Jardin, culture européenne et santé

Comme promis, une édition spéciale pour donner la parole à Nicole Brès, une hortithérapeute qui collabore souvent à ce blog  (natureenvilletherapie (at) gmail.com) et à Sylvain Hilaire, historien des jardins et des paysages. Un billet qui contient une invitation pour le 30 septembre. Merci à tous les deux. 

mosaique plantes Paradeisos

Savez-vous que chaque pays européen a un emblème végétal ? Et que la diversité des cultures et de l’histoire de l’Europe peuvent se relire par l’histoire des plantes ?

Savez-vous où se trouve le premier  » jardin citoyen européen » ?

Il se trouve devant la maison-musée de Jean Monnet à Bazoches, (propriété du Parlement européen) en cours d’installation par l’association Paradeisos – Jardins européens.

Untitled

Cette association est née en 2018 d’une initiative d’acteurs du monde des jardins, de la culture et du patrimoine, mais aussi de thérapeutes, chercheurs, professeurs, animateurs socio-éducatifs, pharmaciens-herboristes, écologues et spécialistes de l’environnement. Son domaine d’intervention est donc foncièrement intersectoriel et interdisciplinaire, avec l’ambition de combiner les approches culturelles, sociales, thérapeutiques et environnementales autour de la réalisation partagée de “jardins patrimoniaux”. Cela repose sur une méthode originale expérimentée à Port-Royal des Champs depuis les années 2000 (voir article précédent (Des patients hors les murs à Port-Royal des Champs), et dont le champ d’action a été élargi au niveau du patrimoine jardin et paysager européen.

Le jardin et le paysage constitutifs de l’identité européenne

2018.06.7 1

Le projet associatif part en effet du constat général que la relation au jardin et au paysage constitue une composante essentielle, et pourtant trop peu connue, partagée et valorisée comme telle, de l’histoire et de l’identité européenne. Elle défend aussi l’idée que cette riche culture européenne du jardin est un facteur central et agissant du bien-être individuel et collectif, qui répond à de nombreux enjeux de notre époque, tant dans le rapport à soi, à l’autre, que dans notre rapport à la mémoire, au temps et au vivant.

C’est donc assez naturellement que son premier projet emblématique a débuté dans les Yvelines sur le site de la Maison-Musée Jean Monnet, propriété du Parlement européen. Avec le soutien du Parc Naturel Régional de la Haute Vallée de Chevreuse* et de la DRAC Ile-de-France*, le projet consiste à créer un « jardin citoyen européen » avec des acteurs associatifs, des écoles et des centres médicaux-sociaux de la région.

Nicole Brès, hortithérapeute, et Sylvain Hilaire, historien des jardins et des paysages, président de l’association Paradeisos *, collaborent dans ce cadre pour l’animation du dispositif participatif de ce premier jardin citoyen européen.

Notre projet repose sur la création d’un jardin par les membres de l’association et par des ateliers  intergénérationnels. Pour animer ces ateliers, Paradeisos a fait appel à  Nicole Brès de Nature en ville thérapie. Ensemble jeunes et âgés interviennent autour de l’hémicycle du jardin pour aménager deux plate-bandes regroupant des plantes symboles des pays européens. Elles seront finies pour la journée d’inauguration, le 30 septembre toute la journée, un évênement festif auquel vous êtes tous conviés. Invitation à l’inauguration et directions pour  la maison-musée Jean Monnet.

C’est le média végétal et son rapport à l’histoire qui ont été mis en avant, comme expression de la diversité culturelle et naturelle de l’Europe, permettant de rassembler tous les pays dans un même lieu, dans une même terre. La spécialité de l’association Paradeisos consiste dans ce cadre à mettre en oeuvre et animer ces mediations culture-nature au service de la creation collaborative d’un jardin.

Ce jardin est-il à but thérapeutique?

2018.06.7 5

Améliore-t-il notre santé morale, physique et psychique?

