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Voici un article publié sur le site d’infos Rue 89 il y a quelques mois. Matthieu Piffeteau offre un bon résumé de la situation de l’hortithérapie ou thérapie horticole en France et dans les pays anglo-saxons. C’est le genre d’articles que j’aime lire car il m’encourage à penser que la France commence à s’intéresser au sujet.

http://www.rue89.com/rue89-planete/2012/03/27/lhortitherapie-ou-comment-imaginer-le-jardin-qui-soigne-230575

Des enfants maltraités aux personnes âgées fragilisées

Patty Cassidy

Patty Cassidy est venue à la thérapie horticole par le biais de l’éducation. D’abord enseignante en primaire et conseillère d’orientation dans une université, elle obtient une maitrise en thérapie (counseling) et devient conseillère d’éducation dans un lycée. Quand elle découvre la thérapie horticole, elle peut enfin fusionner ses multiples intérêts en une profession qui la comble.

Comme Anna Schopp que nous avons rencontrée la semaine dernière, Patty a suivi une formation au Legacy Health System à Portland où elle vit. Elle obtient son « certificate » en 2007, puis devient une « registered horticultural therapist » en 2009 sous la houlette de Teresia Hazen. Teresia est une des figures les plus connues et les respectées du mouvement de la thérapie horticole et des jardins thérapeutiques.

Depuis, Patty applique ses connaissances auprès de deux groupes de participants bien différents, des personnes âgées dans des maisons de retraite médicalisées et de très jeunes enfants maltraités. Des participants à deux extrêmes de la vie, mais qui trouvent tous des bénéfices à travailler avec la terre, à faire pousser des plantes et à récolter le fruit de leurs efforts.

Les personnes âgées sèment des graines, confortablement assises

« Les maisons de retraites embauchent des gens comme moi pour aider leurs résidents à jardiner. Dans les maisons où j’interviens, je travaille avec des résidents frêles, mais capables de travailler dans le jardin et je vois aussi des résidents dans des unités spécialisées dans la maladie d’Alzheimer et la démence », explique Patty qui, en tant que travailleuse indépendante, intervient dans plusieurs établissements.

« Avec les résidents dans l’unité mémoire, les activités sont à l’intérieur et sont programmées en fonction de la saison. A Noël par exemple, j’amène des paniers pleins de cônes. On discute des différences et des similarités entre les cônes. Cela encourage les souvenirs. L’été, je peux amener des légumes du marché. On parle de la façon dont ils préparaient ces légumes », explique la thérapeute. Les personnes âgées qui sont plus indépendantes travaillent dans le jardin dans des platebandes surélevées (raised beds). « Nous plantons et semons des légumes, des herbes et des fleurs. Pour les légumes, ce sont surtout des choses que nous pouvons manger crues comme des tomates, des radis. Avec des poivrons et des tomates, nous pouvons une salsa sans cuisson. »

Une activité avec des fleurs séchées en maison de retraite.

Les bénéfices pour les participants coulent de source. « Ils sont dehors et au soleil. L’activité les fait sortir de leur chambre et rompt l’isolement. Ils font quelque chose ensemble, ce n’est pas comme regarder la télé. Il est plus difficile de mesurer les bénéfices physiques. Ils ne font pas un travail très physique. Mais ils se passent des objets, ils ont les mains dans la terre », explique Patty.

Les enfants maltraités avec lesquels travaillait Patty Cassidy adorent le moment de la récolte.

Les enfants avec lesquels travaillait Patty une fois par semaine étaient très jeunes (ce programme est pour l’instant arrêté par manque de financement). Ils avaient entre 3 et 6 ans et vivaient souvent dans une famille d’accueil. Le programme dont lequel intervenait Patty fait partie d’une agence composée de thérapeutes, d’assistantes sociales et d’enseignants spécialisés qui fixent des objectifs thérapeutiques à chaque enfant.

« Beaucoup avaient peur de la nature, les insectes étaient des ennemis. Au début, j’avais beaucoup de mal à les empêcher d’essayer de tuer les araignées ou les papillons. Ils ont dû apprendre à venir se confier à un adulte s’ils avaient peur, parfois nous devions enlever la bestiole. » Une autre technique consistait à observer les insectes dans un bocal en verre avec une loupe, en toute sécurité. Patty expliquait aux enfants en quoi chaque insecte est bénéfique.

