Jardin + fauteuils roulants = TERRAform

Tout commence à Nantes au début des années 2000. A la suite d’un projet qui a introduit le travail d’une trentaine d’artistes contemporains dans des jardins collectifs et privés, un pot de célébration conclut l’événement et salue son succès avec plus de 2 000 visiteurs en huit semaines. « Chantal, la femme d’un des jardiniers, est en fauteuil et nous a lancé un défi. Elle voulait pouvoir travailler dans le jardin plus facilement », se souvient Samia Oussadit. Avec ces compères Boris Cochy et Pascal Leroux, elle a lancé le collectif La Valise en 1997. Il rassemble ces trois architectes et artistes intéressées par « les pratiques artistiques contemporaines au contact des publics et de l’espace public. »

Entraide au jardin entre valides et non valides. Les membres de La Valise réfléchissent à des solutions d’arrosage pour les jardiniers à mobilité réduite (photo @ un membre de l’association des jardins familiaux du fort de Bron, près de Lyon).

Samia, Boris et Pascal qui ne sont ni jardiniers, ni ergothérapeutes retournent la demande de Chantal dans leur tête, ils travaillent sur des croquis. Ils discutent avec des centres de rééducation motrice, des jardiniers en fauteuil roulant. Grâce à des subventions venues du milieu culturel, ils présentent en 2004 leur premier prototype en résine (oui, ils sont conscients que la résine est toxique et pas idéale). Ils le décrivent comme leur TERRAform, comme un « jardin adapté pour personnes à mobilité réduite ». Il s’agit d’un bac de 1,50 mètre de largeur pour 1,20 mètre de profondeur et 80 cm de hauteur avec une capacité d’environ 0,80 m3 avec une coque où vient se loger le jardinier et son fauteuil.

« Il existe bien des tables de maraichages qui peuvent convenir avec un fauteuil. Mais on ne peut faire que des plantes à racines courtes comme des fraises ou des radis. Chantal ne cultive pas seulement comme loisir, c’est aussi pour vivre », explique Samia. « Dans les bacs surélevés, les personnes en fauteuil doivent jardiner de biais. C’est inconfortable, pas ergonomique du tout. Il fallait trouver un entre deux qui permettent les racines profondes et le confort. » Autres bénéficiaires potentielles, les personnes âgées qui doivent jardiner assis sur une chaise. « Car autrement à un certain âge, les jardins collectifs leur retirent leur parcelle ! »

Au lycée agricole Jules Rieffel à Saint-Herblain (Loire-Atlantique) en 2011

Les trois concepteurs nouent des partenariats, ici avec Jardiland pour des matériaux, là avec un loueur de voitures pour une fourgonnette. « Le public a adhéré à TERRAform, mais les élus étaient réticents même si 2004 était l’année européenne des personnes handicapées. On ne comprenait pas que des artistes valides travaillent sur un projet pour des jardiniers en fauteuil », se souvient Samia. « Nous n’avions pas d’interlocuteur industriel. On est passé à d’autres projet car on ne savait pas qu’en faire. » Mais après le défi de Chantal, ce sont d’autres utilisateurs intéressés qui vont « donner une petite claque » à Samia, Boris et Pascal. « J’ai été invitée à un colloque à Brest, puis appelée par une maison de retraite. Un directeur d’institut m’a dit que nous étions égoïstes de ne pas poursuivre le projet. »

Ils se remettent au boulot. Comme la résine était hors de question, ils envisagent le plastique recyclé et obtiennent un devis d’une entreprise rennaise. Pour un moule et 50 premiers tirages, il leur faut 35 000 euros. Qu’ils trouvent grâce aux listes de mécènes de la DRAC (direction régionale des affaires culturelles) de Nantes. Sur 75 dossiers envoyés, 10 réponses et trois mécènes au final : la Fondation Groupe Chèque Déjeuner, la Macif et AG2R La Mondiale. Le Conseil général de Loire-Atlantique leur donne aussi un coup de main en leur accordant le statut d’emplois aidés car ce projet ne dégage aucun revenu et ils doivent toujours travailler en parallèle. En janvier 2010, les 50 premiers exemplaires sont prêts.

