Quand elle étudiait l’horticulture en Louisiane au début des années 80, Phyllis Meole savait déjà qu’elle voulait « rapprocher les plantes et les gens pour affecter leur vie. » Un de ses professeurs lui parle de l’hortithérapie et c’est la révélation. « Il n’y avait pas Internet. J’ai trouvé une référence à une conférence au Texas et j’y suis allée. Comme ce n’était pas une possibilité de transférer à Kansas State [une université qui offre un master en hortithérapie depuis 1971, ndlr], j’ai pris tous les cours exigés par l’American Horticultural Therapy Association en psychologie et en sciences sociales. » L’AHTA exige un stage supervisé par un professionnel déjà certifié. Le mentor de Phyllis se trouve à Denver dans le Colorado à des milliers de kilomètres et les échanges se font par téléphone !
Une fois diplômée, Phyllis n’a aucun mal à trouver du travail. « Dans les années 80, il y avait beaucoup d’argent ce qui fait toute la différence. J’ai proposé un programme à un centre de jour pour adultes dans l’hôpital de ma ville qui m’a embauchée un jour par semaine. Je travaillais aussi deux jours par semaine dans une maison de retraite, plus dans un autre centre de jour pour personnes âgées », se souvient Phyllis. Voici 16 ans, elle déménage pour s’installer à Wilmington en Caroline du nord où elle rencontre une autre membre de l’AHTA qui l’introduit dans l’hôpital psychiatrique où elle travaille. Phyllis apprend à travailler avec les patients hospitalisés. Mais ce contact précieux va bientôt lui ouvrir une porte encore plus prometteuse : la possibilité de créer un jardin public conçu pour offrir des activités d’hortithérapie à des publics variés.
Car Wilmington possède son Arboretum et l’amie de Phyllis fait partie du conseil d’administration…« On trouvait qu’il était quand même ironique qu’il faille être hospitalisé pour pouvoir profiter des bienfaits de l’hortithérapie. Nous sommes allées voir ce qui se faisait au Buehler Enabling Garden du Chicago Botanic Garden où nous avons rencontré Gene Rothert. » (Vous trouverez ici très bientôt une interview avec Amelia Simmons Hurt qui dirige les programmes de formation continue en hortithérapie au Chicago Botanic Garden).Il y a 13 ans, le Ability Garden voit le jour au sein de l’Arboretum du comté de New Hanover sous l’étiquette de « Cooperative Extension Service » en lien avec North Carolina State University et A&T State University. Présent dans tous les états, les « Cooperative Extension Service » sont des émanations du USDA, le ministère de l’agriculture américain, gérées par des universités qui ont un département en agriculture. Ils offrent des programmes non diplômant au grand public dans les domaines du jardinage, de la nourriture, de l’environnement,….