Chaque enfant avait un petit carré de terre où il plantait des tournesols, des radis, des baies (framboises, myrtilles, fraises). Des pommes de terre étaient plantées dans des grands containers. « Je leur apprenais à récolter sans arracher la plante. Ils aimaient plonger les mains dans la terre des containers et en retirer les pommes de terre. Ils étaient ravis. » Si un oiseau passait dans le ciel, il devenait un sujet de discussion. « Mon objectif était de les mettre à l’aise avec la nature, de les rendre plus observateurs. Je voulais qu’ils soient heureux dehors. Je voulais aussi mettre de la beauté dans leur vie. »

Les enfants plantaient des fleurs, des légumes, des fruits.

« Il fallait prendre quelques précautions. Tous les outils étaient en plastique car ils se tapaient parfois dessus. Il fallait toujours faire attention que la porte du jardin soit fermée. Les séances étaient souvent chaotiques et chaque enfant était différent en fonction de sa journée.»

Patty a assez à faire et ne cherche pas à essaimer ses programmes dans d’autres lieux. Elle est d’ailleurs aussi occupée par le projet Friends of the Portland Memory Garden qu’elle préside. Ce jardin ouvert au public a été conçu pour les personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer et de démence. Avec ses fleurs et ses plantes des quatre saisons, il est propice à la stimulation des sens et des souvenirs. Les aidants sont aussi encouragés à venir s’y ressourcer. Elle a également écrit un livre intitulé Gardening for seniors. Pas étonnant qu’elle soit très occupée…

Rencontre avec Anna Schopp, une « registered horticultural therapist »

Anna Schopp dans son jardin

La passion d’Anna Schopp pour le jardinage a pris plusieurs chemins en 20 ans avant qu’elle ne devienne une « registered horticulture therapist ». Aujourd’hui, elle combine son intérêt pour le jardinage et pour la thérapie en aidant des personnes âgées à rester actives et impliquées. « Ma récompense, c’est quand l’intérêt des participants s’éveille », résume-t-elle.

D’abord attirée par le paysagisme, Anna suit des cours à l’université de Berkeley. Mais elle recherche dans le jardinage un lien humain plus fort. Elle passe déjà beaucoup de temps au San Francisco Botanical Garden où, en tant que bénévole, elle acquiert de solides connaissances en horticulture. D’ailleurs, elle guide toujours des groupes d’enfants à la découverte des différents univers représentés dans ce magnifique jardin au cœur du Golden Gate Park. « Ils adorent toucher et sentir les choses. Nous leur apprenons à observer et à devenir des détectives de la nature. Un des thèmes est les plantes indigènes et leurs usages traditionnels chez les Amérindiens. »

Dans le San Francisco Botanical Garden

En 2002, fatiguée de son travail dans le quartier des affaires à San Francisco, elle s’engage dans un programme au Garden for the Environment qui la forme au recyclage, au compostage et au jardinage biologique. San Francisco lançait alors son système à trois poubelles (ordures, recyclage, compostage) et il fallait former des éducateurs pour informer et encourager les habitants. En échange de cette formation, elle fait des heures de bénévolat et travaille entre autres avec des patients hospitalisés pour une variété de conditions médicales handicapantes. Ensemble, ils créent un jardin commun dans lequel ils installent une solution de lombricompostage (compostage grâce à des vers) à raison d’une séance par semaine pendant un an.

Anna a trouvé sa voie. Grâce à une formation initiale en orthophonie (bachelor’s équivalent d’une licence) et ses connaissances en horticulture, elle est une candidate naturelle pour une formation en thérapie horticole. Elle s’inscrit aux cours dispensés au Legacy Health System à Portland dans l’Oregon, un hôpital pionnier dans l’utilisation de la thérapie horticole et des jardins thérapeutiques. Aux termes de ces cours, elle obtient un certificat en thérapie horticole en 2006. Elle a également complété des cours complémentaires en thérapie horticole, en horticulture et en services à la personne. Elle s’engage alors dans un stage de 480 heures supervisé par  une « registered horticulture therapist ».  Au terme d’un stage, elle est aujourd’hui une « registered horticultural therapist » sanctionnée par l’American Horticultural Therapy Association (AHTA). Elle est qualifiée pour développer des programmes de thérapie horticole dans tous les milieux.

