Le Jardin d’Epi cure : les cérébro-lésés ont le sens de l’humour

Le sol a été étudié pour faciliter la circulation en fauteuil roulant.

“Cérébro-lésé”, quel drôle d’adjectif. On sent immédiatement un événement traumatique, une dimension dramatique qui a changé la vie à tout jamais. C’est le qualificatif qui vient s’attacher à toute personne qui a souffert des lésions de l’encéphale, le plus souvent à la suite d’un traumatisme comme un accident de la route ou d’un accident vasculaire cérébrale. Les conséquences sur la parole, la mémoire, la mobilité et le comportement sont plus ou moins importantes.

J’avais beaucoup entendu parler de la Maison des Aulnes en région parisienne et de son tout nouveau jardin d’Epi cure lancé sous la houlette d’Anne et Jean-Paul Ribes avec le concours en interne de Stéphane Lanel, un animateur à la présence extraordinaire. Cette résidence qui accueille donc des hommes et des femmes cérébro-lésés n’a que 5 ans. Son jardin, lui, est encore plus récent. Là où un chemin serpente doucement et mène à un ensemble de jolies fascines, à une accueillante pergola et à une serre, il n’y avait rien voici encore un an. L’idée, puis le jardin, ont jailli de terre sous l’impulsion des résidents comme Bruno qui avait déjà commencé ses plantations en douce, en véritable guérilla du jardinage. Et grâce à la détermination d’Anne, Jean-Paul et Stéphane qui ont proposé l’idée à la direction (et décroché un sponsor, Truffaut).

L’entrée du jardin d’Epi cure est bien marquée : Anne Ribes nous y accueille.

Une fois une équipe de jardiniers constituée, le jardin est sorti de terre avec l’aide d’une entreprise qui a fait le gros du travail de terrassement et de drainage. A chaque étape, les résidents-jardiniers ont été associés aux décisions. Quand on les rencontre enfin dans leur jardin, leur fierté et leur attachement au projet font plaisir à voir et à entendre. Tous les lundis, une activité se déroule au jardin. Mais le reste du temps, les résidents s’y sentent aussi chez eux et viennent arracher un peu de mauvaise herbe, arroser ou profiter du calme, assis sous la pergola. L’endroit est accueillant du portique d’entrée au sol très facile à naviguer en fauteuil roulant.

Ce dimanche d’automne est un peu particulier. Les jardiniers accueillent quelques visiteurs et sont visiblement heureux et fiers de partager leur jardin, d’expliquer, de commenter. Certains s’affairent à arracher une prairie fleurie qui a fait son temps et à emmener des brouettes de plantes mortes sur le tas de compost au fond du jardin. On nous montre aussi une nouvelle tranche du jardin en préparation. Une allée a été matérialisée et des trous creusés pour accueillir des fruitiers. Fuitiers, offerts par un paysagiste de Montpellier, qui sont attendus incessamment.

Les jardiniers d’Epi cure préparent la plantation d’arbres fruitiers.

Les commentaires fusent. « Le jardin, c’est une bouffée d’air et on apprend toujours quelque chose », affirme Dominique. « Je suis une pro-jardin » et « On a fait du bon travail », ajoute Elizabeth. Les deux femmes semblent remplir un rôle de leader dans la communauté des jardiniers. Les hommes dégagent une fierté plus tranquille, mais aussi forte. Comme la nuit tombe, on ne partagera pas une tisane dans le jardin, mais dans une salle dédiée à l’atelier cuisine. Attablés avec une tasse de camomille, de la confiture de potiron du jardin (le résultat d’un combat pour pouvoir manger les fruits de leur travail, problème sensible en institution) et un broyé du Poitou (merci, Maman), jardiniers et visiteurs discutent, parlent d’eux, du jardin, de leur vie dans un beau moment de convivialité. Merci à tous de l’accueil. Même dans la fraicheur de l’hiver, votre jardin fait chaud au cœur.

Vous aussi vous pouvez visiter ce jardin extraordinaire. “Le Jardin d’Epi cure vous invite à suivre la vie et les activités autour d’un jardin de soin implanté au sein d’un établissement accueillant des personnes adultes cérébro-lésées” : c’est la proposition de Stéphane qui tient toutes les semaines un journal fidèle sur une page Facebook. De semaine en semaine, photos à l’appui, vous verrez le jardin et les jardiniers se transformer.

Après l’effort, le réconfort. La pergola est le point de rassemblement où les jardiniers dégustent une tisane ou une confiture maison. En souvenir des beaux jours…

Ce que j’ai appris à Chaumont

Anne Ribes explique comment protéger une plaie grâce à une feuille de plantain pour continuer à jardiner même blessé.

