Financer un jardin : conseils d’une pro de la philantropie

Fin février, je vous parlais du « Jardin pour Toit » du Centre Robert Doisneau dans le 18e arrondissement de Paris et je promettais de revenir sur les conseils d’Ingrid Antier-Perrot pour financer un jardin de soin. Elle est directrice philantropies et communication à la Fondation Hospitalière Sainte Marie (FHSM). Cette fondation d’utilité publique à but non lucratif gère, entre beaucoup d’autres établissements, le Centre Robert Doisneau. Présente dans cinq départements en Ile-de-France, elle « répond aux besoins spécifiques des personnes dépendantes, malades ou atteintes d’affections chroniques invalidantes, quel que soit leur âge » selon sa propre présentation en ligne (services à domicile, centres de rééducation, hôpitaux et centres d’accueil de jour pour des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, établissements d’hébergement pour adultes, structures d’accueil pour jeunes atteints d’autisme ou encore maisons de retraite médicalisées). Elle est aussi une fondation abritante. Voilà pour une présentation rapide qui semblait utile et que vous pouvez compléter sur le site de la FHSM et au-delà.

Ingrid Antier-Perrot, la directrice philantropies et communication de la FHSM

Ingrid Antier-Perrot, la directrice philantropies et communication de la FHSM

Pour rappel, le jardin sur le toit du Centre Robert Doisneau a été conçu alors que la construction du bâtiment avait déjà commencé. Ce n’est évidemment pas le déroulement idéal comme en sont bien conscients les initiateurs du jardin. Mais le résultat aujourd’hui est que le jardin existe et s’apprête à accueillir sa deuxième saison d’ateliers ! C’est cela le plus important. « Notre directeur général et l’architecte ont eu envie d’utiliser l’espace sur le toit pour en faire un jardin. Le projet avait commencé et nous avons dû obtenir une dérogation de la préfecture. Nous avons rencontré Topager à travers un article que j’avais lu sur eux dans Le Monde. C’était en 2011 », expliquait Ingrid Antier-Perrot.

Comment financer un projet de 100 000 euros ?

Topager conçoit et réalise des potagers et des refuges de biodiversité urbains. L’équipe propose un devis. Pendant que la Fondation discute avec le constructeur (il faut trouver un sol pas trop lourd, éviter les infiltrations, remplir les obligations de rétention d’eaux pluviales), Ingrid Antier-Perrot se tourne vers des donateurs privés pour récolter les 100 000 euros nécessaires au projet qui pourra bénéficier aux résidents des quatre établissements hébergés sous le toit du Centre Robert Doisneau. Comment finance-t-on un tel projet?

« Notre dossier présentait le projet, les objectifs thérapeutiques et les devis. Nous avons insisté sur les bénéfices pour les personnes selon leur handicap. C’est important quand on s’adresse à des financeurs qui sont spécialisés dans le handicap ou les enfants par exemple. Il faut bien regarder les fondations d’entreprise et leurs axes de financement », explique la spécialiste de la philanthropie. « Je pense que c’est important d’essayer de les faire venir sur place quand il existe déjà quelque chose. En tout cas, il faut bien identifier les points forts de son projet. »

Ma très mauvaise photo de la plaque posée à l'entrée du Jardin pour Toit pour remercier les donateurs

Ma très mauvaise photo de la plaque posée à l’entrée du Jardin pour Toit pour remercier les donateurs. Un geste indispensable.

Parmi les financeurs, on trouve par exemple la Fondation Lemarchand pour l’équilibre entre les hommes et la Terre qui a été sensible au lien entre nature et soin, nature et insertion. D’autres sources sont plus connues des lecteurs de ce blog comme la Fondation Truffaut (qui a aussi participé à un projet supplémentaire pour l’IME (Institut Médico-Educatif)) et l’association Jardins & Santé qui a également contribué au Jardin pour Toit avec une bourse de 5 000 euros décernée en 2013. Pour d’autres projets au sein de la FHSM, Ingrid Antier-Perrot avait déjà sollicité des financeurs : le géant de l’audit PwC pour un jardin dans un centre d’accueil pour personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer à Pantin et la Fondation Hôpitaux de Paris Hôpitaux de France pour un jardin des senteurs dans un EHPAD à Noisy-le-Sec.