Depuis, Anna propose ses services dans des centres qui accueillent des personnes âgées. Elle a travaillé pendant deux ans, d’abord en interne, puis en tant qu’intervenante extérieure, dans une maison de retraite et en particulier dans son unité spécialisée dans la maladie d’Alzheimer. Son dernier projet en date est la création d’un jardin à papillons dans une maison de retraite. « J’ai impliqué les résidents dès le départ dans la conception du jardin. J’ai commencé par un cours sur les espèces de papillons fréquents à San Francisco et sur les plantes qui les attirent. Ensuite, ils ont dessiné le jardin, choisi les plantes », raconte Anna. « Nous sommes allés acheter les plantes que nous avons plantées ensemble. »

« Ce projet leur a donné un moyen d’être connectés et responsabilisés. Jardiner leur procure aussi un hobby. Avec les personnes qui souffrent de la maladie d’Alzheimer, je me suis rendue compte que le travail individuel était plus efficace. Je garde en mémoire un monsieur qui est devenu un arroseur expert. Ses aides n’en revenaient pas », explique-t-elle. Pour l’instant, elle est à la recherche de son prochain projet, une tâche pas évidente dans un climat économique qui contraint les établissements à la rigueur budgétaire. « Pourtant, travailler avec les plantes fait tellement de bien aux gens. Les approches qui utilisent l’art ou la musique sont bonnes, mais introduisez les plantes et vous remarquerez une relation au vivant et une nouvelle énergie. » Elle poursuit une piste pour un nouveau programme dont elle espère beaucoup…on lui souhaite bonne chance.

Une ferme en ville

Et si de petites fermes en milieu urbain contribuaient à nourrir la population des grandes villes ? Ce week-end, j’ai été visiter une ferme urbaine, un phénomène dont on parle de plus en plus aux Etats-Unis. Le Institute of Urban Homesteading organisait des portes ouvertes dans 7 fermes de la East Bay, une région densèment  peuplée à l’est de San Francisco. La partie exploitée de ces terrains cultivés en zone urbaine varie en taille de 41 à 370 m2.

Jeannie McKenzie exploite justement 370 m2 d’un terrain plus vaste dans les collines de Montclair à Oakland. Elle a repris une tradition puisqu’en 1918, ce terrain était utilisé pour élever des chèvres et des poules. Mais à l’époque, les voisins devaient être bien moins nombreux ! Cette enseignante à la voix douce aime le fromage de chèvre. C’est comme ça que sa ferme a commencé. Elle a aujourd’hui quatre chèvres, croisement de Oberhasli et chèvre naine nigérienne, et deux chevreaux juste nés le jour de la visite.

« J’ai choisi cette race car elles ne sont pas trop bruyantes et leur lait est doux », explique Jeannie. Le bruit, c’est pour les voisins. La qualité du lait, c’est pour sa fabrication de fromages. Elle organise des soirées où elle enseigne à d’autres l’art de faire du fromage. Les chèvres ont un petit enclos et un abri. Des poules se promènent à travers les chèvres. « Elles aident à contrôler les odeurs. Je répands aussi une enzyme qui mange l’urine et des copeaux de bois. » Toujours ce souci de limiter l’impact sur les voisins.

Pourtant une voisine s’est plainte. En ce moment, Jeannie participe à un projet pilote avec la ville d’Oakland pour établir des règles de cohabitation pour les fermiers en ville. « Pour l’instant, il n’y a pas de règles à part l’interdiction d’avoir des coqs. Par exemple, un des sujets est la nourriture de mes animaux. Je la garde dans des containers en métal fermés à clé, mais la ville ne trouve pas cela suffisant pour empêcher d’attirer des animaux sauvages. » Dans le coin, il y a beaucoup de renards, de ratons laveurs et de cerfs.

Un peu plus loin, de l’autre côté de la maison d’habitation, Jeannie a des poules pondeuses dans un poulailler de fabrication artisanale et des ruches pour le miel. Son jardin est petit, mais varié : des légumes sud-américains, de la roquette, des asperges, des courgettes, des tomates, des arbres fruitiers. Son style de vie semble lui convenir parfaitement : en classe avec des enfants de 7-8 ans dans la journée, dehors avec ses poules, ses chèvres et ses abeilles le reste du temps.