Comme dans tout processus, il y a eu plusieurs phases dans cette interaction entre Culture et Nature : s’imprégner du lieu par un exposé historique (en classe) et une visite commentée (sur place). Puis un travail pédagogique sur les plantes symboles de chaque pays européen et sur le plan de plantation. Enfin la réalisation ensemble de deux demi-cercles autour de l’hémicycle existant.  Après chaque atelier, nous avons pris le temps, autour d’une infusion, de partager  nos ressentis et de parler de notre rencontre.

Il s’est passé dans ces moments ensemble, beaucoup plus qu’une simple plantation. Ces deux groupes, en se cotoyant autour du végétal et de l’histoire de l’Europe, ont créé un lien social bénéfique pour les deux générations.

En racontant aux jeunes le début de l’Europe et leurs souvenirs liés aux jardins, les plus agés ont travaillé leur mémoire, les plus jeunes leur écoute. Cette réalisation a développé la confiance des plus jeunes. Le plaisir de jardiner, nous l’avons vu sur tous les visages. Nous avons fait l’expérience collective du jardin comme espace agissant de ressourcement et de reconstruction.

Une fois convoqué, le génie du lieu a fait son oeuvre et de nouvelles perspectives s’ouvrent pour l’association Paradeisos, qui compte développer ses activités de créations participatives de jardins citoyens européens.

Association Paradeisos pour la valorisation des jardins et des paysages culturels européens.

* PNR : Parc Naturel Régional, pour Bazoches: de la Haute Vallée de Chevreuse

*DRAC: Direction régionale des affaires culturelles

 

Capture d_écran 2018-09-20 à 22.28.46

img_0276(2)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les jardins de soin comme objets d’étude

En France, des étudiants – de la licence à la thèse de doctorat – s’intéressent aux jardins de soin. En voici quatre exemples récents. Un bon signe, non ?

 

« L’hortithérapie, pratique thérapeutique non médicamenteuse, humaniste et innovante »

Sabrina Serres, par ailleurs lauréate du concours de la Fondation Truffaut cette année, a choisi le thème de l’hortithérapie pour son travail de fin d’études dans le cadre de la licence ABCD (Conseil et développement en agriculture biologique) qu’elle vient d’obtenir en septembre 2017. Voici son mémoire « L’hortithérapie, pratique thérapeutique non médicamenteuse, humaniste et innovante ». C’est un beau travail qui centralise énormément de rappels et de perspectives utiles pour ceux qui découvrent les jardins de soin et ceux qui sont convaincus de longue date. Bravo pour cette reprise d’étude. Et merci pour cet enthousiasme au service de cette pratique « qui nourrit le cœur et le corps » et qui permet « à des personnes en situation de fragilité de se sentir accompagnées par notre « Mère Nature », de se sentir entourées ou soutenues par elle », comme l’écrit Sabrina.

 

« Dans un jardin de soin, les patients cérébro-lésés cultivent-ils aussi des ressources psychologiques ? »

Voici un moment d’auto mise en avant un peu délicat. Dans le cadre de mon master 1 de psychologie, j’avais choisi de travailler à la Maison des Aulnes dont nous avons plusieurs fois visité le jardin sur ce blog, en particulier à travers l’expérience de son super animateur Stéphane Lanel. Ce mémoire de recherche s’intitule « Dans un jardin de soin, les patients cérébro-lésés cultivent-ils aussi des ressources psychologiques ? » Cette semaine, j’ai eu le plaisir d’aller présenter les résultats (qui n’ont pas nécessairement validé mes hypothèses) aux résidents, à l’équipe soignante et à quelques invités qui entretiennent des liens étroits avec le jardin. Deux choses m’encouragent : les réactions des résidents qui comprennent si bien le jardin et son intérêt, mais aussi Stéphane qui pense que le projet « aura, sans aucun doute, lancé une réflexion au sein de l’établissement sur la nécessité d’aller plus loin dans l’évaluation des bienfaits du jardin pour les résidents ». Allez-y, foncez !

