Les jardins de soin comme objets d’étude

En France, des étudiants – de la licence à la thèse de doctorat – s’intéressent aux jardins de soin. En voici quatre exemples récents. Un bon signe, non ?

 

« L’hortithérapie, pratique thérapeutique non médicamenteuse, humaniste et innovante »

Sabrina Serres, par ailleurs lauréate du concours de la Fondation Truffaut cette année, a choisi le thème de l’hortithérapie pour son travail de fin d’études dans le cadre de la licence ABCD (Conseil et développement en agriculture biologique) qu’elle vient d’obtenir en septembre 2017. Voici son mémoire « L’hortithérapie, pratique thérapeutique non médicamenteuse, humaniste et innovante ». C’est un beau travail qui centralise énormément de rappels et de perspectives utiles pour ceux qui découvrent les jardins de soin et ceux qui sont convaincus de longue date. Bravo pour cette reprise d’étude. Et merci pour cet enthousiasme au service de cette pratique « qui nourrit le cœur et le corps » et qui permet « à des personnes en situation de fragilité de se sentir accompagnées par notre « Mère Nature », de se sentir entourées ou soutenues par elle », comme l’écrit Sabrina.

 

« Dans un jardin de soin, les patients cérébro-lésés cultivent-ils aussi des ressources psychologiques ? »

Voici un moment d’auto mise en avant un peu délicat. Dans le cadre de mon master 1 de psychologie, j’avais choisi de travailler à la Maison des Aulnes dont nous avons plusieurs fois visité le jardin sur ce blog, en particulier à travers l’expérience de son super animateur Stéphane Lanel. Ce mémoire de recherche s’intitule « Dans un jardin de soin, les patients cérébro-lésés cultivent-ils aussi des ressources psychologiques ? » Cette semaine, j’ai eu le plaisir d’aller présenter les résultats (qui n’ont pas nécessairement validé mes hypothèses) aux résidents, à l’équipe soignante et à quelques invités qui entretiennent des liens étroits avec le jardin. Deux choses m’encouragent : les réactions des résidents qui comprennent si bien le jardin et son intérêt, mais aussi Stéphane qui pense que le projet « aura, sans aucun doute, lancé une réflexion au sein de l’établissement sur la nécessité d’aller plus loin dans l’évaluation des bienfaits du jardin pour les résidents ». Allez-y, foncez !

 

« Intégration d’un jardin thérapeutique en établissement accueillant des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer et troubles apparentés »

Il y a un an exactement, je vous parlais du mémoire de Master 1 en Promotion et Gestion de la Santé soutenu par Arnaud Kowalczyk à l’Université de Tours en juin 2016. Vous pouvez le lire ici. Le rôle de l’institution reste indispensable pour faire avancer les choses.

 

« Les jardins thérapeutiques »

Un titre tout simple. Fin 2016, Romain Pommier a soutenu sa thèse « Les jardins thérapeutiques ». Interne en psychiatrie, il a initié le « Jardin des Mélisses » au CHU de Saint-Etienne dont il nous avait parlé lors de son inauguration. Le Jardin des Mélisses continue à vivre sa vie, y compris en hiver grâce à une toute nouvelle serre, et France Pringuey continue à y donner des formations aux équipes déjà très mobilisées. Voici un nouveau psychiatre absolument convaincu de l’intérêt des jardins thérapeutiques ! Sa thèse n’est pas disponible en ligne. Mais une publication résumant ses travaux doit paraitre très prochainement dans la revue psychiatrique Annales Médico-psychologiques… J’essaierai de partager la publication le moment venu.

 

« Port-Royal des Champs, haut lieu de mémoire : étude des jardins et des paysages culturels »

C’est un bonus. Cette autre thèse de doctorat d’histoire ne parle pas de jardins de soin proprement dit. Mais pour qui a déjà visité Port-Royal des Champs et eu le plaisir de converser avec Sylvain Hilaire, quel cadeau. Félicitations à Sylvain qui a soutenu sa thèse brillamment la semaine dernière, thèse entre les Universités Paris XIII/Sorbonne Paris Cité et Versailles St-Quentin/ Paris-Saclay, sous la direction de Marie-José Michel et Grégory Quenet. En voici le résumé.