La mission du Institute of Urban Homesteading et de sa fondatrice K. Ruby Blume est de partager les connaissances autour de cet engouement grandissant pour les mini-fermes en ville. Une poule à la fois, la fondatrice espère bien changer la société et le rapport entre ses membres. Parmi les autres fermes qui faisaient partie des portes ouvertes, signalons Shattuck Farm qui, en maximisant 60 m2 avec l’aide de fermiers rémunérés, réussit à nourrir cinq familles locales en légumes. Tout un système économique qui ouvre des perspectives inattendues. A Oakland, Beegrrl Gardens est un oasis au cœur d’une grande ville avec plus de 200 espèces de plantes, des abeilles, des cailles, des lapins,…

Le jardin de Steve et Gail rayonne dans leur vie

Steve et Gail dans leur jardin

Tout est lié. Planter des tomates a changé la vie de Steve et de Gail. Tous les deux à la retraite, ils vivent dans la région de San Francisco. Ils décident il y a quelques années de remplacer le gazon par des légumes dans le jardin qui s’étale devant leur maison dans les collines. « J’ai grandi à la campagne. Nous avions un jardin, des animaux. Tripoter la terre me manquait », avoue Steve qui a passé sa carrière à gérer des parcs publics dans la région. « J’aime manger et il n’y a rien de plus satisfaisant que de faire pousser sa nourriture », explique Gail qui était enseignante. « Les plantes qui se mangent ne sont pas seulement bonnes pour des questions de durabilité. Elles servent à quelque chose tout en étant belles. »

En lisant des livres, en feuilletant des catalogues de plantes, en se renseignant sur Internet, ils s’ouvrent à la diversité extraordinaire à leur disposition. De nombreuses variétés de tomates (« elles ont toutes une personnalité différente », affirme Gail), des courgettes, des fèves, des poivrons, des aubergines, des concombres, des betteraves, des salades et toutes sortes d’herbes. Dans le verger poussent des figuiers, des pêchers, des abricotiers, des poiriers, des grenadiers, des kakis.

Les deux jardiniers autodidactes sont fiers de cultiver sans utiliser de produits chimiques, ni trop d’eau. « Le sol n’est pas très riche. Nous y ajoutons du fumier de poulet et les feuilles de nos chênes transformées en paillis. Pour lutter contre les limaces, nous utilisons des « bateaux à bière, des bouteilles en plastique coupées en deux et remplies de bière », explique Steve. « Nous avons planté de la lavande pour attirer les abeilles. » Un des plaisirs du jardinage pour ces deux retraités actifs (ils font de la marche, du vélo et de la natation et voyagent beaucoup) est la sensualité. « Dans un monde où tout est électronique, la terre et le toucher sont un plaisir ».

Gail place le jardin au centre de son existence et considère le jardinage comme un style de vie. A partir des merveilleux produits biologiques de son jardin, elle a commencé à explorer de nouvelles recettes et à faire des conserves. De fil en aiguille, elle a fait son fromage et son pain. Les conserves font de merveilleux cadeaux à partager autour d’elle.  Explorer de nouvelles espèces mène à des découvertes et, depuis quelque temps, ils ont appris à conserver les graines pour ensemencer l’année suivante. Ils ont également appris à amender le sol et à préparer leurs plants.

Comme ils ont plus de plants qu’ils ne savent quoi en faire, ils les partagent avec des amis. « Nous avons une vingtaine de personnes avec qui nous partageons un intérêt pour le jardinage. Nous échangeons beaucoup de choses. Dernièrement, Steve a aidé trois jeunes ados qui s’intéressaient au jardinage », raconte Gail. Le jardin est également une inspiration pour leurs voyages. « Nous sommes allés en Italie, en Provence pour faire l’expérience de leurs produits et de leur cuisine. Le jardinage est aussi une source d’exercice, une occasion d’être dehors et une source de beauté. »

Le meilleur moment pour rendre visite à Steve et à Gail est quand les tomates sont mûres. On les déguste directement dans le jardin avec une pincée de sel, gorgées de soleil. Et voilà l’essence du jardinage selon eux : des produits qui sont beaux et bons et offrent un moment de partage.

Récolte de tomates