Avoir une stratégie, être méthodique et ne négliger aucune piste

La page d'appels aux dons très pro de la FHSM, des solutions sont accessibles pour les petites associations...A suivre...

La page d’appels aux dons très pro de la FHSM. Des solutions sont accessibles pour les petites associations…A suivre…

N’oublions pas non plus les financeurs publics même si, comme l’expliquait John Riddell la semaine dernière, leurs budgets se rétrécissent comme peau de chagrin. En l’occurrence, le Conseil régional a participé ainsi que la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie. La FHSM a aussi apporté son écot à travers des dons et des legs. Il faut d’ailleurs noter que, dans sa brochure « Je fais un don », le jardin thérapeutique fait l’objet d’une mention. « Avec un don de 75 euros, vous pouvez financer l’achat de plantations pour des ateliers de jardinage en potager thérapeutique (pour une personne) » à côté d’autres exemples comme la musicothérapie pour des personnes atteintes d’Alzheimer ou l’achat de matériel pédagogique pour des enfants atteints d’autisme. L’appel aux dons prend aussi une dimension numérique sur cette page de la FHSM.

Financer un jardin de soin : quelques conseils

Au Jardin d'Olt, des bénévoles ont relevé le défi pour préparer le jardin à sa création.

Au Jardin d’Olt (Aveyron), des bénévoles ont donné un coup de main pour préparer le jardin lors de sa création en 2013.

Au fil des billets, la question du financement revient souvent. C’est un sujet incontournable pour tout porteur de projet qui se lance et veut pérenniser son programme. Du coup, j’ai eu envie de rassembler les réflexions de plusieurs personnes expérimentées en la matière. Il y a tellement à dire sur le sujet que nous allons procéder en deux, voire en trois temps. Cette semaine, John Riddell du Jardin des Vents nous livre ses réflexions sur le financement de ce jardin ambitieux qui a mis plus de 10 ans à voir le jour comme il nous le racontait il y a quelques semaines. J’ai glané d’autres conseils ici et là.

« On devient un peu mendiant », constate John Riddell, le président de l’association du Jardin des Vents. « Il faut avoir un beau dossier. Grâce à notre stagiaire, notre dossier était plein de croquis pour faire rêver de ce pourrait être le jardin. J’ai constaté que le projet provoquait toujours des réponses positives. Le jardin thérapeutique est très consensuel. EDF nous a donné 45 000 euros, AG2R 37 000 euros, le Lions Club doyen de Castelnaudary 7 500 euros. Nous avons reçu une bourse de 3 000 euros de Jardins & Santé. La Caisse d’Epargne a aussi contribué. »

« Il y a 10 ou 20 ans, on aurait cherché du côté des collectivités, mais elles n’ont plus d’argent. Je précise quand même que le département de l’Aube nous a donné des végétaux. Par contre, la Fondation Truffaut a répondu non », continue-t-il en énumérant d’autres aides en nature. « Une coopérative agricole a aidé à désherber le terrain. Les élèves du lycée agricole de Castelnaudary et leurs professeurs ont aidé à la plantation ainsi que Bethsabée de Gunzbourg de Jardins & Santé. Et il y a sans doute de nombreux autres partenaires et bénévoles qu’il serait long de citer, mais qui ont rendu le projet possible.

« Les donateurs ne posent pas vraiment de question sur les bienfaits du jardin. Mais c’est important pour la suite et j’aimerais que des médecins ou des étudiants essaient de montrer des résultats réels. Avec la crise financière, ce serait utile de montrer comment les jardins peuvent avoir un impact », conclut-il. Il parle bien sûr d’un impact financier, en économie de médicaments ou d’autres services. Une approche comptable qui pourrait s’avérer productive devant certains interlocuteurs, des acteurs publics aux gestionnaires d’établissements privés.

