Vida Pura Vida : récit d’un voyage au Costa Rica

Ce mois-ci, je passe la plume à Sébastien Guéret. La dernière fois qu’il avait écrit ici, les circonstances étaient bien différentes. Pourtant, je vois un lien direct entre les grandes lignes de vie qu’il énonçait dans ce texte écrit en janvier 2015 et ce récit de son voyage au Costa Rica, du 18 janvier au 1er mars 2022. Merci, Sébastien. Je suis contente que tu aies accepté de partager ton expérience (et de te mettre la pression pour écrire avec une date butoir).

Sébastien et les arbres

Pura Vida ! Je l’avais lu dans le « Guide du Routard » du Costa Rica, quelques jours avant mon départ. Je ne comprenais pas trop ce que ça voulait dire et le Routard m’avait paru assez flou pour définir ce que signifiait « la vie pure ». 

Je ne vais pas vous raconter toutes les complications et les indécisions liées, entre autres choses, au contexte sanitaire de ces dernières années, dans la préparation de mon voyage, mais c’est un voyage dans lequel je me projetais pour la première fois en février 2020, quinze jours avant le premier confinement. Et ces indécisions demeureront jusqu’au jour du départ, et même jusqu’au passage de la douane à San José.

Mais me voici à lire le Routard aux alentours du 10 janvier, billet en poche et, « inch Buddha », je partirai le 18 janvier pour 6 semaines ! 

Maintenant tous les indicateurs sont au vert. Tous, excepté l’aspect financier un peu critique après 2 années à travailler à 50-70%, mais qu’importe ! Je taperai dans mon « bas de laine », c’est bien à ça qu’il doit servir. 

Et si demain, telle la cigale je me retrouve sans le sou ben je me mettrai en mode fourmi et puis c’est tout ! L’heure est à la « Pura Vida » ! 

Arrivée au Costa Rica

Sur place je ne comprends toujours pas le sens de l’expression. En tous cas, pas immédiatement. L’arrivée à San José se passe très bien, j’arrive aux alentours de 19h. Le temps de récupérer mon bagage et d’arriver à l’auberge que j’ai réservée, je me couche vers minuit. Je ne veux pas rester en ville à San José. Je n’ai qu’une hâte, celle de découvrir la campagne, les montagnes, les forêts. Le village où je dois participer à un chantier de reforestation, officiellement la raison principale de mon voyage, est à 4 heures de route au Sud de la capitale, à l’intérieur des terres, et à environ 50 km de l’Océan Pacifique.

Je repars donc dès le lendemain pour retrouver Rémy qui organise le chantier de plantation. Et je découvre la « Finca Sonador » et ses environs. Une Finca est un espace agricole autour duquel s’organise un village. Ou l’inverse… Près de 700 habitants dans cette Finca, principalement des familles de paysans Ticos (nom donné aux Costariciens). C’est un village un peu particulier car développé à l’origine, à la fin des années 70, par la communauté Longo Maï, basée en France pour accueillir les réfugiés politiques du Nicaragua et du Salvador. 

Rémy m’explique rapidement que le chantier de plantation a changé de nature. En effet il s’est rendu compte sur place, en discutant à droite et à gauche que le projet initial qu’il envisageait était en fait une forme de « green whashing » pour une grosse compagnie d’ananas qui d’un côté déboise et pollue pour ses cultures et d’un autre finance des projets comme celui que nous voulions mener pour soigner son image. Donc plutôt que de forêt nous planterons des fruitiers dans le village. 

L’entrée du village

 

Découverte du village : de surprises en émerveillements

Le lendemain matin j’accompagne Rémy dans son footing matinal. Je découvre le décor dans lequel je vais évoluer et auquel je vais contribuer par mon action ! C’est juste splendide. Nous remontons la « route » principale du village (route de cailloux) jusqu’au premier site de plantations. – Le but est de planter dans des endroits accessibles aux villageois pour qu’ils puissent se servir directement des fruits qui borderont cette circulation. – Puis nous continuons pour arriver à la fin de la route, à la lisière de la forêt. Rémy m’explique qu’il y a plusieurs sentiers qui mènent à différents endroits, dont un qui va rejoindre un site appelé « El bosquet primario » : la forêt primaire. 

Quand Longo Maï a acheté la parcelle (1200 ha), une partie de la forêt était exploitée et une autre était restée vierge. La communauté a pris le partie de préserver cet espace privilégié et c’est ainsi que je découvre qu’au bout du village où je réside il y a quelques 150 ha de forêt vierge. 

