« Je suis sûre que les plantes peuvent apaiser »

Laetitia est ma voisine depuis plus de 15 ans. Je savais depuis des années qu’elle avait la main verte. Mais en discutant avec elle, j’ai découvert que beaucoup de principes chers à Anne Ribes et à son école du « Toucher la terre » faisaient tout naturellement partie de la philosophie que Laetitia pratique depuis qu’elle est enfant et dont elle fait profiter ses voisins et les personnes dont elle s’occupe en tant qu’auxiliaire de vie.

Grâce à des plantes et à des pots de récupération, Laetitia a transformé la cour intérieure de l'immeuble où elle vit.

Grâce à des plantes et à des pots de récupération, Laetitia a transformé la cour intérieure de l’immeuble où elle vit.

Depuis qu’elle a commencé à installer des jardinières sur les fenêtres de son appartement, elle n’a jamais acheté une seule plante. « Je n’ai que des plantes récupérées. C’est plus sympa que des amis me donnent des plantes car il y a une valeur de communion et d’amitié. C’est comme le troc de vêtements que j’aime bien aussi », m’explique-t-elle, un soir où nous avons prévu de passer un moment ensemble pour qu’elle me raconte ce que les plantes représentent pour elle. « J’ai commencé à donner des pousses à une dame de l’immeuble. Puis petit à petit à mettre des pots dans la cour parce que j’avais inondé toutes mes copines. » Là encore, les pots sont récupérés à droite et à gauche. Une autre voisine trouve à son attention deux grands pots en terre cuite qui ornent désormais la cour intérieure. D’autres voisins lui laissent des plantes dans la cour, comme des enfants abandonnées dont ils savent qu’elle prendra soin. Un jeune voisin lui a confié des bégonias Tamaya quand il a déménagé. La seule chose que Laetitia consent à acheter, c’est du terreau.

Pas de photo de Laetitia comme elle l'a souhaité, elle laisse parler ses plantes.

Pas de photo de Laetitia comme elle l’a souhaité, elle laisse parler ses plantes.

« Je coupe, j’arrose, je traficote. » Il est vrai qu’en rentrant dans l’immeuble, on la trouve souvent qui s’affaire autour des pots et du robinet. On échange quelques mots, on discute. Dans cet arrondissement de Paris si peu fleuri, boisé ou planté (malgré son maire écologiste, mais bon…), cette cour intérieure est une oasis qui tranche avec le quartier extrêmement minéral. « Petite, j’avais un petit carré de jardin où je plantais des choses récupérées déjà. Je vivais en bordure d’une petite ville. Quand on sortait de l’école, on allait dans les champs, on ne regardait pas la télé. On ramassait des châtaignes, des mûres, des fraises des bois. On allait chercher le lait à la ferme. Je faisais des bouquets de primevères. A la maison, il y avait des arbres fruitiers et un potager, mais on avait aussi un jardin ouvrier », se souvient Laetitia qui évoque à demi-mot une enfance pas si idyllique que ça par d’autres côtés. « J’ai toujours aimé trifouiller dans la terre et pas avec des gants ! Jardiner me rappelle mon enfance, c’est mon échappatoire. Je ne vois pas le temps passer. »

Même à l'entrée de l'hiver, ce bégonia persiste à donner des fleurs roses.

Même à l’entrée de l’hiver, ce bégonia persiste à donner des fleurs roses.