Une simple lettre de sollicitation assure le budget plantes d’un projet

Carole Nahon de l’association le Jardin des (S)âges nous raconte une partie de son aventure de financement. « J’ai appris que le Crédit Agricole aidait des projets associatifs. J’ai fait un courrier dans lequel j’exposais le projet, brièvement, et j’ai demandé la somme qui correspondait au poste des plantes dans le projet, sachant que le Crédit Agricole ne nous donnerait qu’une bourse qui avait une attribution spécifique, ici les plantes. J’ai envoyé le courrier, j’avoue que je n’y croyais plus. Ma surprise en a donc été plus grande! Nous avons aussi déposé un dossier à Jardins & Santé…Là, je suis bien plus perplexe, vu le nombre de demandes cette année. »

Organiser une vente de plantes

Lorsque j’ai commencé ce blog en Californie il y a bientôt 4 ans, j’entendais beaucoup parler de ventes de plantes pour lever des fonds pour tel ou tel programme. Le concept peut être adopté en France comme le démontre le Jardin d’Olt. Cécile Ratsavong-Deschamps, la présidente de l’association Médecines, Cultures et Paysages qui soutient ce jardin dans un hôpital-maison de retraite, l’a mis en œuvre. A l’approche de l’événement, elle en faisait la promotion sur le blog de son association avec tous les détails nécessaires pour encourager la participation.

Des idées dont on peut prendre de la graine ! A suivre la semaine prochaine…

Où on retrouve Tamara

Depuis notre première rencontre sur Skype en décembre 2014, Tamara Singh est intervenue plusieurs fois sur ce blog pour raconter sa formation et sa pratique d’hortithérapeute à New York. Après plus d’un an en France, il était temps de la rencontrer de nouveau pour lui demander ses impressions. Nous avons discuté cette semaine et voici le billet que j’ai écrit pour le blog du Horticultural Therapy Institute dans la foulée. Etant un peu beaucoup sous l’eau, je vais simplement vous renvoyer vers le billet en anglais. Bonne lecture.

48heures

Oyé, oyé : les 48 heures de l’agriculture urbaine se tiennent ce weekend, le 19 et 20 mars, à Paris. Tous les renseignements et inscriptions sur le site.

Reconversion dans les jardins thérapeutiques

« Je veux proposer des jardins thérapeutiques avec une solide base en aménagement paysager. » Après 24 ans dans la communication, 20 à Paris et les quatre dernières dans sa région d’origine à Toulouse, Béatrice Bonzom Dedieu rêvait d’une reconversion. Jardinière amatrice, elle se rend en 2014 au symposium Jardins & Santé. Elle découvre également la Cité des Sciences Vertes, un établissement rassemblant plusieurs parcours scolaires autour de l’horticulture, de l’agriculture et de l’agronomie. Elle présente un projet de reconversion professionnelle pour y faire un BTS Aménagement Paysager en formation continue, partiellement financé par la région Midi-Pyrénées. Depuis quelques mois, elle suit un cursus d’un an sur le campus d’Auzeville. Elle est particulièrement heureuse que les jardins thérapeutiques soient le sujet de l’année. « C’était une demande des élèves qui ont commencé à faire des rapports sur le sujet », explique-t-elle.

Emilie Ferrer, l’enseignante responsable de ce module d’initiative locale (mil) consacré cette année aux jardins thérapeutiques après les jardins partagés l’an dernier, a suivi la formation proposée par Jean-Luc Sudres à Toulouse tout comme Béatrice qui a bien entendu des bruits sur la création d’un diplôme dédié aux jardins thérapeutiques par le professeur de psychologie, mais n’en sait pas plus. « Ce serait quelque chose sur deux ans, quelque chose d’ambitieux et de pluridisciplinaire ». Emilie Ferrer a également suivi la formation sur les jardins de soin à Chaumont-sur-Loire, contrairement à Béatrice. « Au final, j’ai plus appris sur le jardin thérapeutique au symposium et par mes propres recherches pour l’instant. Ce BTS me permettra d’être crédible sur les fondamentaux comme l’analyse de la terre ou les systèmes d’arrosage », résume Béatrice.

