Une hortithérapeute dans la peau de ses patients

Sue Kaylor avec une patiente

Sue Kaylor avec une patiente

Il y a 20 ans, le monde de Sue Kaylor a basculé. En mai 1993, elle est victime d’une hémorragie cérébrale. Evacuée par avion vers un hôpital voisin, elle subit une intervention pour arrêter l’hémorragie. Pendant trois mois, elle restera hospitalisée et réapprendra à marcher, à parler, à lire et à écrire. Aujourd’hui, Sue va beaucoup mieux. La paralysie qui affectait son côté droit s’est résorbée. Elle souffre parfois encore de troubles de la mémoire. C’est pourquoi quand je l’appelle chez elle pour qu’elle me parle de son travail en thérapie horticole, son compagnon Chris participe à la conversation et l’aide lorsqu’elle oublie un détail.

C’est justement Chris qui, à l’hôpital alors qu’elle ne pouvait pas parler, a remarqué l’envie de Sue de toucher les plantes. « Une thérapeute me poussait en fauteuil roulant à côté d’une jardinière de soucis et j’avais très envie de couper les fleurs fanées. Chris a compris », explique Sue. « J’avais toujours aimé jardiner, ma grand mère était une passionnée de jardin. Mais là, le jardinage a pris une nouvelle dimension. » De retour chez elle après trois mois à l’hôpital, elle s’installe parfois sur une couverture pour jardiner et se débrouille comme elle peut en utilisant sa main gauche.

Les patients gardent leurs créations. Sue a constaté que, depuis 20 ans, la durée des séjours à l'hôpital a beaucoup diminué. Les séjours d'un mois, au lieu de trois, sont devenus plus fréquents.

Les patients gardent leurs créations. Sue a constaté que, depuis 20 ans, la durée des séjours à l’hôpital a beaucoup diminué. Les séjours d’un mois, au lieu de trois, sont devenus plus fréquents.

Son intérêt pour la thérapie horticole va faire son chemin lentement. Alors qu’elle n’a pas encore retrouvé toutes ses capacités, Sue se lance dans le bénévolat auprès de patients qui lui ressemblent. Le personnel de l’hôpital la dirige naturellement vers des patients qui ont souffert un AVC ou un traumatisme crânien. Elle découvre alors le livre The Enabling Garden : Creating Barrier-Free Gardens de Gene Rothert qui fut pendant 32 ans le directeur des programmes de thérapie horticole au Chicago Botanical Garden. Publié en 1994, ce livre est considéré comme un ouvrage fondamental pour comprendre comment rendre le jardinage accessible à tous. Il lui donne envie d’aller plus loin et elle suit la formation pour devenir une « master gardener » en Caroline du nord. Mission accomplie en 1998.

Elle se rapproche du personnel soignant du Charlotte Institute of Rehabilitation et commence à jardiner avec des patients. « J’amenais des plantes de mon jardin, du romarin, de la lavande, de l’eucalyptus. Les odeurs sont très importantes. » Après 5 ans, elle change d’établissement pour se rapprocher du Carolinas Medical Center – Mercy Hospital toujours à Charlotte en Caroline du nord.

Sue jardine à l'intérieur, les patients adorent toucher la terre.

Sue jardine à l’intérieur, les patients adorent toucher la terre.

« Je travaille avec une récréothérapeute, Kate Smith. Elle évalue les patients sur des éléments cliniques et elle sait quand ils sont prêts. Moi, j’ai la connexion avec eux. Même s’il n’y a pas deux cas pareils, j’y suis passée avant eux. Je leur explique qui je suis », raconte Sue. « Nous travaillons à l’intérieur. Le personnel amène 4 ou 5 patients. J’ai tout le matériel nécessaire, la terre et les plantes. Le toucher est très important ainsi que les odeurs. S’ils souffrent de paralysie, ils compensent. » Sue croit tellement dans la force des plantes dans le processus de guérison que ce travail bénévole est devenu une partie importante de sa vie. Lorsqu’un patient se prend au jeu – comme cet homme tellement plongé dans son activité qu’il a enlevé le bandeau sur son œil pour mieux voir ou cette femme enchantée de voir ses graines de tournesol germer au bout d’une semaine, Sue est récompensée.

Le Jardin d’Epi cure : les cérébro-lésés ont le sens de l’humour

Le sol a été étudié pour faciliter la circulation en fauteuil roulant.

