Financer un jardin : Paule Lebay raconte

Avant de donner la parole à Paule, trois événements à ne pas manquer en avril, juin et août.

  • Le mercredi 13 avril prochain à 15h00 à Port-Royal des Champs (78), une conférence intitulée « Flore et végétation entre Saint-Quentin et Port-Royal » avec Gérard Arnal (botaniste lié au Conservatoire botanique national du Bassin parisien) et Joanne Anglade-Garnier (conservatrice de la réserve naturelle nationale de St-Quentin-en-Yvelines).
  • Les 21-24 juin au parc départemental des Chanteraines (92), une formation pour les professionnels du jardin ou les amateurs éclairés sur le thème « Le Jardin Vivant » avec Sébastien Guéret qu’on ne présente plus ici et François Drouvin, paysagiste et thérapeute des lieux.Formation Sébastien

 

 

Mais revenons à Paule Lebay. Rien n’arrête Paule. Même pas les cambrioleurs qui ont récemment braqué la maison de retraite d’Onzain où Paule et l’équipe de Graines de Jardin ont fait pousser un magnifique jardin de soin depuis 2012. « Ils ont abîmé le grillage du jardin et utilisé un poteau pris sur le chantier pour fracturer la porte. Il faut remettre tout cela en place pour les beaux jours », m’expliquait Paule au téléphone il y a quelques semaines. Indémontable dans l’adversité!

Le jardin de la maison de retraite d'Onzain en chantier (hiver 2014).

Le jardin de la maison de retraite d’Onzain en chantier (hiver 2014).

En tant que pionnière récompensée par plusieurs prix, Paule a une expérience à partager et une voix qui porte. Ecoutez-la. « Je conseille de créer une association avec une mission assez large. Par exemple, le handicap plutôt que simplement le jardin. Ainsi, on ne se ferme pas de portes. Le statut d’association est important quand on se tourne vers des mécènes. » Comme l’expliquait la semaine dernière Ingrid Antier-Perrot de la Fondation Hospitalière Sainte Marie (FHSM), Paule rappelle qu’il est important de cibler les fondations et mécènes selon leurs axes d’intervention. Elle recommande le site annuaire des fondations françaises. Avec les fondations et les autres mécènes, elle insiste sur l’atout local. « Où est leur siège ? Si on peut axer la demande sur la proximité, c’est un plus. D’ailleurs, même une banque locale peut aider. Par exemple, pour une inauguration du jardin, ils peuvent fournir des affiches ou des objets. »

Brulons un peu les étapes et passons à l’inauguration officielle du jardin. « C’est un coup de pub pour montrer que des initiatives existent et que les choses sont possibles. La communication permet de créer un réseau. J’accueille souvent des personnes qui ont un projet en tête. Je les guide et je les réconforte, c’est un soutien technique et moral. Je suis contente de répondre à leurs questions et de faire part des écueils que j’ai rencontrés. J’accueille aussi des étudiants. Créer des liens avec d’autres est important car on n’a pas toutes les réponses », continue Paule qui se trouve de fait au cœur d’un réseau très actif.

Faire rêver les financeurs

Campagne de plantation intergénérationnelle en avril 2014

Campagne de plantation intergénérationnelle en avril 2014

Mais replongeons dans les premières étapes et le dur labeur de trouver les financements qui permettront au jardin de sortir de terre. « Dans le dossier de présentation, il faut vulgariser son propos et éviter les acronymes et le jargon de son domaine. Les dossiers sont lus en diagonal et il faut mieux être succinct. Mais il faut mettre beaucoup d’images. Si rien n’existe encore, on peut trouver des photos de plantes et de mobiliers sur des catalogues ou sur Internet. Pour donner envie et aider les mécènes à se projeter, les croquis et les dessins d’ambiance sont indispensables. Nous avons eu de la chance d’avoir Fabienne Peyron qui a fait des croquis pour le dossier. Le dossier doit aussi chiffrer le coût du jardin et le prévisionnel pour le fonctionnement annuel. »

Mais un jardin a aussi besoin de plantes, d’outils, de bras. « La ville nous a donné du paillage, la communauté de communes du compost, un pépiniériste des arbres. J’ai contacté le lycée agricole de Blois, mais ils étaient surbookés. Des familles des résidents nous ont aidés à planter. Nous avons récupéré des outils grâce à une émission dont Truffaut est partenaire », énumère Paule.

La noue, imaginée dès le départ pour s'adapter aux spécificité du terrain, prend forme.

La noue, imaginée dès le départ pour s’adapter aux spécificité du terrain, prend forme.