Là, c’est la région qui prend le relais et leur offre l’accompagnement d’une consultante pour développer la distribution. « On ne savait pas à quel prix le vendre, comment organiser la logistique et les livraisons, faire du suivi après vente », continue Samia.  « Nous, on pensait 300 euros. Elle a estimé que ce n’était pas possible à moins de 1 000 euros. Nous nous sommes lancés dans une étude auprès de 70 maisons de retraite, 70 centres de rééducation et 70 mairies en leur demandant s’ils étaient intéressés et si le prix était juste. Nous avons eu 60 réponses : ils étaient intéressés et ce n’était pas trop cher. »

Aujourd’hui, des TERRAform sont installés dans plus de 60 sites en France, mais aussi au Luxembourg, en Suisse et en Belgique. « Nous étudions la possibilité de les fabriquer au Canada pour la demande dans ce pays et aux Etats-Unis. Nous avons des demandes en Australie. » Selon Samia Oussadit, deux publics se intéressés, à peu près à égalité : les maisons de retraite d’un côté et de l’autre des jardins partagés, hôpitaux  et autres centres. La ville de Nantes a commandé un jardin. « A la Villette à Paris, ça a bien pris et ils nous en commandent tous les ans. Ils ont beaucoup de conviction et d’énergie. »

Un TERRAform en phase de montage

De conception nantaise, le produit est fabriqué par une entreprise de rotomoulage en Ile-et-Vilaine (Rototec) et la menuiserie est assurée dans un atelier de réinsertion à Nantes (Association ATAO). Techniquement, « la coque est en polyéthylène 100% recyclé et 100% recyclable, et les cotés plans en pin de Douglas, un bois issu de forêts françaises et traité naturellement par oléothermie. »

Pour ces créatifs, le mot « produit » était un gros mot et ils craignaient que la démarche commerciale ne dénature leur projet et leur vision d’artistes. Mais, le TERRAform a clairement rencontré un écho. Au printemps prochain, le trio projette de faire un périple en France pour filmer les jardiniers qui utilisent leur solution de jardinage . Histoire de « revenir à la dimension humaine »….Un film qu’on a impatience de voir. Comme leur solution au prochain problème qu’ils aimeraient résoudre : comment arroser plus facilement en fauteuil…

Soyons raisonnable

Il faut que je réduise temporairement la cadence du Bonheur est dans le jardin. Deux billets par semaine deviennent intenables avec ma charge de travail actuel. La pige a repris à bonne allure depuis notre retour en France cet été, mais je suis surtout plongée dans les dernières étapes d’un projet commencé en Californie en 2010. J’ai participé comme « fixer » au tournage d’un documentaire français, un road movie californien, projet d’un jeune réalisateur rochelais. California Dream 3D est aujourd’hui sur le point de sortir au cinéma en France et je suis impliquée dans une multitude de préparatifs, tous plus sympas les uns que les autres, tous plus gourmands en temps les uns que les autres. Pour info, si vous êtes curieux, voici le site du film et sa page Facebook.

Mon jardin parisien

Pour préserver ma santé d’esprit, je dois lever le pied et passer à un billet par semaine jusqu’en décembre. Un peu la mort dans l’âme, je l’avoue. Malgré les nuits courtes et le manque de vrai jardin, je profite de ce que j’ai sous la main pour ma propre thérapie horticole. En ouvrant la fenêtre tous les matins, je me réjouis de mon jardin miniature, une jardinière avec une bruyère, un cyclamen et un pied de thym. Dans lequel j’enfouis mon visage avec délectation pour me ressourcer à cette bonne odeur fraiche. Et j’apprends en même temps une leçon pratique sur l’appropriation au jardin : je prends soin de la jardinière que j’ai plantée moi-même avec mes enfants, je délaisse complètement une autre plante laissée par les précédents occupants. Elle ne me parle pas vraiment, je ne sais pas comment elle s’appelle, je n’ai pas d’instinct « maternel » pour elle…

En vous disant à la semaine prochaine (pour un billet sur TERRAform, une solution nantaise de jardin adapté pour personnes en fauteuil), je vous laisse avec cet article du Monde sur la série photo « Des légumes et des hommes ». La photographe Joëlle Dollé prend pour sujets « l’être humain et, par extension, la beauté intrinsèque du vivant » avec un humour vivifiant. Voici l’article et les photos. Etonnantes, fraiches, drôles. (Et en passant, je salue Maëlle que j’ai eu le plaisir de rencontrer hier et à qui je souhaite bon courage pour trouver sa voie dans le monde  des jardins qui soignent).