Forêt séculaire qui n’a jamais été exploitée, n’a subi aucune autre dégradation que celle du temps qui fait son œuvre. J’ai déjà tellement envie d’y aller ! Je me sens appelé, j’ai envie d’aller me présenter à ces arbres, de les embrasser, de les câliner, de les gouter ! 

Le lendemain nous attaquerons les trous de plantations … Nous achèterons ensuite les plants chez « Angelus » un pépiniériste dont les terrains sont sur la Finca. 

Chez Angelus le pépiniériste, avec Aron et Jona deux jeunes Autrichiens en service civique dans le village

Chez Angelus le pépinièriste, avec Aron et Jona deux jeunes autrichiens en service civique sur le village

Dès mon arrivée à La Finca je suis subjugué par les paysages, la lumière et la luxuriance de la végétation. Par exemple, je découvre ce qu’ils appellent la « Caña India » (Draceana indica). Ils se servent de cette plante pour faire des piquets de clôtures. Quand on n’y prête pas attention, on ne remarque pas que ces clôtures sont vivantes par leur seule volonté propre. Je m’explique : Pour faire leurs clôtures, les Ticos coupent des piquets de Caña India. Ces bouts de bois sont ensuite plantés dans le sol pour établir la clôture. Généralement on y cloue plusieurs fils barbelés, et voilà la clôture en place. Sauf que ces piquets font très rapidement de nouvelles racines, et de nouvelles feuilles. Et voilà ces clôtures qui reverdissent à vitesse grand V ! Je m’en suis rendu compte et j’ai été assez ébahi en voyant certains de ces piquets qui avaient été laissé au sol… Certainement jugés inaptes pour ce à quoi on les destinait, ils ont été jetés par terre sans plus de considération… Et par le simple contact avec le sol et les conditions climatiques favorables, ils se sont mis, eux aussi, à refaire de la végétation et à synthétiser de la matière organique ! Miracle de la vie. Oui, on peut le dire ainsi. Nietzche parle de « la pulsion de vie ». Jusqu’alors l’image que j’en avais c’était les bambous. Bambous qui, même sous nos latitudes, ont cette faculté de repousser à partir de fragments laissés aux sols…  C’est la même chose ici avec la Caña India. 

Les photos que je fais me semblent toutes merveilleusement belles. Et pour cause !!! Les couleurs et la lumière sont tellement belles ! 

Un piquet de Caña India qui refait des racines et du feuillage après avoir été jeté au sol

 

Le mystère de la « Pura Vida » s’éclaircit

Et si c’était ça la « Pura Vida » finalement ? Des conditions de vie telles que tout pousse, sans attention particulière. Des conditions de vie telles que chacun à de quoi manger et vivre dignement ?

En fait, c’est un peu ce que semblent vivre les Ticos et je commence à mieux comprendre cette expression qu’ils lancent à tout bout de champ. 

Ces gens flegmatiques et souriants semblent naturellement heureux et paisibles. Habitants d’un pays qui a renoncé à son armée en 1949 et qui a misé dès les années 1980 sur une économie liée à l’éco-tourisme en faisant du respect, du maintien et de la protection de la biodiversité un objectif national dont tous semblent très fiers. 

Le Costa Rica, c’est un tout petit pays de 51 000 km2 (en comparaison la France en fait près de 550 000, soit 10 fois plus). Ce sont 0,05% des terres émergées du globe qui accueillent près de 5% de la biodiversité mondiale. Douze zones climatiques différentes, des hauts plateaux du centre du pays avec ses chaines volcaniques, entourées de 2 océans, Pacifique d’un côté et Atlantique (mer des Caraïbes) de l’autre. 

Et des forêts en veux-tu, en voilà : forêts tropicales basses, forêts tropicales sèches, forêts humides d’altitude, forêts pluvieuses ou « de nuages »

Sur le plan économique, c’est un des pays les plus riches de la région, avec un taux d’alphabétisation de 98% et une espérance de vie qui avoisine les 80 ans. 

Le chantier et ses défis

A la Finca Sonador, le rythme est le suivant : levé aux environs de 5h, et départ pour le chantier vers 7h. Travail jusqu’à 12-13h, puis chacun fait ce qu’il veut. Je me lèverai plusieurs fois à 4h pour aller méditer en forêt ;-). On travaille la semaine, du lundi au jeudi ou vendredi et on profite des week-ends pour visiter les environs. 

