Un atelier d’horticulture en IME : de la découverte à une orientation professionnelle

Jean-Luc Valot avec un jeune qui apprend à conduire un engin sur un chantier.

Jean-Luc Valot avec un jeune qui apprend à conduire un engin sur un chantier.

Jean-Luc Valot est éducateur technique spécialisé à l’Institut Médico Educatif (IME) Le Prieuré à Saint-Vigor à côté de Bayeux. Avec les jeunes, il travaille depuis 20 ans avec les plantes. D’abord quelques définitions pour ceux qui ne viennent pas du monde médico-social. Un IME accueille des enfants qui souffrent de déficience intellectuelle légère avec ou sans troubles de la personnalité et du comportement associés. Ils arrivent dans un IME sur décision de la Commission des Droits et de l’Autonomie (CDA). L’IME Le Prieuré reçoit 20 filles en internat et 
42 garçons ou filles en semi-internat. Leur âge varie de 6 à 16 ans au moment de leur admission. Leur semaine comporte 4 ½ jours avec une demi-journée le mercredi.

Quant à un éducateur technique spécialisé (ETS), c’est « un travailleur social qui contribue à l’intégration sociale et à l’insertion professionnelle de personnes handicapées ou en difficulté. Il met en place auprès de ces personnes un accompagnement professionnel, éducatif et social en s’appuyant principalement sur l’organisation d’activités techniques et la mise en œuvre de projets de formation professionnelle adaptée. » Jean-Luc a deux BTS en horticulture, 5 ans d’expérience en entreprise et une expérience avec des adultes en ESAT (Etablissement et service d’aide par le travail) avant son arrivée en 1992 à l’IME Le Prieuré où il a créé l’atelier horticulture.

Au Prieuré, les enfants sont encadrés par trois équipes : une équipe éducative de professeurs des écoles spécialisés, une unité médicale (médecin, pédopsychiatre, psychologues, infirmière, psychomotricienne) et une unité psychopédagogique dont fait partie Jean-Luc. Outre la classe et les activités sportives et créatives, les jeunes fréquentent des ateliers sur quatre thèmes : maintenance/bâtiment, cuisine, hébergement (hygiène, couture,…) et horticulture. Pour les plus jeunes, ces activités se font sous forme d’ateliers de découverte. Sur deux ans, ils explorent les quatre thèmes à raison d’environ trois heures par semaine. En grandissant, les jeunes abordent les quatre thèmes sous l’angle de la formation pré-professionnelle, puis professionnelle.

La salle découverte de l'IME et une vue sur les jardins

La salle découverte de l’IME et une vue sur les jardins

« En horticulture, nous travaillons sur l’environnement, le climat, la terre, les animaux, les étoiles toujours en lien avec leurs maitresses et pour travailler sur des compétences transférables », explique Jean-Luc. « Je dois toujours me baser sur du concret et pouvoir leur montrer. » Concrètement, il a équipé les postes informatiques de sa salle de microscopes et de loupes binoculaires dont les images sont retransmises sur un grand écran. « Quand je leur dis qu’une plante est malade, je peux leur montrer. On peut regarder la terre, le compost. Comme tout le monde regarde ensemble, il y a de l’interaction entre les jeunes. » Pour montrer qu’une plante est bien vivante, Jean-Luc a des trucs : le gros bulbe d’un amaryllis qu’on voit grandir grâce à des repères ou le mimosa sensitive qui se rétracte quand on le touche.

Jean-Luc explique les spécificités de l’enseignement qu’il pratique. « Ils sont très curieux, mais ils sont curieux en périphérie. Ils restent à distance. Ce ne sont pas des cours magistraux, mais une pédagogie active et différenciée. Par exemple, il y a des lecteurs et des non-lecteurs. On est là pour transmettre quelque chose et être dans la bienveillance en reconnaissant ce qu’ils sont. Il ne faut pas que je leur dise tout, il faut qu’ils déduisent, qu’ils raisonnent, qu’ils vérifient. » Comment réagissent les enfants devant le vivant ? « Ils ont un rapport au vivant extraordinaire. Ils aiment malaxer la terre, patouiller. Certains aiment parfois casser des plantes. Ils ont aussi un rapport fort aux odeurs. Ils réagissent à l’odeur des jacinthes à côtés desquelles ils trouvent que les jonquilles ne sentent pas grand chose. Nous recherchons des interactions verbales avec eux. »

Le poulailler a été une source d'apprentissages multiples pour les jeunes.