“Cérébro-lésé”, quel drôle d’adjectif. On sent immédiatement un événement traumatique, une dimension dramatique qui a changé la vie à tout jamais. C’est le qualificatif qui vient s’attacher à toute personne qui a souffert des lésions de l’encéphale, le plus souvent à la suite d’un traumatisme comme un accident de la route ou d’un accident vasculaire cérébrale. Les conséquences sur la parole, la mémoire, la mobilité et le comportement sont plus ou moins importantes.

J’avais beaucoup entendu parler de la Maison des Aulnes en région parisienne et de son tout nouveau jardin d’Epi cure lancé sous la houlette d’Anne et Jean-Paul Ribes avec le concours en interne de Stéphane Lanel, un animateur à la présence extraordinaire. Cette résidence qui accueille donc des hommes et des femmes cérébro-lésés n’a que 5 ans. Son jardin, lui, est encore plus récent. Là où un chemin serpente doucement et mène à un ensemble de jolies fascines, à une accueillante pergola et à une serre, il n’y avait rien voici encore un an. L’idée, puis le jardin, ont jailli de terre sous l’impulsion des résidents comme Bruno qui avait déjà commencé ses plantations en douce, en véritable guérilla du jardinage. Et grâce à la détermination d’Anne, Jean-Paul et Stéphane qui ont proposé l’idée à la direction (et décroché un sponsor, Truffaut).

L’entrée du jardin d’Epi cure est bien marquée : Anne Ribes nous y accueille.

Une fois une équipe de jardiniers constituée, le jardin est sorti de terre avec l’aide d’une entreprise qui a fait le gros du travail de terrassement et de drainage. A chaque étape, les résidents-jardiniers ont été associés aux décisions. Quand on les rencontre enfin dans leur jardin, leur fierté et leur attachement au projet font plaisir à voir et à entendre. Tous les lundis, une activité se déroule au jardin. Mais le reste du temps, les résidents s’y sentent aussi chez eux et viennent arracher un peu de mauvaise herbe, arroser ou profiter du calme, assis sous la pergola. L’endroit est accueillant du portique d’entrée au sol très facile à naviguer en fauteuil roulant.

Ce dimanche d’automne est un peu particulier. Les jardiniers accueillent quelques visiteurs et sont visiblement heureux et fiers de partager leur jardin, d’expliquer, de commenter. Certains s’affairent à arracher une prairie fleurie qui a fait son temps et à emmener des brouettes de plantes mortes sur le tas de compost au fond du jardin. On nous montre aussi une nouvelle tranche du jardin en préparation. Une allée a été matérialisée et des trous creusés pour accueillir des fruitiers. Fuitiers, offerts par un paysagiste de Montpellier, qui sont attendus incessamment.

Les jardiniers d’Epi cure préparent la plantation d’arbres fruitiers.

Les commentaires fusent. « Le jardin, c’est une bouffée d’air et on apprend toujours quelque chose », affirme Dominique. « Je suis une pro-jardin » et « On a fait du bon travail », ajoute Elizabeth. Les deux femmes semblent remplir un rôle de leader dans la communauté des jardiniers. Les hommes dégagent une fierté plus tranquille, mais aussi forte. Comme la nuit tombe, on ne partagera pas une tisane dans le jardin, mais dans une salle dédiée à l’atelier cuisine. Attablés avec une tasse de camomille, de la confiture de potiron du jardin (le résultat d’un combat pour pouvoir manger les fruits de leur travail, problème sensible en institution) et un broyé du Poitou (merci, Maman), jardiniers et visiteurs discutent, parlent d’eux, du jardin, de leur vie dans un beau moment de convivialité. Merci à tous de l’accueil. Même dans la fraicheur de l’hiver, votre jardin fait chaud au cœur.

Vous aussi vous pouvez visiter ce jardin extraordinaire. “Le Jardin d’Epi cure vous invite à suivre la vie et les activités autour d’un jardin de soin implanté au sein d’un établissement accueillant des personnes adultes cérébro-lésées” : c’est la proposition de Stéphane qui tient toutes les semaines un journal fidèle sur une page Facebook. De semaine en semaine, photos à l’appui, vous verrez le jardin et les jardiniers se transformer.

Après l’effort, le réconfort. La pergola est le point de rassemblement où les jardiniers dégustent une tisane ou une confiture maison. En souvenir des beaux jours…