The Ability Garden : un jardin public dédié à l’hortithérapie

L’entrée du Ability Garden à Wilmington en Caroline du nord

Quand elle étudiait l’horticulture en Louisiane au début des années 80, Phyllis Meole savait déjà qu’elle voulait « rapprocher les plantes et les gens pour affecter leur vie. » Un de ses professeurs lui parle de l’hortithérapie et c’est la révélation. « Il n’y avait pas Internet. J’ai trouvé une référence à une conférence au Texas et j’y suis allée. Comme ce n’était pas une possibilité de transférer à Kansas State [une université qui offre un master en hortithérapie depuis 1971, ndlr], j’ai pris tous les cours exigés par l’American Horticultural Therapy Association en psychologie et en sciences sociales. » L’AHTA exige un stage supervisé par un professionnel déjà certifié. Le mentor de Phyllis se trouve à Denver dans le Colorado à des milliers de kilomètres et les échanges se font par téléphone !

Une fois diplômée, Phyllis n’a aucun mal à trouver du travail. « Dans les années 80, il y avait beaucoup d’argent ce qui fait toute la différence. J’ai proposé un programme à un centre de jour pour adultes dans l’hôpital de ma ville qui m’a embauchée un jour par semaine. Je travaillais aussi deux jours par semaine dans une maison de retraite, plus dans un autre centre de jour pour personnes âgées », se souvient Phyllis. Voici 16 ans, elle déménage pour s’installer à Wilmington en Caroline du nord où elle rencontre une autre membre de l’AHTA qui l’introduit dans l’hôpital psychiatrique où elle travaille. Phyllis apprend à travailler avec les patients hospitalisés. Mais ce contact précieux va bientôt lui ouvrir une porte encore plus prometteuse : la possibilité de créer un jardin public conçu pour offrir des activités d’hortithérapie à des publics variés.

Car Wilmington possède son Arboretum et l’amie de Phyllis fait partie du conseil d’administration…« On trouvait qu’il était quand même ironique qu’il faille être hospitalisé pour pouvoir profiter des bienfaits de l’hortithérapie. Nous sommes allées voir ce qui se faisait au Buehler Enabling Garden du Chicago Botanic Garden où nous avons rencontré Gene Rothert. » (Vous trouverez ici très bientôt une interview avec Amelia Simmons Hurt qui dirige les programmes de formation continue en hortithérapie au Chicago Botanic Garden).Il y a 13 ans, le Ability Garden voit le jour au sein de l’Arboretum du comté de New Hanover sous l’étiquette de « Cooperative Extension Service » en lien avec North Carolina State University et A&T State University. Présent dans tous les états, les « Cooperative Extension Service » sont des émanations du USDA, le ministère de l’agriculture américain, gérées par des universités qui ont un département en agriculture. Ils offrent des programmes non diplômant au grand public dans les domaines du jardinage, de la nourriture, de l’environnement,….

Le Ability Garden accueille, gratuitement, les écoles de la région pour des programmes d’hortithérapie. Mais pas que. « Il n’y a pas de limites aux populations que nous pouvons accueillir. Si nous décidions de faire un programme pour les vétérans qui retournent à la vie civile, ce serait tout à fait possible. Ce serait d’ailleurs très réaliste car il y a beaucoup d’installations militaires par ici. » Pour l’heure, le jardin est essentiellement au service d’enfants et d’adultes souffrant de handicaps physiques ou de développement, d’enfants « à risque » (abus sexuels, troubles du comportement) et de personnes âgées souffrant de démences ou de problèmes liés à l’âge. Le jardin de Phyllis accueille aussi des gens atteints de maladies mentales chroniques qui sont suivis hors de l’hôpital psychiatrique. Phyllis a également organisé des activités pour des patients atteints de dégénérescence maculaire « pour qu’ils apprennent comment continuer à jardiner quand ils perdent la vue. »

Une subvention permet il y a quelques années au Ability Garden de sortir de ses murs. « Nous avons pu acheter une camionnette pour amener notre programme dans des maisons de retraite et dans des écoles où les enseignants ne peuvent plus faire de sorties à cause des réductions budgétaires ». Si elle doit installer son activité à l’intérieur, Phyllis amène un assortiment de plantes qui stimulent les sens (du basilique, de la citronnelle). Les enfants peuvent rempoter de l’aloe vera et garder leur pot. Mais beaucoup d’écoles ont des jardins et l’activité peut se dérouler à l’extérieur. « Evidemment, on préfère qu’ils viennent chez nous car ils peuvent se promener dans le jardin, pique-niquer, regarder les papillons. »