 

« Intégration d’un jardin thérapeutique en établissement accueillant des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer et troubles apparentés »

Il y a un an exactement, je vous parlais du mémoire de Master 1 en Promotion et Gestion de la Santé soutenu par Arnaud Kowalczyk à l’Université de Tours en juin 2016. Vous pouvez le lire ici. Le rôle de l’institution reste indispensable pour faire avancer les choses.

 

« Les jardins thérapeutiques »

Un titre tout simple. Fin 2016, Romain Pommier a soutenu sa thèse « Les jardins thérapeutiques ». Interne en psychiatrie, il a initié le « Jardin des Mélisses » au CHU de Saint-Etienne dont il nous avait parlé lors de son inauguration. Le Jardin des Mélisses continue à vivre sa vie, y compris en hiver grâce à une toute nouvelle serre, et France Pringuey continue à y donner des formations aux équipes déjà très mobilisées. Voici un nouveau psychiatre absolument convaincu de l’intérêt des jardins thérapeutiques ! Sa thèse n’est pas disponible en ligne. Mais une publication résumant ses travaux doit paraitre très prochainement dans la revue psychiatrique Annales Médico-psychologiques… J’essaierai de partager la publication le moment venu.

 

« Port-Royal des Champs, haut lieu de mémoire : étude des jardins et des paysages culturels »

C’est un bonus. Cette autre thèse de doctorat d’histoire ne parle pas de jardins de soin proprement dit. Mais pour qui a déjà visité Port-Royal des Champs et eu le plaisir de converser avec Sylvain Hilaire, quel cadeau. Félicitations à Sylvain qui a soutenu sa thèse brillamment la semaine dernière, thèse entre les Universités Paris XIII/Sorbonne Paris Cité et Versailles St-Quentin/ Paris-Saclay, sous la direction de Marie-José Michel et Grégory Quenet. En voici le résumé.

Signalons aussi son « Etude-Bilan sur les expériences des jardins d’Utilités de Port-Royal des Champs » réalisée pour la Fondation de France (Prix Déclics-Jeunes) en 2005. Parmi ses jardins d’utilités, les expériences de jardin-thérapie menées à Port-Royal des Champs (Nicole Brès nous en avait parlé).

 

La revue Jardins consacre un numéro au soin

Marco Martella, fondateur de la revue Jardins aux éditions du Sandre (copyright Sébastien Soriano, Le Figaro)

Marco Martella, fondateur de la revue Jardins aux éditions du Sandre (copyright Sébastien Soriano, Le Figaro)

Il était en préparation depuis plusieurs mois et on attendait sa sortie avec impatience. Il est disponible en librairie et vous pouvez le commander sur le site des Editions du Sandre. Lui, c’est le numéro 6 de la revue Jardins que son fondateur Marco Martella consacre aux jardins qui soignent. Marco Martella, qui est historien et essayiste, a traduit et préfacé le traité du jardinier-philosophe anglais Jorn de Précy Le Jardin perdu. Il est également auteur du texte qui accompagne le court-métrage Empreintes, une promenade de 30 ans dans le Jardin des Tuileries réalisée par Hervé Bernard.

Marco Martella introduit ce numéro par ces mots. « Pourtant, le jardin ne nous offre-t-il pas la possibilité de rétablir un bien-être perdu et à reconquérir sans cesse ? Si nous nous éloignons, un moment, de la réalité quotidienne en ce lieu toujours propice à la vie, n’est-ce pas pour recouvrer un équilibre avec le monde, équilibre peut-être rêvé mais dont nous portons, enraciné en nous, le souvenir ? » ou encore « Plus que jamais, nous demandons aux jardins de nous remettre en présence d’une nature vivante, de nous indiquer, à nous les déracinés, coupés de la terre et donc de nous-mêmes, le chemin du retour, afin de restaurer une unité. Et cela par le geste le plus naturel qui soit, l’un des plus anciens que nous ayons appris : soigner. » Et enfin, « Le jardin soigne le jardinier qui soigne ses plantes. C’est un échange de bons procédés, une sympathie ou une solidarité instinctive qui lie entre elles toutes les formes de vie. » Cela devrait vous rappeler la biophilie évoquée la semaine dernière…

