’AHTA. Kenshi Nishino (HTR, MD, PhD) a en effet proposé une présentation sur la diminution des fonctions sensorielles avec l’âge et sur les changements constatés dans la circulation sanguine dans le cerveau lorsque la nature active les cinq sens. Avec la conclusion, inéluctable, que la nature permet de raviver ces sens et de récupérer des fonctions mentales et cognitives. Médecin et hortithérapeute certifié, Kenshi Nishino travaille avec des patients âgés atteints de démences. « Je suis médecin. Les patients ont besoin de la médecine quand ils sont malades. Mais la médecine conventionnelle n’est pas toujours efficace pour aider les patients à retrouver la santé. Je l’ai constaté dans ma pratique à l’hôpital (Kenshi Nishino a fondé son propre hôpital, le Nishino Hospital, NDRL). La nature nous donne le calme, la paix, le plaisir et la santé. J’avais donc envie de permettre leur guérison grâce à la nature. C’est pour cela que je suis devenu registered horticultural therapist », expliquait-il dans le AHTA News Magazine (volume 42, 1). Et qu’il est un fervent avocat des approches non-médicamenteuses dans le traitement de la démence au sein de la Japan Society for Dementia Prevention qu’il a fondée.

 Lectures recommandées

TOYODA, Masahiro. YAMANE, Hiroshi.(2008) Present Status of Horticultural Therapy Assessment and Issues in Japan – Analysis of Practical Reports and Research Paper. The Japanese Journal of Clinical Occupational Therapy.5(4).348-352.

TOYODA, Masahiro. YAMANE, Hiroshi.(2008) Approach of Horticultural Therapy Assessment –Validation by Using Awaji Horticultural Therapy Assessment Sheet (AHTAS) and Existing Measures for Evaluation. Bulletin of Human Health Science Graduate School of Medicine, Kyoto University (5)29-35.

Maison médicale Jeanne Garnier : des lits au jardin

Cette semaine, la parole est à Romain R., l’ingénieur en paysage que je vous avais présenté il y a quelques semaines. Merci, Romain, de partager cette expérience.

J’aimerais vous faire partager une expérience de quelques semaines qu’il m’a été donné de vivre à la maison médicale Jeanne Garnier à Paris. C’était l’année dernière, en 2014, dans le cadre d’un stage à l’agence environnementale spécialisée en gérontologie Alzhéa. Servane Hibon en est la paysagiste.

Je dois avant tout préciser que ce travail s’est inscrit dans une dynamique bien plus importante, dans le temps comme dans l’espace. Elle remonte au moins en 2010, année de la rencontre entre les bénévoles de l’Association des dames du calvaire et Servane Hibon. Il s’agissait alors de mettre en œuvre un projet d’aménagement qui soit entièrement participatif, avec les personnes accueillies volontaires et l’équipe soignante. L’accueil de jour accueille, une ou plusieurs journées par semaine, des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Pour cette année-là, le challenge concernait deux espaces terrassés de 200 m2, situés dans une pente se déclinant en une série d’escaliers et en un plan légèrement incliné, bien sûr accessible aux personnes à mobilité réduite. C’est aujourd’hui l’entrée principale, sous-sol et sur dalle, de l’accueil de jour.

Un lit dehors (photographie de l’auteur en juillet 2014)

Un lit dehors (photographie de l’auteur en juillet 2014)

Puis les choses se sont poursuivies. Des ateliers d’hortithérapie ont été mis en place. Un jardin potager, avec des bacs de jardinage en bois, des chaises et du mobilier adapté, l’ombre de superbes sculptures végétales en bambou, voit des ateliers transgénérationnels se développer. Notamment l’atelier ‘Arts et jardins’, qui associait une paysagiste (Montaine Bruslé, paysagiste DPLG et art thérapeute) à une psychomotricienne (je m’excuse sincèrement de ne pas connaître son nom.). Les bénévoles de l’association ‘Accompagner Ici et Maintenant’ profitent également des couleurs de capucines oran- gées. Voilà, rapidement résumées, quelques-unes des initiatives qui fleurissent autour de cet espace depuis cinq ans maintenant. Lorsque j’ai découvert ce lieu, ma première envie a été de longer les très beaux platanes et tilleuls pour aller voir ce qui se passait derrière les bâtiments. Quelle surprise lorsque j’y ai vu, dehors, des lits de malades affiliés au centre de soins palliatifs…

Ainsi, à Jeanne Garnier, le jardin est pensé comme un espace structuré autour des différentes unités et de leurs projets de vie respectifs.

Le mur et l’immeuble (photographie de l’auteur en juillet 2014)

Le mur et l’immeuble (photographie de l’auteur en juillet 2014)

Ce fut pour moi, dans le cadre du projet, la principale caractéristique du lieu. La seconde priorité me paraissait être de réfléchir sur la perméabilité de cet espace avec l’extérieur. Son intégration dans l’environnement alentour en quelque sorte, le paysage social, celui du quartier. J’ai entrepris une étude paysagère, j’ai regardé l’intégration du jardin dans la trame végétalisée du quartier, cherché à analyser les vues vers et depuis l’intérieur… J’ai pensé à l’urgence de concevoir, dans un contexte de vieillissement de la population française, particulièrement en milieu urbain, des espaces favorisant la mixité sociale par de nouveaux usages, de nouvelles pratiques. Et j’ai songé au paysage quotidien des personnes qui, demain, se réveilleraient derrière ce mur en pierres.

