L’horticulture thérapeutique se fédère en Europe : Fiona Thackeray et Leila Alcalde font le point

Ce tout dernier article est porteur d’un grand espoir. Depuis quelque temps, se tiennent des réunions réunissant des individus et des associations de toute l’Europe : Royaume-Uni, Espagne, Italie, Allemagne, Suisse, Autriche, Belgique, France, Portugal, République Tchèque et la porte reste ouverte…

Une partie du groupe lors d’une réunion en Allemagne

« Nous nous sommes réunis parce que nous voulions partager nos idées, nos connaissances et nos bonnes pratiques. Nous avons compris qu’en travaillant ensemble, nous pouvions obtenir bien plus que ce que nous aurions pu faire individuellement en travaillant de manière isolée », explique Fiona Thackeray qui a contribué à lancer le mouvement.

Les fidèles de ce blog ont fait la connaissance de Fiona Thackeray pour la première fois en 2015, puis l’ont retrouvée lorsque Trellis, l’association qu’elle dirige en Ecosse, a lancé les Trellis Seminar Series. Cette conférence en ligne rassemble pendant trois jours en mars des hortithérapeutes du monde entier. Déjà cette envie de rassembler qui s’est aussi incarnée dans l’organisation depuis deux ans du World Therapeutic Horticulture Day (WTHD).

Pour cette double interview, Fiona était en compagnie de Leila Alcalde Banet que j’avais décrite en 2022 comme la locomotive de l’hortithérapie en Espagne et en Amérique Latine. Formée et exerceant en Angleterre, Leila a cofondé l’association espagnole d’horticulture et de jardinage social et thérapeutique ou AEHJST (Asociación Española de Horticultura y Jardinería Social y Terapéutica).

Si vous êtes très pressée, tout est dit dans cette vidéo commune créée à l’occasion des 50 ans de l’AHTA en 2023 et décrivant la coopération européenne dans le champ de l’hortithérapie. Si vous avez un petit moment et que vous voulez savoir comment le projet a évolué depuis un an, écoutez Fiona et Leila en parler. Quel plaisir de terminer cette aventure de 12 ans avec un entretien avec ces deux femmes extraordinaires et inspirantes.

Fiona et Leila, d’où est venue cette envie de se rassembler ?

Fiona. C’est un problème universel dans notre domaine : l’isolement des professionnels entrave leur développement. Trellis s’est toujours vue comme une organisation professionnelle de substitution parce que c’est beaucoup plus facile pour les professions organisées comme les médecins, les infirmières ou les enseignants qui peuvent se rencontrer entre pairs. Ils peuvent se féliciter de leurs succès, se plaindre des difficultés et partager entre eux. Mais dans notre profession, être isolée au sein de l’hôpital ou de l’institution peut retarder le développement.

Pendant le Covid, quand nous avons remplacé notre conférence traditionnelle par des séminaires en ligne, nous avons vu à quel point les participants et les participantes apprenaient dans les présentations. Cela leur montre combien ils ont en commun. Nous faisons partie du même mouvement, nous faisons les mêmes choses ici qu’en Islande ou dans les Caraïbes. Mais aussi « Wow, vous faites ça, je n’y aurais jamais pensé, j’ai appris quelque chose de nouveau ». C’est fondamental et inspirant.

Naturellement nous avions plus de contacts en Europe et nous sommes restés en contact après la première année de séminaires en ligne. Et puis nous nous sommes rendues à un évènement organisé par IGGT (Internationale Gesellschaft Gartentherapie) en Allemagne. C’est là que l’idée de formaliser ce groupe est arrivée, même si c’était déjà en cours car Andreas (Niepel, président de IGGT) gérait déjà un groupe informel. C’est le Covid et la capacité de se rencontrer en ligne sur Zoom qui a permis de formaliser les choses.

Je me suis éloignée de la question. Essentiellement, c’est l’isolement des professionnels qui est au cœur de notre démarche !

Leila. Dans mon cas comme je suis Espagnole et que je vis au Royaume-Uni, je peux ressentir l’isolement. Avec l’association espagnole, c’est ce que je voulais faire. Par exemple, nous avons une réunion mensuelle pour rester en contact. Et par ailleurs, je voulais me mettre en contact avec des gens dans d’autres pays pour apprendre d’eux. Nous avons l’impression que les Etats-Unis sont une sorte de modèle que nous essayons de suivre et en fait on se rend compte qu’eux aussi se battent toujours pour se réunir.

D’où l’idée de commencer ce groupe européen. Nous savons que c’est difficile car nous voulons faire tant de choses. La volonté est là, mais ce sera long. C’est important de se rassembler, d’avoir un organisme et de contribuer au développement des compétences. Le modèle américain ne sera peut-être pas pertinent pour nous en Europe.

Fiona. Si je peux ajouter quelque chose, nous voyons beaucoup de recherche sur les interventions basées sur la nature et le « green care », avec une popularité croissante depuis que tout le monde a passé du temps confiné à l’intérieur pendant le Covid. Cela a ajouté une urgence à notre inquiétude qu’il n’y ait aucun standard de qualité. Nous y travaillons depuis un moment et nous aurons bientôt une qualification professionnelle approuvée en Ecosse. Cela fait bientôt deux décennies que nous souhaitons avoir une organisation professionnelle ! Malgré tout, il y a encore des gens qui n’ont jamais entendu parler de nous. Le jardin thérapeutique reste une intervention de niche que peu de gens connaissent. Le manque de reconnaissance, comme l’isolement, font obstacle aux financements, au développement professionnel et à l’échange des pratiques.

En parallèle d’établir un organisme professionnel et des standards de qualité en Ecosse et au Royaume-Uni en général car nous travaillons avec Thrive, nous avons vu que si nous pouvions établir des standards au niveau de l’Europe, de manière souple, ce serait une façon de gérer ces gens qui prétendent faire de la thérapie sans aucune formation. C’est inquiétant. Nous pensons que c’est bénéfique d’avoir ce mouvement européen avec des standards communs. Ce sera d’une grande puissance.

Quelles sont vos priorités ?

Fiona. La priorité, ce sont les connexions, l’échange, apprendre les unes des autres. Mais nous avons beaucoup travaillé pour nous mettre d’accord sur les compétences essentielles, les core competencies. C’est le travail que Leila a pris à bras le corps depuis un an. Je vais la laisser en parler.

Leila. Quand nous nous sommes rencontrées l’an dernier, nous avons décidé de nous focaliser sur quelques points pour commencer à avancer. Les compétences essentielles étaient le point important. Cela nous a pris presqu’une année. Nous avons partagé les compétences couvertes dans nos différentes formations et nous avons identifié celles qui étaient communes dans tous les pays. A partir de cette liste, nous les avons réduites à cinq grandes compétences pour simplifier. Nous en sommes maintenant à déterminer le nombre minimum d’heures de formation nécessaires pour acquérir ces compétences et être reconnue comme une professionnelle dans chaque pays.

Si quelqu’un se forme en France par exemple et déménage en Allemagne, nous voulons que la formation soit reconnue. C’est un point qui nous semble important et utile pour la profession.

Pour l’instant, les cinq domaines fixés entre les participantes aux réunions sont : santé humaine et bien-être, connexion à la nature et horticulture thérapeutique, connaissances de base en horticulture et jardinage, gestion d’un groupe thérapeutique, programmation des activités.

Fiona. En Ecosse, nous avons développé une liste de compétences car nous voulions voir ce que faisaient déjà les différentes formations existantes. Nous voulions voir où étaient les lacunes et ensuite nous avons écrit de nouveaux modules. Nous avons partagé ce travail avec le groupe européen pour en faire un point de départ. Nous avions trois domaines : l’horticulture, la santé et le soin et l’horticulture thérapeutique. Avec les différentes perspectives dans le groupe européen, nous en sommes arrivés à cinq compétences. C’est un énorme travail de triangulation qu’ont fait Leila et Ania (Balducci).

A notre réunion en mars, nous avons aussi discuté du vaste panel de formations en Europe. En Italie, il y a un master et uniquement un master (à l’Université de Bologne, ndlr). Ailleurs, ce sont des diplômes de techniciens. Nous avons décidé de nous concentrer sur les compétences de base, plutôt au niveau technique.

Leila. Oui, c’est cela. Par exemple, en Espagne, la formation n’est pas reconnue. Nous ne formons pas les gens pour devenir des praticiens. C’est encore nouveau. Nous voulons simplement partager une compréhension du domaine. Nous formons principalement des professionnels, des psychologues, des ergothérapeutes par exemple. Nous voulons avoir des formations au niveau universitaire et ce travail nous donne un modèle.

La question des niveaux de formation est importante. Nous sommes d’accord que les « praticiens » sont un niveau intermédiaire.  Au-dessus, il y a les formations au niveau master pour former des experts. Certains pays ont des formations de 200 heures et d’autres de 80 heures. Nous voulons aussi avoir une idée claire des pays qui ont des formations reconnues officiellement.

Fiona. Le travail de notre groupe permet d’alimenter ces discussions sur les définitions et le besoin d’organisations professionnelles. C’est un bon échange, c’est productif.

Leila. A la dernière réunion, nous avons commencé à voir la lumière au bout du tunnel. Nous avions commencé avec une idée et là on commence à y voir plus clair.

Fiona. C’est un énorme travail qu’a fait Leila. Elle a tout mis dans un grand tableau.

Leila. Oui, j’ai rentré toutes les compétences par pays en surlignant celles qui étaient le plus souvent présentes. Quelqu’un a suggéré qu’on regarde les cinq principales. On a bien avancé. En résumé, nous voulons définir des exigences minimales pour se définir comme professionnelles quelque soit le mot utilisé dans chaque pays. Par exemple, au Royaume-Uni, on parle de « practioniers » et ailleurs il y a d’autres mots. Nous voulons savoir que, quelque soit le nom, on est au même niveau de compétences, qu’on a étudié les mêmes sujets.

Fiona. Oui, nous avons essayé de ne pas nous enliser dans la sémantique et nous y sommes parvenues. Nous voulons savoir ce que nous faisons qui est commun.

En lançant ce mouvement européen, il est aussi utile de regarder comment évolue le modèle américain qui, bien que plus ancien, connaît ses propres difficultés.

Fiona. Oui, j’ai lu un article qui parlait de l’avancement de l’horticulture thérapeutique aux Etats-Unis. Dans l’article de Derrick Stowell et al. qui est une enquête des membres d’AHTA (voir ci-dessous), ces derniers se plaignaient beaucoup et cela peut nous aider. Ils se plaignaient que l’AHTA faisait les choses d’une manière qui leur rendait la vie plus difficile et aussi ils attendaient des choses que l’AHTA ne faisait pas et que nous sommes déjà en train de faire. C’est bon de savoir que les praticiens partout dans le monde veulent ces mêmes choses.

Les membres étaient frustrés que la profession ne se soit pas développée autant que d’autres professions qui ont commencé en même temps ou même plus récemment (comme la recreational therapy). Parce que les Etats-Unis sont si grands, c’est difficile de se déplacer pour les formations même si maintenant il y a plus de formations en ligne. Donc les membres étaient frustrés que la profession ne soit pas plus reconnue, que la rémunération soit si basse. Il y avait une frustration de ne pas plus échanger entre professionnels, de ne pas plus se réunir. Et là, en Europe, nous faisons les choses correctement !

Nous avons encore beaucoup de chemin à faire, nous n’avons pas d’association professionnelle, toutes les formations. Mais  nous notons qu’un pays qui a une association professionnelle a aussi des difficultés. Nous avons déjà prévu d’éviter certains problèmes en mettant en place certaines structures/politiques réclamées par les membres américains, et nous devrons en éviter d’autres en tirant les leçons de leur expérience. Mais nous avons tellement de choses en commun que c’était très instructif.

(Dans son intervention au IPPS (International People Plant Symposium) à Reading en juillet 2024, Fiona a donné une présentation intitulée « Growing a global network to help therapeutic horticulture groups flourish » où elle a présenté les avancées du WTHD. Dans sa présentation, elle s’appuie sur deux articles que voici avec un accès au texte complet. Et un constat : d’autres professions se sont structurées et « imposées » plus rapidement que l’hortithérapie ou horticulture thérapeutique.

Wood, C., Bragg, R. and Morton, G., (2024). A qualitative study of the barriers to commissioning social and therapeutic horticulture in mental health care. BMC Public Health. 24 (1), 1197-

Stowell, D.R., Mark Fly J., Klingeman, William E., Beyl, C.A., Wozencroft, A.J., Airhart, D.L., and Snodgrass, P.J. (2021). Current State of the Horticultural Therapy Profession in the United States. Hortechnology. )

Mais au fait, comment s’appelle cette nouvelle organisation, ce mouvement ?

Fiona. Nous avons évolué à partir d’une initiative d’IGGT. Il faut maintenant trouver un nom pour ce « réseau européen ».

Leila. J’ai suggéré la coalition des praticiens ou des entités européennes. Sans doute quelque chose avec le mot « network » ou « coalition ».

Pour revenir à la sémantique un instant, on sent qu’on s’éloigne du terme « horticultural therapy » dans le monde en ce moment et que le terme « therapeutic horticulture » est plus en vogue. A quoi correspond ce changement ?

Fiona. En effet, nous utilisons intentionnellement le terme « therapeutic horticulture ». Car il y avait des formations qui utilisaient « hortitherapy », mais il n’y avait aucun apport sur la thérapie dans leur programme. « Therapist » est un terme qui est légalement protégé et il y a des organismes qui accréditent ces thérapeutes. Ils ont fait ce que nous cherchons à faire : créer un standard qui rassure les gens qui cherchent leur aide que ce sont des professionnels qui ont la formation appropriée. Nous ne recherchons pas une régulation légale dans notre cas, mais nous cherchons à avoir une accréditation qui garantie un certain niveau de formation. Nous évitons les termes « therapy » et « therapist » qui impliquent un niveau master. C’est au-delà de ce que nous proposons de créer et nous ne voulons pas suggérer que c’est équivalent. Ce serait une affirmation dangereuse.