Parmi les « tournées » du Ability Garden, un établissement qui accueille des enfants profondément handicapés avec qui Phyllis jardine « hand over hand », en guidant elle-même leurs gestes. « Ils ont des planches surélevées. Ils adorent se salir dans la terre. Quand on a fini, je les nettoie avec un petit aspirateur à main et ils rient ! Ils ne pourraient pas venir chez nous, ce serait trop difficile. »

« Il faut être flexible en termes de niveau de participation et d’attente. Les résultats peuvent être très subtiles. Ce n’est pas stupéfiant », explique Phyllis. Littéralement, elle emploie le mot « earth shattering », « la terre ne tremble pas » ! Encore que…Elle raconte une rencontre avec une femme très renfermée atteinte de démence. « Nous avons planté du persil dans un pot. Elle s’est animée, mais elle ne parlait toujours pas. Je lui ai dit qu’on pouvait voir qu’elle savait jardiner. « J’avais un jardin et je récoltais toute notre nourriture », m’a-t-elle répondu. C’était comme si on avait allumé un interrupteur. Planter et toucher la terre peut déclencher des choses. »

Elle raconte une autre rencontre. « Il y a quelques années, nous avions fait un programme avec des jeunes femmes enceintes qui étaient dans un programme résidentiel pour arrêter la drogue. Elles levaient les yeux au ciel et n’en avaient rien à faire. Mais j’ai quand même essayé de partager mon enthousiasme, de les emmener dans le jardin. Nous avons planté une plante en pot. » Récemment, une de ces jeunes femmes est revenue voir Phyllis accompagnée de sa mère. « Je n’aimais pas venir ici, mais ma plante faisait jolie dans ma chambre. J’ai eu mon bébé. Je vais finir le lycée, puis je continuerai l’école. J’aurai une maison et un jardin », est-elle venue dire à Phyllis.

« Nous plantons une graine. C’est tout ce que nous pouvons faire. Mais pour moi, c’est une expérience qui est puissante. Ca peut faire une différence dans leur vie. Avec les enfants autistes, je vois parfois leurs yeux s’ouvrir quand on sent de la menthe au chocolat. Peut-être qu’une porte s’est ouverte. » Il n’y a personne à qui Phyllis dirait que jardiner n’est pas approprié pour eux. « Notre job est de repérer les barrières qui les empêchent de s’impliquer, qu’elles soient cognitives, sensorielles, physiques. »

Une autre barrière n’a rien à voir avec les jardiniers que Phyllis reçoit dans son Ability Garden. « Nous avons eu deux hortithérapeutes et maintenant nous n’en avons plus qu’une ! Il y a des coupes de budget. Le comté nous donne 20 000 dollars par an. Pour le reste, nous vendons des plantes, nous acceptons les dons. J’espère que nous allons pouvoir continuer », résume Phyllis qui nourrit pourtant le rêve de répliquer son modèle de jardin d’hortithérapie dans le reste de la Caroline du nord via le système de « Cooperative Extension Service ». Elle pense aussi aux vétérans, un « débouché » prometteur car les programmes mis en place pour eux par le VA (Veteran Administration) ont de l’argent…Pour l’heure, Phyllis est sur le point de prendre la retraite. « C’est temps, c’est fatigant physiquement. » Mais elle n’exclue pas de revenir comme consultante. Les Américains ne prennent jamais vraiment la retraite. Les jardiniers encore moins…

De quoi parle-t-on quand on parle de thérapie horticole?

Atelier de tressage avec des enfants au Centre hospitalier spécialisé Georges Mazurelle à La Roche-sur-Yon

Je crie « Pouce ! ». Ces trois jours de formation ont fait exploser mon « réseau » en France et les idées d’articles se bousculent au portillon. Pour autant, je ne vais pas dévier de mon rythme choisi : deux articles par semaine. Comme j’avais aussi quelques interviews sous le coude avant le stage (une hortithérapeute américaine dont le jardin municipal est conçu pour accueillir divers groupes pour des séances d’hortithérapie, le trio du collectif La Valise et leur Terraform), je veux leur faire la place qu’il se doit. J’avais aussi le projet de fournir quelques définitions de l’hortithérapie, ce que je n’ai jamais fait jusque là.

Il est temps !