Les poules et le poulailler ont été une source d’apprentissages multiples pour les jeunes.

En feuilletant le cahier de découverte d’un de ses élèves, il énumère les sujets abordés depuis le début de l’année : la serre qui est la maison des plantes, l’arrosage parce que la plante a soif, une couronne de l’Avent pour signifier le temps qui passe, des portraits de canards, le recyclage, l’œuf. Car le maître projet cette année a été la réalisation d’un poulailler en collaboration avec un jeune éducateur technique spécialisé stagiaire. « Il a fallu construire le poulailler, trouver les poules, faire des devis pour le blé, l’orge, le maïs pour les nourrir. Nous avons aussi décidé de construire un enclos pour les protéger des chats, des fouines, des belettes », rapporte Jean-Luc. « Nous venons de décider de vendre les œufs au sein de l’établissement pour nous auto subventionner. Nous avons dû demander l’aide des services généraux et de la maison de retraite voisine pour s’occuper des poules pendant les vacances. » Dans chaque cas, les jeunes partent d’une observation et débouche sur une problématique. Ils doivent trouver des solutions et tester des hypothèses.

Deux jeunes en train de créer une parcelle

Deux jeunes en train de créer une parcelle

Avec les plus grands à partir de 14 ans, l’objectif en horticulture est la production (pas le rendement, précise l’éducateur) dans un objectif professionnel. Chacun est responsable d’une zone dans le parc de 3 ½ hectares qui entoure l’établissement. « Nous faisons du lourd car nous sommes bien équipés en matériel. Ils sont très respectueux de ce qu’ils font. Nous avons une zone où il est permis de cueillir les fleurs », explique Jean-Luc. « Les jeunes ont participé à la création d’un jardin dans l’unité Alzheimer de la maison de retraite. » Ils commencent aussi à faire des stages. Ceux qui sont intéressés par l’horticulture pourront poursuivre dans des centres horticoles et de CFA. «Nous ne sommes pas un centre de formation qui fait passer le CAP. Nous sommes là pour transmettre des connaissances et préparer les jeunes à devenir acteurs de leur vie future », conclut Jean-Luc Valot est très clair sur certaines valeurs qu’il veut transmettre aux jeunes : l’horticulture bio et la récupération pour ne pas rentrer dans le jeu de la société de consommation, par exemple.

Aux Bullington Gardens, des ados en difficulté se passionnent

John Murphy plante un jardin potager, à partir de graines, avec des élèves de primaire.

Aux Bullington Gardens à Hendersonville en Caroline du nord, les activités de thérapie horticole de John Murphy s’adressent principalement à des adolescents. Pour cet homme qui a travaillé dans le tiers-monde sur des projets de développement, connecter les gens et les plantes est un intérêt de toujours. Il s’est formé grâce aux cours du Horticultural Therapy Institute voici quatre ou cinq ans, mais pratique la thérapie horticole depuis une dizaine d’années. Dans cet état de la côte est, Les Bullington Gardens sont un petit paradis de presque 5 hectares où les visiteurs découvrent plusieurs jardins (herbes, jardin en zone ombragée, jardin de plantes indigènes, therapy garden,…) et explorent le terrain en empruntant une « nature trail ».

Le premier programme s’appelle Boost – un nom qui imprime une bonne énergie – et existe depuis une dizaine d’années. Les participants sont de jeunes lycéens et lycéennes qui ont des troubles du développement et suivent des cours qu’on pourrait qualifier de pré-insertion professionnelle (« pre-vocational »). Ils viennent jardiner plusieurs heures par semaine et travaillent dans les serres et à l’entretien des jardins. « Le but est qu’ils acquièrent des compétences transposables dans le monde du travail : rester concentré, travailler ensemble, donner son meilleur effort tout en s’occupant des plantes », explique John. « Ils ont souvent eu beaucoup de difficultés à l’école et dans la vie. Ce sont des étudiants qui n’apprennent pas en restant assis et en écoutant. Il faut qu’ils fassent quelque chose. »

Un participant s’occupe des dahlias.