Leila. C’est la même chose en Espagne, on ne peut pas utiliser le mot « therapy » sans un diplôme universitaire d’un certain niveau. C’est un soulagement car autrement cela introduit de la confusion.

Fiona. C’est un compromis. « therapeutic horticulture » est un terme long, que les gens ne connaissent pas. Mais au moins, nous ne faisons pas de fausses affirmations. La représentante belge dans notre dernière réunion exprimait sa frustration car maintenant on forme en Belgique des « hortitherapists » avec des formations courtes et, en tant qu’ergothérapeutes, elle n’est pas d’accord. L’idée est d’avoir un niveau commun de compétences qui est sûr, pour « ne pas faire de mal ».

En plus du grand chantier de la formation, quels autre projets avez-vous envie de lancer ?

Leila. Nous sommes vraiment concentrés sur le projet des compétences essentielles. Pour le reste, nous verrons après. Mais nous utilisons déjà nos réunions pour partager ce qui se passe dans chaque pays. Ania Balducci par exemple a invité un universitaire du département de l’agriculture de Milan. C’est un paysagiste qui a fait des études sur les éléments thérapeutiques du jardin.

Car c’est un autre aspect dont nous avions parlé lors de notre rencontre en Allemagne : labelliser les jardins thérapeutiques. Un jardin pourrait être bénéfique, mais pas thérapeutique. En Espagne, nous disons qu’un jardin thérapeutique est là où a lieu la thérapie. Pour l’instant nous avons mis ce sujet de côté. C’est un des sujets potentiels.

En parlant d’Europe, j’avais envie qu’on revienne sur le master créé cette année en Ukraine qui a été présenté pendant le Trellis Seminar Series 2024.

« Le premier programme éducatif et scientifique interdisciplinaire « Garden Therapy » en Ukraine » est le titre de l’intervention d’Olesia Prokofieva, qui dirige le département de psychologie à la Bogdan Khmelnitsky Melitopol State Pedagogical University et qui est l’une des créatrices du premier master « Garden Therapy » en Ukraine. Je vous invite à écouter son intervention enregistrée en mars 2024. En 2023, ce master n’était encore qu’un projet, aujourd’hui c’est une réalité. Si réel que vous pouvez lire les retours de la première promo dans le document Sowing the Seeds disponible sur le site de Trellis. Sept femmes aux parcours variés – enseignantes, médecin, psychologues, guide touristique,…- qui racontent leur envie de se former à l’horticulture thérapeutique. Fiona explique qu’une chaine de solidarité internationale s’est mise en place pour aider les créatrices du master ukrainien avec des coups de pouce, de l’Autriche à l’Allemagne, de l’Ecosse aux Etats-Unis.

On peut retrouver toutes les vidéos du Trellis Seminar Series 2024 en ligne.

Au-delà de l’Europe, le World Therapeutic Horticulture Day est en train de devenir le jour où on parle du sujet sous toutes ses formes partout dans le monde.

Fiona. Il n’y a pas de reconnaissance sans prise de conscience. Aux Etats-Unis, on a essayé il y a quelques années d’obtenir la reconnaissance, en Ukraine également. Cela n’a pas marché. Aux Etats-Unis, la raison du refus était qu’ils ne pouvaient pas dire combien il y avait de professionnels dans le domaine !

Mais plus on en parlera et plus les gens en auront connaissance, rechercheront cette intervention, la financeront…Et ils ne diront plus « quoi ? » quand ils en entendront parler la prochaine fois. C’est l’intention derrière le WTHD. Et c’est aussi devenu un réseau de connexions, des gens qui se mettent à se parler alors qu’ils ne seraient jamais rencontrés sans cela. La carte du monde se remplit des nations en vert qui participent. Il y aura un WTHD en 2025.

Leila. Nous utilisons cette journée pour organiser des rencontres en ligne. Il y a des pays où les praticiens sont encore plus isolés. C’est une idée géniale. Cette année, c’est devenu encore plus important et ça va continuer à grandir.

Je vous renvoie à une vidéo présentant la journée, le 18 mai de chaque année désormais.

Vous étiez toutes les deux à IPPS en Angleterre ?

Fiona a parlé des retombées du WTHD lors de sa présentation au IPPS (International People Plant Symposium) à Reading en juillet 2024 et voici la trame de sa présentation.

Leila. Je pense que le sentiment a été très positif parce que ce genre de réunions n’existait pas en Europe. Nous avons la chance d’avoir des gens qui sont venus de Corée du Sud, du Canada, des États-Unis ou du Pérou, ainsi que des pays européens. Par ailleurs, le secteur suscite de plus en plus d’intérêt, je pense donc qu’il s’agit d’une combinaison des deux.

Une étude française de premier plan

Je ne peux pas conclure sans un mot sur une étude française, qui était présente à IPPS 2024, une étude randomisée qui vient confirmer l’impact positif d’ateliers d’hortithérapie sur l’anxiété pendant une hospitalisation en psychiatrie. Les résultats de l’étude “plaident en faveur de l’intégration de l’hortithérapie dans les pratiques infirmières psychiatriques”.

“ Impact of horticultural therapy on patients admitted to psychiatric wards, a randomised, controlled and open trial” est une étude lancée dès 2015 à la création du Jardin des Mélisses au CHU de Saint-Etienne. Bravo à toute l’équipe pour ce travail de longue haleine.

Yes !

Damien Newman, Thrive : « Entre 1500 et 3000 endroits pratiquent l’horticulture sociale et thérapeutique au Royaume-Uni »

N’avoir jamais interviewé un représentant de Thrive est un « grand trou dans la raquette » comme on dit en anglais puisque cela signifie avoir fait l’impasse sur ce qui se passe en Angleterre. Quand j’ai demandé à deux connaisseuses de l’hortithérapie britannique – Fiona Thackeray et Leila Alcalde Banet, vers qui je devais me tourner en priorité, elles ont été unanimes : Damien Newman.

Avec leur aide, j’ai pris contact avec Damien et nous avons échangé il y a quelques semaines dans un appel vidéo à bâtons rompus. Je voulais comprendre comment la « social and therapeutic therapy » (STH) se développe actuellement au Royaume-Uni et en particulier appréhender le sujet de la formation. Damien est « Training, Education and Consultancy Manager » chez Thrive.

Et pour les mois à venir, il est aussi co-organisateur du 16e International People Plant Symposium à Reading en Angleterre du 10 au 12 juillet. En compagnie de Sin-Ae Park (Chair of the International People Plant Council/Chair of the International Society for Horticultural Science Horticultural Therapy Working Group) et de Rebecca Haller (Director of the Horticultural Therapy Institute/Faculty of Colorado State University). Le thème sera « Cultiver la santé humaine par l’horticulture : du mode de vie au jardinage à l’intervention professionnelle ».

Damien Newman, Training, Education and Consultancy Manager chez Thrive

Quelles sont les racines de la place de la nature dans la santé au Royaume-Uni ?

L’utilisation de la nature et des jardins pour la santé n’a jamais été aussi importante qu’aujourd’hui, et ce à partir de différents points de départ. Des défis ont également été relevés au cours des 10 ou 20 dernières années. Les progrès sont les bienvenus.

Depuis la fin des années 1970, le jardinage au service de la santé est ancré dans la culture britannique. Depuis plus longtemps encore, nous sommes une nation de jardiniers. Il n’y a pas vraiment de nature sauvage au Royaume-Uni qui n’ait été aménagée par l’homme. Nous ne sommes pas les plus adeptes des activités de plein air, d’autres pays d’Europe le sont davantage. Mais le climat s’adapte à toutes les plantes. L’importance des espaces verts a été reconnue dès l’époque victorienne. Les philanthropes, les urbanistes et les pouvoirs publics estimaient qu’il était nécessaire d’avoir accès à la nature. Les villes sont plutôt vertes. Londres, par exemple, compte plus d’espaces verts que d’espaces bruns. D’autres villes ont de bons parcs.

En outre, jusqu’à l’apparition d’appartements dans les années 1950, le parc de logements était constitué de maisons. De nombreuses personnes ont grandi avec un jardin. La Royal Horticulture Society est une importante organisation de jardinage et la BBC diffuse des émissions de télévision sur le jardinage parce que les gens reconnaissent que le jardin est un élément essentiel de leur vie. On peut citer RHS Bridgewater à Manchester ou Wisley à l’extérieur de Londres. Ou encore Capel Manor College qui offre des cours de STH depuis les années 1970.

Comment la prescription sociale (social prescribing) a-t-elle contribué à l’essor du « social and therapeutic horticulture » ?

La prescription sociale n’est pas nouvelle. Les autorités municipales proposent des programmes de jardinage à diverses personnes. C’est un autre point de départ pour la STH. Mais c’est une situation complexe car les deux sont apparus sans se connaître l’un l’autre. Il y a des employés du NHS (« link workers ») qui identifient les programmes auxquels les gens peuvent accéder (un cours d’art, une chorale locale, un groupe de théâtre ou des groupes de bénévoles,…). L’évidence est qu’il s’agit d’un lien avec des personnes, des lieux et des objectifs.

Comment Thrive s’inscrit-il dans ce paysage ?

Thrive existe depuis plus de 40 ans. Nous avons toujours défendu les avantages du jardinage pour la santé. De nombreuses organisations délivrant aujourd’hui des programmes STH ont commencé grâce à Thrive. Il s’agit d’un mouvement ascendant. Jusqu’à récemment, il se produisait parce que les gens en ressentaient les bienfaits pour eux-mêmes, puis pour un proche (un neveu autiste, un frère victime d’un accident vasculaire cérébral,…).

Je peux citer HighGround pour les militaires qui quittent le service actif, ils ont des activités d’hortithérapie. Ou Dementia Adventure, un groupe de défense des personnes atteintes de démence dont l’objectif est de rapprocher les gens des grands espaces, ce qui dépasse le cadre strict de la STH. Wildlife Trusts, un organisme de protection de la nature, dispose d’un programme de soutien aux bénévoles qui a un impact sur la santé et se situe à la périphérie des problèmes de santé. Ce sont des associations à but non-lucratif avec une aide plus ou moins importante de Thrive. Nous estimons qu’il y a au moins 1500 lieux qui pratiquent la STH au Royaume-Uni. Il pourrait y en avoir jusqu’à 3000.

Comment avez-vous mis le pied dans ce domaine ?

En travaillant dans un hôpital psychiatrique sécurisé où l’on jardinait depuis le début. Le temps passé à l’extérieur était considéré comme aussi efficace que le traitement. Les médicaments sont essentiels. Mais lorsque la plupart des symptômes sont maîtrisés, il n’y a rien de mieux que le jardin pour le patient.

Je pense à un patient dont l’état de santé s’est considérablement amélioré grâce à une vue sur la nature. Il se négligeait, était difficile à aborder, fumait sans cesse. Une vue sur une vallée et un beau jardin attenant au service l’ont transformé. De volatile, il est devenu plus calme. Il luttait encore, mais c’était le début d’un travail avec lui. J’ai vu des gens qui se comportaient comme des ennemis dans le service. Le jardin modifiait leur relation et ils devenaient amis. Je l’ai vu de mes propres yeux. Au bout de 5 ou 6 ans, j’ai appris l’existence de Thrive et je les ai rejoints.

Qu’offre Thrive en terme de formations (l’offre est vaste)?

De nombreuses personnes changent de carrière et ont de l’expérience dans différents domaines. Nos cours leur permettent de donner un sens à quelque chose d’un peu flou. Cela leur permet de clarifier les choses et d’y réfléchir. Ils se sentent plus à l’aise et sont un peu mieux informés. On peut se sentir isolé, même s’il existe 3 000 jardins. Vous êtes une rareté à pratiquer la STH, il est donc agréable de rencontrer d’autres personnes. Cela découle de mon affinité et de mon respect pour toute personne travaillant dans le domaine de la santé et des soins. C’est un fardeau émotionnel que de prendre soin de quelqu’un.

Certains restent dans ce domaine après leur formation. Avec dynamisme et passion, ils ouvrent la voie à la STH grâce à de nouveaux groupes tels que la réadaptation pour des patients atteints de cancer ou le soulagement du stress des acouphènes. Un étudiant du « diploma » travaille avec des patients souffrant de douleurs chroniques. C’est une leçon d’humilité que de participer à ce succès. Cette discipline n’attire que des personnes altruistes. Il n’y a jamais un étudiant qui ne veuille pas être là, même s’il sait qu’il devra vivre avec un salaire difficile.

Un cours proposé par Thrive

Quel est le statut des personnes qui pratiquent au Royaume-Uni ?

Il n’y a rien de comparable au HTR (Horticultural Therapist-Registered) qui existe aux États-Unis. Thrive et Trellis y travaillent en étudiant ce qui fait un bon programme, un bon code de conduite et une bonne éthique. Il existe un mouvement pour devenir une profession enregistrée auprès de la Professional Standards Authority for Health and Social Care (Autorité des normes professionnelles pour les soins de santé et les services sociaux).

L’objectif premier est de soutenir les personnes handicapées ou en mauvaise santé. L’objectif secondaire est de disposer d’un organisme professionnel qui améliorera les soins partout au Royaume-Uni. Il rassemblera les gens. Parce qu’ils sont si variés, ils ont besoin de cohésion. L’idée est de commencer par un niveau, puis d’en ajouter d’autres.

Nous ne voulons pas que les gens aient à dépenser trop d’argent en formation pour prouver leur compétence, alors qu’ils font ce métier depuis 15 ans. Ils devraient être en mesure d’enregistrer leurs compétences, avec un système de points, et ils pourraient être amenés à compléter le tout par un échange de compétences. Il serait injuste de les faire attendre.

Comment voyez-vous l’avenir du STH ?

Il m’arrive d’être frustré en essayant de décrire la STH. Les définitions sont exactes à 95 %. Le reste est une conversation sans fin. Le plus important est de savoir comment fournir une bonne STH. La définition actuelle de l’AHTA est la plus longue que j’aie jamais vue.