Accordons aux Anglo-saxons le droit d’ouvrir le bal des définitions puisque la thérapie horticole est chez eux une pratique plus ancienne. Dans ce « position papier »,  l’American Horticultural Therapy Association (AHTA) clarifie sa position. Ce document est extrêmement complet et cite également des études qui se sont penchées sur les bénéficies de la thérapie horticole dans plusieurs domaines (cognitif, psychologique, physique, social). A lire absolument. Pour la faire courte, « la thérapie horticole est la pratique d’intéresser un client dans des activités d’horticulture, avec la médiation d’un thérapeute formé pour atteindre des objectifs de traitement spécifiques et documentés. AHTA est convaincu que la thérapie horticole est un processus actif qui se déroule dans le contexte d’un projet de traitement établi où le processus lui-même est considéré comme l’activité thérapeutique plutôt que le produit fini. Des programmes de thérapie horticole peuvent exister dans toute une variété de lieux de santé, de réhabilitation et de résidences. »

Sébastien Guéret de Formavert propose cette définition : « L’hortithérapie c’est l’intégration des activités horticoles dans un processus de soin, de lutte contre la maladie ou encore de lutte contre l’exclusion, au même titre que les activités artistiques que sont la peinture ou la musique. » Il considère que l’hortithérapie peut offrir des solutions intéressantes pour les personnes souffrant des troubles suivants, un spectre très large dont ce blog a déjà exploré plusieurs exemples (suivre les liens).

Dans son livre Toucher la terre, Anne Ribes écrit que « le principe actif de cette étrange thérapeutique réside précisément en la transformation du soigné en soignât. C’est en donnant aux plantes cette attention affectueuse et précise, en se préoccupant de leur croissance et de leur santé que l’on recevra en échange les bienfaits espérés. » Et je reprends les propos de Jean-Paul Ribes en les concentrant : « La maladie, c’est ce qui nous rend absent. Le jardin est une stratégie de la présence. Quand on est présent au monde, on se porte bien…On ne prescrit pas le jardin, c’est une appropriation. Ce n’est pas un jardin de soin s’il n’y a pas d’évolution dans le temps…Le jardin doit privilégier le vivant et la simplicité. Pour écouter le jardin, il ne faut pas lui surajouter des messages qui perturbent…Faire un jardin, c’est faire la révolution dans un établissement. »

Même dans une discipline aussi jeune, on se rend compte qu’il y a des nuances, des différences d’approches, voire des écoles. Aux Etats-Unis, l’AHTA distingue « horticultural therapy », « therapeutic horticulture », « therapeutic gardens », « healing gardens », « restorative gardens »,…En France, où la discipline est encore plus naissante, on perçoit aussi des différences d’approches qui pourront, on l’espère, se réunir dans un seul élan pour faire avancer les choses.

Ce que j’ai appris à Chaumont

Anne Ribes explique comment protéger une plaie grâce à une feuille de plantain pour continuer à jardiner même blessé.

A Chaumont-sur-Loire, je me frottais pour la première fois à des hortithérapeutes français. Mais sans formation qualifiante, c’est sans doute trop tôt pour employer ce terme que même mon correcteur d’orthographe a dû mal à admettre. On pourrait lui préférer le terme de jardiniste, celui que privilégie Anne Ribes, cette infirmière qui a poursuivi un BTS Art du jardin pour concilier son envie de soigner et son envie de jardin avec le désir de concevoir « l’hôpital vert ». Les programmes qu’elle anime et qu’elle conçoit, on en reparlera….demain et après-demain comme de ceux d’autres intervenants ou participants : Dominique Marboeuf, responsable d’étonnants espaces verts au centre hospitalier Mazurelle à la Roche-sur-Yon ou encore Stéphane Lanel qui anime avec Anne un jardin pour des patients cérébro-lésés à la Maison des Aulnes à Maule (78).

Les mots ont leur importance, bien évidemment. Pendant ces trois jours, on n’a pas souvent utilisé le mot hortithérapie en fait. On a plutôt parlé de jardin de soin qu’on a opposé au jardin thérapeutique, un concept qui semble vague et surfait à Jean-Paul Ribes. Théoricien de l’association Belles Plantes, Jean-Paul est le mari et le complément d’Anne (« Notre mythologie nous rapporte…. » commence-t-il. « …au terrien », finit-elle).  «La maladie, c’est ce qui nous rend absent. Le jardin est une stratégie de la présence. Quand on est présent au monde, on se porte bien », affirme Jean-Paul Ribes. « On ne prescrit pas le jardin, c’est une appropriation. Ce n’est pas un jardin de soin s’il n’y a pas d’évolution dans le temps. » Il revendique le droit du jardin à rester dans son état naturel.