Quand elle raconte la perte de ses plantes une nuit d’hiver, Laetitia est visiblement émue. « Il devait geler et je voulais rentrer les plantes à l’intérieur au chaud. Quand je suis rentrée chez moi, j’ai regardé un film et je me suis endormie. Le lendemain, le gel était passé et tout était à recommencer. » On lui fait souvent compliment de l’atmosphère que ses plantes créent dans l’immeuble et Laetitia a l’impression que de plus en plus de voisins ont installé des jardinières. « Si je m’écoutais j’en mettrais aussi à toutes les fenêtres des escaliers… »

Auxiliaire de vie, elle utilise les plantes naturellement

Voici 10 ans, Laetitia a quitté un travail de nuit pour devenir auxiliaire de vie. Elle accompagne des personnes âgées et d’autres qui ont besoin d’assistance dans la vie quotidienne. « Je suis sûre que les plantes peuvent apaiser. Mais il faut penser au passé des gens. Même s’ils n’ont pas vécu à la campagne, cela peut les aider. Il faut que ce soit proposé, jamais imposé. La plante, c’est la vie comme un animal ou un enfant. Je leur propose de s’occuper des plantes spontanément, d’arroser par exemple. »

« Chez une personne âgée, les plantes n’étaient plus entretenues. Ses enfants jugeaient que ce n’était pas important. Mais les bouquets lui faisaient toujours plaisir. Par contre, il fallait les jeter dès qu’ils commençaient à faner. Quand son mari est mort et qu’elle a eu besoin d’aide 24h/24, j’ai continué à aller la voir à la maison de retraite. Quand elle a pu avoir une chambre particulière, je lui ai amené des plantes. Ce sont des plantes à arroser par la feuille. Cette dame oublie beaucoup de choses, mais pas d’arroser ses plantes et comment le faire. J’ai l’impression que cela fait partie d’un rituel comme se laver les dents. Elle aime voir ses plantes sur le rebord de la fenêtre dans des pots colorés. »

« J’aidais un monsieur qui souffrait de la sclérose en plaques. Il aimait ses rosiers qui étaient sur des mini balcons chez lui. Je pouvais approcher son fauteuil roulant très près. On faisait des voyages chez Truffaut qui prenaient des heures car se déplacer était difficile pour lui. Un jour, nous sommes allés acheter des coccinelles car les rosiers étaient envahis de pucerons. Le lendemain, il n’y avait plus de pucerons, mais les coccinelles s’étaient envolées. Il s’est exclamé « Ah, les ingrates, maintenant qu’elles ont fait bombance, elles sont parties. Au prix où je les ai payées ! ». C’était très drôle. »

La Misère (ou Tradescantia) est une plante tropicale, vivant à l'intérieur sous nos climats et qui est facile d'entretien. Elle aime la lumière. Dans cette cour protégée, elle pousse très bien.

La Misère (ou Tradescantia) est une plante tropicale, vivant à l’intérieur sous nos climats.  Dans la cour protégée de Laetitia, elle pousse très bien.

La vieille dame et la misère, c’est la première histoire que Laetitia m’a racontée et je la trouve très belle. « Cette dame avait perdu son mari récemment. Elle avait des bacs, mais la terre était stérile et il n’y avait plus de plantes. Je lui ai dit que je trouvais dommage ces belles jardinières vides et je lui ai proposé d’apporter de la misère. « Ca va me rappeler de bons souvenirs car j’ai rencontré mon mari dans un sanatorium où nous étions tous les deux et où cette plante poussait beaucoup », m’a-t-elle répondu. Elle ne montre pas trop ses sentiments d’habitude, mais je l’ai vue s’illuminer une fraction de seconde. » Aussitôt dit, aussitôt fait. Laetitia amène donc des pousses de chez elle et en plante. La dame lui demande de mettre la misère bien en évidence pour qu’elle puisse en profiter de sa chambre. Puis sa fille découvre les plantes et trouve que c’est une bonne idée. Ensemble, mère et fille vont acheter des plantes : des véroniques, des cyclamens, des pensées pour regarnir les jardinières vides. Laetitia a planté une idée qui a germé…

L’oasis d’Aboukir : un jardin vertical en pleine forme

Ce sera aujourd’hui un billet rapide par faute de temps chronique en ce moment. Mais j’ai dans ma besace quelques pistes intéressantes pour les semaines à venir : une jardinologue belge, une assistante de vie qui partage des plantes porteuses de souvenirs pendant ses visites chez les personnes âgées qu’elle accompagne, des nouvelles du Jardin d’Olt dans l’Aveyron,…