C’est tellement contextuel. Le groupe aura toujours une certaine valeur. Il est difficile de trouver des effets négatifs. Il y a au moins une restauration, un soulagement du stress. Quelque chose de bon va se produire dans le jardin, pas nécessairement ce que vous attendiez.

La culture en référence au jardin fait une différence dans la manière d’aborder les pratiques. Les Français et les Britanniques ont des expériences différentes du jardin. Nos propres affinités comptent.

Pour aller plus loin

Kirk Hines : motivé comme au premier jour après 30 ans d’expérience

Si vous lisez ce blog depuis ses débuts – c’est-à-dire depuis 2012, le nom de Kirk Hines devrait vous dire quelque chose. En juillet 2012, il nous avait parlé de son travail à Wesley Woods Hospital dans la ville d’Atlanta aux Etats-Unis. Il y avait créé dès 1993 un programme d’hortithérapie, intégré dans le département de rééducation et adapté aux quatre unités de cet hôpital accueillant des personnes de plus de 65 ans (médical, psychiatrie, neuropsychiatrie et soins intensifs de longue durée). Deux ans plus tard, nous l’avions retrouvé dans une nouvelle institution, A. G. Rhodes, où il était en train de développer un nouveau programme d’hortithérapie toujours au service de personnes âgées.

Alors qu’A. G. Rhodes, une institution à but non lucratif, s’apprête à fêter ses 120 ans cette année, Hirk peut, quant à lui, faire le bilan de 30 ans d’activité en tant qu’hortithérapeute. Pourtant loin d’être tournée vers le passé, notre conversation a surtout porté sur un nouveau projet enthousiasmant que je laisse Kirk, directeur de l’hortithérapie à A. G. Rhodes, vous dévoiler.

« Change is the only constant », annonce-t-il d’emblée. Il est installé dans une serre qu’il utilise pour ses activités sur l’un des trois sites que compte actuellement A. G. Rhodes (un site à Atlanta où il passe deux jours par semaine, un autre à Wesley Woods qui bénéficie aussi de sa présence deux jours et enfin un site dans le comté de Cobb où il pratique un jour par semaine). Je viens de lui demander de résumer la décennie depuis notre dernière conversation. « Lorsque que j’ai quitté mon ancien établissement après 21 ans car il se recentrait sur la psychiatrie adulte, j’ai eu la chance que mon ancien employeur et le nouveau aient de bonnes relations. Cela m’a permis de récupérer mes serres, mes plantes, mon équipement et les fonds que nous avions collectés. »

Kirk Hines (debout) avec un patient sur le site A.G. Rhodes d’Atlanta

Un hortithérapeute en temps de Covid

A son arrivée sur les trois sites, Kirk a commencé à installer des jardins thérapeutiques, mais aussi à améliorer l’environnement extérieur pour le rendre plus accueillant, plus chaleureux pour les personnes hospitalisées, leurs proches et le personnel. Cet investissement s’est révélé particulièrement utile pendant la période du Covid. « Pendant les périodes de confinement où les familles ne pouvaient pas entrer dans l’établissement, des rencontres ont eu lieu dans les jardins. Pendant cette période, j’ai aussi pratiqué ce que nous avons appelé « doorway therapy », la thérapie à la porte. Je m’installais, masqué et équipé dans le couloir, et nous faisions une séance d’hortithérapie avec le patient dans sa chambre ». Pour rappel, Kirk pratique de longue date des séances au chevet du patient.

Le Covid n’est pas uniquement un lointain souvenir. « Quand le nombre de cas augmente, nous nous adaptons. Parfois nous pouvons refaire des groupes et d’autres fois seulement des activités individuelles. Ou bien un entre deux où nous pratiquons la bonne distanciation sociale. Heureusement aujourd’hui les gens sont vaccinés. »

Il est seul à porter le programme avec quelques bénévoles. « Mais le Covid a impacté la participation des bénévoles. Je dois donc concevoir les espaces qui demandent le moins d’entretien possible. Oui, j’aimerais avoir des internes. Mais ce n’est pas facile quand on se déplace sur tout un territoire. » Ajoutez à cela de nombreuses conférences sur l’hortithérapie et le travail sur un nouveau projet depuis trois ans, on comprend que Kirk est bien occupé.

Atelier avec des fleurs coupées

Des bienfaits reconnus par l’institution

Avec son collègue musicothérapeute, Kirk collabore depuis 30 ans. Vous pouvez lire ici comment A. G. Rhodes présente ces deux interventions non médicamenteuses. « L’hortithérapie comprend des activités horticoles animées par un thérapeute agréé pour atteindre des objectifs de traitement spécifiques et documentés. Par exemple, la plantation d’herbes aromatiques aide à augmenter la stimulation sensorielle, l’arrosage aide à améliorer les capacités motrices et le jardinage en groupe aide à réduire l’isolement et la dépression », explique l’institution. Les bienfaits de l’hortithérapie sont détaillés ici et comprennent les impacts positifs bien connus sur les sphères cognitives, sociales, physiques et psychologiques. Quant aux collègues que côtoie quotidiennement Kirk, ils ont pris l’habitude de le voir en pleine activité avec les participants. Dans cette institution, les soignants restent longtemps. Certes, il faut toujours faire des efforts pour parler de l’activité et « éduquer » les équipes. Mais l’hortithérapie a trouvé sa place auprès des autres interventions thérapeutiques. Elle attire aussi l’attention des média locaux, en voici un exemple.

Un nouveau bâtiment et ses deux jardins sortent de terre

Convaincu par l’importance de l’hortithérapie, A. G. Rhodes a intégré cette thérapie au cœur d’un nouveau bâtiment qui sera inauguré cette année sur le site du comté de Cobb. « Notre nouveau bâtiment est un projet en réflexion depuis 10 ans. Son architecture est spécialement conçue pour accueillir des personnes qui ont des troubles cognitifs, ce que nous appelons « memory care ». Notre équipe s’est rendue en Hollande pour étudier les pratiques là-bas. L’idée est de créer une communauté plutôt qu’un hôpital », explique Kirk. Voici trois ans que la conception des jardins a commencé avec une équipe composée d’un architecte paysagiste et de paysagistes extérieurs. « Avec cette équipe créative, nous avons conçu l’aménagement paysager et deux nouveaux jardins thérapeutiques spécifiques, un pour la rééducation et l’autre pour les troubles cognitifs. »

Kirk rentre dans les détails. « Un jardin est dédié à la rééducation physique où travailleront des ergothérapeutes, des kinés, des orthophonistes et bien sûr l’hortithérapeute. Ce jardin est conçu pour être utilisé de manière active ou passive. Son point central est une pièce d’eau. Nous avons aussi pris soin de laisser beaucoup d’espace. Ce n’est pas seulement l’accessibilité aux fauteuils roulants, mais aussi le fait que lorsque nous organisons des évènements, c’est parfois trop bondé. Comme l’espace est conçu pour accueillir plusieurs activités (un espace pour un terrain de bocce, un jeu de horseshoe et de lancer de bean bags pour travailler l’amplitude des mouvements et l’équilibre dynamique), il faut avoir de l’espace. Des surfaces de plusieurs sortes permettront de faire de la rééducation dans les conditions qu’ils retrouveront à l’extérieur : pierres, asphalte, briques, ciment,… Nous aurons aussi des chaises et des espaces pour s’asseoir, des parasols et bien sûr des jardinières à hauteur. L’idée est de solliciter tous les sens. Ce sera un jardin très fonctionnel pour que les thérapeutes s’en servent avec les patients, mais aussi un jardin dont on pourra simplement profiter en s’y posant. »

Les personnes accueillies seront en soins « subacute ». « En « acute care », les personnes doivent pouvoir supporter trois heures de thérapie par jour. C’est souvent trop pour des personnes âgées. En « subacute care », ils arrivent de l’hôpital et font de la rééducation pour ensuite retourner vivre chez eux ou bien dans un établissement moins intensif ». En ce moment, les abords du nouveau bâtiment sont en ébullition : on plante des arbres, on s’affaire sur la finition de la pièce d’eau et l’irrigation est en cours d’installation (rappelons-nous que Kirk doit gérer seul l’entretien – sur les sites existants, il a installé après coup des systèmes d’irrigation intégrés).

Un nouveau jardin dédié au memory care

Et puis il y a le jardin dédié au « memory care » (un accompagnement plus approprié pour procurer un environnement sécurisé à des personnes touchées par des troubles cognitifs importants). A savoir que les deux jardins sont justement « sécurisés » grâce à des clôtures invisibles car elles sont entourées de plantes des deux côtés. Dans ce nouveau service de « memory care », on accueillera des résidents à long terme à partir de 65 ans, mais plus typiquement entre 80 et 90 ans.

« Les allées ramènent toujours au point de départ. Les espaces ont du sens et on ne peut pas s’y perdre. Nous avons conçu des espaces pour s’asseoir, choisi des plantes stimulantes, installé un pavillon de jardin, un cabanon pour les outils, des jardinières adaptées. Et aussi un système son pour mon collègue musicothérapeute. Nous cherchons d’ailleurs des éléments appropriés pour faire de la musique au jardin. Une pièce d’eau apporte aussi une stimulation sonore », détaille Kirk. Par ailleurs, chaque « communauté », des unités de 12 personnes, aura accès à un balcon sécurisé avec des jardinières et à un solarium.

Le nouveau bâtiment représente un coût de 32 millions de dollars, financé notamment grâce au soutien de la communauté et à des membres du conseil d’administration très connectés. Le volet « hortithérapie » du projet a bénéficié de sa propre campagne de levée de fonds, « Seeds for Seniors ». Rien ne vous empêche d’y contribuer d’ailleurs ! Dans une pratique assez répandue aux Etats-Unis, il est possible de voir sa contribution concrétisée dans une brique estampillée « In memory of…. » or « In honor of…. ».

« Nous avons aussi profité de Giving Tuesday. C’est une journée après Thanksgiving en novembre, en réaction au consumérisme du Black Friday. Les associations à but non lucratif parlent de leurs besoins et reçoivent des dons. Une autre forme d’aide me vient de Trader Joe’s, une chaine de supermarchés, qui me donne des fleurs coupées et des plantes. Les patients adorent. » Ci-dessous, le jardin de « memory care » à l’heure actuelle.

30 ans de recul sur le monde de l’hortithérapie

« Un défi pour moi à A. G. Rhodes a été de travailler avec les mêmes patients pendant 10 ans alors qu’en « acute care », j’étais habitué à les prendre en soin pendant deux semaines. D’une part, on bâtit une relation plus personnelle. D’autre part, il faut apporter de la nouveauté et garder de la fraicheur aux activités. Je m’inspire de visites dans des jardins botaniques et des pépinières et bien sûr de lectures en ligne pour trouver de nouvelles plantes et de nouvelles idées », explique Kirk.

Plus globalement sur l’état de l’hortithérapie, le bilan est cependant mitigé. « Une tendance est qu’il y a moins de programmes de formation dans les universités que quand j’ai commencé il y a 30 ans. On voit plutôt des programmes de formation accrédités par des universités ou par l’AHTA. » Pour sa part, il a obtenu une licence en horticulture ornementale (avec une concentration en hortithérapie) au Berry College en Géorgie en 1992 et a effectué son stage en hortithérapie à l’hôpital régional de Géorgie du Nord-Ouest avant de rejoindre Wesley Woods Hospital of Emory Healthcare pour y créer son premier programme en 1993. Il a été membre du conseil d’administration national de l’AHTA, membre fondateur du conseil d’administration du chapitre Géorgie-Alabama de l’AHTA et président de 1999 à 2002.

« Quand j’étais un « bébé thérapeute », je pensais que l’hortithérapie allait continuer à se développer et gagner en reconnaissance. Malgré la masse critique de recherche, ce n’est pas tout à fait le cas. Je comprends que ce soit dur pour des universités de proposer des formations quand il y a si peu de débouchés sur le marché du travail. L’autre sujet est que d’autres thérapies comme l’ergothérapie, la kiné et l’orthophonie sont remboursées. Mais ce n’est toujours pas le cas pour l’hortithérapie, la musicothérapie ou la thérapie récréative. Du coup, les hôpitaux ne les proposent pas puisque ce n’est pas rentable. »

Kirk continue à pousser une idée qui était déjà importante pour lui il y a 10 ans. « J’ai toujours expliqué à A. G. Rhodes que le remboursement n’est pas la seule manière d’impacter le résultat financier. Avoir de bons résultats pour les patients, contribuer à la satisfaction des familles, améliorer notre attractivité est aussi très important. » Clairement, il a été écouté puisque ce nouveau bâtiment sera doté de jardins et d’aménagements paysagers réfléchis contribuant à l’environnement thérapeutique et au plaisir.

Une autre tendance, qu’il repère dans des discussions ici et là, est l’importance grandissante de la qualité de vie et de l’approche centrée sur la personne. Il s’explique. « Les autorités de l’état de Géorgie qui nous régulent accordent de plus en plus d’importance à la qualité de vie des patients. Ce ne sera pas un changement rapide, mais il y aura une évolution dans le futur. D’autre part, je vois aussi un intérêt grandissant pour le soin centré sur la personne : choisir ses repas et son rythme ou avoir son animal de compagnie par exemple. A. G. Rhodes avance déjà dans ce sens. Notre personnel est formé et nous sommes certifiés par The Eden Alternative (leur credo est le « bien-être est un droit humain »). On s’éloigne d’un environnement clinique, stérile et on parle de vivre sa vie pleinement, de continuer à s’épanouir (thrive, en anglais, en écho à l’association anglaise, NDLR). »

Un bilan en demie teinte qui apporte cependant une note d’espoir. Rendez-vous dans 10 ans pour en discuter ?

Activités sur le site d’A.G. Rhodes Atlanta

Activités sur le site d’A.G. Rhodes dans le comté de Cobb (dont une séance de « doorway » therapy »)

Activités sur le site de Wesley Woods

Se former à l’hortithérapie aux quatre coins du monde

La formation est au cœur de la reconnaissance de toute pratique et donc bien sûr de l’hortithérapie. Une matière qu’on n’enseigne nulle part – même officieusement, même hors des canaux traditionnels de l’enseignement – peut-elle vraiment exister ? Comment peut-elle avoir une place officielle, se transmettre, évoluer ? La formation est une condition nécessaire même si elle n’est pas suffisante.

