Cette semaine, la parole est à Romain R., l’ingénieur en paysage que je vous avais présenté il y a quelques semaines. Merci, Romain, de partager cette expérience.
J’aimerais vous faire partager une expérience de quelques semaines qu’il m’a été donné de vivre à la maison médicale Jeanne Garnier à Paris. C’était l’année dernière, en 2014, dans le cadre d’un stage à l’agence environnementale spécialisée en gérontologie Alzhéa. Servane Hibon en est la paysagiste.
Je dois avant tout préciser que ce travail s’est inscrit dans une dynamique bien plus importante, dans le temps comme dans l’espace. Elle remonte au moins en 2010, année de la rencontre entre les bénévoles de l’Association des dames du calvaire et Servane Hibon. Il s’agissait alors de mettre en œuvre un projet d’aménagement qui soit entièrement participatif, avec les personnes accueillies volontaires et l’équipe soignante. L’accueil de jour accueille, une ou plusieurs journées par semaine, des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Pour cette année-là, le challenge concernait deux espaces terrassés de 200 m2, situés dans une pente se déclinant en une série d’escaliers et en un plan légèrement incliné, bien sûr accessible aux personnes à mobilité réduite. C’est aujourd’hui l’entrée principale, sous-sol et sur dalle, de l’accueil de jour.
Puis les choses se sont poursuivies. Des ateliers d’hortithérapie ont été mis en place. Un jardin potager, avec des bacs de jardinage en bois, des chaises et du mobilier adapté, l’ombre de superbes sculptures végétales en bambou, voit des ateliers transgénérationnels se développer. Notamment l’atelier ‘Arts et jardins’, qui associait une paysagiste (Montaine Bruslé, paysagiste DPLG et art thérapeute) à une psychomotricienne (je m’excuse sincèrement de ne pas connaître son nom.). Les bénévoles de l’association ‘Accompagner Ici et Maintenant’ profitent également des couleurs de capucines oran- gées. Voilà, rapidement résumées, quelques-unes des initiatives qui fleurissent autour de cet espace depuis cinq ans maintenant. Lorsque j’ai découvert ce lieu, ma première envie a été de longer les très beaux platanes et tilleuls pour aller voir ce qui se passait derrière les bâtiments. Quelle surprise lorsque j’y ai vu, dehors, des lits de malades affiliés au centre de soins palliatifs…
Ainsi, à Jeanne Garnier, le jardin est pensé comme un espace structuré autour des différentes unités et de leurs projets de vie respectifs.
Ce fut pour moi, dans le cadre du projet, la principale caractéristique du lieu. La seconde priorité me paraissait être de réfléchir sur la perméabilité de cet espace avec l’extérieur. Son intégration dans l’environnement alentour en quelque sorte, le paysage social, celui du quartier. J’ai entrepris une étude paysagère, j’ai regardé l’intégration du jardin dans la trame végétalisée du quartier, cherché à analyser les vues vers et depuis l’intérieur… J’ai pensé à l’urgence de concevoir, dans un contexte de vieillissement de la population française, particulièrement en milieu urbain, des espaces favorisant la mixité sociale par de nouveaux usages, de nouvelles pratiques. Et j’ai songé au paysage quotidien des personnes qui, demain, se réveilleraient derrière ce mur en pierres.
Lors de ma seconde venue, je me suis demandé comment les résidents de la maison médicale vivraient cette proximité avec leurs voisins. Le jardin, tout en reliant le Jardin-potager existant au Jardin-arrière, pourra contenir des réponses. À la fois refuge pour ces personnes dont les repères vacillent et lieu d’invention stimulant des initiatives aptes à transformer les menaces de la maladie en opportunités.
La suite répond donc aux attentes des résidents. Le projet d’aménagement s’est donc composé autour de la gamme suivante : deux cheminements linéaires, deux placettes. Une ballade sensorielle a été retenue. Elle fonctionnerait comme un parcours de senteurs dédié à la découverte olfactive. Par un passage au milieu de plantes annuelles et vivaces, les accueillis pourront découvrir diverses odeurs. J’ai pu proposer une partie de cette palette végétale. L’ouïe serait aussi stimulée simplement par des modules en verre coloré accrochés dans les arbres, attirant les oiseaux. Cosses de sarrasin, quartz, sable, co- quillages, galets de tailles et de couleurs différentes, marbre, grés, pouzzolane, schiste, ardoises, granit, écorces rouges et bambous ; des textures qui permettent notamment de stimuler l’attention sur l’action de marcher. On entre alors dans les objectifs de prévention de chute chez la personne accueillie. Le projet a aussi prévu la conception d‘une aire de repos, une sorte de chambre de verdure à caractère intimiste.
Ce projet m’a fait réaliser à quel point il était intéressant, en tant que paysagiste, de chercher à comprendre ce qui se passe dans le corps et entre le monde et le corps. D’ailleurs, l’architecture aussi fut, de tout temps et partout, vécue par l’intermédiaire d’un même médium qui est le corps. L’héritage de Le Corbusier en fait une référence. Et pourtant le corps lui-même n’a rien de standard. Non seulement il est tantôt grand, tantôt déformé ou autre. C’est ce que l’architecte Thomas Carpentier a soulevé récemment. Mais en plus les sensations diffèrent. Pour ma part, je crois donc que les projets de jardins de soin vont à l’encontre d’une certaine histoire de l’aménagement.
Et, en parallèle, on remarque qu’un marché autour de ce qui peut être des composants d’un jardin de soin se développe actuellement : circuits de psychomotricité, barres parallèles, divers mobiliers adaptés pour l’exercice physique. Le corps standard est oublié dans ces espaces. Mais qu’aurait-on gagné si l’ergonomie de ces espaces engendre le mimétisme ? C’est pour moi, qui suis sans expérience à long terme du terrain, le risque principal de ces installations. Je crois que le travail de créativité d’un paysagiste permet d’éviter cet écueil, même si des démarches spécifiques de concertation et d’appropriation doivent être mises en œuvre. Le projet de Jeanne Garnier me semble très réussi en ce sens. Il y règne une recherche d’une certaine harmonie végétal-minéral, cohabitation entre les plantes et les pierres du parcours de psychomotricité, entre les arbres et le mobilier en bois. Même si, une fois que l’ensemble des matériaux et des plantations sont en place, seuls les résidents et l’équipe soignante décident de leur devenir.
Je voudrais finir ce billet en évoquant le fait évident que, de plus en plus, la santé est un facteur majeur à prendre en compte pour l’aménagement de nos villes et de nos territoires. La société civile s’attend aussi à retrouver dans les décisions politiques la marque d’une préoccupation pour le bien‐ être social. Je pense que le paysage en est un signe majeur. Et que les jardins de soin comme celui de la maison médicale Jeanne Garnier sont donc porteurs de messages essentiels dans ce sens.
Le jardin est aujourd’hui visible, il est possible de s’y promener, l’espace étant ouvert au public à certains horaires. La maison médicale Jeanne Garnier est au 106, avenue Émile Zola dans le 15e arrondissement à Paris.
Romain R.