Le chantier s’est avéré n’être pas très bien organisé et au total nous avons planté peut-être une cinquantaine de sujets quand nous aurions certainement pu en planter 10 fois plus. Qui plus est, nous avons vite compris sur place que ce n’était pas le bon moment pour planter des arbres puisque nous étions au début de la saison sèche et qu’il allait falloir suivre l’arrosage de très près alors que si nous avions planté 3 ou 4 mois plus tard, les conditions auraient été beaucoup plus favorables à la reprise. Mais c’était ainsi et j’avoue franchement que ce chantier était un prétexte pour partir à la rencontre de ce pays qui m’attirait depuis un bon moment. 

Rencontres sensibles avec les plantes et les arbres

Les premiers arbres que je côtoie lors de mes méditations, sont Chiricano et Chonta (orthographe phonétique), des arbres endémiques et emblématiques de ces régions. Mais je les ai rencontrés sans chercher à connaître leur nom. Pendant ce voyage et pour la première fois depuis très longtemps pour un voyage à l’étranger (et hors d’Europe qui plus est), je n’ai pas vraiment cherché à identifier les végétaux que je rencontrais. 

En 1995, lors de mon voyage en Polynésie après avoir atterri à Papeete, j’étais complètement perdu car je ne reconnaissais rien de la végétation. Jeune jardinier, je me sentais complètement démuni de ne rien reconnaître. Alors très rapidement je m’étais acheté une flore locale pour me rendre compte qu’en fait je connaissais la plupart des espèces. Simplement, je ne les reconnaissais pas dans leur environnement naturel et à leur taille naturelle. 

Le pothos (Scindicapsus),  par exemple, qui est une plante d’intérieur très commune chez nous doit avoir une feuille qui mesure entre 10 et 20 cm de long. Là-bas, elles mesuraient peut-être un mètre ou 1,5 mètre, donc l’échelle était totalement différente… 

Par la suite j’ai pris l’habitude quand je voyageais d’acheter dès l’arrivée des livres de reconnaissance des végétaux locaux pour me familiariser avec le pays. Je disais souvent que j’aimais bien connaître les plantes, par leur nom latin notamment car je me sentais partout chez moi sur la planète dès lors que je reconnaissais les plantes et que je connaissais même leurs « petits noms». 

D’ailleurs je me souviens que quand j’ai commencé à travailler avec Jean-Paul et Anne RIBES cela faisait écho à leur discours lorsqu’ils disent que le jardin de soin se doit d’être familier. Je me disais, en fait moi mon jardin c’est la planète. 

Mais pour ce voyage j’en avais décidé autrement. Je ne voulais pas rencontrer ces arbres et ces plantes de manière « intellectuelle », ou scientifique, à la manière d’un botaniste. Je voulais juste une rencontre sensible. Peu m’importait comment ces plantes s’appelaient, seules leur présence et notre rencontre m’importaient. J’ai donc arpenté les forêts sans me soucier de chercher à reconnaitre les êtres qui les peuplaient. Pas toujours facile pour moi de lâcher là-dessus. 

Mais les rencontres furent nombreuses et vibrantes. En fait là-bas on prend un vrai « shoot » de nature. 

C’est maintenant prouvé dans toute la littérature au sujet de la sylvothérapie, le contact de la forêt modifie beaucoup de choses en nous. Et même si je vis déjà ça au quotidien en France, au Costa Rica j’ai vraiment eu des sensations intenses. 

Après 2 années passées dans un contexte sanitaire hyper anxiogène et qui nous a privés d’une part de nos libertés, et notamment celle, pas des moindres, d’aller et venir à notre guise où bon nous semble, qu’il était bon de se sentir libre et au contact de cette nature luxuriante. Pour moi qui vis à Marseille, ville très minérale et très sèche, je redécouvre la joie de me retrouver dans ces forêts vertes et humides, au fil de l’eau. 

Après l’effort, le réconfort

 

Une douce ivresse avec la nature comme guide

Je ne vais pas vous raconter tout mon voyage car ce n’est pas le propos mais ce qu’il m’apparaît important de relater ici, au-delà de cette sorte d’ivresse douce causée par la nature c’est aussi la merveilleuse sensation d’être guidé en permanence par les végétaux et les éléments. 

Je le dis maintenant régulièrement dans les bains de forêt que j’anime une fois par mois : ces êtres sont de précieux alliés pour ceux qui « savent » les écouter. Et je mets exprès des guillemets car il ne s’agit nullement d’un savoir au sens de connaissance, et encore moins de secret, mais bien de compétences, ou de qualités que nous avons tous au fond de nous. 