JardinsParmi les 14 auteurs qui ont contribué de beaux textes pour ce numéro, les lecteurs de ce blog en reconnaitront plusieurs, de Michel Racine à Jean-Paul et Anne Ribes, de Jay Rice à Romain Rioul, de Bernard Beck à Sylvain Hilaire. Mais que de belles découvertes aussi. Dans un monde où le dehors est devenu étrange et étranger, le paysagiste Michel Péna milite par exemple pour que l’œuvre du paysagiste considère le public comme sujet qui peut vivre l’amour du paysage de façon charnelle. Les auteurs apportent des perspectives intellectuelles ou sensuelles, françaises ou d’ailleurs (voir l’entretien « Ethnopharmacologie, chamanisme et thérapeutique » avec le docteur Jacques Fleurentin). Vous qui vous intéressez aux jardins qui soignent, vous qui peut-être jardinez avec des malades, vous pourriez très bien continuer sans lire ces textes. Mais ce serait dommage de se priver de ces réflexions riches et multiformes. Il y a fort à parier qu’un de ces textes fera écho en vous, vous ouvrira une piste insoupçonnée, nourrira votre pratique.

Je ne vous mentirai pas. Je n’ai pas encore lu la revue entière, mais je voulais vous en parler aussi vite que possible. Elle a pris place sur ma table de chevet aux côtés de Walden de Henry David Thoreau, acheté impulsivement samedi dernier comme un antidote au chaos ambiant. Je suis impatiente de découvrir progressivement l’un et l’autre.

 

Agenda des sorties des jardins de soin

Mise à jour

21 mars, journée de soutien au Bois Dormoy à Paris

Bois Dormoy affiche21mars

Je vous ai déjà parlé du Bois Dormoy, un espace social et sauvage dans le 18e arrondissement, menacé de disparition. Ce samedi, fête de soutien pour les petits et pour les grands (voir l’affiche ci contre pour le programme). Dans la jungle urbaine, les espaces où la nature reprend ses droits et accueille les urbains en manque ne sont pas si nombreux. On comprend que tous ceux qui aiment cet endroit veuillent le sauver. Bombes à graine, illuminations aux bougies à la nuit tombante, table ronde, dinette biologique, arbre à voeux, le programme est tentant, avec un grain de folie qui va bien au Bois Dormoy.

19 mars et 28-29 mars, Niort (79)

Le conseil général des Deux-Sèvres et la Société d’Horticulture des Deux-Sèvres proposent une conférence « Jardins de bien-être, jardins de soin » animée par Michel Racine le jeudi 19 mars à 20h00 à la Maison du Département à Niort. Tous les détails ici. La conférence sera suivie les 28 et 29 mars par le Printemps aux jardins (32e fête des plantes) organisé par la Société d’Horticulture des Deux-Sèvres toujours avec un programme axé sur les « jardins, sources de bien être » au parc des expositions de Niort.

Samedi 4 avril, Port-Royal des Champs (78)

Gilles ClémentNicole Brès et moi sommes fans de Port-Royal des Champs que nous avions visité en mai dernier et où Nicole était retournée pour rencontrer des patients hors les murs. Début mars, nous avons récidivé en compagnie de Romain R.  et c’est toujours un plaisir de retrouver cet endroit magique et de revoir Sylvain Hilaire, historien et responsable du centre de Ressources et d’Interprétation du musée national de Port-Royal-des-Champs, qui en parle avant tant d’érudition et de passion. Si vous cherchez une excuse pour visiter ce secret bien gardé, haut lieu de l’alliance entre « la plume et la bêche », vous pourriez prendre comme prétexte la rencontre programmée le samedi 4 avril de 15h00 à 17h00 avec Frédérique Basset, auteure d’une biographie de Gilles Clément intitulée « Les 4 saisons de Gilles Clément : Itinéraire d’un jardinier planétaire ». Tous les détails sur le site du musée.