En France, nous avons franchi une étape avec la création récente du Diplôme Universitaire (DU) Santé et Jardins à la Faculté de Médecine de l’Université de Saint-Etienne. Plus globalement, je vous renvoie à la rubrique Formations du site de la Fédération Française Jardins, Nature et Santé qui répertorie les formations courtes disponibles en France. Soit une bonne douzaine de formations dont certaines ont été créées il y a plus de 10 ans. Cependant, il n’existe toujours pas de diplôme d’hortithérapie en France.

Alors est-ce que se former ailleurs dans le monde est une option ? Il y a évidemment certains obstacles non négligeables (la langue, le financement, le visa,…), mais c’est une possibilité. Pour savoir ce qui existe hors de nos frontières, une première étape serait de se référer à un article que j’ai publié en mars 2023 sur les 14 associations qui font bouger l’hortithérapie dans le monde. Elles listent à coup sûr les ressources en formation dans leurs pays respectifs.

Voici quelques pistes en Europe (Royaume-Uni, Autriche, Suède, Espagne et en Italie), aux Etats-Unis, au Japon ou en Australie.

Se former au Royaume-Uni

Une option, géographiquement proche, est le Royaume-Uni où existent au minimum deux bonnes options : Thrive et Trellis.

Pour Thrive, le point de départ est cette page où l’on peut faire une recherche selon plusieurs critères : le format (en ligne, en classe à Londres, Reading, Bristol ou Birmingham ou en hybride), le niveau (introduction à enseignement supérieur) ou la spécialisation (santé mentale, troubles de l’apprentissage, enfants, seniors,…). La formation la plus aboutie et approfondie est le Diploma in Social and Therapeutic Horticulture. En effet, cette formation de niveau 5 se prépare en deux ans, chaque année étant composée de 60 crédits, soit 600 heures d’enseignement. A noter que la formation n’est pas certifiée par l’OFQUAL.

Du côté de Trellis, vous trouverez des ateliers disponibles en ligne qui s’apparentent plutôt à des formations continues courtes qu’à des formations initiales. Voici la liste de ces opportunités, surtout les LIVE Demonstration et les sessions en ligne GROWING SERIES.

Il est intéressant de voir comment un site gouvernemental anglais comparable à l’Onisep décrit la profession de « horticultural therapist ».

Une partie des formations proposées par Thrive en Angleterre

Se former en Autriche

La Hochschule für Agrar- und Umweltpädagogik (Collège Universitaire de Pédagogie Agraire et Environnementale) à Vienne propose un programme « expert académique en thérapie par le jardinage » et un Master Green Care. Birgit Steininger, chargée de cours et rattachée à la direction de la formation de l’école viennoise, nous en avait expliqué le principe en 2022.

« Nous sommes un collège universitaire qui forme des enseignants. Ce que nous avons créé au sein du Collège Universitaire de Pédagogie Agraire et Environnementale, et en collaboration avec la faculté de médecine, est un certificat « expert académique en thérapie par le jardinage » (« academic expert in garden therapy »). Nous pensons que c’est un atout d’avoir de nombreux professionnels différents dans ce domaine. Dès la formation, cela suscite des échanges intéressants entre étudiants. C’est donc une formation continue en deux ans, soit 16 weekends de cours et deux stages. »

« Effectivement, nous sentions qu’il y avait une demande pour un diplôme d’enseignement supérieur. En 2012, nous avons créé le Master Green Green, qui comprend aussi la thérapie avec les animaux. Le critère d’entrée est d’avoir une licence. Nous attirons des travailleurs sociaux, des enseignants, des ergothérapeutes, etc…Que ce soit pour le certificat ou le master, je leur dis qu’ils ne deviendront pas des thérapeutes. C’est plutôt un outil à ajouter à leur pratique qu’une nouvelle profession. Nous organisons aussi des conférences chaque année. »

La Hochschule für Agrar- und Umweltpädagogik publie aussi un magazine baptisé Green Care, une ressource intéressante pour les germanophones

Se former en Suède

La Suède se distingue par un programme d’hortithérapie et d’écothérapie exceptionnel, le Alnarp Rehabilitation Garden que vous pouvez découvrir dans cette présentation d’Anna María Pálsdóttir. Maître de conférences en psychologie environnementale à l’Université suédoise des sciences agricoles (SLU), au département « People and Society », elle est horticultrice professionnelle et titulaire d’une licence en biologie et sciences horticoles, ainsi que d’une maîtrise et d’un doctorat en aménagement du paysage et psychologie environnementale. Elle est l’une des fondatrices du Master Outdoor Environments for Health and Wellbeing (OWH).

« Ce programme s’adresse aux étudiants issus de différents domaines académiques ou professionnels. Il fournit des perspectives et des concepts scientifiques dans les matières concernées, dans un contexte interdisciplinaire, qui peuvent être utilisés à la fois pour comprendre et expliquer les interactions entre les personnes et l’environnement physique extérieur, et pour appliquer les connaissances acquises dans différents contextes sociétaux.

Parmi les exemples de sujets interdisciplinaires figurent la thérapie assistée par la nature et la promotion de la santé, ainsi que le rôle des environnements extérieurs dans l’apprentissage et le développement, par exemple l’éducation et la réhabilitation en plein air. Il s’agit également de perspectives plus larges telles que l’aménagement de l’espace ou la conception du paysage, qui s’appuient sur la psychologie de l’environnement. Une attention particulière est accordée à l’importance des environnements extérieurs pour le développement individuel, la qualité de vie, le bien-être et la santé. »

Ce master, enseigné en anglais et à distance, vaut sans doute le détour. La prochaine promotion débutera à l’automne 2024 et les étudiants internationaux ont jusqu’au 15 janvier 2024 pour envoyer leur candidature…

Se former en Espagne ou en Amérique latine

Pour les hispanophones, il y a des opportunités très intéressantes et pour tous les niveaux offertes par l’association espagnole d’horticulture et de jardinage social et thérapeutique ou AEHJST (Asociación Española de Horticultura y Jardinería Social y Terapéutica), fondée par Leila Alcalde Banet et Daniela Silva-Rodriguez Bonazzi. Leur offre de formation est décrite ici.

En Amérique latine, le Pérou dispose de l’Instituto de Horticultura Terapéutica y Social (IHTS-PE), dirigé par Daniela Silva-Rodriguez Bonazzi, qui offre un programme complet de formation hybride en HT pour les professionnels hispanophones du monde entier, depuis 2014. Mentionnons aussi l’Association péruvienne d’horticulture thérapeutique et sociale (APHTS) actuellement impliquée dans le projet NATURELAB EU PROJECT, un projet de recherche financé par Horizon Europe qui vise à démontrer que les interventions basées sur la nature sont efficaces et devraient être prescrites.

Se former en Italie

Pour compléter notre tour d’Europe, n’oublions pas l’Italie. Quand elle s’est intéressée à l’hortithérapie, Ania Balducci a dû quitter Florence pour aller se former aux Etats-Unis (Horticultural Therapy Institute) et en Angleterre (Thrive). Cet exil lui a donné la motivation pour créer un programme à l’Université de Bologne. En 2021, une première formation courte et hybride, moitié en ligne et moitié en face à face, a eu lieu. Puis le master est lancé en 2022 avec plusieurs formateurs et un terrain d’application dans un parc proche.

Se former aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis, l’hortithérapie (horticultural therapy) a gagné une légitimité – bien qu’elle ne soit pas encore suffisamment reconnue et développée – grâce aux formations universitaires. Le premier master d’hortithérapie est proposé en 1955 à la Michigan State University sous l’influence d’Alice Burlingame. Cette pionnière est aussi l’auteur avec Donald Watson d’un premier manuel, Therapy through Horticulture, qui paraît en 1960 et qui est toujours disponible. A partir des années 70, plusieurs universités développent des licences (Bachelor’s or B.S.) et des masters dans cette spécialité. En 1981, on en comptait huit.

Pour en savoir plus sur l’offre actuelle de formations universitaires, voici la page de l’AHTA. En résumé,

  • Colorado State University offre un B.S. in Horticulture with a concentration in Horticultural Therapy
  • Delaware Valley University, un B.S. in Horticulture with Option in Horticultural Therapy
  • University of Florida, unB.S. in Horticultural Science with a specialization in Horticultural Therapy
  • Oregon State University, un B.S. in Horticulture with a concentration in Therapeutic Horticulture
  • Rutgers, the State University of New Jersey, unB.S. in Plant Biology with a specialization in Horticultural Therapy
  • Tennessee Tech University, un B.S. in Agriculture with a concentration in horticulture, with independent study in horticultural therapy
  • University of Tennessee, Knoxville, unB.S. in Plant Sciences, with independent study in horticultural therapy
  • Temple University en Pennsylvanie, un B.S. in Horticulture with option in Horticultural Therapy

Autre voie, les certificats accrédités par l’AHTA et les parcours individuels de formation à l’hortithérapie, listés ici. La référence pour moi dans ce domaine reste le Horticultural Therapy Institute (HTI) où j’ai suivi une formation, non diplômante, dans les années 2010. A savoir que HTI a l’habitude de recevoir des étudiants étrangers (voir l’expérience de Daniela ou d’Ania) et propose par ailleurs des cours en ligne.

Pour comprendre les procédures d’inscription professionnelle de l’AHTA et la liste des connaissances exigées, voici le lien indispensable : « L’AHTA reconnaît et enregistre les hortithérapeutes par le biais d’un programme d’enregistrement professionnel volontaire. La désignation Horticultural Therapist-Registered (HTR) garantit que les compétences professionnelles ont été acquises sur la base d’exigences académiques normalisées et d’une formation professionnelle. »

Sans doute le premier manuel d’hortithérapie au monde à sa publication en 1960
Jay Rice, enseignant au HTI depuis ses débuts, et des stagiaires pendant un cours

Se former au Japon

En 2015, j’avais échangé avec l’universitaire Masahiro Toyoda, considéré comme l’un des principaux experts de l’hortithérapie au Japon. Professeur à l’université de Hyogo, il est lui-même hortithérapeute et chercheur dans ce domaine. Il semble qu’il enseigne toujours actuellement au sein d’un programme de certification en hortithérapie à la Awaji Landscape Planning and Horticulture Academy (ALPHA), unique établissement formant des hortithérapeutes au Japon à être accrédité par un gouverneur de préfecture. Le programme est né en 2002 peu après le tremblement de terre de Hanshin-Awaji de 1995.

Se former en Australie

Je mentionne l’Australie parce que c’est une terre d’aventure pour de nombreux jeunes Français. La Therapeutic Horticulture Association avertit que « En 2022, il n’existe pas de programmes d’enseignement et de formation accrédités dans le domaine de l’horticulture thérapeutique en Australie (selon le cadre de qualification australien). Toutefois, il existe plusieurs ateliers d’introduction et programmes de cours de courte durée proposés par différents établissements d’enseignement publics et privés. Il s’agit par exemple des programmes proposés par des groupes d’État tels que CERES (Vic), Kevin Heinz GROW (Vic) et ACS Distance Education (en ligne).  Une seule matière est proposée sous la forme d’un cours intensif d’une semaine à l’université de Melbourne en septembre (HORT90011 Therapeutic Landscapes).

Voici les liens vers ces formations cités par THA : CERES (Victoria), Kevin Heinz GROW (Victoria), ACS Distance Education et le cours Therapeutic Landscapes de l’université de Melbourne.

Une des formations citées par la THA en Australie

Le chantier européen de Hortus Medicus

Une autre piste de formation à l’hortithérapie, encore en chantier, est le projet européen Hortus Medicus qui rassemble des institutions en Hongrie, en Autriche, en Italie et en Roumanie. « L’objectif du projet Hortus Medicus est de développer un programme complet de formation à la thérapie horticole de 120 heures, comprenant du matériel pédagogique et un contenu d’apprentissage en ligne. Le programme de formation comprend un curriculum et un manuel. Ces deux ressources éducatives fusionneront les philosophies et pratiques existantes et nouvelles dans le domaine de la thérapie horticole. Nous voulons créer une formation innovante qui peut être dispensée de manière traditionnelle, sous la forme d’un enseignement par contact, mais aussi sous la forme d’un apprentissage mixte, avec des parties théoriques en e-learning. » A suivre…

Cheney Creamer : « Building a relationship with nature is going to make us healthier and happier »

Le mois dernier, je vous promettais de reparler de l’hortithérapie au Canada rapidement. Chose promise, chose due. Voici un entretien avec Cheney Creamer, présidente de la Canada Horticultural Therapy Association (CHTA) avec qui j’ai échangé par visio en début de semaine.

Pouvez-vous vous présenter et décrire votre parcours dans l’hortithérapie ?

C’est une question complexe. Jusqu’où est-ce que je dois remonter ? Je vais commencer dans le présent et repartir dans le passé. Je suis présidente de la CHTA. Je suis aussi la fondatrice et présidente de One Green Square Wellness Consulting. J’aide les personnes, les équipes et les groupes à se connecter aux plantes. Ma mission est de maximiser le potentiel d’une relation pleine de sens entre les plantes et les humains. Cette relation nous permet de montrer plus de compassion, de mieux communiquer, d’être plus innovant et de mieux gérer le stress.

Ma carrière depuis plus de 20 ans a été tournée vers le bien-être dans les organisations. Je me suis spécialisée dans la gestion du stress ou ce qu’on appelle maintenant la construction de la résilience. Aujourd’hui, j’évalue des espaces pour un usage thérapeutique (dans des résidences pour personnes âgées, dans des établissements pour des enfants) et puis je travaille sur cette expérience thérapeutique dans ces espaces. J’aide principalement des adultes à développer des pratiques pour gérer leur stress ainsi que des soignants tels que des infirmières à intégrer les jardins thérapeutiques dans leurs pratiques. En travaillant avec des gens en Italie ou aux Etats-Unis, j’ai pu me rendre compte que la pratique au Canada peut être différente ne serait-ce qu’à cause de la météo et de nos longs mois d’hiver.