Signalons aussi son « Etude-Bilan sur les expériences des jardins d’Utilités de Port-Royal des Champs » réalisée pour la Fondation de France (Prix Déclics-Jeunes) en 2005. Parmi ses jardins d’utilités, les expériences de jardin-thérapie menées à Port-Royal des Champs (Nicole Brès nous en avait parlé).

 

Création d’un jardin : le point de vue institutionnel

« Intégration d’un jardin thérapeutique en établissement accueillant des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer et troubles apparentés ». C’est le titre du mémoire de Master 1 en Promotion et Gestion de la Santé soutenu par Arnaud Kowalczyk à l’Université de Tours en juin 2016. Vous pouvez le lire en intégralité ici.

Lorsque Paule Lebay m’a parlé du travail en cours d’Arnaud Kowalczyk, mon intérêt a été immédiat. Car si les étudiants en paysagisme se penchent de plus en plus sur les jardins thérapeutiques, c’était la première fois que j’entendais parler d’un étudiant issu du monde de l’administration des établissements intéressé par le sujet. Précisément, ce master prépare « des professionnels capables d’initier, de développer ou d’évaluer des programmes d’action en prévention et promotion de la santé efficaces et efficients » et « des professionnels sachant mettre en œuvre une gestion et un management performants au niveau de structures sanitaires et/ou sociales. » Nous aimons à dire que les animateurs de jardin devraient idéalement combiner une approche du soin et une approche du végétal. Bien sûr, mais les responsables d’établissements ont évidemment un poids très important dans la création et le succès des projets de jardins. Arnaud Kowalczyk plaide pour le besoin d’une reconnaissance institutionnelle.

Le mémoire d’Arnaud Kowalczyk commence très bien. J’ai été sensible à son rappel de la définition de la santé selon l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) : « un état complet de bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité ». Comme il l’écrit, « Il est important de rappeler cette définition qui va nous permettre de nous focaliser non pas sur la maladie d’Alzheimer ou des troubles apparentés de façon médicale et scientifique en institution, mais plutôt de l’amélioration du bien-être chez les personnes souffrant de cette pathologie et troubles associés. Ainsi, la santé environnementale définie par l’OMS, nous rappelle le rôle des facteurs environnementaux, de la qualité de vie, dans la maladie et dans l’amélioration de celle-ci ou du moins, du maintien du bien-être. »

Le mémoire s’articule autour de deux axes : les dimensions et finalités du jardin thérapeutique au niveau institutionnel pour lesquels l’auteur s’est appuyé sur la littérature et des entretiens, et la réflexion sur un jardin thérapeutique en établissement menée dans le cadre de son stage en accueil de jour.

L’auteur rappelle les différents plans qui peuvent servir de leviers d’action :

  • le plan Alzheimer de 2008-2012 dont la mesure 33 prévoit l’amélioration de l’évaluation des thérapies non médicamenteuses
  • le plan maladies neurodégénératives 2014-2019 et sa mesure 83 qui encourage une prise en charge « tournée vers des liens sociaux conservés évitant un sentiment de frustration, d’isolement pour les personnes atteintes de maladies neurodégénératives »
  • la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement qui doit favoriser la modernisation des établissements avec des bâtiments lumineux, végétalisés, dans le respect des besoins des personnes âgées et du personnel soignant…

 

Ambigüité législative et institutionnelle

L’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) souffle le chaud et le froid : ses bonnes pratiques mentionnent « la liberté d’aller et venir, précisant que l’accès libre à un espace extérieur sécurisé et clos (jardin, terrasse) est recommandé et permet la déambulation en toute sécurité ». Mais en parallèle, l’agence rappelle qu’aucune intervention non médicamenteuse n’a apporté la preuve de son efficacité sur l’évolution de la maladie et elle se garde de mentionner explicitement le recours aux jardins thérapeutiques. Même chose du côté de la Haute Autorité de Santé. « Nous apercevons ici l’ambigüité législative, institutionnelle, quand il s’agit d’évoquer le jardin. Institutionnaliser le jardin de soin permettrait de légitimer la pratique et d’encourager les décideurs à plus de vigilance sur l’importance d’un espace pour que s’expriment les émotions, les besoins, les envies des bénéficiaires mais aussi des soignants parfois frileux à l’idée de pénétrer dans un espace non médicalisé. La rigueur de l’évaluation des traitements médicamenteux ne permet pas d’exposer aujourd’hui les évaluations souvent qualitatives des thérapies non-médicamenteuses », écrit Arnaud Kowalczyk. Ces approches sont encouragées, mais de fait marginalisées faute d’avoir fait la preuve de leur efficacité…