Menés par Jean-Paul Ribes, les participants à la formation sont en visite dans un Ehpad local. Ils arpentent le terrain, s’orientent par rapport au soleil et aux vents dominants, imaginent des solutions mêlant espaces de jardinage et espaces de déambulation, solutions immédiatement dessinées sur des esquisses.

Il se méfie au plus haut point de tous les artifices qu’on veut y introduire. « Le jardin doit privilégier le vivant et la simplicité. Pour écouter le jardin, il ne faut pas lui surajouter des messages qui perturbent ». Peindre ses bacs en couleurs vives ? Quelle horreur puisque ce sont des couleurs qui n’existent pas dans la nature. « Au jardin, pas de blouses blanches. Que des tabliers verts », assène-t-il aussi. Les discussions sont rentrés dans les détails : comment faire son enquête pour élaborer le projet (d’ailleurs nous avons mis en application en allant dans l’Ehpad voisin où l’une des participantes a un grand projet pour jardiner avec les patients Alzheimer), comment concevoir, financer, réaliser et animer un jardin.

Sébastien Guéret de Formavert (Marseille) et Guillaume Berthier d’Angle Vert Services (Montpellier) prennent langue avec la terre sur le terrain destiné à devenir un jardin pour ceux qui fréquentent l’accueil de jour de l’Ehpad d’Onzain (Loir-et-Cher).

La richesse de cette formation, un peu pionnière même si Sébastien Guéret qui était également présent anime depuis plusieurs années des formations et des ateliers jardin au sein de Formavert et qu’on a aussi déjà parlé des formations de Martine Brulé, était la diversité des participants. Partagés entre le monde de l’hôpital psychiatrique et celui des maisons de retraite pour la plupart, ils étaient essentiellement des soignants épris de jardin avec des projets en cours ou en développement.  Des soignants passionnés et animés d’une volonté pour faire bouger les choses dans des univers très administratifs dont les règles semblent juguler patients et soignants. (« Faire un jardin, c’est faire la révolution dans un établissement », affirme volontiers Jean-Paul Ribes). Quelques profils différents aussi : un responsable d’espaces verts au sein d’un hôpital (un futur Dominique Marboeuf ?), une ingénieure dont le cabinet d’architecte est spécialisé dans les établissements de soin, un entrepreneur paysagiste qui poursuit méthodiquement un projet de diversification dans l’hortithérapie pour sa société, une graphiste amoureuse de jardin. Et moi, moi qui vais devoir décider si je continue simplement à causer ou si j’ai le temps et le besoin de m’impliquer dans un projet concret. En tout cas, je sais maintenant que j’ai des âmes sœurs en France.

Ca bouillonne à Chaumont-sur-Loire

Le Festival des Jardins de Chaumont-sur-Loire est un plaisir en été. Mais dans la lumière de l’automne et avec le sentiment de profiter de ses charmes dans la quasi solitude, c’est un vrai bonheur. Doublé par celui d’y être pour une formation sur le jardin de soin qui tient toutes ses promesses  en rencontres et en enseignements. C’est une plongée à pieds joints dans le monde de la thérapie horticole française (même si le terme est finalement peu utilisé ici). C’est la rencontre en chairs et en os avec Anne et Jean-Paul Ribes bien sûr. Mais pas seulement puisqu’ils sont entourés d’autres intervenants venus raconter des projets très enthousiasmants (tous les partager occupera les prochaines semaines!) et d’une bonne dizaine de participants aux parcours variés et aux expériences diverses. Les échanges sont riches, vifs parfois, plus philosophiques que le discours américain sur l’hortithérapie, mais extrêmement concrets et pratiques aussi. Il se dégage un sentiment d’enthousiasme et d’énergie dont on veut espérer qu’il perdurera au-delà de ces trois jours.

Voici rapidement quelques photos pour partager la magie de Chaumont (comme j’aimerais être meilleure photographe pour lui rendre justice).

Le bonheur est dans le jardin fait son auto-promotion

Lors de ma dernière visite à Chaumont en été 2009.