La revue Jardins consacre un numéro au soin par le jardin

Dans son numéro attendu dans quelques semaines, la revue Jardins (éditions du Sandre) donne la parole à un panel d’auteurs sur le sujet qui nous tient à cœur. Sous la direction de Marco Martella et avec l’aide de Sylvain Hilaire, ce numéro devrait fourmiller de textes plus intéressants les uns que les autres. On est impatients de les lire. Pour découvrir les numéros passés et suivre la parution, la page dédiée à la revue.

«Jardins, médecines et santé» à Port-Royal des Champs

Une vue de Port-Royal des Champs.

Une vue de Port-Royal des Champs.

Port-Royal des Champs, quelle découverte ! Je ne m’aventurerai pas à raconter les 800 ans d’histoire de cet endroit connu comme un haut lieu du jansénisme aujourd’hui transformé en musée national. Un lieu chargé d’histoire et noyé dans la verdure au cœur de la vallée de Chevreuse, un miracle presqu’inimaginable à 30 minutes de la Place de l’Etoile. De notre point de vue, il suffit de savoir que Port-Royal en tant qu’abbaye a une longue tradition de jardins et du soin de la personne par le jardin. Jardins de médecine considérés comme une « pharmacie à ciel ouvert », dès le Moyen-Age. « Au 17e siècle, c’est un lieu qui questionne et on y voit l’élaboration des modes de pensées actuelles. C’est un lieu qui participe à l’évolution de la pensée médicale et horticole », explique Sylvain Hilaire, historien affilié au Centre de ressources et d’interprétation du Musée et organisateur de ces rencontres. Sur le thème « Jardins, Médecines et santé », il avait assemblé le samedi 24 mai des intervenants qui ont fait le grand écart entre la médecine médiévale et la pratique contemporaine des jardins de soin.

Le pouvoir des plantes au Moyen-Age

Mandragore dans le Tacuinum Sanitatis, un manuel médiéval sur la santé basé sur un traité médical arabe.

La mandragore dans le Tacuinum Sanitatis, un manuel médiéval sur la santé basé sur un traité médical arabe.

Bernard Beck, professeur d’histoire de l’art à l’université de Caen, a débuté avec une présentation intitulée « L’herboriste, l’apothicaire et la sorcière », une exposition savante sur les abbayes en tant que centres de diffusion de savoir médical et botanique au Moyen-Age. Les plantes médicinales sont alors connues sous le nom de simples ou simples médecines. Il a par exemple évoqué Hildegarde de Bingen, religieuse bénédictine et médecin du 12e siècle, qui a recensé les utilisations de 300 plantes, indigènes et importées, en cuisine et en pharmacie. « Mettre la nature au service des hommes est un souci de Dieu qui donne la possibilité de soigner », explique-t-il. Mandragore, sauge, encolie, racine de lys, rue, fenouil, chaque plante a ses applications. La sauge est particulièrement versatile, d’ailleurs son nom ne vient-il pas du latin salvare (guérir, sauver) ?

« Les jardins thérapeutiques ne sont pas des machines à guérir »

Béatrice Saurel et Michel Racine

Béatrice Saurel et Michel Racine

Michel Racine et Béatrice Saurel ont pris la relève de l’historien. Michel Racine, architecte et urbaniste de formation, a déploré la vision mécaniste de la médecine qui a mené à « un urbanisme des lieux de soin oublieux de notre désir de contact avec la nature ». Pour expliquer son intérêt pour le jardin de soin, il relate plusieurs expériences personnelles : un réveil à l’hôpital après un coma, des cours d’urbanisme à des infirmières, un premier projet dans une maison de retraite qui n’aboutira pas, l’hospitalisation en psychiatrie d’un proche dans un établissement où le jardin a disparu sous un parking et enfin l’histoire de sa propre mère qui, à 100 ans, entretient encore des dizaines de plantes et ne songerait pas à abandonner sa garden party. « Ehpad et pas d’jardin », lance-t-il. Il décrit avec horreur ces ensembles de type hôtelier avec une pelouse, un grillage, un interphone, un parking et la télé. « Les Ehpad investissent 30 000 euros dans des salles de stimulation sensorielle sans compter la formation. A ce prix-là, on peut se payer des jardins et des jardiniers », ironise-t-il.