Pour l’heure, je vous laisse sur cette photo de deux jardiniers qui prennent de la hauteur. Ils sont en train d’intervenir sur un incroyable mur végétalisé dans le quartier du Sentier dans le 2e arrondissement à Paris (croisement rue des Petits Carreaux et Aboukir pour les curieux). Un mur dont une résidente du quartier me dit qu’elle adore aller le regarder régulièrement pour voir les changements des saisons s’y afficher en couleurs. Pour en savoir plus sur cette mini-jungle parisienne créée par Patrick Blanc sur une commande privée.

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Les thérapeutes horticoles en quête de reconnaissance…aux Etats-Unis

Leigh Anne Starling

Leigh Anne Starling

Un intérêt pour les plantes et pour l’humain. On retrouve le plus souvent cette double passion chez ceux qui pratiquent l’hortithérapie. C’est le cas de Leigh Anne Starling, une Américaine impliquée dans le domaine depuis 25 ans et très active au sein de l’American Horticultural Therapy Association (AHTA). « J’ai découvert le programme de Diane Relf à Virginia Tech où j’ai obtenu un BS (équivalent d’une licence) en horticulture avec une concentration en thérapie horticole. Diane Relf permettait qu’on conçoive son propre programme et elle enseignait des cours de thérapie horticole dès qu’il y avait assez d’étudiants. On prenait des cours de psychologie et de sciences humaines », explique Leigh Anne. « Maintenant aux Etats-Unis, ce sont principalement des certificats. Les options en thérapie horticole dans les départements d’agriculture ou d’horticulture des universités ont tendance à disparaitre. » Elle fait une exception pour les programmes de « therapeutic horticulture » : « Oregon State University a ouvert une licence. Il s’agit de permettre à des professionnels de l’horticulture de connaitre les nombreuses populations de malades, mais ils ne travaillent pas directement avec les patients. »

« Il y a toujours un intérêt pour la thérapie horticole, mais le groupe d’âge a changé. Les jeunes obtiennent plutôt un diplôme en horticulture, puis font un certificat. Ce sont maintenant des gens qui y arrivent pour une seconde carrière. En moyenne, les membres de l’AHTA ont la quarantaine, voire la cinquantaine », constate Leigh Anne. Elle voit aussi que de nombreux programmes, dans des maisons de retraite (assisted living facilities) par exemple, utilisent le jardin pour améliorer la qualité de vie et le bien-être. « Mais il ne s’agit pas de programmes de traitement avec des objectifs comme dans un hôpital de réadaptation. S’ils ont des objectifs, c’est en terme de bien-être. »

Hôpitaux pour vétérans et formations pour adultes handicapés

Son parcours professionnel a commencé dans un hôpital pour vétérans en Pennsylvanie, puis au Walter Reed Hospital à Washington, DC où elle a travaillé avec des vétérans dans le département d’hospitalisation psychiatrique. « Avec les vétérans, les objectifs étaient de restaurer des fonctions comme la capacité d’adaptation, l’estime de soi, la socialisation en utilisant la métaphore des plantes. La thérapie horticole est toujours utilisée avec les vétérans avec un focus sur la réadaptation physique et la santé mentale. Le jardin offre un défi pour ceux qui ont un handicap ou sont dans un fauteuil roulant. Mais l’estime de soi est un élément très important. »

En déménageant sur la côte Ouest, elle quitte le monde de l’hôpital pour un programme de formation (vocational training) dans une résidence pour adultes pendant 6 ans. « Je gérais une entreprise de paysagisme avec des adultes atteints de troubles du développement qui avaient besoin de travailler leurs compétences pour le monde du travail. Ils étaient payés et savaient qu’ils pourraient trouver ensuite un travail dans la communauté, ce qui était très valorisant pour eux. Ils apprenaient aussi à trouver des solutions à des défis ou à gérer la frustration. » Etape suivante, la création de sa propre entreprise de conseil pour concevoir des programmes de thérapie horticole dans des divers milieux : la nutrition dans l’éducation, la formation avec des élèves souffrant de handicaps, des maisons de retraite ou le programme de Suzanne Redell par exemple.