Faut-il solliciter l’agence régionale de santé (ARS) ? La question ne laisse pas Paule indifférente. « L’ARS nous serine sur le sujet des approches non-médicamenteuses, mais ne finance pas de projets dans ce domaine. Elle devrait financer des projets comme la zoothérapie, les poneys, les piscines en psychiatrie. Mais tout cela, c’est fini. » Et la question de l’évaluation comme argument pour convaincre le milieu médical et peut-être aussi les financeurs ? « C’est une excuse bidon pour ne pas faire avancer les choses de la part de l’ARS qui a des moyens, mais ne les met pas aux bons endroits. Nous savons tous que le jardin a un impact positif. Bien sûr, l’évaluation crédibilise le jardin. Mais il faut trouver ce qu’on veut évaluer et comment le faire. Car une évaluation clinique comme la tension ou la glycémie est très contraignante pour les participants. Le sommeil, ce serait différent. Par exemple, pour les patients atteints de la maladie d’Alzheimer, ce serait intéressant d’observer les troubles du comportement comme la déambulation, l’agitation, l’agressivité, le langage, le sommeil, l’appétit pour voir si le jardin les atténue. »

 

 

Financer un programme de thérapie horticole : imagination et débrouillardise

Les thérapeutes horticoles présentés jusqu’ici appartiennent à deux catégories : soit ils sont employés par un établissement, soit ils interviennent en tant qu’indépendants qui facturent à l’heure. Il faudrait en fait ajouter une troisième catégorie, ceux qui travaillent bénévolement. C’est le cas de Marge Levy aux côtés de qui je fais également du bénévolat depuis 7 mois dans un centre de jour pour adultes, le Mount Diablo Center for Adult Day Health Care, en Californie. A travers son exemple et celui de Kirk Hines, nous allons aborder l’épineuse question du financement.

Il est préférable d’avoir des gants à disposition pour les participants qui le souhaitent. Le terreau, les plants, les outils ajoutent au coût de l’activité.

« Au départ, j’ai trouvé des platebandes surélevées qui étaient déjà pleines de terreau. C’était une dépense en moins car installer un espace pour jardiner coûte cher », explique Marge. « J’estime que j’ai dépensé la première année entre 2,50 et 3 dollars par participant (entre 2,05 et 2,45 euros) par séance. Mais cette année, je dépense plutôt 2 dollars (1,65 euros) car je n’ai plus les frais de départ. » Elle a dû acquérir des outils de jardinage, des tabliers et des gants, des pots,…Certaines activités sont plus coûteuses comme faire des bouquets car il faut acheter des fleurs fraiches. Les participants aiment ramener leurs projets chez eux, ce qui a un coût quand il faut racheter des pots, des vases ou tout autre accessoire nécessaire.

L’agence sociale où Marge donne de son temps n’avait pas beaucoup d’argent à consacrer à cette activité même si ses responsables aiment mettre en avant la disponibilité encore assez inhabituelle d’un programme de thérapie horticole. Elle s’est tournée vers son employeur, le pétrolier Chevron, qui encourage le bénévolat et les dons de ses salariés. « J’ai demandé à mes collègues de faire un don à mon programme et la société a contribué à parts égales. J’ai ainsi récolté 1 500 dollars (un peu plus de 1 200 euros). De plus, Chevron donne 500 dollars (411 euros) pour 20 heures de bénévolat à raison de deux fois par an. J’ai aussi utilisé cette possibilité. »

En anglais, ces petits bouquets à porter à la boutonnière s’appellent un « corsage ». Les fleurs fraîches sont une fourniture assez chère.

Marge a également cherché des sources de financement ailleurs. L’agence a fait une demande de bourse à une fondation locale qui a contribué 750 dollars (617 euros) au programme. De son côté, elle a écrit deux demandes de financement et a reçu une réponse positive de l’association caritative des Kiwanis (600 dollars, soit 493 euros). « La difficulté est de trouver les bonnes sources et le bon moment pour faire sa demande. Mais les demandes, en elles-mêmes, ne sont pas difficiles à remplir », explique Marge. Et puis il y a quelques à-côtés  qui relève du système D: un cadeau d’un supermarché, une ristourne ici ou là par une pépinière compréhensive, les ventes de sachets de lavande à l’occasion d’un événement organisé par l’agence. « Cette année, j’ai assez d’argent. Ce serait beaucoup plus difficile si je devais aussi financer un salaire. Mais je fais ce travail bénévolement pour rendre à la communauté », conclut Marge.

Pour Kirk Hines qui est employé en tant que thérapeute horticole au Wesley Woods Hospital à Atlanta, la question du financement est un peu plus facile car il a le soutien d’une large organisation. Son salaire est payé par l’hôpital qui l’aide aussi à obtenir les fonds nécessaires au fonctionnement du programme. « L’hôpital fait partie d’une association à but non lucratif. Nous avons un département qui s’occupe d’obtenir des bourses et des dons privés. C’est ainsi que nous avons financé la serre et le jardin », explique Kirk. « Les kinés achètent un vélo d’exercice tous les 10 ans. Nous, les fournitures s’épuisent constamment surtout quand les participants rapportent le projet chez eux à la fin du séjour. » Comme beaucoup de programmes (rappelez-vous du programme de Sandra Diehl), celui de Kirk génère aussi des revenus grâce à la vente de plantes bouturées par les participants.

Les thérapeutes horticoles doivent aussi être des experts dans la collecte de fonds et accessoirement la promotion de leurs activités. Ils doivent savoir mettre en avant les bénéfices de leur programme auprès de divers publics (la direction de l’établissement, les familles des participants, des agences locales, les média) pour gagner en visibilité et augmenter la chance de survie de leurs programmes…