Lui aussi remonte plusieurs siècles dans le passé pour évoquer les hôpitaux et les hospices avec leurs vergers, leurs potagers et leurs élevages qui étaient cependant des antichambres de la mort où les patients vivaient dans des conditions effroyables. « Au 17e siècle, le regard sur le corps humain a changé avec les progrès des sciences et de la médecine. » Il cite Tenon et son mémoire sur les hôpitaux de Paris et l’ouvrage « Les machines à guérir, aux origines de l’hôpital moderne » de Foucault. Mais depuis les années 90, l’architecte perçoit une renaissance du jardin dans les établissements de santé aux Etats-Unis et en Angleterre (les healing gardens, « Cultivating Sacred Space : Gardening for the Soul » d’Elizabeth Murray, les travaux de Clare Marcus Cooper). Pourtant il prévient que les jardins de soin ne sont pas des outils, pas de nouvelles machines à guérir…

« Bien sûr nous devons concevoir des jardins adaptés aux handicaps, mais il faut se méfier des  termes de jardin « thérapeutique » ou « de soin ». Ces termes peuvent être utiles pour alerter sur la nécessité d’une prise en compte du soin, mais à l’intérieur d’une réflexion sur des espaces de vie, en évitant les dérives fonctionnalistes. On ne devrait les utiliser que pour souligner une dimension du jardin à prendre en compte à l’intérieur d’une réflexion sur le temps et l’espace des maisons de retraite et les établissements de santé », m’avait-il expliqué par email il y a quelques semaines, avant cette rencontre à Port-Royal.

Trois jardins de soin de l’équipe Racine-Saurel

Après la théorie, il laisse à Béatrice Saurel, une plasticienne qui est sa collaboratrice et sa compagne, le soin de parler de leurs réalisations communes. Il y a d’abord eu un premier projet, Le Jardin des 4 saisons à Auxonne, où la demande venait d’un animateur dans un foyer de vie. Grillages qui se font oublier derrière des éléments colorés, jardinières fabriquées avec les résidents, buttes et bosquets pour se réfugier, cabanes pour les oiseaux, espaces pour s’asseoir et converser ou au contraire être seul. Ce jardin qui veut changer le regard sur le handicap s’ouvre vers l’extérieur, en particulier grâce au parrainage des Jardins de Barbirey tout proches. C’est l’époque de Jardin, Art et Soin.

Le Jardin des Portes Vertes de Chailles (photo Béatrice Saurel)

Le Jardin des Portes Vertes de Chailles (photo Béatrice Saurel)

Depuis, les deux partenaires ont animé en juillet 2011 une formation à Chaumont sur Loire qui débouchera sur le Jardin des Portes Vertes de Chailles dont j’ai déjà parlé. Ils sont aujourd’hui engagés dans un nouveau projet, le Fruticetum à Saint Valery sur Somme. « C’est une extension de l’Herbarium, jardin créé par des retraités sur l’emplacement de l’ancien jardin de l’hôpital (classé jardin remarquable) », m’avait écrit Michel Racine il y a quelque temps. « Le Fruticetum comportera un espace spécifique pour le jardinage des personnes handicapées mais c’est la totalité de ce nouveau jardin, avec sa pergola, son cloître de verdure, ses arbres fruitiers bien sûr, sa « bâche » (un bassin évoquant les bassins de la Baie de Somme), ses différents coins abrités, qui sera à la fois le jardin des résidents de l’EHPAD et des convalescents de l’hôpital (situés de l’autre côté de la rue) et celui des visiteurs. Le jardin sera pour les résidents une occasion de sortir et de socialisation, deux objectifs essentiels, donc un jardin, à part entière, un vrai jardin. »