En parallèle de son BTS, elle met les mains dans la terre. Aux côtés de Macadam Gardens, elle s’implique dans un projet de patio à la clinique Pasteur (un projet différent du jardin sur le toit créé par l’entreprise). « J’ai travaillé sur la version 1 du jardin de la Clinique Pasteur et une autre stagiaire d’Auzeville travaille actuellement sur la version 2″, explique-t-elle. « Je travaille actuellement pour le Jardin des Vents de Castelnaudary. J’ai rencontré John Riddel et nos échanges m’ont enthousiasmés. » Elle a commencé à rencontrer d’autres cliniques intéressées, mais sans budget pour financer des projets. Au moins, ces établissements pourront-ils se transformer en lieux de stage. Au fil de sa réflexion, Béatrice a également contacté Terramie et envisagé de se franchiser. Mais elle a abandonné cette piste car elle n’a pas envie « de cracher du devis » comme elle le décrit. Chemin faisant, elle rencontre des professionnels du jardin qui lui racontent être sollicités pour faire des jardins thérapeutiques. « Il faut évangéliser sur l’intérêt du jardin thérapeutique. Il faut faire de l’évaluation et des études. Tous mes projets dans le cadre du BTS sont une variation sur le jardin thérapeutique : la discussion avec l’équipe, la conception et l’évaluation. »

Un formateur invité raconte le module « jardins thérapeutiques »

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Rencontre entre les stagiaires du BTS Aménagement Paysager et les jeunes dans un IME de la région de Toulouse.

Sébastien Guéret de Formavert est venu prêter main forte à Emilie Ferrer pour animer le module qui se tenait la semaine dernière. « Emilie est une enseignante très « pêchue » et intrépide. Elle n’a peur de rien. Elle n’est pas du tout spécialiste du sujet mais elle a su proposer un programme qui tient la route en compilant les apports reçus des deux formations qu’elle a suivies. Elle fait surtout partie de ces enseignants qui plutôt que de délivrer un discours formaté va mettre ses stagiaires en situation de réflexion et de recherche. Donc elle les a fait plancher sur le sujet », explique Sébastien, admiratif et impressionné par l’expérience. A l’initiative de l’enseignante, un après-midi a donc été consacré à une animation auprès de jeunes souffrant d’autisme dans un IME. « Les stagiaires étaient en binômes et avaient à charge de réaliser avec les résidents de l’institution un « cadre végétal » qui resterait ensuite à l’institution. 20 stagiaires, répartis dans 4 unités différentes, du matériel, des ballots de tourbes, du grillage, des plantes, c’était un peu le bazar mais l’éducateur qui a coordonné tout ça s’est montré très disponible et bienveillant. Et l’animation s’est très bien faite. La qualité de relation et d’animation qui s’est dégagé de la part de ces stagiaires a bluffé tout le monde. Les personnels de l’institution n’en revenaient pas que des personnes sans aucune formation sociale puissent mener un tel travail auprès de leurs résidents », raconte Sébastien.

Et la contribution de Sébastien? Apporter sa longue expérience et son témoignage aux stagiaires. « On a fait un « débriefing » à chaud de l’animation et le lendemain j’ai refait un debrief avec des apports didactiques. On a retravaillé la notion d’objectifs thérapeutiques pour inscrire le jardin dans un processus de soin et on a fait travailler les stagiaires sur la conception d’un jardin thérapeutique à partir d’un patio de l’IME visité la veille. » Le lendemain, les revoilà partis sur le terrain. Cette fois, dans un CPC (Centre de Post-Cure pour malades souffrant de troubles psychiatriques) qui offre un atelier espaces verts qui n’est toutefois pas à but thérapeutique.

« Au final je pense que cette semaine aura permis une réelle ouverture sur le sujet. Ceux qui voudraient s’y consacrer plus pleinement auront encore beaucoup de choses à découvrir évidemment mais c’était une bonne approche. Pour les autres, cela aura le mérite de leur avoir ouvert les yeux sur la relation que l’on peut avoir au végétal et sur ce sujet qui, au-delà de la thérapie, touche tout le genre humain. Si toutes les formations horticoles pouvaient proposer une telle ouverture, les jardiniers de demain auraient bien plus conscience du rôle qu’ils ont à jouer dans notre société. »

 

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Les mains dans la terre

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Le cadre prend forme avec application

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Les cadres végétaux réalisés par les jeunes et les stagiaires : une première expérience pour les uns et les autres.