Un grand honneur pour les participants de Boost est de travailler dans l’équipe qui participe à une compétition de chrysanthèmes qui se tient en octobre en Caroline du nord. Cette année, l’équipe était composée de 6 garçons et d’une fille. Un autre projet populaire est la compétition de jardinage. « C’est une compétition entre quatre lycées. Ils ont un budget de 40 dollars et ils doivent concevoir un parterre de 1,2 mètre par 3,65 (4 x 12 pieds) en partant de graines qu’ils cultivent en serre. Je leur explique des concepts de paysagisme et ils font des croquis sur papier. Le résultat est jugé sur la qualité ornementale, au moins de juin. Ils sont un peu timides au départ, mais ils peuvent se révéler très créatifs. L’année dernière, le projet qui a gagné était un jardin comestible avec du basilique violet, des aubergines et des tournesols. »

John reçoit un deuxième groupe de lycéens dont les handicaps sont plus lourds, physiquement et d’un point de vue du développement. Ils sont une trentaine à venir chaque semaine. Plusieurs sont en fauteuil, certains sont aveugles, d’autres sourds. Pour eux, les objectifs qui sous-tendent les activités sont la communication, les compétences motrices et la prise de décision. « Ils adorent venir ici. Quand ils sortent de la classe et se retrouvent dans ce bel environnement, ils s’animent et communiquent mieux. Parfois, leurs profs n’en reviennent pas. C’est difficile de mesurer la confiance en soi, mais on peut bien voir le changement chez nos deux groupes quand ils sont au jardin. »

Le Therapy Garden que John est en train de créer aux Bullington Gardens.

Depuis 6 ans, John développe en parallèle son Therapy Garden. Seul salarié des Bullington Gardens, il doit se faire aider par des bénévoles, pour beaucoup des retraités. En concevant ce jardin, il avait à l’esprit des personnes âgées souffrant de limitations physiques. Il travaille encore sur une serre avec une petite « classe » accessible aux fauteuils roulants. Le projet progresse, mais John manque de temps…

John nous livre quelques réflexions sur l’état de la thérapie horticole aux Etats-Unis. « Je rencontre beaucoup de gens intéressés par cette discipline et nous formons beaucoup de gens aux Etats-Unis. D’ailleurs, je me demande s’il y assez de débouchés pour tout le monde. Car les hôpitaux, par exemple, sont encore assez ignorants sur le sujet. Ce qui me frappe, ce sont les différences. A Portland en Oregon, ils sont très dynamiques et leurs hôpitaux ont de multiples jardins pour différentes populations (voir le portrait de portrait de Patty Cassidy, la grande pionnière de Portland étant Teresia Hazen dont il faudra un jour parler ici, NDLR). Mais ici à Ashville en Caroline du nord qui est une ville assez progressive, il n’y a rien à l’hôpital… »

Les participants du programme BOOST plantent des annuelles dans le Therapy Garden des Bullington Gardens.

Il exprime des frustrations qui peuvent sembler familières à ceux qui s’intéressent à la thérapie horticole en France. « Cette discipline est très vieille, on soignait des patients psychiatriques au jardin il y a des centaines d’années. Alors pourquoi cela prend-il si longtemps pour se faire accepter? Je constate que Michigan State et Virginia Tech ont arrêté leurs programmes d’enseignement de la thérapie horticole. En fait, on sent qu’il n’y a pas de jobs et beaucoup de gens formés doivent créer leur propre business. Notre profession est divisée là-dessus. D’un côté, nous pensons que ces programmes devraient être gratuits pour les participants. Mais de l’autre, nous devons faire payer les gens pour pouvoir continuer », constate John.

« Peut-être utilisons-nous le mot thérapie trop à la légère ? Quant aux « healing garden », de quoi parle-t-on ? Il faut qu’il y ait des décisions prises en toute conscience pour s’adapter aux visiteurs du jardin comme dans le jardin pour grands brûlés à Portland », avance John qui revient du congrès de l’AHTA qui s’est tenu en octobre dans l’état du Washington. « Un des points forts a été la visite d’une prison pour criminels violents, le Cedar Creek Correctional Center. Participer au jardin est une activité très désirable. Tout est fait dans l’esprit de la durabilité : cultiver sa nourriture, recycler, composter les déchets de table. Les prisonniers travaillent seuls, sans le soutien d’un thérapeute horticole. C’est impressionnant de les entendre parler de leur jardin. Ils sont très enthousiastes. »

En novembre, John et ses jardiniers ont du travail : planter un millier de tulipes, nettoyer la mare,…surtout après le passage de l’ouragan Sandy qui a touché la Caroline du nord. Mais John rapporte que les dégâts sont minimes aux Bullington Gardens.