En ce moment, je suis sur le point de lancer un programme composé de cinq modules sur l’hortithérapie au Canada (Présentation de l’hortithérapie au Canada ; Evaluer, développer et utiliser les jardins thérapeutiques ; Cultiver votre approche thérapeutique authentique ; Facilitation virtuelle ; Maximiser le potentiel thérapeutique). Je vais commencer très bientôt et les cours seront disponibles en visio ainsi qu’en présentiel.

Cheney Creamer, présidente de la Canadian Horticultural Therapy Association

Comment décririez-vous la situation actuelle de l’hortithérapie au Canada ?

Nous sommes dans une position favorable en ce moment. C’est un des bénéfices inattendus du Covid. Il y a trois ou quatre ans, les gens ne comprenaient pas de quoi vous parliez quand vous mentionniez « horticultural therapy ». Ils comprenaient horticulture et thérapie, mais pas la combinaison des deux. Maintenant ils comprennent comment les deux peuvent marcher ensemble. Pas dans les détails certes, mais il y a une prise de conscience parce qu’ils comprennent ce qu’ils ont pu vivre en terme d’isolement et de stress et comment la connexion avec la nature a pu les aider. Ils le comprennent à un niveau tout à fait nouveau, personnel. Avant je devais leur faire vivre une expérience pour leur faire comprendre. Maintenant, tout le monde comprend.

Comment devient-on hortithérapeute au Canada ?

L’hortithérapie est en croissance rapide. Actuellement, nous avons 35 professionnels qui sont « registered ». Moi-même, je ne suis pas encore « registered » malgré des études de psychologie et d’horticulture. J’y suis presque. L’éducation était dans un état de stagnation parce que nos professionnels expérimentés ne sont pas des enseignants, qui plus est spécialisés dans la formation pour adultes. Il se trouve que je suis diplômée en psychologie et que j’ai une formation en éducation pour les adultes. Mais nous avons une difficulté pour transmettre les savoirs. Au Canada, nous n’avons pas de formation universitaire, contrairement aux Etats-Unis où cependant le nombre de programmes universitaires est en déclin. Par contre, nous avons des universités qui vont commencer à offrir des cours optionnels en école d’infirmières ou dans des études sur l’environnement. Il existe aussi deux certifications à l’hortithérapie qui sont accréditées, une en ligne et une sur l’ile de Vancouver. Nous avons une liste des connaissances de base pour permettre d’approuver un programme. Ce qui est intéressant, c’est que différentes personnes peuvent proposer des cours dans leur spécialité. Elles peuvent enseigner des composantes.

Le processus pour candidater et devenir « registered » était très difficile. Au 1er mars 2023, nous l’avons changé et amélioré. Avant, un stage semblait un obstacle alors que ce n’est pas absolument nécessaire. Notre système est un système à points. Il faut avoir une formation ainsi que de l’expérience dans trois domaines : l’hortithérapie, l’horticulture et la thérapie. Ainsi de nombreuses routes peuvent mener au statut « registered ». Il n’est peut-être pas nécessaire d’obtenir un nouveau diplôme. Une nouveauté structurelle est que les stages ne sont plus aussi courants au Canada car ils doivent maintenant être rémunérés. On peut obtenir les points de l’expérience par des emplois plutôt que par des stages. Nous avons aussi plus de bénévoles dans l’association, une quarantaine en tout, qui peuvent guider les candidats dans le processus. J’étais dans une visio récemment et une dizaine de personnes, rien que dans ce groupe, était en train de devenir « registered » !

Session d’hortithérapie en petit groupe sous le gazebo par temps pluvieux

Dans quels secteurs trouve-t-on des programmes d’hortithérapie au Canada ?

Dans les résidences pour personnes âgées. Dans des établissements pour enfants : des crèches, des programmes classiques, quelques établissements spécialisés et aussi dans les écoles de nature qui sont très populaires au Canada. En psychiatrie, cela a été plus long, mais l’hortithérapie vient s’ajouter à la « wilderness therapy » qui est plus rude. Là où on voit le plus de croissance est avec les adultes et les adolescents qui se battent contre l’anxiété. Au Canada, l’éco anxiété est aussi une préoccupation de plus en plus présente en santé mentale.

Quel est l’état de la recherche chez vous ?

Nous en voulons tous, mais peu s’y lancent. On nous en demande souvent, en soutien dans les demandes de subventions notamment. Si les praticiens viennent du monde de l’horticulture, ils ont peu de compétences en recherche. Plus nous aurons de professionnels, plus nous pourrons encourager la recherche qui demande d’établir des buts et objectifs, de déterminer des résultats mesurables et d’évaluer pour mesurer. On peut même imaginer un modèle où les thérapeutiques recueillent les données efficacement et d’autres personnes se chargent de la recherche.

Vous distinguez « horticultural therapy » et « therapeutic horticulture ». Vous pouvez nous rappeler la différence ?

Cela nous a mis plus de trois ans à faire comprendre la différence. Dans les deux cas, un professionnel formé est impliqué. « Horticultural therapy » est une application clinique avec des buts et des objectifs mesurables, une évaluation clinique sur les plans physique, cognitif, psychologique, social et/ou spirituel. Pour la « therapeutic horticulture », on peut avoir des objectifs et des évaluations, mais ils ne sont pas directement exprimés et discutés. C’est une approche moins clinique où une évaluation rigoureuse n’est pas nécessaire ou même appropriée. Je travaillais récemment avec des ambulanciers dans un programme de bien-être : pour eux, il aurait été contreproductif d’évaluer, cela rappelle trop leur environnement de travail. En tout cas, les deux approches se différencient clairement d’une simple activité de jardinage.

J’ai deux devises pour expliquer. « Approach before activity » : pourquoi vous venez ? Si c’est une activité, c’est plutôt un club de jardinage pas une approche thérapeutique. « Are you leaving with a practice or a product ? » : est-ce que vous confectionner un produit à remporter chez vous comme une couronne ou bien est-ce que vous aurez choisi de faire une couronne en pommes de pin pour leur résilience, une couronne qui vous permet d’entrer en relation avec la plante ?

Aire de jeux sensoriels pour les aînés de Holyrood Manor

Pouvez-vous nous parler de l’histoire de la CHTA ?

La création date de 1987, nous sommes le petit frère de l’AHTA américaine qui s’est formée en 1973. Il y avait un fort intérêt dans les années 1980, puis l’hortithérapie a disparu des radars pendant une dizaine d’années. L’écopsychologie a réveillé l’intérêt. Mon but actuellement est de créer une communauté. Nous avons 35 hortithérapeutes « registered », mais nous avons 300 membres et plus de 4 000 personnes qui nous suivent sur les réseaux. C’est une nouvelle montée en puissance aujourd’hui. La prochaine étape sera l’accréditation, avec l’obligation de passer un examen pour accéder à un titre. En cela, nous sommes entre 5 et 10 ans derrière les Etats-Unis.

Que devrions-nous savoir pour mieux comprendre la CHTA ?

Dans l’esprit de la permaculture, nous privilégions « earth care, people care and resource share », la protection de la terre, la protection des personnes et le partage des ressources. Au Canada, la protection de la terre passe par reconnaître et honorer les peuples indigènes et notre code d’éthique y fait référence. Lors de nos conférences, nous avons toujours des leaders indigènes qui ouvrent et ferment le rassemblement car ce sont eux qui ont pris soin de la terre jusque là. La protection des personnes, ce sont nos membres, nos bénévoles, nos professionnels et comment nous soutenir et créer des opportunités. Le partage des ressources, c’est le partage de la formation, de la recherche nationalement et internationalement.

Nous devons pratiquer ce dont nous parlons, nous mettre nous mêmes dans nos pratiques, c’est-à-dire semer nos graines, observer la nature qui nous enseigne, suivre notre bonheur au quotidien. Cela ne doit pas être des tâches qui s’ajoutent, mais des pratiques qui sont tissées naturellement dans nos vies très occupées. Construire une relation avec la nature nous rend plus heureux et en meilleure santé. Il est important d’aider tout le monde à expérimenter les avantages de mettre les mains, les pieds et le visage dans la terre !

Suivre la CHTA:

Site Internet

Prochaine conférence annuelle : en ligne 19 au 21 octobre 2023

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Le jardin de son père

Federica Cane enseigne l’hortithérapie en Italie

Federica Cane est une hortithérapeute italienne, francophone, membre de la Fédération Française Jardins Nature et Santé ainsi que de la Canadian Horticultural Therapy Association (CHTA). Dans notre tour du monde, je vous propose un arrêt à Rome à la rencontre de Federica. Pour rappel, nous avions déjà fait la connaissance d’une autre hortithérapeute italienne, Ania Balducci, en 2021.

Federica est née à Turin dans les années 1960. « La nature me vient depuis l’enfance, mais je ne le voyais pas. Nous passions tous nos étés à la campagne dans le village de ma grand-mère. Pendant trois mois, on avait une grande liberté. Nous étions une dizaine d’enfants, ruraux et citadins. On était tout le temps dehors, sur nos vieux vélos. »

Premier déclic : « L’énergie vitale de mon père vient de la terre. »

« Mon père aimait avoir les mains dans la terre. Dès le printemps, il plantait sur le balcon à Turin. Dans son potager, son jardin à la campagne, il laissait tout pousser, pour voir ce que c’était. Quant à ma mère, elle était enchantée par les fleurs. Mon père vient d’avoir 93 ans, il a semé cet été. Et en même temps, nous avons vidé la dernière maison des trois maisons que nous avons habitée dans le village, celle-ci pendant 26 ans. Son potager va être détruit par les propriétaires. Je me rends compte que c’est un peu mourir pour lui. Il y aura des conséquences. Son énergie vitale vient de la terre. »

Federica et son père l’été dernier

Deuxième déclic : « A la quarantaine, je fais le lien entre les humains et la nature »

A Turin, Federica fait des études de philo. « J’ai toujours aimé « circuler ». A 25 ans, dans le cadre de mes études, j’ai passé un an aux Etats-Unis pour finir un travail sur la valeur symbolique du langage politique. En même temps, j’étais « au pair » dans une famille. Je me suis prise d’affection pour la culture américaine dont je vois bien les limites. » Dans les années 1980 à Turin, elle découvre aussi l’approche de se taire et d’observer, qui doit beaucoup à la psychanalyste Mélanie Klein. Une sensibilité qui lui est très utile dans son travail aujourd’hui. Sa première carrière professionnelle la plonge pendant des années dans le monde du livre, en tant que libraire et bibliothécaire.

« Ca a mis longtemps à devenir évident pour moi. A Paris, j’avais un mini jardin de 20 m2. J’ai été bénévole dans un jardin partagé à Denfert-Rochereau, puis à Clamart pendant 7 ans. Avec une association, nous travaillions pour aider des adultes qui rencontraient différentes difficultés, comme les addictions ou le chômage, à se réinsérer. On mangeait ensemble et on se voyait tous les jours pendant un an. A travers une formation et l’horticulture, on pouvait les aider à se remettre sur les rails. Avant la quarantaine, je n’avais jamais fait ce lien entre les humains et le monde naturel. »

Dernier déclic : « Je découvre que le métier d’hortithérapeute existe »

« Une nuit, à 2h00 du matin, j’ai découvert un site canadien qui proposait une formation à l’hortithérapie. Hortithérapeute, c’était un métier ! Ca existait et on pouvait l’étudier. C’était en 2005. A Paris, j’avais pris contact avec Anne Ribes et j’avais été observer ce qu’elle faisait à la Pitié Salpétrière. Je me suis dit : « Je veux faire ça. » ».

En 2009, Federica suit dans un premier temps les cours d’horticulture à l’Ecole agricole du Parc de Monza, une école italienne fondée par des femmes pour les femmes dans les années 1930, ce qui la mènera à un cours d’été aux New York Botanical Gardens.

L’année suivante, à l’âge de 50 ans, elle s’engage dans une formation qui la mène à New York, « après mille hésitations » car cela suppose de laisser sa famille pendant deux mois de cours intensifs. Entre temps, Federica, son mari et leurs deux garçons quittent Paris pour s’installer à Rome. Elle n’a pas tout à fait complété sa formation. Elle la terminera finalement en 2018 et en beauté grâce à un stage au NYU Langone, un terrain de formation exceptionnel. Jugez plutôt la richesse des programmes d’hortithérapie proposés dans cet hôpital new-yorkais. « C’était un stage formidable. Il y a peu d’hôpitaux où on pratique comme cela. J’ai vu tous les services de l’hôpital, des enfants aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. J’ai beaucoup appris de Matt Wichrowski, en psychiatrie et pour l’épilepsie. A New York, je me suis aussi liée d’amitié avec Phyllis d’Amico, une femme d’origine italienne qui est responsable de la formation à l’hortithérapie aux New York Botanical Gardens. »

Aujourd’hui, enseigner et animer des ateliers

« J’ai enseigné la théorie de l’hortithérapie à l’Ecole agricole du Parc de Monza, soit une dizaine d’heures d’enseignement sur les 100 heures de cours que compte le programme. Je fais aussi l’introduction d’une formation de 30 heures à Gênes pour une coopérative agricole. C’est sur le terrain d’une association de parents de patients souffrant de troubles psychiques, avec des appartements sur place, un lieu de vie autour de l’agriculture sociale. »

« A Rome, je conçois et anime des activités pour des enfants et des jeunes adultes avec Happy Time. C’est une association fondée par un groupe de parents dont les enfants sont fragiles (autisme, vulnérabilité psychique de différentes natures). Nous proposons des activités à deux groupes de jeunes et une fois par mois aux parents et à leurs amis. C’est ma plus longue collaboration à ce jour, quatre ans malgré le Covid. Par contre le Covid a arrêté un programme que j’animais à la prison pour femmes de Rebibbia à Rome. »

« La base de notre métier est de nous regarder nous-mêmes dans l’esprit du psychologue américain Carl Rogers. Observer nos motivations, nos émotions, faire silence malgré l’angoisse du vide et laisser l’autre nous donner des indices, voir comment nous réagissons. Nous faisons un métier à la lisière, en étant bien conscients de qui nous sommes. Nous sommes sur une ligne de crête, on peut tomber. Mais nous avons la conviction que quelqu’un sait comment faire. Nous devons être conscients que, seuls, nous ne sommes pas grand chose. L’ambiance du lieu est centrale : comment rendre accueillant pour rendre libre. »

Federica donne des exemples. « Un jeune garçon sautait tout le temps en jetant la terre par terre. On a inventé des histoires sur les semis qu’on met dans la terre pour qu’ils n’aient pas froids. » Ou cet homme souffrant de troubles obsessionnels, rencontré pendant un remplacement de trois mois dans une résidence psychiatrique. « Il était malheureux d’être en groupe, avec un besoin d’ordre et de silence. Je lui ai proposé de travailler à l’écart sur des semis, un travail qui demandait de la patience. Un contact s’est créé et d’autres choses sont venues. »

« J’aimerais travailler auprès de personnes âgées. Je suis émue par les personnes qui se perdent. C’est un peu romantique comme idée. L’écoute et le silence mettent en évidence ce qui est… »

Andreas Niepel : au cœur de la « gartentherapie » en Allemagne

Andreas Niepel

« What am I ? », répond Andreas Niepel quand je lui demande de se présenter et de décrire son parcours lors d’une conversation en visio courant septembre. « I am a gardener ». Puis il rentre dans les détails. 