Semaine un peu particulière puisque je vais aller passer trois jours à Chaumont-sur-Loire pour cette formation sur le thème du jardin de soin et de santé. Je suis en dessous de la vérité en disant que je suis impatiente de débarquer mercredi dans ce haut lieu du jardinage et de rencontrer intervenants et participants. Nous en reparlerons ici bien évidemment.

Avec une semaine de travail réduite à deux jours, le temps me manque aujourd’hui pour un article en bonne et due forme. Par contre, je ne résiste pas à la tentation de vous demander de voter pour Le bonheur est dans le jardin aux Golden Blog Awards. La sélection se fait en deux temps : le vote des internautes jusqu’au 22 octobre, puis le choix d’un jury. Vous pouvez voter en vous rendant sur cette page, puis en cliquant sur le bouton bleu. C’est une question de visibilité pour le blog, mais au final aussi et surtout pour cette belle discipline qu’est la thérapie horticole.

Pendant qu’on y ait, je vous signale que vous pouvez vous abonner au Bonheur est dans le jardin pour recevoir automatiquement des alertes emails à chaque nouvel article. Il suffit de cliquer sur le bouton « Suivre » en bas à droite de votre écran. Vous ne louperez plus jamais un épisode! Merci pour votre soutien et n’hésitez pas à m’envoyer vos questions, commentaires ou suggestions pour de nouveaux articles.

Martine Brulé, praticienne en hortithérapie

Au début des années 2000, Martine Brulé, architecte-paysagiste de formation, ne peut s’empêcher de remarquer que les hôpitaux et maisons de retraite qu’elle visite manquent cruellement d’aménagement dans leurs espaces extérieurs. Le cadre de vie des patients en souffre. Elle s’attelle à changer la situation en abordant le sujet avec des directeurs d’établissements. « Il y avait bien sûr des difficultés financières et d’espace. Peu de maisons de retraite ont un espace suffisant », explique Martine Brulé. « Mais il y avait aussi une difficulté plus « philosophique ». Ce n’était pas encore dans l’air du temps il y a 10 ans de se remettre en question sur le sujet du bien-être. »

Un jeune s’occupe de son « jardin sur un plateau », un paysage méditerranéen miniature.

Dès 2003, elle créé l’Association Phyll’Harmonie dont le professeur Marcel Rufo, le très médiatique pédopsychiatre, prend la présidence. Un projet de jardin sur la terrasse de la Maison de Solenn à Paris n’aboutit pas pour diverses raisons. Mais aujourd’hui encore, elle travaille avec la Maison des Ados de Nice pour qui elle a créé un jardin. Suite à un déménagement qui la prive d’espace, elle poursuit avec des activités utilisant des matériaux vivants pour que les ados s’ouvrent à la créativité qui est en eux. Son entreprise, Viv’Harmonie, développe des ateliers nature à l’attention des personnes âgées, des personnes handicapées, des enfants et des adolescents, « à travers une approche du milieu vivant et du végétal en particulier, basés sur les apports de l’hortithérapie. »

La praticienne en hortithérapie peut guider les mains de la participante si besoin.

Face au manque d’espace, Martine Brulé imagine une solution. Cette membre de l’American Horticultural Therapy Association invente une solution pour amener le jardin aux participants même sans espace.  « Le jardin sur un plateau » permet de travailler à l’intérieur ou à l’extérieur. Un artisan le fabrique pour moi en résine et une solution plus « biologique » est à l’étude. Il est facile à transporter. Il sert de support pour créer un paysage miniaturisé pour que le patient s’évade et exprime sa créativité. Il est pérenne et peut suivre le rythme des saisons », énumère Martine. Elle le préfère à un véritable jardin pour les personnes âgées qui ne sont pas assez autonomes pour travailler dehors avec des outils.

Pendant deux ans, elle intervient à l’hôpital Bretonneau à Paris où elle intègre un programme du service de gériatrie pour des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de maladies apparentées. Depuis 2007, elle travaille dans une maison de retraite, la résidence Korian Rives d’Esterel, à Fréjus avec des bienfaits cognitifs, psychiques, physiques et sociaux pour les patients. « On constate que les personnes sont de plus en plus dépendantes », avoue-t-elle, ce qui demande une adaptation des activités à la recherche d’une stimulation sensorielle.

Ces participants aux ateliers nature de Martine Brulé passent un moment au soleil entourés de plantes.