J’ai redécouvert il y a peu sur un post de Romane Glotain cette citation de Victor Hugo : « C’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain n’écoute pas ».

Savoir écouter la nature qui nous entoure, c’est simplement être attentif. Attentif à cette nature, mais attentif avant tout à soi. Depuis tout petit, je vis une forme de paradoxe vis-à-vis de cette nature. Natif de Paris, je me suis toujours senti « en manque » de nature. Et dans notre société, tout nous pousse à nous croire séparés de la nature. On parle de l’environnement, comme quelque chose d’extérieur à nous-même. Et le paradoxe que j’ai toujours senti en moi, enfant et jeune adulte, était de croire comme on a voulu me l’inculquer qu’il y avait l’homme d’un côté et la nature de l’autre. Mais nous sommes la nature. 

Gilles Clément parle d’écologie humaniste. L’écopsychologie depuis les années 1990 nous dit que « la crise extérieure n’est peut-être finalement que le reflet de nos crises intérieures ». (Jean-Pierre Le Danf, revue L’Ecologiste, n°33 hiver 2010). Carl Jung parlait déjà de la dérive du monde moderne qui pousse les humains à se vivre comme séparés de la nature. 

Savoir écouter la nature c’est donc avant tout savoir s’écouter. Sentir ce qui est bon pour nous, sentir ce qui nous attire, sentir ce qui nous repousse. 

Et tout mon voyage s’est déroulé comme guidé par la forêt, la montagne, les océans et tous leurs habitants. 

Quelle merveille ! Tout du long j’ai eu la sensation d’être sur mon chemin. Toutes les portes s’ouvraient devant moi lorsque je voulais aller quelque part. J’ai rencontré plusieurs personnes (souvent des jeunes) à qui il arrivait des « galères ». Ils pensaient avoir « la poisse » et que moi j’avais « la baraka ». Mais je ne crois pas à cela et je leur disais d’accepter ce qui leur arrivait comme quelque chose de positif, même quand cela leur semblait difficile. 

Pour ma part à chaque fois que je n’arrivais pas à obtenir quelque chose, j’avais le sentiment profond que quelque chose de meilleur, pour moi, m’attendait autre part. A chaque fois que je ne pouvais pas aller quelque part, c’est qu’il y avait un autre endroit qui m’attendait. Je pense que c’est aussi ça, être à l’écoute de la nature, de sa nature. 

On parle souvent de la loi de l’abondance. Et beaucoup réduisent l’abondance à l’argent. Beaucoup attendent de cette loi naturelle, confort matériel et argent. Ce qui est compréhensible dans le contexte dans lequel nous vivons aujourd’hui et vu la place prépondérante que prend l’argent dans nos vies. Mais l’abondance, c’est avoir ce qu’il vous faut pour vivre, dignement et dans la joie. Ni plus, ni moins. Et pour ça nul besoin d’être riche.

Je dis souvent que je ne joue pas au Loto parce que je ne veux pas gagner. Je ne veux pas devenir riche. Que deviendrait le sens de ma vie si je devenais riche ? Que deviendrait mon discours si j’étais riche ? Les gens me diraient : « C’est facile de prôner la simplicité, et la confiance quand on n’a pas de soucis à se faire pour son avenir », sous entendu, pas de soucis financiers. Mais l’abondance c’est aussi, et surtout, avoir une bonne santé, être entouré de gens aimants, avoir un travail qui vous nourrisse intellectuellement, culturellement, humainement… Voilà ce qu’est l’abondance…

Vol de Pélicans au dessus du Pacifique

A l’écoute

Etre à l’écoute des arbres et de la nature, c’est donc être centré (on parle d’alignement aussi : esprit, corps, cœur) pour ressentir à leur contact, dans quelle direction aller. 

Certains poseront des questions directement. D’autres plutôt une intention, d’autres encore seront en réflexion, ou totalement ouverts, en état méditatif et sans pensées… Et les réponses peuvent être multiples et variées. Pour ma part parfois il s’agit de visualisations, d’autres fois d’intuition, ou encore de signes qui m’apparaissent comme évidents… Les réponses sont parfois immédiates, mais d’autres fois elles viennent plus tard. Il m’est arrivé de me sentir « en errance » et de « questionner » un arbre sans obtenir de réponse et puis deux ou trois jours plus tard, l’arbre m’apparaît subitement et la réponse avec, comme une évidence…

Trouvé sur mon chemin dans la forêt lors de ma méditation matinale, le lendemain d’une belle rencontre… Parfois les signes sont très clairs 😉 Faut-il encore les voir

Alors vous me direz qu’on s’est peut-être éloigné de l’hortithérapie dans ce voyage au Costa Rica et c’est vrai, je le conçois. Mais l’hortithérapie n’est rien d’autre qu’une application pratique parmi d’autres de cette harmonie que nous devons chercher à retrouver avec la nature, avec notre nature. Notre propre nature d’homme-animal et notre nature au sens où cet environnement est bien notre nature et pas La nature.