« C’est en travaillant dans un hôpital pendant que je faisais mon service militaire que j’ai découvert l’intérêt social et thérapeutique du jardin. Ensuite mon premier travail m’a amené à la production végétale, ce que j’ai détesté. J’avais envie de combiner le jardin et les gens et de devenir un jour un jardinier thérapeutique. Mais cela n’existait pas à l’époque. Quand on a un rêve, soit on le réalise, soit on l’oublie. » Andreas n’a pas mis son rêve de côté. Au contraire, il est devenu une force motrice en Allemagne et bien au-delà, en pratiquant, en enseignant, en écrivant et en fédérant la communauté croissante de la thérapie par le jardin.

30 ans d’expérience

Andreas a rejoint une clinique spécialisée dans la rééducation neurologique et neurochirurgicale – aujourd’hui connue sous le nom de VAMED Klinik Hattingen – où il dirige depuis 1992 le service de jardinage/thérapie horticole à Hattingen en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. 

En parallèle, il lance il y a une quinzaine d’année sa propre société de conseil dans le domaine des jardins thérapeutiques (Andreas Niepel Grünplanung) et un institut baptisé « Gardens help live » grâce auxquels il intervient en Allemagne, mais aussi en Pologne, en République Tchèque ou encore en Irak à travers des formations et des séminaires.

Diffuser la culture du soin par le jardin passe inévitablement par l’écriture, en Allemagne comme en France, si on veut sortir de la dépendance à l’anglais. Ce n’est d’ailleurs pas uniquement une question de langue puisque des sensibilités diverses peuvent ainsi voir le jour. Andreas a plusieurs livres à son actif. « Garten und Therapie – Wege zur Barrierefreiheit » (en collaboration avec Silke Emmrich aux éditions Eugen Ulmer, 2005),  « Gartentherapie »  (édité par l’association allemande des ergothérapeutes), « Praxisbuch Gartentherapie » (en collaboration avec Thomas Pfister, 2009) pour ne citer que les principaux.

La 2e édition du « Praxishandbuch Gartentherapie » (manuel pratique de la thérapie horticole) écrit par Andreas Niepel et Gabriele Vef-Georg (2020)

Depuis 2009, cette mission passe aussi par la présidence de la Internationale Gesellschaft Gartentherapie (IGGT), la Société internationale de thérapie par le jardin qui rassemble des associations existantes. « C’est une organisation « parapluie » dont tous les membres sont des institutions, des associations, d’ergothérapeutes par exemple, des universités. L’objectif est de travailler ensemble à un développement de qualité de nos pratiques. »

Le développement de la « gartentherapie » en Allemagne

« En Allemagne, tout commence avec la psychiatrie, comme Pinel en France et Benjamin Rush aux Etats-Unis, avec des patients qui travaillent dans les champs », explique Andreas. « Et puis sont venus les Nazis. Pendant des années après la guerre, il était impossible d’envisager de faire de nouveau travailler des gens dans les champs. Enfin, à la fin des années 1980, est arrivé Konrad Neuberger, psychothérapeute et co-fondateur d’IGGT, qui a relancé le mouvement. C’était comme un champ vide avec des petites fleurs qui poussaient ça et là : des travailleurs sociaux, des pédagogues qui créaient des jardins… ».

Pour sa part, Andreas estime avoir eu de la chance. « J’ai commencé dans cette clinique au point zéro. Le fondateur avait un intérêt personnel pour le jardinage. Il m’a demandé d’écrire un texte sur les effets qu’on pouvait en attendre pour les patients. L’idée était que le jardin devienne une autre « pièce » de soin. » 

Le jardinier d’Hattingen cite un chiffre : presque trois Allemands sur quatre ont un jardin ou en voudraient un. « Alors imaginez parmi nos patients ! Il n’y avait aucun argument contre les bienfaits en tant qu’intervention thérapeutique ». Une semaine après notre conversation, en septembre 2022, Andreas fêtait son 30e anniversaire à son poste à la clinique d’Hattingen.

« Notre programme, comme beaucoup d’autres en Allemagne, s’est développé en commençant petit et surtout en collaborant avec d’autres professions : les ergothérapeutes, les pédagogues, les psychologues. Nous avons fait des projets communs, ils voyaient le potentiel des jardins dans une approche globale », raconte Andreas. « Les art thérapeutes et les musicothérapeutes ont été moins intéressés. Pour nous, l’objectif était de diminuer certaines difficultés et d’augmenter les ressources des patients pour améliorer leur qualité de vie. On parle de promotion de la santé, les frontières sont proches de la pédagogie ou de l’éducation. »

Hortithérapie vs. gartentherapie

A ce stade, il est nécessaire de faire une mise au point sur les termes employés. « Au début en allemand, on parlait d’hortithérapie. Quand je suis allé aux Etats-Unis pour la première fois, je me suis rendu compte que, pour parler d’hortithérapie dans ce pays, il fallait que le patient soit actif. Le patient doit planter quelque chose, avoir une action dans le jardin. En Allemagne, nous considérons que, pour une personne atteinte de démence par exemple, s’asseoir calmement avec le groupe, revivre des souvenirs, être fasciné avec les sens en éveil, est important. » Ainsi, le terme qui est le plus utilisé en Allemagne actuellement est « gartentherapie ».

« La thérapie par le jardin est un processus centré sur le participant, dans lequel des experts formés définissent et vérifient les objectifs individuels et planifient et utilisent des activités liées au jardin ou aux plantes comme outils thérapeutiques pour promouvoir les aspects liés à la santé des participants », explique un texte de la Hochschule für Agrar- und Umweltpädagogik de Vienne (Collège Universitaire de Pédagogie Agraire et Environnementale), membre de la IGGT dont nous avions fait la connaissance à travers Birgit Steininger au mois de juillet.

Andreas Niepel

« Je travaille avec des patients qui ont eu des AVC. Nous commençons le travail très tôt, au chevet du patient. Ils ont des déficits de nature. Je pense à cette vieille dame qu’on a accompagnée dans le jardin en fauteuil roulant. Elle s’est mise à pleurer en disant que cela faisait un an qu’elle n’était pas sortie dehors. Nous n’avons rien « fait » ensemble. » Quand Andreas évoque cette anecdote, je lui parle d’Oliver Sachs qui raconte sa première sortie dans un jardin après un grave accident de manière si éloquente.

« Si nous allons en soins intensifs, nous ne travaillons pas avec des plantes, mais avec l’imagination. « Vous aviez un jardin ? Vous pouvez fermer les yeux et vous y transporter. » La prochaine étape sera d’apporter des photos de leur jardin. C’est de la gartentherapie, mais ce n’est pas de l’hortithérapie », résume Andreas.

Et il va plus loin. « Où plaçons-nous l’hortithérapie dans le modèle biopsychosocial ? Nous en avons parlé pour définir nos pratiques. En fait, ce modèle ne va pas assez loin. La nature a un impact sur l’être humain qui n’est pas pris en compte dans le modèle biopsychosocial. Nous savons depuis les années 1960 que nous pouvons être malade écologiquement. Pour nous, c’est une thérapie écologique en contact avec la nature. »

Une thérapie acceptée qui évolue

« Dès le départ, il a été clair que ces approches étaient acceptées. Mais était-ce sérieux ? Etait-ce thérapeutique ? Le premier niveau a été l’acceptation par les collègues, les patients et leurs familles. Au début, les patients aimaient beaucoup cette médiation, mais ne la considéraient pas comme une thérapie comme les autres. Puis la recherche et les études ont montré qu’ils étaient extrêmement satisfaits par la gartentherapie. »

Deuxième étape, les proches. « Dans les maisons de retraite, on sait que les interlocuteurs sont les familles. Ils demandent que leur parent sorte et jardine car c’est une de leurs activités quotidiennes préférées depuis toujours. » Et puis viennent les institutions. « En 2023, une grande assurance allemande va lancer un programme avec l’IGGT pour amener plus de gartentherapie dans les institutions. La gartentherapie entre dans le champ de la prévention et de la promotion de la santé. »

« On peut aussi parler d’une acceptation de l’intérieur. Depuis 20 ou 30 ans, beaucoup de disciplines contribuent et apportent de la diversité à notre pratique. Les évaluations peuvent se faire de plusieurs points de vue et nous tirons partie de cette diversité » explique Andreas. « Notre discipline a ainsi pris des directions qui n’étaient pas prévues au départ. »

Une de ces directions est la promotion de la santé. « La prévention avait un statut de thérapie de seconde classe. Mais si on regarde ce que la thérapie devrait faire, selon les Grecs, c’est « Primum non nocere ». En premier lieu ne pas nuire, ne pas faire de mal. Ni aux patients, ni aux soignants. Et les besoins psychologiques ? Etre renfermé pendant six semaines dans un service pourrait bien vous faire du mal. Pour ne pas faire de mal aux patients, il faut garder un contact social, un contact avec la nature. Permettre de profiter, de s’amuser, d’être soi même. »

La formation et la certification, indispensables maillons

« Les formations se sont développées en Allemagne, en Suisse à l’Université de Zurich et en Autriche à la Hochschule für Agrar- und Umweltpädagogik de Vienne qui offre un des plus anciens programmes de formation. Cependant les programmes étaient tous différents et une des premières tâches de l’IGGT a été de les harmoniser », explique Andreas. « A tout moment dans les pays germanophones, une centaine de personnes sont en formation dans notre discipline. »

Un autre axe de l’IGGT est la certification. « Qui peut se dire « registrierter Gartentherapeut » ? Nous avons conçu un système de points selon la profession exercée, la formation continue, l’expérience et la pratique. C’est un point essentiel pour la qualité de la profession. Actuellement, nous comptons environ 70 « registrierter Gartentherapeut » et bien d’autres qui ne le sont pas. »

Où trouve-t-on des programmes en Allemagne ? « Beaucoup travaillent avec des personnes âgées atteintes de démences. Je dirais qu’en Allemagne 90% des institutions accueillant ces personnes ont un jardin spécifique. On compte entre 400 et 500 programmes. La rééducation comme la clinique où je travaille est un autre domaine important ainsi que la psychiatrie et l’addictologie avec plus d’une cinquantaine de programmes. Enfin, les programmes de travail protégé pour des personnes avec des handicaps sont fréquents. Suite au Covid, un nombre grandissant de projets concerne les enfants et les jeunes. »

Perspectives d’avenir

Avec ses trente ans d’expérience, Andreas peut s’appuyer sur son expérience pour identifier les défis et les opportunités. « Je vois du développement. Je vois aussi des vagues. Dans les années 90, les disciplines créatives comme l’art thérapie et la musicothérapie avaient le vent en poupe, puis leur popularité a baissé. A la fin des années 90 et au début des années 2000, le jardin allait très fort. Et puis on a vu arriver la robotique et des programmes assistés par ordinateur et la nature est passée au second plan. Mais on en revient. »

« Le plus important est que nous pouvons nous définir nous-mêmes. Quand nous avons commencé à combiner jardin et thérapie, nous avons rassemblé des disciplines très variées pour en arriver là aujourd’hui. Avec le Covid, tout le monde a vu que le jardin était leur thérapie personnelle. Pour mon grand-père, le jardin était principalement économique. Pour moi, il était écologique, c’est-à-dire pour la nature. Aujourd’hui, qu’est-ce qui nous amène au jardin en Allemagne ? Notre âme, notre esprit. Le jardin nous donne de l’énergie et nous calme. Le Covid a montré que nous avons tous besoin du jardin. »

Et de conclure notre entretien marathon avec un programme tourné vers les jeunes justement : « Cet hiver, j’ai participé à un programme avec des jeunes – c’est eux qui ont souffert le plus du Covid. « Les autres sont dangereux » est devenu une idée présente. Ils sont plus stressés que moi à leur âge », constate-t-il. « Et bien nous avons planté ensemble. L’idée que leurs plantes puissent ne pas pousser était considérée comme un échec. « Apprendre à échouer » est devenu un thème. Et alors comment les motiver ? En tant que thérapeute, quelles ressources puis-je aller chercher chez eux ? Nous leur renvoyons souvent des images négatives, par exemple qu’ils sont toujours sur leurs écrans. Et bien, ils postent ce que nous faisons sur Instagram. Et là, ils se sent capables. » Adaptation, maitre mot pour tout thérapeute.

Trellis Seminar Series : le rendez-vous annuel des hortithérapeutes du monde entier

La première fois que j’ai eu le plaisir de discuter avec Fiona Thackeray de Trellis, l’association écossaise d’hortithérapie, c’était en 2015. En mars 2020, nous devions nous rencontrer « in real life » pour le symposium de Jardins & Santé à Paris….En 2021, Tamara Singh et moi avons eu le plaisir de présenter un état des lieux de l’hortithérapie en France lors de la première édition du Trellis Seminar Series. Hier soir, j’ai de nouveau eu le plaisir de passer un moment en ligne avec Fiona à une semaine du Trellis Seminar Series 2022. Ma question toute personnelle : est-ce que nous aurons un jour l’occasion de prendre un thé (ou une bière) ensemble ?