Lors de ma seconde venue, je me suis demandé comment les résidents de la maison médicale vivraient cette proximité avec leurs voisins. Le jardin, tout en reliant le Jardin-potager existant au Jardin-arrière, pourra contenir des réponses. À la fois refuge pour ces personnes dont les repères vacillent et lieu d’invention stimulant des initiatives aptes à transformer les menaces de la maladie en opportunités.

La suite répond donc aux attentes des résidents. Le projet d’aménagement s’est donc composé autour de la gamme suivante : deux cheminements linéaires, deux placettes. Une ballade sensorielle a été retenue. Elle fonctionnerait comme un parcours de senteurs dédié à la découverte olfactive. Par un passage au milieu de plantes annuelles et vivaces, les accueillis pourront découvrir diverses odeurs. J’ai pu proposer une partie de cette palette végétale. L’ouïe serait aussi stimulée simplement par des modules en verre coloré accrochés dans les arbres, attirant les oiseaux. Cosses de sarrasin, quartz, sable, co- quillages, galets de tailles et de couleurs différentes, marbre, grés, pouzzolane, schiste, ardoises, granit, écorces rouges et bambous ; des textures qui permettent notamment de stimuler l’attention sur l’action de marcher. On entre alors dans les objectifs de prévention de chute chez la personne accueillie. Le projet a aussi prévu la conception d‘une aire de repos, une sorte de chambre de verdure à caractère intimiste.

Photomontages d’intentions d’aménagement – Conception : Servane Hibon, Alzhéa

Photomontages d’intentions d’aménagement – Conception : Servane Hibon, Alzhéa

Photomontages d’intentions d’aménagement – Conception : Servane Hibon, Alzhéa

Photomontages d’intentions d’aménagement – Conception : Servane Hibon, Alzhéa

L’ensemble est aujourd’hui réalisé. Et la qualité de cet espace dépendra avant tout, bien-sûr, des manières dont les différents résidents se l’approprieront. Seul l’avenir donc pourra nous en dire quelque chose.

Ce projet m’a fait réaliser à quel point il était intéressant, en tant que paysagiste, de chercher à comprendre ce qui se passe dans le corps et entre le monde et le corps. D’ailleurs, l’architecture aussi fut, de tout temps et partout, vécue par l’intermédiaire d’un même médium qui est le corps. L’héritage de Le Corbusier en fait une référence. Et pourtant le corps lui-même n’a rien de standard. Non seulement il est tantôt grand, tantôt déformé ou autre. C’est ce que l’architecte Thomas Carpentier a soulevé récemment. Mais en plus les sensations diffèrent. Pour ma part, je crois donc que les projets de jardins de soin vont à l’encontre d’une certaine histoire de l’aménagement.

Et, en parallèle, on remarque qu’un marché autour de ce qui peut être des composants d’un jardin de soin se développe actuellement : circuits de psychomotricité, barres parallèles, divers mobiliers adaptés pour l’exercice physique. Le corps standard est oublié dans ces espaces. Mais qu’aurait-on gagné si l’ergonomie de ces espaces engendre le mimétisme ? C’est pour moi, qui suis sans expérience à long terme du terrain, le risque principal de ces installations. Je crois que le travail de créativité d’un paysagiste permet d’éviter cet écueil, même si des démarches spécifiques de concertation et d’appropriation doivent être mises en œuvre. Le projet de Jeanne Garnier me semble très réussi en ce sens. Il y règne une recherche d’une certaine harmonie végétal-minéral, cohabitation entre les plantes et les pierres du parcours de psychomotricité, entre les arbres et le mobilier en bois. Même si, une fois que l’ensemble des matériaux et des plantations sont en place, seuls les résidents et l’équipe soignante décident de leur devenir.

Je voudrais finir ce billet en évoquant le fait évident que, de plus en plus, la santé est un facteur majeur à prendre en compte pour l’aménagement de nos villes et de nos territoires. La société civile s’attend aussi à retrouver dans les décisions politiques la marque d’une préoccupation pour le bien‐ être social. Je pense que le paysage en est un signe majeur. Et que les jardins de soin comme celui de la maison médicale Jeanne Garnier sont donc porteurs de messages essentiels dans ce sens.

Le jardin est aujourd’hui visible, il est possible de s’y promener, l’espace étant ouvert au public à certains horaires. La maison médicale Jeanne Garnier est au 106, avenue Émile Zola dans le 15e arrondissement à  Paris.

Romain R.

Esquisse du plan d'aménagement - Conception : Servane Hibon, Alzhéa

Esquisse du plan d’aménagement – Conception : Servane Hibon, Alzhéa