Les participants adorent faire des bouquets de dahlias qui poussent dans les jardins.

Martine Brulé, praticienne en hortithérapie

Au début des années 2000, Martine Brulé, architecte-paysagiste de formation, ne peut s’empêcher de remarquer que les hôpitaux et maisons de retraite qu’elle visite manquent cruellement d’aménagement dans leurs espaces extérieurs. Le cadre de vie des patients en souffre. Elle s’attelle à changer la situation en abordant le sujet avec des directeurs d’établissements. « Il y avait bien sûr des difficultés financières et d’espace. Peu de maisons de retraite ont un espace suffisant », explique Martine Brulé. « Mais il y avait aussi une difficulté plus « philosophique ». Ce n’était pas encore dans l’air du temps il y a 10 ans de se remettre en question sur le sujet du bien-être. »

Un jeune s’occupe de son « jardin sur un plateau », un paysage méditerranéen miniature.

Dès 2003, elle créé l’Association Phyll’Harmonie dont le professeur Marcel Rufo, le très médiatique pédopsychiatre, prend la présidence. Un projet de jardin sur la terrasse de la Maison de Solenn à Paris n’aboutit pas pour diverses raisons. Mais aujourd’hui encore, elle travaille avec la Maison des Ados de Nice pour qui elle a créé un jardin. Suite à un déménagement qui la prive d’espace, elle poursuit avec des activités utilisant des matériaux vivants pour que les ados s’ouvrent à la créativité qui est en eux. Son entreprise, Viv’Harmonie, développe des ateliers nature à l’attention des personnes âgées, des personnes handicapées, des enfants et des adolescents, « à travers une approche du milieu vivant et du végétal en particulier, basés sur les apports de l’hortithérapie. »

La praticienne en hortithérapie peut guider les mains de la participante si besoin.

Face au manque d’espace, Martine Brulé imagine une solution. Cette membre de l’American Horticultural Therapy Association invente une solution pour amener le jardin aux participants même sans espace.  « Le jardin sur un plateau » permet de travailler à l’intérieur ou à l’extérieur. Un artisan le fabrique pour moi en résine et une solution plus « biologique » est à l’étude. Il est facile à transporter. Il sert de support pour créer un paysage miniaturisé pour que le patient s’évade et exprime sa créativité. Il est pérenne et peut suivre le rythme des saisons », énumère Martine. Elle le préfère à un véritable jardin pour les personnes âgées qui ne sont pas assez autonomes pour travailler dehors avec des outils.

Pendant deux ans, elle intervient à l’hôpital Bretonneau à Paris où elle intègre un programme du service de gériatrie pour des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de maladies apparentées. Depuis 2007, elle travaille dans une maison de retraite, la résidence Korian Rives d’Esterel, à Fréjus avec des bienfaits cognitifs, psychiques, physiques et sociaux pour les patients. « On constate que les personnes sont de plus en plus dépendantes », avoue-t-elle, ce qui demande une adaptation des activités à la recherche d’une stimulation sensorielle.

Ces participants aux ateliers nature de Martine Brulé passent un moment au soleil entourés de plantes.

« Avec la matière naturelle, ce qui est différent des autres approches non médicamenteuses, c’est une réaction au vivant qui est immédiatement perceptible. Cette relation crée du bien-être », résume-t-elle. Elle constate qu’il y a aujourd’hui un engouement pour les « jardins thérapeutiques » dont elle estime que beaucoup ne présentent pas d’aspect thérapeutique : intégration dans le projet d’établissement et objectifs clairs servis par un programme. Une difficulté spécifique à la France, selon elle, est la difficulté à travailler en équipe. « L’hortithérapie n’est qu’un maillon de la chaine, c’est un travail d’équipe avec tous les autres spécialistes. »

En plus de ses ateliers, Martine Brulé dispense des formations, en collaboration avec l’association nationale des ergothérapeutes. Elle sent une forte demande de la part des personnels soignants, particulièrement en maisons de retraite. Pour elle, c’est là le gros chantier de l’hortithérapie en France.

Des ados en train de travailler au jardin.