Pour le programme et les inscriptions aux séminaires de cette annnée, c’est par ici. Du 7 au 11 mars,  des experts interviendront d’Allemagne, d’Irak, d’Italie, de Belgique, du Brésil et d’Australie pour partager leurs expériences et connaissances de l’horticulture sociale et thérapeutique. Le programme s’enorgueillit également d’un panel de champions communautaires issus d’une variété de projets à travers le Royaume-Uni qui soutiennent les personnes vulnérables, handicapées et défavorisées de tous âges.

Plus que jamais et pour différentes raisons alors que la guerre revient brutalement au coeur de l’Europe, ce rassemblement est une « une lanterne d’espoir dans une année difficile ».

Fiona Thackeray de Trellis Scotland a écrit un livre pour se débarrasser du plastique au jardin, ‘Plastic-free Gardening’ (crédit photo Daily Record)

Fiona nous raconte la genèse de cette conférence en passe de devenir un grand rendez-vous annuel pour les hortithérapeutes du monde entier.

Qu’est-ce qui a incité Trellis à proposer une série de séminaires en ligne en 2021 ?

A little thing called Covid…En mars 2020, nous étions sur le point de tenir notre conférence annuelle qui rassemblait tous les ans entre 50 et 70 personnes en Ecosse. Mais c’était inimaginable de maintenir notre événement en personne : on se serait tous contaminés et nous aurions ramené le virus aux personnes fragiles avec lesquelles nous travaillons. Pendant plusieurs mois, nous nous sommes accrochés à l’espoir de le remettre à plus tard. Et puis nous avons décidé de le tenir en ligne. Cela me semblait un pauvre substitut à des rencontres en personne proposant des activités tactiles. Mais du côté positif, nous n’aurions jamais pu financer la venue de tous ces intervenants étrangers ! Il y avait un côté passionnant à cette transformation.

Les praticiens sont très isolés, ils n’ont souvent pas de pairs avec lesquels échanger dans leurs établissements. Ils nous disaient que notre conférence annuelle leur donnait le sentiment d’appartenir à un véritable mouvement en discutant avec d’autres faisant le même travail. Or, les séminaires en ligne reproduisent cela et l’étendent au-delà du Royaume-Uni.

Un aperçu du programme du Trellis Seminar Series 2022

Qu’est-ce que votre équipe a retenu de la conférence 2021 ? Quel est votre plus beau souvenir ?

La conférence a été un beau succès sur plusieurs plans. Les participants et nous aussi avons beaucoup appris. Nous avons établi des liens qui continuent encore aujourd’hui. Les séminaires étaient sociables et animés. Nous laissions le Zoom ouvert et la fête continuait après la présentation. Nous en étions stupéfaits. Au cours de la série, nous avons eu 580 participants des cinq continents. Nous avons vu les mêmes personnes revenir pour plusieurs séminaires. Ils en retiraient clairement quelque chose. Quelqu’un nous a dit que la conférence était une lanterne d’espoir dans ce qui avait été une année difficile pour beaucoup.

La série 2021 a-t-elle favorisé des coopérations internationales et des connexions individuelles qui ont perduré après l’événement ?

Nous sommes entrés en relation avec l’IGGT (Internationalen Gesellschaft Gartentherapie), l’association allemande d’hortithérapie présidée par Andreas Niepel. Je sais qu’une hortithérapeute travaillant en soins palliatifs en Angleterre est en contact avec Daniela Daniela Silva-Rodriguez Bonazzi, une hortithérapeute péruvienne. Nous avons probablement joué les « entremetteurs » sans le savoir.

Qu’est-ce que les participants vous ont dit vouloir pour la prochaine édition ? Des demandes et des besoins sont-ils apparus ?

Ils ont demandé plus de la même chose ! Il y avait également une demande claire et urgente pour une meilleure reconnaissance professionnelle. Cela a toujours été un de mes objectifs, mais il y avait toujours d’autres projets qui nous occupaient. L’événement a été un catalyseur. La nature et les espaces verts étaient désormais reconnus comme importants pour la santé et nous avons estimé que nous devions établir des normes avant que d’autres ne revendiquent ce domaine. Nous pouvions voir se développer des programmes de formation avec des normes moins strictes que les nôtres. 

Nous travaillons actuellement avec une université pour les cours d’horticulture et avons rencontré une autre université pour les cours liés à la santé. L’objectif est de proposer un certificat d’ici janvier 2023, notamment pour les professionnels de santé comme les infirmières ou les ergothérapeutes. Puis ensuite nous aimerions développer une formation au niveau du master. L’idée est de proposer une formation pour que les gens soient en sécurité et en confiance en tant que praticiens. Nous travaillons aussi à l’élaboration de normes, d’un code de conduite, d’une supervision et de projets de recherche plus structurés.

Quelle est la chose la plus difficile dans l’organisation d’un tel événement ?

La coordination ! S’assurer que tout fonctionne au niveau des fuseaux horaires, des versions de Zoom ou de PowerPoint. Nous faisons des répétitions pour nous en assurer. Nous sommes une équipe de 5 personnes à temps partiel et commençons à réfléchir à partir de novembre. Nous aussi travaillons à distance et nous commençons à ressentir le besoin de nous voir plus souvent en personne.

Quel est le principal objectif de l’édition 2022 ?

Notre objectif reste de connecter les gens, qu’ils retrouvent des thèmes universels avec des spécificités locales qui sont uniques. L’idée est que les participants réalisent qu’en Irak, par exemple, dans un environnement tout à fait différent à des milliers de kilomètres de chez eux, d’autres praticiens font essentiellement la même chose qu’eux avec des manières de faire, des plantes, des approches locales. Pour moi, c’est convaincant et stimulant. Si nous étions entre nous au Royaume-Uni, ce serait moins stimulant. Quant à 2023, nous allons essayer de réintroduire des événements en personne, en extérieur et à plus petite échelle. Mais je pense que nous continuerons aussi les séminaires en ligne.

Colleen Griffin : une hortithérapeute indépendante et impliquée

Dans l’état du Maine, aux Etats-Unis

Colleen Griffin a suivi la formation d’hortithérapeute du Horticultural Therapy Institute (HTI) de Rebecca Haller et Christine Capra, formation que j’ai moi aussi suivie en 2010-2011 sans aller jusqu’au titre de Horticultural Therapist Registered comme Colleen qui a été diplômée en 2018. Puis Colleen est devenue co-auteure du blog du HTI, pour lequel j’ai aussi écrit il y a plusieurs années. Pas étonnant que je ressente une sorte de camaraderie par association avec Colleen. Quand j’ai lu son dernier billet intitulé « Dormance : la réponse de la nature aux jours sombres de l’hiver », j’ai été très touchée par les idées qu’elle exprimait. J’ai eu envie de discuter avec Colleen et de lui consacrer ce premier billet dans mon voyage autour du monde de 2022.

Colleen Griffin

Il y a quelques jours, alors que l’état du Maine où elle vit se remettait d’une forte tempête de neige, nous avons passé un moment très cozy sur Zoom pour parler de son parcours et de ses projets dont celui qui l’occupe tout particulièrement pour les Dempsey Centers for Quality Cancer Care. Pour les fans de Grey’s Anatomy, le nom de Patrick Dempsey évoquera le personnage du Dr. Derek Shepherd. C’est en honneur de sa mère touchée par le cancer que l’acteur a fondé et reste très impliqué dans cette association caritative qui accueille et soutient les patients et leurs proches.

Quant à Colleen, voici comment elle résume son parcours. « Après une carrière de 25 ans dans le domaine de la santé, j’ai décidé qu’un changement était nécessaire. J’ai suivi mon cœur et me suis inscrite à des cours d’horticulture dans un community college local. C’est à partir de là que j’ai découvert l’hortithérapie et que j’ai suivi la formation du HTI dans le Colorado. J’ai obtenu mon HTR en 2018 et j’ai depuis travaillé avec des adultes et des enfants ayant des besoins spéciaux dans des programmes professionnels et développementaux/comportementaux. Depuis 4 ans, je suis affiliée aux Dempsey Centers for Quality Cancer Care, qui servent non seulement les personnes ayant reçu un diagnostic de cancer, mais aussi leurs familles et leurs soignants. Mon travail avec Dempsey est axé sur la réduction du stress basée sur la pleine conscience. » 

Mais ce n’est pas tout. Colleen s’implique dans deux organisations professionnelles dédiées à l’hortithérapie ainsi que dans la formation.  « Je fais partie de l’équipe de programmation de la conférence de l’American Horticultural Therapy Association – AHTA (prochaine conférence 8-10 septembre à Kansas City). Je suis actuellement coordinatrice des membres du North East Horticultural Therapy Network (NEHTN) et j’organise le bulletin trimestriel de ce réseau. Récemment, j’ai commencé à enseigner dans le cadre du programme bénévole des maîtres jardiniers (master gardeners) de l’Université du Maine Cooperative Extension. »

Cancer, nutrition et pleine conscience

Depuis une dizaine d’années, le Dempsey Center cultive un jardin avec l’aide de master gardeners comme ceux formés par Colleen. La production sert à des cours de cuisine thérapeutique en plus d’être distribuée aux patients pour encourager une alimentation saine et équilibrée. Devant quitter son emplacement original, ce jardin a trouvé refuge dans un nouveau lieu appartement au YMCA d’Auburn l’année dernière. C’est à Colleen que le Dempsey Center confie alors la conception du jardin communautaire et d’un jardin thérapeutique attenant. Dans cette partie qu’elle rend accessible aux personnes à mobilité réduite, elle installe des bacs et une longue table de travail pour jardiner à hauteur. 

En 2021, ce sont les herbes aromatiques et un jardin sensoriel qui ont été le principal objectif. Grâce à une structure couverte et à six tables, les activités d’hortithérapie peuvent se poursuivre par tous les temps car le Maine a un climat assez rude et imprévisible. Colleen espère que cette année, le projet va continuer à mettre des racines, notamment avec un jardin d’herbes médicinales. « Mais Rome ne s’est pas construite en un jour, » rappelle-t-elle. D’ailleurs, un autre projet ambitieux est de transformer une partie du terrain en espace naturel avec des pollinisateurs et des plantes indigènes. « Cette partie restera plus sauvage et pas accessible en fauteuil. Mais ce sera un lieu pour les familles. »

Jardin thérapeutique en devenir, nivellement et préparation du terrain appartenant au YMCA.
Le jardin thérapeutique en cours d’installation au printemps 2021 dans le jardin communautaire qui l’entoure. Il contient deux lits surélevés et deux jardinières accessibles aux fauteuils roulants, fixées à une table de travail.

Le jardin thérapeutique du Dempsey Center s’adresse aussi aux soignants, pour une pause dans leur quotidien. Colleen reçoit également des enfants de personnes malades ou des enfants endeuillés. « Avec des groupes de 8 à 18 ans, ce n’est pas toujours facile ! En mai dernier, nous avons commencé avec des plantations d’haricots verts et de concombres. Les enfants peuvent venir au jardin quand ils veulent. »

Jardiner n’est pas toujours rattaché à un lieu partagé, la Covid nous a appris à être adaptable. Cet hiver, Colleen a participé à une « Cabin fever series », un programme de wébinaires associant quatre professionnelles, une diététicienne, une prof de pleine conscience, une prof d’exercice adapté et une hortithérapeute. « Pour des patients qui ne pouvaient pas se déplacer, les conférences en ligne représentaient un grand intérêt. Une femme a participé depuis l’hôpital pendant une chimiothérapie. Une mère malade et sa fille adolescente ont apprécié de ne pas parler de maladie le temps de cet échange. » 

Dans cette vidéo, Colleen vous invite à une visite du nouveau jardin et vous raconte l’histoire de sa création. 

Le jardin sensoriel se trouve dans une jardinière surélevée. Attachée à la jardinière, une activité de pleine conscience auto-guidée que les visiteurs peuvent pratique avec les plantes devant eux.
Le jardin thérapeutique du Dempsey Center sa première année

Les origines d’une vocation

C’est l’accident de la route de son fils et sa longue convalescence qui a ouvert les yeux de Colleen sur le pouvoir thérapeutique du jardin. « Le jardin est un endroit rassurant où on peut démêler ses émotions. La nature ne porte pas de jugement et vous accepte. On peut reprendre confiance. Guérir est une longue route pleine de virages. J’ai constaté qu’il y a une différence énorme entre ce que la communauté médicale appelle être guéri et le fait d’aller vraiment mieux », explique Colleen dans une émission du podcast « Ah ha moment ». Ce podcast présente le parcours de plusieurs hortithérapeutes et leur « ah ha moment », le moment où ils ont pris conscience de l’intérêt des jardins thérapeutiques et de l’hortithérapie. Je vous encourage à écouter d’autres épisodes pour découvrir les histoires de Christine Capra, Matt Wichrowski, Pam Catlin, John Murphy, Patty Cassidy et bien d’autres.

L’accident de son fils impulse une envie de changement. Le jardin l’attire naturellement car elle pressent son intérêt thérapeutique. Quand elle parle à un de ses enseignants d’horticulture de cette intuition, elle s’entend répondre : « Ce que tu décris, c’est l’hortithérapie ». Et une hortithérapeute est née.