Forêt humide d’altitude – Cerro Chirripo

 

L’équilibre du jardinier de Sue Stuart-Smith : un livre pour nourrir votre esprit

Sorti en avril 2020 en Angleterre et dans 15 langues depuis, L’équilibre du jardinier : renouer avec la nature dans le monde moderne est tombé à pic. Confinés, nous redécouvrions avec émerveillement l’enchantement de la nature et en creux un sentiment de perte pour ceux qui avaient laissé le lien se délier. 

Dans cet excellent livre, la psychiatre anglaise Sue Stuart-Smith nous livre son expérience personnelle de jardinière vivant au rythme de son jardin avec son mari paysagiste, mais aussi de touchants témoignages de personnes fragilisées et requinquées par la nature ainsi que la richesse des recherches et théories scientifiques. Un livre qui parle à tout le monde sur un ton accueillant et enrichissant, un livre qui m’a touchée chapitre après chapitre et m’a laissée remplie d’enthousiasme.

Je vous propose une découverte en deux temps : une interview de Sue Stuart-Smith et une sélection de mes passages préférés de son livre. Histoire de vous donner envie de le découvrir en entier.

La parole à Sue Stuart-Smith

Il y a quelques jours, j’ai eu le plaisir de discuter avec Sue de son livre, des retombées de sa publication, de sa passion pour les jardins, de ses projets.

Le livre et l’après. « Ce livre réunit deux aspects de ma vie. Il met en avant le jardinage et ses aspects thérapeutiques.  Mais je voulais aussi qu’il soit agréable à lire sans donner au lecteur le sentiment d’être sermonné.

Pour les personnes impliquées dans des projets de jardinage thérapeutique, le livre est une confirmation de ce qu’elles font. Il leur donne de la crédibilité. Il fournit également des preuves pour ceux qui cherchent des financements pour leurs projets. J’ai également parlé à des lecteurs qui n’étaient pas des jardiniers. Ils m’ont dit : « Je n’avais jamais jardiné auparavant, mais maintenant je sème des graines ».

Depuis la publication du livre, j’ai parlé à de nombreux groupes dans le monde entier par visioconférence : des psychiatres en Allemagne, des étudiants en horticulture et en hortithérapie en Chine, des clubs de jardinage et des professionnels de la santé au Royaume-Uni. J’ai prévu de rendre visite à une société de jardinage australienne travaillant avec des jeunes en 2023. Et aujourd’hui même, j’ai rencontré des personnes d’un jardin communautaire près de chez moi qui sont venues voir notre projet dans notre verger à Serge Hill. »

Les projets en cours. « Le projet Serge Hill est de construire un centre dans notre verger pour des conférences et des événements, pour les écoles locales. En raison du confinement, nous avons plusieurs mois de retard. Mais nous avons pu faire pousser des légumes et les offrir aux familles de notre petit hameau. Nous avons également reçu un patient en traitement contre le cancer. Mon mari a déménagé son studio de design de Londres pour travailler ici. »

La place de la nature dans la santé, une bataille d’actualité. « Certaines personnes veulent sans doute se précipiter pour retrouver la vie d’avant. Ce sera un processus complexe. L’une des bonnes choses de cette situation est un éveil au monde naturel. Au Royaume-Uni, nous sommes devenus conscients de l’énorme différence en matière de santé mentale si les gens ont accès à un jardin ou pas. Une personne sur huit n’a pas de jardin. Les parcs sont bondés. Il y a une énorme pression pour l’urbanisme et le développement. J’espère que mon livre pourra aider les gens à faire campagne et à faire passer le message. Nous pouvons changer les choses si nous accordons de l’importance à la nature.