A Chaumont-sur-Loire, je me frottais pour la première fois à des hortithérapeutes français. Mais sans formation qualifiante, c’est sans doute trop tôt pour employer ce terme que même mon correcteur d’orthographe a dû mal à admettre. On pourrait lui préférer le terme de jardiniste, celui que privilégie Anne Ribes, cette infirmière qui a poursuivi un BTS Art du jardin pour concilier son envie de soigner et son envie de jardin avec le désir de concevoir « l’hôpital vert ». Les programmes qu’elle anime et qu’elle conçoit, on en reparlera….demain et après-demain comme de ceux d’autres intervenants ou participants : Dominique Marboeuf, responsable d’étonnants espaces verts au centre hospitalier Mazurelle à la Roche-sur-Yon ou encore Stéphane Lanel qui anime avec Anne un jardin pour des patients cérébro-lésés à la Maison des Aulnes à Maule (78).

Les mots ont leur importance, bien évidemment. Pendant ces trois jours, on n’a pas souvent utilisé le mot hortithérapie en fait. On a plutôt parlé de jardin de soin qu’on a opposé au jardin thérapeutique, un concept qui semble vague et surfait à Jean-Paul Ribes. Théoricien de l’association Belles Plantes, Jean-Paul est le mari et le complément d’Anne (« Notre mythologie nous rapporte…. » commence-t-il. « …au terrien », finit-elle).  «La maladie, c’est ce qui nous rend absent. Le jardin est une stratégie de la présence. Quand on est présent au monde, on se porte bien », affirme Jean-Paul Ribes. « On ne prescrit pas le jardin, c’est une appropriation. Ce n’est pas un jardin de soin s’il n’y a pas d’évolution dans le temps. » Il revendique le droit du jardin à rester dans son état naturel.

Menés par Jean-Paul Ribes, les participants à la formation sont en visite dans un Ehpad local. Ils arpentent le terrain, s’orientent par rapport au soleil et aux vents dominants, imaginent des solutions mêlant espaces de jardinage et espaces de déambulation, solutions immédiatement dessinées sur des esquisses.

Il se méfie au plus haut point de tous les artifices qu’on veut y introduire. « Le jardin doit privilégier le vivant et la simplicité. Pour écouter le jardin, il ne faut pas lui surajouter des messages qui perturbent ». Peindre ses bacs en couleurs vives ? Quelle horreur puisque ce sont des couleurs qui n’existent pas dans la nature. « Au jardin, pas de blouses blanches. Que des tabliers verts », assène-t-il aussi. Les discussions sont rentrés dans les détails : comment faire son enquête pour élaborer le projet (d’ailleurs nous avons mis en application en allant dans l’Ehpad voisin où l’une des participantes a un grand projet pour jardiner avec les patients Alzheimer), comment concevoir, financer, réaliser et animer un jardin.

Sébastien Guéret de Formavert (Marseille) et Guillaume Berthier d’Angle Vert Services (Montpellier) prennent langue avec la terre sur le terrain destiné à devenir un jardin pour ceux qui fréquentent l’accueil de jour de l’Ehpad d’Onzain (Loir-et-Cher).

La richesse de cette formation, un peu pionnière même si Sébastien Guéret qui était également présent anime depuis plusieurs années des formations et des ateliers jardin au sein de Formavert et qu’on a aussi déjà parlé des formations de Martine Brulé, était la diversité des participants. Partagés entre le monde de l’hôpital psychiatrique et celui des maisons de retraite pour la plupart, ils étaient essentiellement des soignants épris de jardin avec des projets en cours ou en développement.  Des soignants passionnés et animés d’une volonté pour faire bouger les choses dans des univers très administratifs dont les règles semblent juguler patients et soignants. (« Faire un jardin, c’est faire la révolution dans un établissement », affirme volontiers Jean-Paul Ribes). Quelques profils différents aussi : un responsable d’espaces verts au sein d’un hôpital (un futur Dominique Marboeuf ?), une ingénieure dont le cabinet d’architecte est spécialisé dans les établissements de soin, un entrepreneur paysagiste qui poursuit méthodiquement un projet de diversification dans l’hortithérapie pour sa société, une graphiste amoureuse de jardin. Et moi, moi qui vais devoir décider si je continue simplement à causer ou si j’ai le temps et le besoin de m’impliquer dans un projet concret. En tout cas, je sais maintenant que j’ai des âmes sœurs en France.