C’est là qu’elle se frotte à l’épineuse question du remboursement de ses services. Différents cas de figures se présentent. « Les agences à but non lucratif peuvent parfois facturer les services de thérapie horticole sous Medicaid ou Medicare, surtout si on les classifie dans le département des activités. Les agences qui dépendent d’un état ou d’un comté peuvent se faire rembourser si la thérapie horticole est classée dans les services de réadaptation et a lieu en présence d’autres personnels internes. Enfin les établissements privés ont leurs propres systèmes et peuvent être créatifs pour facturer ces services. » Souvent la thérapie horticole est placée sous le contrôle d’autres professionnels qui sont certifiés ou ont une licence pour exercer : les ergothérapeutes, les conseillers en réadaptation, les ludothérapeutes (recreational therapists).

Le chantier de la certification pour les thérapeutes horticoles

Pour l’instant, le plus haut degré de reconnaissance atteint par les thérapeutes horticoles américains est le grade de « registered ». La plupart des 600 membres que compte environ l’AHTA sont « registered » selon les conditions énoncées par l’association. Mais la démarche pour aller plus loin est enclenchée. « Nous avons commencé à travailler pour devenir « certified » », explique Leigh Anne qui fait partie du comité qui s’est attelé à cette tâche. « Nous travaillons avec la National Commission for Certifying Agencies qui a des critères très poussés. Nous avons déjà défini le curriculum minimum. Nous venons de faire une analyse métier à partir de laquelle nous allons écrire une description générale du métier de « horticultural therapist ». Cette définition sera listée dans l’annuaire du Department of Labor, elle remplacera les différentes définitions qui existent aujourd’hui. »

« Nous devons aussi développer un examen. Cela prendra trois cycles d’essais pour le valider. Au bout de ce chemin, nous espérons obtenir la certification comme d’autres professions. Cela permettra d’être reconnu comme profession valable et d’être valorisé. Cela permettra aussi d’augmenter les opportunités d’emplois et les salaires, peut-être aussi de voir des écoles offrir des cours de nouveau. Enfin, le remboursement de ces soins sera facilité. » La profession serait dans une position plus forte pour négocier au niveau de chaque état, comme a déjà pu le faire l’art thérapie. Après la certification, on peut aussi envisager une étape supplémentaire : « licensure » (homologation, permis d’exercer).

Voilà le grand chantier dans lequel s’est engagé l’AHTA (Rebecca Haller du Horticultural Therapy Institute fait aussi partie de l’équipe qui planche sur ce projet). Pour sa part, Leigh Anne poursuit une autre approche pour que ses services soient remboursés. Après avoir obtenu un « master in rehabilitation counseling », elle poursuit aujourd’hui des études pour devenir une « Licensed Professional Clinical Counselor (LPCC) ». « Le monde était différent il y a 25 ans. Si c’était à refaire, j’obtiendrais un diplôme dans une discipline qui a le niveau « licensure » et je ferais ensuite une spécialisation en thérapie horticole. Nous voyons beaucoup de gens qui choisissent cette approche aujourd’hui. »

Anne 2Leigh Anne conclut sur un message d’encouragement pour la communauté « plantes et soin » française. « L’AHTA a commencé en 1973 avec un petit groupe de gens. Si assez de gens qui partagent les mêmes idées se rassemblent, regardez ce que ça peut donner. L’association a dû relever le défi de plusieurs écoles et courants de pensées. Mais leur croyance commune est qu’ils étaient sûrs de la connexion entre les plantes et les humains. »