Le NHS ne donne pas beaucoup de fonds, mais le département de la santé encourage les médecins de famille à utiliser la « prescription verte ». La « prescription sociale », comme le bénévolat ou l’adhésion à une chorale, était déjà acceptée. On assiste maintenant à une évolution vers la « prescription verte ». C’est un pas dans la bonne direction. Nous pouvons boucler la boucle : des groupes de personnes travaillant avec des organisations caritatives dans des parcs ! »

Explorons L’Equilibre du jardinier 

Chapitre 1. Au commencement

« Comme un temps suspendu, l’espace protégé du jardin permet à notre monde intérieur et au monde extérieur de coexister, libérés des pressions du quotidien. En ce sens, les jardins nous offrent un entre-deux, espace de rencontre possible entre notre être le plus intime, le plus imprégné de rêves, et le monde physique réel. Ce brouillage des limites correspond à ce que le psychanalyste Donald Winnicott a qualifié d’ « espace transitionnel » » (p. 25).

« L’investissement affectif et physique qu’entraine le travail consacré à un lieu affecte à terme le sens de l’identité…C’est au psychiatre et psychanalyste John Bowlby que l’on doit dans les années 1960 les premiers travaux sur la théorie de l’attachement…Pour Bowlby, l’attachement était « le fondement » de la psychologie humaine….L’attachement au lieu et l’attachement aux personnes relèvent d’un même processus évolutif et sont tous deux spécifiques à chaque individu » (p. 26-27).

Chapitre 2. Nature verdoyante et nature humaine

Grace souffre de dépression et d’anxiété suite à une série d’événements douloureux dont le point culminant a été la mort de sa mère. Elle a rejoint un groupe de jardinage thérapeutique sur les conseils de son psychiatre. C’est dans ce groupe que l’auteure la rencontre et Grace lui décrit les bienfaits qu’elle ressent au jardin. « Il n’y a pas d’agitation. Cela m’apaise…Je ne me suis jamais sentie comme cela – au jardin, je vis dans un autre monde… ». Quand elle souffre d’anxiété, elle pense au jardin. « C’est comme si, dans ma tête, j’avais un coin tranquille » (p. 46-49).

Des signes encourageants pour l’hortithérapie en Angleterre : l’Oxford Textbook of Nature and Public Health estime que « pour une livre d’investissement dans un projet horticole, le NHS pourrait en économiser cinq en dépenses de santé » (p. 50) et « la revue British Journal of Psychiatry en 2018 a ouvert ses pages pour la première fois à un essai de thérapie par l’horticulture, ce qui indique que le jardinage gagne en crédibilité dans les milieux médicaux traditionnels. » (p. 51). « Et malgré toute leur importance, ces recherches scientifiques ne sauraient refléter tout l’éventail des effets thérapeutiques de l’hortithérapie. Le jardinage a pour singularité d’englober les aspects affectifs, physiques, sociaux, professionnels et spirituels de l’existence » (p.  51).

Un exemple anglais décrit dans le livre à découvrir en ligne : Bridewell Gardens.

Chapitre 3. Les graines de la confiance en soi

L’auteure a visité des prisonniers qui jardinent. Ecrasé par des sentiments d’échec et de honte, Samuel ressent pour la première fois de la fierté en faisant pousser une courge et retrouve un rapport avec sa mère qui n’est pas fait de préoccupation pour lui (p. 58). Un autre prisonnier explique que le jardin met radicalement les gens à égalité, que « travailler la terre, cela semble créer un lien authentique entre les gens, loin des affectations et des préjugés qui caractérisent tant de relations entre les êtres humains » (p. 67). Elle a aussi rencontré des jeunes qui participent au projet Growing Options de Thrive et retrouvent « la joie d’être la cause créatrice » (p. 77).

« Quand nous semons une graine, nous plantons le récit d’un futur possible. C’est un acte d’espoir. Toutes les graines semées ne vont pas germer, mais c’est rassurant de savoir que l’on a mis des graines dans le sol » (p. 78).

Chapitre 4. Quand le vert est sérénité

« Le genre de lien qui nous attache aux arbres est l’inverse de celui qui nous attache aux jeunes plants, tout petits. C’est tellement plus petit que nous, une plantule, que nous nous occupons d’elle et la protégeons, mais, à l’abri d’un arbre, c’est nous qui sommes les tout-petits et qui pouvons nous appuyer sur lui, qui est si fort » (p. 95).

Après avoir parlé avec des soldats souffrants de SSPT (syndrome de stress post-traumatique- rencontrés à l’association Thrive, « je sentais que le jardin l’avait aidé à retrouver quelque chose d’intact au fond de lui. Qu’il ait été à même de renouer avec la nature dans ses souvenirs d’enfant par le biais de son expérience actuelle, c’était le signe que sa perception de lui-même gagnait en intégration et qu’il recouvrait son identité » (p. 99). On visite aussi le jardin Nacadia au Danemark et on évoque l’usage de l’hortithérapie dans la clinique de Karl Menninger avec des soldats de la Seconde Guerre mondiale.