Anne et Jean-Paul Ribes me pardonneront de ne pas trop m’étendre sur leur présentation car de nombreux billets ont déjà relaté leur conception des jardins de soin, leurs réalisations de la Pitié-Salpétrière à la Maison des Aulnes, et leur formation à Chaumont. Je voudrais simplement dire que l’un des plaisirs de ces rencontres de Port-Royal a justement été d’assister à un véritable échange entre ces deux couples emblématiques dont les idées divergent parfois sur l’approche du jardin de soin.

Expériences locales : Marcel Rivière, Jardin de Cocagne et Centre Athena

Le jardin de l'Institut Marcel Rivière à Port-Royal des Champs.

Le jardin de l’Institut Marcel Rivière à Port-Royal des Champs.

Une table ronde finale a permis de raconter trois expériences locales. L’Institut Marcel Rivière à la Verrière (Yvelines) est un établissement psychiatrique fondé sur les principes de l’hôpital ouvert, de la thérapie active et de la psychothérapie institutionnelle. Dans le parc du château qui héberge l’Institut Marcel Rivière, il y a des jardins. Ce sont des soignants qui aiment jardiner (des ergothérapeutes, des sociothérapeutes,…) qui s’en occupent. Les patients circulent, rencontrent les jardiniers. Il y a une dizaine d’années, des patients de Marcel Rivière ont commencé à prendre leurs vélos pour traverser la forêt et venir à Port-Royal où, avec le concours de Sylvain Hilaire et des bénévoles de l’association les Amis du Dehors, ils jardinent. A partir d’un no-man’s land envahi d’orties et de ronces, un projet de carré clos avec quatre portes aux points cardinaux a été élaboré. « On construit un jardin pour se reconstruire. Ici, on travaille sur le symbolique. Le rapport aux bénévoles est moteur pour les patients », expliquent les représentantes de l’institut. Tous les ans, un nouveau groupe entretient le jardin et travaille sur un nouveau projet.

Alain Gérard est le directeur des Jardins de Cocagne de Saint-Quentin-Buloyer. On connaît le principe de ces jardins d’insertion. Il rappelle que les jardiniers des Jardins de Cocagne se heurtent à des blocages intérieurs. « Le jardin est un moyen car il ne juge pas. » Récemment, il a lancé une initiative avec des salariés (un grand labo français à essuyer les plâtres) qui se retrouvent au Jardin de Cocagne pour recréer de la cohésion entre eux, avec les jardiniers comme facilitateurs. Quant au Centre Athena, il propose à des jeunes en difficulté de Saint-Quentin-en-Yvelines un éveil à la citoyenneté. Depuis 2010, le centre a son jardin à Port-Royal, une activité pour découvrir la nature et s’ancrer. En pleine transformation, le jardin sera bientôt capable d’accueillir des fauteuils roulants et comprendra un jardin de plantes médicinales. La boucle est bouclée…

Le jardin des Amis du Dehors à Port-Royal des Champs. C'est une interprétation des jardins médiévaux, pas une reproduction. Mais on n'y trouve aucune plante postérieure au 17e siècle!

Dans les jardins entretenus par les Amis du Dehors à Port-Royal des Champs, aucune plante inconnue des résidents au 17e siècle!

En conclusion, Edith Heurgon, directrice du Centre culturel international de Cerisy, a fait un bilan de la journée. « Les jardins ont une capacité à soigner la société en apportant sérénité et équilibre. Ils sont aussi un facteur d’intégration sociale et de liens. Ce sont des oasis de décélération et une école de la patience. » Puis les participants ont fait un tour au jardin, sous le soleil enfin revenu, avant de se retrouver autour d’une tisane apaisante.