Le Ability Garden accueille, gratuitement, les écoles de la région pour des programmes d’hortithérapie. Mais pas que. « Il n’y a pas de limites aux populations que nous pouvons accueillir. Si nous décidions de faire un programme pour les vétérans qui retournent à la vie civile, ce serait tout à fait possible. Ce serait d’ailleurs très réaliste car il y a beaucoup d’installations militaires par ici. » Pour l’heure, le jardin est essentiellement au service d’enfants et d’adultes souffrant de handicaps physiques ou de développement, d’enfants « à risque » (abus sexuels, troubles du comportement) et de personnes âgées souffrant de démences ou de problèmes liés à l’âge. Le jardin de Phyllis accueille aussi des gens atteints de maladies mentales chroniques qui sont suivis hors de l’hôpital psychiatrique. Phyllis a également organisé des activités pour des patients atteints de dégénérescence maculaire « pour qu’ils apprennent comment continuer à jardiner quand ils perdent la vue. »
Une subvention permet il y a quelques années au Ability Garden de sortir de ses murs. « Nous avons pu acheter une camionnette pour amener notre programme dans des maisons de retraite et dans des écoles où les enseignants ne peuvent plus faire de sorties à cause des réductions budgétaires ». Si elle doit installer son activité à l’intérieur, Phyllis amène un assortiment de plantes qui stimulent les sens (du basilique, de la citronnelle). Les enfants peuvent rempoter de l’aloe vera et garder leur pot. Mais beaucoup d’écoles ont des jardins et l’activité peut se dérouler à l’extérieur. « Evidemment, on préfère qu’ils viennent chez nous car ils peuvent se promener dans le jardin, pique-niquer, regarder les papillons. »
Parmi les « tournées » du Ability Garden, un établissement qui accueille des enfants profondément handicapés avec qui Phyllis jardine « hand over hand », en guidant elle-même leurs gestes. « Ils ont des planches surélevées. Ils adorent se salir dans la terre. Quand on a fini, je les nettoie avec un petit aspirateur à main et ils rient ! Ils ne pourraient pas venir chez nous, ce serait trop difficile. »
« Il faut être flexible en termes de niveau de participation et d’attente. Les résultats peuvent être très subtiles. Ce n’est pas stupéfiant », explique Phyllis. Littéralement, elle emploie le mot « earth shattering », « la terre ne tremble pas » ! Encore que…Elle raconte une rencontre avec une femme très renfermée atteinte de démence. « Nous avons planté du persil dans un pot. Elle s’est animée, mais elle ne parlait toujours pas. Je lui ai dit qu’on pouvait voir qu’elle savait jardiner. « J’avais un jardin et je récoltais toute notre nourriture », m’a-t-elle répondu. C’était comme si on avait allumé un interrupteur. Planter et toucher la terre peut déclencher des choses. »
Elle raconte une autre rencontre. « Il y a quelques années, nous avions fait un programme avec des jeunes femmes enceintes qui étaient dans un programme résidentiel pour arrêter la drogue. Elles levaient les yeux au ciel et n’en avaient rien à faire. Mais j’ai quand même essayé de partager mon enthousiasme, de les emmener dans le jardin. Nous avons planté une plante en pot. » Récemment, une de ces jeunes femmes est revenue voir Phyllis accompagnée de sa mère. « Je n’aimais pas venir ici, mais ma plante faisait jolie dans ma chambre. J’ai eu mon bébé. Je vais finir le lycée, puis je continuerai l’école. J’aurai une maison et un jardin », est-elle venue dire à Phyllis.
« Nous plantons une graine. C’est tout ce que nous pouvons faire. Mais pour moi, c’est une expérience qui est puissante. Ca peut faire une différence dans leur vie. Avec les enfants autistes, je vois parfois leurs yeux s’ouvrir quand on sent de la menthe au chocolat. Peut-être qu’une porte s’est ouverte. » Il n’y a personne à qui Phyllis dirait que jardiner n’est pas approprié pour eux. « Notre job est de repérer les barrières qui les empêchent de s’impliquer, qu’elles soient cognitives, sensorielles, physiques. »
Une autre barrière n’a rien à voir avec les jardiniers que Phyllis reçoit dans son Ability Garden. « Nous avons eu deux hortithérapeutes et maintenant nous n’en avons plus qu’une ! Il y a des coupes de budget. Le comté nous donne 20 000 dollars par an. Pour le reste, nous vendons des plantes, nous acceptons les dons. J’espère que nous allons pouvoir continuer », résume Phyllis qui nourrit pourtant le rêve de répliquer son modèle de jardin d’hortithérapie dans le reste de la Caroline du nord via le système de « Cooperative Extension Service ». Elle pense aussi aux vétérans, un « débouché » prometteur car les programmes mis en place pour eux par le VA (Veteran Administration) ont de l’argent…Pour l’heure, Phyllis est sur le point de prendre la retraite. « C’est temps, c’est fatigant physiquement. » Mais elle n’exclue pas de revenir comme consultante. Les Américains ne prennent jamais vraiment la retraite. Les jardiniers encore moins…