Chapter 5. La nature en ville

« Comme dans d’autres démarches artistiques, l’art du jardinage peut être une réponse à une perte. La création d’un jardin est autant une re-création qu’une création, celle d’une vision du paradis, d’un endroit qui nous relie à un paysage que nous avons aimé et qui nous console d’avoir été séparés de la nature » (p.102).

« Une des meilleures descriptions des bienfaits procurés par la verte nature est due au paysagiste Frederick Law Olmsted, créateur de Central Park à New York. « Si nous considérons la relation intime de l’esprit avec le système nerveux », écrit-il au milieu du XIXe siècle, alors il est facile de comprendre comment il se fait qu’un beau paysage naturel «occupe l’esprit sans le fatiguer tout en l’engageant, le tranquillise tout en l’éveillant et, l’esprit influençant le corps, procure ainsi un repos bienfaisant qui revigore l’être » (p. 105).

« Quand nos ancêtres chasseurs-cueilleurs se déplaçaient dans la forêt, leur sécurité dépendait de leur réceptivité et de leur attention de tous les instants à l’environnement. Il y a des raisons évolutives pour lesquelles se trouver dans la nature fait oublier les pensées anxieuses au profit d’un état d’esprit à la fois détendu et alerte : se perdre dans le processus récursif de la rumination n’est pas une bonne stratégie pour survivre » (p. 111).

L’auteur rencontre Francis qui souffre de schizophrénie. « En jardinant, il avait acquis ce qu’il appelait « une compréhension plus profonde de la vie » et il s’était habitué « au fait que tout passe ». Il avait aussi arrêté de se fâcher si fort contre lui-même. Il avait toujours été plutôt brouillon et désorganisé, mais son comportement dans le jardin était différent : « On ne peut pas faire ça ici, parce que le jardinage, c’est justement une question d’organisation. Si vous ne vous occupez pas des plantes, elles dépérissent et elles meurent »…« Je suis plus présent à la vie maintenant – loin du fracas.» » (p. 118).

« Le bon sens suffit pour se douter que l’air frais, la lumière naturelle, l’exercice physique et l’accès à des lieux verdoyants et calmes vont améliorer la santé des citadins. Pourtant notre éloignement de ces éléments naturels est tel que nous avons besoin de preuves scientifiques pour être convaincus de leurs effets positifs » (p. 121).

Chapitre 6. Racines

Après avoir parlé des origines de l’agriculture et des jardins, Sue Stuart-Smith tire des parallèles des relations de collaboration dans la nature. « Nous avons tendance à croire la nature régie par des relations prédatrices ; or le monde naturel regorge de collaborations qui parfois s’apparentent étonnamment au jardinage » (p. 129). Je dois passer trop rapidement sur les femmes Achuar en Amazonie qui accouchent dans leur jardin, sur l’influence de la colonisation sur l’environnement naturel, sur le mythe sumérien racontant l’histoire de l’art du jardinage avec « le péché mortel du jardinier » qui s’applique aussi à notre époque 5 000 ans plus tard et jusqu’à Carl Jung qui estimait que « Chaque être humain devrait avoir un bout de terre pour permettre à ses instincts de revivre » (p.  147).

« Jardiner, c’est toujours compter avec des forces qui nous dépassent. Nous avons beau laisser notre empreinte sur un lieu, l’adapter à nos besoins – de quelque manière que nous définissions ceux-ci – le jardin est un être vivant qui n’appartient qu’à lui-même et que nous ne pouvons totalement contrôler. Le lien entre lui et nous s’exprime par une influence réciproque qui nous façonne autant que l’inverse : c’est un processus qui m’apparaît maintenant comme la croissance mentale du jardinier » (p. 148).

Chapitre 7. Le pouvoir des fleurs

L’exemple thérapeutique choisi dans ce chapitre est celui de Renata, une jeune femme rencontrée dans un programme italien de désintoxication. Elle fait pousser des fleurs et parvient à dépasser sa haine de soi et sa perte d’attachement à la vie, en particulier en s’attachant à des plants de cactus malades dont elle prend soin (p. 368-373). 