Après avoir fait état des associations qui œuvrent dans ce domaine – l’incontournable Belles Plantes d’Anne et Jean-Paul Ribes, la Fondation Truffaut, l’association Jardins & Santé, la Fondation de France et la fondation Médéric Alzheimer -, l’auteur s’est lancé dans un recensement des établissements accueillant des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer qui offrent un jardin thérapeutique dans le département d’Indre-et-Loire. Sur 48 établissements figurant dans le Fichier National des Établissements Sanitaires et Sociaux (FINESS), il a réussi grâce à des appels téléphoniques à identifier 15 établissements possédant un jardin thérapeutique (souvent mal connu). Signe d’espoir, plusieurs établissements lui ont répondu qu’un projet était en phase de conception. Cette méconnaissance est-elle due à au manque de visibilité des jardins thérapeutiques et la formation pourrait-elle aider ? C’est la question que l’auteur se pose en constatant, comme nous tous, que la formation est encore très embryonnaire en France. Parmi les finalités du jardin (ce que nous aurions tendance à appeler les bienfaits), Arnaud Kowalczyk liste la sociabilité, le sentiment d’utilité sociale, la spiritualité et l’imaginaire, la thérapeutique cognitive et la thérapeutique physique et sensorielle.

Réflexion dans un accueil de jour en Touraine

Dans la seconde partie du mémoire, l’auteur partage l’expérience de son stage d’un mois au sein de l’accueil de jour Relais Cajou à Ballan-Miré près de Tours qui accueille des personnes présentant des troubles mnésiques et vivants à domicile. Les Relais Cajou, gérés par la Mutualité Française, ont pour objectif d’offrir une ambiance conviviale, non médicalisée et non stigmatisante. Alors qu’un autre Relais Cajou proche (Chambray-Lès-Tours) possède déjà un jardin potager, celui de Ballan-Miré, direction et personnel confondu, a exprimé la volonté de concevoir un jardin thérapeutique dans un espace vert existant. Dans le cadre de son stage, l’auteur a participé à l’élaboration du projet. Avec l’équipe, il identifie plusieurs objectifs généraux :

  • Stimulation des cinq sens, le renforcement de la proprioception et la consolidation des conduites motrices.
  • Proposer un espace de déambulation extérieur, un but de sortie.
  • Favoriser le lien social entre l’équipe professionnelle et les bénéficiaires.

Et plusieurs objectifs spécifiques :

  • Stimuler la motricité par le travail de la terre et des outils et la marche.
  • Stimulation cognitive avec l’activité calendrier et le rappel des noms de plantes, fleurs, ce qui a été planté.
  • Stimulation visuelle et orientation temporo-spatial par cet espace de déambulation.
  • Travailler sur la réminiscence.

 

Après avoir défini les points à couvrir dans l’étude de faisabilité technique, financière et environnementale, l’auteur regrette que l’avancée du projet ait été limitée par la durée du stage même si un potager a bien été planté au printemps. Dans la dernière partie du mémoire, il s’attarde sur quelques limites humaines (la légitimité du jardin comme support au sein, l’absence de formation, le manque de temps, la peur d’un support que les soignants ne maitrisent pas) et organisationnelles (le financement, implication au long terme du personnel, les normes de sécurité et d’hygiène imposées, les freins à la consommation de la production hors d’une cuisine thérapeutique).

Et le mémoire se conclut sur ce constat. « Car, en dépit du mouvement engagé pour l’intégration des jardins dans les établissements, la dichotomie entre le soin et la nature freine l’investissement dans les formations et l’implantation en structure. Notre travail ne s’inscrit pas dans la médicalisation du jardin thérapeutique car une banalisation dans la création des jardins qui se voudrait standardisée et normée ferait perdre tout le potentiel de cet espace. L’intégration d’un jardin thérapeutique vient donc par son essence même accompagner le soigné et prendre soin de celui-ci. »

En conclusion, on sent qu’Arnaud Kowalczyk veut croire au futur des jardins thérapeutiques tout en restant conscient des obstacles à leur acceptation institutionnelle.