« Avec la matière naturelle, ce qui est différent des autres approches non médicamenteuses, c’est une réaction au vivant qui est immédiatement perceptible. Cette relation crée du bien-être », résume-t-elle. Elle constate qu’il y a aujourd’hui un engouement pour les « jardins thérapeutiques » dont elle estime que beaucoup ne présentent pas d’aspect thérapeutique : intégration dans le projet d’établissement et objectifs clairs servis par un programme. Une difficulté spécifique à la France, selon elle, est la difficulté à travailler en équipe. « L’hortithérapie n’est qu’un maillon de la chaine, c’est un travail d’équipe avec tous les autres spécialistes. »

En plus de ses ateliers, Martine Brulé dispense des formations, en collaboration avec l’association nationale des ergothérapeutes. Elle sent une forte demande de la part des personnels soignants, particulièrement en maisons de retraite. Pour elle, c’est là le gros chantier de l’hortithérapie en France.

Des ados en train de travailler au jardin.

Prisonniers et jardiniers

Photo de groupe au jardin, prisonniers et bénévoles.

Beth Waitkus s’inspire de cette citation de John Muir, le célèbre naturaliste et activiste américain souvent associé avec le parc de Yosemite en Californie : « Quand on tire sur une simple petite chose dans la nature, on découvre qu’elle est connectée au reste du monde. » Cette question de connexion est centrale à son travail de consultante auprès d’organisations et particulièrement à son projet Insight Garden Program à la prison de San Quentin près de San Francisco. « En vérité, la mission de notre programme à San Quentin est d’utiliser la nature pour reconnecter les gens avec eux-mêmes, avec leurs communautés et avec l’environnement naturel », explique-t-elle.

Beth Waitkus a lancé l’Insight Garden Program en 2003.

Par manque de temps, je n’ai pas pu aller visiter le programme de Beth avant de quitter San Francisco. Je vous le décris donc malheureusement « de l’extérieur » plutôt que « de l’intérieur ». Ce programme de jardinage biologique comprend une forte composante de réinsertion. « L’Insight Garden Program a lancé une initiative de retour à l’emploi pour que les hommes qui quittent la prison puissent aider à restaurer leurs communautés à travers l’agriculture durable, le jardinage partagé et des emplois verts. » Beth considère que cette réinsertion est une solution plus durable aux coûts socio-économiques élevés de la prison traditionnelle érigée en complexe industriel.

Tout a commencé en 2003 avec un jardin de fleurs indigènes de Californie planté dans une des cours de San Quentin avec l’aide de prisonniers, de bénévoles et d’experts en jardinage, le personnel étant présent pour surveiller. Depuis presque 10 ans, les prisonniers qui souhaitent participer partagent leur temps entre des cours où ils apprennent les bases du paysagisme et de la durabilité environnementale et le jardin de 110 m2 dont ils ont la charge. Parmi les sujets développés en classe, la gestion et la planification d’un jardin, l’irrigation, l’amendement des sols, l’entretien selon les saisons, l’identification des plantes et la propagation.

Avant et après le jardin.

« A travers l’acte de s’occuper des plantes, les qualités de responsabilité, de discipline et de pleine conscience se transfèrent dans la sphère interpersonnelle – en faisant pousser les plantes, les gens « poussent » aussi », affirme Beth Waitkus. « Parce que la nature cultive la conscience, les hommes apprennent à répondre plutôt qu’à réagir et ils deviennent des membres productifs dans la société quand ils sortent. » En se basant sur son expérience, elle a d’ailleurs écrit une thèse de master en développement des organisations sur le sujet « Impact d’un jardin sur l’environnement physique et le climat social d’une cour de prison à la San Quentin State Prison ». On peut la télécharger ici.

Sa recherche basée sur des interviews avec les prisonniers et le personnel de la prison avant et après la mise en route du jardin a montré un certain nombre de bienfaits du programme. Le jardin reçoit de l’attention, est utilisé et sert de refuge. Etre dans ou près d’un jardin peut réduire le stress. Les prisonniers participants ont constaté des bienfaits de leur travail direct avec la nature. Les jardins créent la possibilité d’espoir et de changement. Les attentes des prisonniers et du personnel sur l’impact du jardin ont été comblées et même dépassées. Pour suivre le travail de Beth Waitkus, son blog, The Avant Gardener, est une lecture indispensable. Son programme fait aussi l’objet d’articles dans la presse locale. Avec une constante, l’espoir de réinsérer les hommes qui travaillent dans le jardin et de réduire le récidivisme.

Des prisonniers au travail dans le jardin.

La fleur et le mirador, tout un symbole.