Hortithérapeute, une profession toujours en devenir

« En 2018, nous étions deux hortithérapeutes dans le Maine, dont Kathy Perry qui a été ma superviseuse de stage pour devenir HTR. Aujourd’hui, nous sommes quatre et bientôt cinq. A mes débuts, j’ai frappé à de nombreuses portes sans succès. J’ai été très heureuse que le Dempsey Center me donne une chance. Je pense que de plus en plus d’organisations voient l’intérêt de l’hortithérapie pour les gens qu’elles accueillent »,  constate Colleen. « La pandémie a changé notre vision de ce qui est thérapeutique. J’aimerais que tous les jardins communautaires, comme ceux dans lesquels travaillent les master gardeners, aient un jardin sensoriel. Dans cette crise, nous avons tous subi des traumatismes, des deuils, des pertes et de l’isolement. Le jardin peut nous aider à traverser la pandémie. »

Depuis la France, nous pourrions avoir l’impression que les hortithérapeutes ont la belle vie aux Etats-Unis, que la pratique est acceptée à bras ouverts. Le parcours de Colleen démontre que rien n’est jamais acquis. « J’ai rencontré une hortithérapeute de Seattle sur la côte ouest des Etats-Unis. J’avais l’impression que là-bas, l’hortithérapie était bien plus avancée. Mais finalement, non. » D’ailleurs, n’est-ce pas peut-être dans cet esprit un peu rebelle et hors des clous, toujours en lutte tranquille, que l’hortithérapie se joue ? 

En tout cas, partout les hortithérapeutes cherchent à se rassembler. Aux Etats-Unis, cette envie a pris la forme de huit réseaux régionaux de l’AHTA il y a plusieurs années. Après une période où les réseaux sont devenus indépendants de l’AHTA, il y a actuellement un mouvement pour rassembler de nouveau les deux niveaux d’organisation, national et régional. Colleen fait partie de ces chevilles ouvrières du rapprochement. « C’est important d’avoir une organisation nationale plus forte sans perdre l’identité des réseaux régionaux », explique-t-elle. Colleen représente le nord-est des Etats-Unis auprès de l’AHTA tout en s’impliquant dans le North East Horticultural Therapy Network (NEHTN). « Je me suis engagée dans le NEHTN à un moment où beaucoup d’anciennes partaient. Cela m’apporte beaucoup car nous partageons les mêmes questionnements. Nous avons quatre réunions par an et de nombreux échanges. » Pour rappel, l’hortithérapie, c’est connecter les humains – dont les hortithérapeutes – et les plantes.

Le Bonheur est dans le jardin fête ses 10 ans

 

Où sont-elles passées, ces 10 années ? Je vous les raconte à travers quelques billets qui ont jalonné mes explorations aux Etats-Unis, en France et ailleurs à la recherche d’expériences de la nature qui soigne. 267 billets en 10 ans et une masse d’informations qui restent à votre disposition si vous aimez fouiller un peu. N’hésitez pas à utiliser l’outil de recherche et voyez ce qui se cache dans les profondeurs du Bonheur. 

En préparant cette rétrospective, je me rends compte de tous les échanges et les rencontres que le blog a générés pour moi et parfois entre les lecteurs. C’est à cela qu’il sert.

Suzanne Redell dans un oasis de verdure avec une patiente du Cordilleras Mental Health Center (Californie).

2012, les débuts dans l’enthousiasme

En mai 2012, j’explique dans le premier billet pourquoi je lance Le bonheur est dans le jardin. J’habitais alors à Berkeley en Californie, mais le retour à Paris était programmé pour l’automne. Mon objectif était de parler de projets d’hortithérapie, de partager des exemples, d’inspirer. Déjà, j’évoquais la soif de nature et de connexion avec la terre des citadins, thème qui a pris de l’ampleur depuis 2012 et encore plus depuis 2020.

Depuis la Californie, j’avais échangé avec Anne et Jean-Paul Ribes de Belles Plantes ainsi qu’avec Anne Chahine de Jardins & Santé. Lien entre la France et les Etats-Unis, j’avais aussi « recruté » Rebecca Haller, ancienne présidente de l’American Horticultural Therapy Institute, pour le Symposium de Jardins & Santé en novembre 2012. A travers le blog, commençait à se jouer un rôle d’intermédiaire.

Avant de rentrer en France, je m’en donnais à cœur joie en racontant des expériences américaines, en pédopsychiatrie à Cincinnatidans un hôpital gérontologique à Atlanta ou encore de jardin en soins palliatifs en Caroline du Nord. Les soins palliatifs déjà – comme un clin d’œil à aujourd’hui où me voici psychologue dans une équipe mobile de soins palliatifs. A l’époque, j’abordais tous ces sujets sans aucune connaissance de soignante et seulement une courte formation en hortithérapie. Avec un enthousiasme sans doute un peu naïf. Pendant quatre ans, Le bonheur a été publié une fois, voire deux fois, par semaine ! Avant de devenir mensuel lorsque j’ai commencé un master de psychologie à Paris Nanterre. Merci Carole Nahon pour la suggestion de réduire la fréquence, car j’ai bien failli arrêter à ce moment-là devant la somme de travail.

En 2012 toujours,  premier passage au Centre de Formation de Chaumont-sur-Loire comme stagiaire lors de l’une de toutes premières formations aux jardins de soin et rencontre avec quelques personnes clés : Hervé Bertrix, Sébastien Guéret, Stéphane Lanel,  Paule Lebay, Dominique Marboeuf, « les » Ribes,…

Anne Ribes et Suzanne Redell discutent dans le jardin à la Pitié Salpétrière en 2013.

2013, un pied en France, un pied aux Etats-Unis

Je suis en France, mais mes attaches américaines sont encore très fortes (jardin dans des quartiers défavorisés à Portlandoù j’ai vécu plusieurs années, hortithérapie et violences sexuelles, rencontre avec Matt Wichrowski, hortithérapeute et chercheur new-yorkais,…). Petit à petit, le centre de gravité se déplace en France (Anne Ribes à la Pitié-Salpétrièrele Jardin d’Olt comme remède contre l’enfermement dans un Ehpad ou un atelier d’horticulture dans un IME). Toujours comme pont entre les deux pays, je commence à décliner le Bonheur en anglais pour alimenter le blog On the Ground du Horticultural Therapy Institute de Rebecca Haller et Christine Capra où j’ai été formée en 2010-2011.

Les animateurs du projet de jardin partagé au CH Georges Daumezon (Loiret) dont Anne Babin (à gauche en tablier vert) et Laurent Chéreau (devant avec le bob).

2014 fourmille de rencontres

Cette année-là, je commence à participer au jury du prix de la Fondation Truffaut qui récompense pendant plusieurs années, sous différentes formes, des jardins thérapeutiques, d’insertion et sociaux. Ce sera au fil du temps l’occasion de belles rencontres comme celle de Romane Glotain. Elle deviendra une régulière du blog à qui je passerai la plume plusieurs fois. Tout comme Nicole Brès qui écrira plusieurs billets au décours de ses voyages. Je fais aussi la connaissance de France Criou autour du Jardin de l’Armillaire qu’elle a contribué à créer au CHU de Nice. Je m’essaie pour la première fois à la vidéo avec une visite filmée du jardin de l’Ephad d’Onzain en compagnie de Paule Lebay. Ayant convaincu le magazine Le Lien Horticole de publier des articles sur les jardins thérapeutiques, je visite entre autres Dominique Marboeuf au CH Mazurelle à La Roche-sur-Yon. 2014 est aussi l’année où Tamara Singh, hortithérapeute certifiée aux Etats-Unis, débarque en France.

Un des cinq jardins au Legacy Emanuel Medical Center à Portland (Oregon, Etats-Unis).

2015, de la terreur à l’amour du vivant

L’année commence dans la douleur avec les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher et je publie les réflexions de Sébastien Guéret, amoureux des jardins coincé au Japon que j’avais déjà présenté quelques mois plus tôt. Je continue la pratique de passer la plume à d’autres, comme ici pour parler de jardins et de soins palliatifs à la maison médicale Jeanne Garnier. L’Amérique du nord reste un terrain d’aventure fréquent (Une hortithérapeute à temps plein au Mental Health Center à Denverla formation à l’hortithérapie aux New York Botanical Gardens by Tamara Singh, la rencontre avec Jeannine Lafrenière de la Fondation Oublie pour un instant au Canada,…). Je me balade aussi en Belgique où je risque de rester coincée dans un hôpital pour le weekend pour cause de grève des transports. J’évoque pour la première fois l’écothérapie ainsi que la biophilie et E.O. Wilson, ce chercheur iconique qui vient de nous quitter il y a quelques jours. 

Les Jardins de l’Humanité dans la brume

2016, rythme de croisière

Je propose une de mes premières « revues de la littérature » sur les études démontrant les bienfaits de la nature sur la santé mentale. En 2016, visite en chair et en os à Castelnaudary chez John Riddel au Jardin des Vents. Pas moins de 4 billets pour décrire ce projet qui aura pris 10 ans de travail acharné pour se concrétiser et qui rassemble plusieurs établissements. C’est le grand plaisir d’écrire un blog pour une pigiste habituée aux contraintes imposées par des rédac chef : ici, je fais ce que je veux. De même, je consacre une série de quatre billets au grand sujet du financement. Je mets aussi en avant des travaux d’étudiants de différentes disciplines qui ont pris le jardin thérapeutique comme objet d’étude, comme le travail d’Arnaud Kowalczyk en master Promotion et Gestion de la Santé à Tours (et en passant en train par Saint-Pierre-des-Corps, je lui prête un jour le livre de Clare Marcus Cooper sur le quai de la gare). Je reviens à la vidéo pour présenter Laure Bentze et Stéphanie Personne de Ter’Happy, mais c’est à distance que j’interviewe Estelle Alquier des Jardins de l’Humanité dans les Landes. 

Curiosité partagée : le Jardin de Bonne à Paris, le jardin partagé de mon quartier qui rapproche les habitants.

2017, les frémissements d’une future fédération

En 2017, un certain Jérôme Pellissier m’appelle pour boire un café au Père Tranquille à Paris : il va publier un livre (enfin) en français sur l’hortithérapie et les jardins thérapeutiques. Alléluia ! 2017 est aussi une année de symposium Jardins & Santé. Comme d’habitude, j’essaie d’en rendre compte pour les absents. Ce symposium sera de manière informelle, dans un autre bar, le point de départ de la Fédération Française Jardins, Nature et Santé. Depuis 2012, j’ai rencontré petit à petit (et présenté ici) presque tous les futurs membres-fondateurs de la « Fédé », y compris Didier Sigler du CH Théophile Roussel. Je prends aussi le temps de revenir sur des projets découverts les années précédentes, un autre luxe que permet un blog indépendant.

Le jardin de soin de Chaumont-sur-Loire, un jardin couteau suisse : pour les stagiaires des formations, pour des bénéficiaires locaux et pour le grand public qui visite le domaine.

2018, des prisons et des bains de forêt

Je suis bien ancrée en France, mais je garde toujours un œil sur les Etats-Unis, par exemple avec ce portrait de Calliope Correia, une hortithérapeute californienne et camarade de cours au Horticultural Therapy Institute, qui travaille entre autre derrière les barreaux avec beaucoup de passion. En 2018, je suis frappée par la multiplication des livres sur les bains de forêts…ce qui m’amènera directement à en écrire un autre pour les enfants et les familles l’année suivante. 

Evénement marquant cette année-là, l’ouverture d’un jardin de soin à Chaumont-sur-Loire, une satisfaction pour toute l’équipe des formateurs dont je faisais partie à l’époque et un projet mené en un temps record à la suite d’une rencontre avec la directrice des lieux. Il y a d’autres bonnes nouvelles : l’arrivée de Heidi Rotteneder, une hortithérapeute certifiée des deux côtés de l’Atlantiquela découverte qu’on peut pratiquer la psychothérapie dans la nature grâce à Beth Collier (une pratique que je commence à m’approprier à ma manière en tant que psychologue et psychothérapeute) ou encore la rencontre avec Green Link, une fondation très nature. Green Link publiera notamment cette même année un livre blanc sur les jardins en prison.

Dr. France Criou et Roger Ulrich, en marge du colloque « Des jardins pour prendre soin » à Saint-Etienne en 2019 à l’initiative de l’équipe du Jardin des Mélisses et de Dr. Romain Pommier.

2019, un livre et un colloque génial

A titre personnel, elle débute avec la publication de mon livre susnommé, Le Shinrin Yoku en famille, qui incite les familles à reconnecter avec la nature dans la lignée de Richard Louv. A titre collectif, elle se poursuit avec le premier anniversaire de la Fédération Française Jardins, Nature et Santé. Nous communions avec la communauté hortithérapique lors d’un colloque au CHU de Saint-Etienne avec Roger Ulrich en guest star (pour expliquer l’impact de sa venue en France, je fais le parallèle avec rencontrer Mick Jagger pour un fan de rock anglais). Je parle à des « reconverties » qui ont répondu à l’appel de la nature. Nous causons dans le Jardin du Luxembourg avec une hortithérapeute péruvienneUn nouveau jardin « hors les murs » fait son apparition en Sologne, le Jardin de Vezenne. 

Une sortie des Décliques qui reconnecte les petits Franciliens avec la nature

2020, l’année des confinés

Tout avait si bien commencé. Et puis boum. Confinement acte I (Confinés dans nos corps, pas dans nos têtes), confinement acte II (Quand les confinés redécouvrent la nature, la biophilie explose), confinement acte III (Dans les jardins et la nature, les activités thérapeutiques reprennent de plus belle). Et puis encore et toujours des rencontres : Florence Gottiniaux en face à faceSabrina Serres au téléphone,…

Un jardin à visée thérapeutique à la Clinique de l’Anjou à Angers pour améliorer la qualité de vie des patientes en oncologie

2021, l’année de la formation

2021 explose d’actualité autour de la formation, les trois premiers jardiniers médiateurs et l’annonce d’un DU Santé et Jardins, notamment. Romane Glotain a fait le Tour de France des jardins thérapeutiques. On est parti en Angleterre avec Sue Stuart-Smith pour son excellent livre L’Equilibre du jardinier, en Italie avec Ania Balducci qui lance une formation universitaire à l’hortithérapie et au Kurdistan avec Tamara et Heidi.

Et en 2022 ? Et bien justement, j’ai envie de continuer sur cette lancée hors des frontières. En 2022, le Bonheur va se balader dans le monde entier. La suite en février…Merci de votre fidélité. N’hésitez pas à commenter ou à me donner des pistes de sujets à l’étranger.