Chapitre 8. Solutions radicales

Synergie entre tisserands déracinés et plantes transplantées dans l’Angleterre du 19e siècle, organisation de floralies comme de brèves immersions dans la beauté aux débuts de l’ère industrielle. Avec Carl Jung à la rescousse : « Nous avons tous besoin de nourrir notre psyché, ce qui est impossible dans des immeubles urbains sans un coin de verdure ou un arbre en fleur » et encore « Je suis pleinement convaincu de la nécessité pour l’existence humaine d’être enracinée dans la terre » (p. 179).

Ce chapitre est dédié aux expériences actuelles de végétalisation en ville : le démarrage des Incroyables Comestibles en Angleterre, la ferme urbaine d’Oranjezicht en Afrique du Sud, Bronx Green Up à New York, Windy City Harvest à Chicago,…

Chapitre 9. La guerre et le jardinage

Sue Stuart-Smith relate l’histoire des « jardins de tranchées », des deux côtés, dans la bataille de la Somme pendant la Première Guerre mondiale. Des potagers, mais surtout des jardins de fleurs. D’abord spontanés comme des instincts de survie, puis repris par la hiérarchie militaire comme moyen de subsistence. 

« Toutes les valeurs incarnées par le jardin rejettent la guerre, ce qui amène l’historien Kenneth Helphand à voir en eux les porteurs d’un message pacifiste. C’est ce qu’il écrit dans Defiant Gardens (Les jardins rebelles) : « La paix n’est pas simplement l’absence de la guerre, c’est une attitude positive etdéterminée…. Le jardin n’est pas simplement une retraite et un répit, mais la formulation d’un mode de vie, un modèle à suivre » (p. 209). Une idée que l’on retrouve dans les jardins de l’hôpital de Craiglockhart où sont envoyés les soldats blessés, pour un traitement qui reposait sur la croyance au pouvoir thérapeutique de la nature. L’auteure raconte ensuite l’histoire de son grand-père Ted, engagé dans la Première Guerre mondiale et fait prisonnier dans des conditions traumatiques, lui aussi soigné par le pouvoir du jardin à son retour de la guerre.

Chapitre 10. L’hiver de la vie

« Le poète Kunitz commença à travailler dans une ferme voisine. Labourer la terre, écrit-il, crée un lien entre le moi et « le reste du monde naturel ». Les cycles de la croissance et de la décomposition végétale lui firent comprendre pour la première fois « que la mort est absolument indispensable à la continuation de la vie sur notre planète»» (p. 234). Au jardin, on ne peut pas ignorer que les plantes meurent. 

Diana Athill est une écrivaine qui commença à jardiner après l’âge de 60 ans et s’installa à 90 ans passés dans une maison de retraite où elle continua à jardiner. « Athill ne prétendait pas qu’il fût simple de devenir très âgée, loin de là, mais les fleurs et les arbres lui offraient une forme de plaisir qui pouvait subsister, contrairement à beaucoup d’autres dans l’extrême vieillesse » (p. 237). Ou encore : « Les contraintes de l’âge et de la maladie limitent la possibilité de faire de nouvelles expériences, mais dans le cadre du jardin, plus on regarde de près, plus on découvre » (p. 245). L’exemple de la fin de vie de Freud, dans un jardin anglais, est très touchant et je vous laisserais en faire la découverte dans ce chapitre.

« Nos différentes représentations symboliques de la mort déterminent la peur ou l’absence de peur qu’elle nous inspire, et notre capacité ou non à percevoir la fin de la vie comme naturelle. Depuis toujours, dans toutes les cultures, les plantes et les fleurs influencent notre compréhension de la vie et de la mort ; elles structurent notre pensée en éloignant de nous la peur et le désespoir. Nous pouvons encore et toujours compter sur le retour annuel du printemps et, puisque tout ne meurt pas avec notre mort, nous pouvons nous dire que la bienfaisance terrestre continue. C’est le réconfort que nous offre le jardin avec le plus de ténacité » (p. 253).

Chapitre 11. Le temps du jardin

« Le jardin est un lieu qui nous ramène aux rythmes biologiques fondamentaux de la vie. Le tempo de la vie et celui des plantes ne font qu’un ; nous voilà forcés de ralentir, tandis que le sentiment d’être protégés dans un lieu enclos et familier nous aide à adopter un état d’esprit plus propice à la réflexion. Le jardin nous offre aussi un récit cyclique. Les saisons reviennent, c’est le retour de ce que nous connaissons, encore que certaines choses changent, tandis que d’autres sont identiques. La structure du temps saisonnier est réconfortante, elle est plus charitable pour la psyché : elle vous permet d’apprendre car vous avez droit à une seconde chance. Si ça ne marche pas cette année, vous savez que vous pouvez toujours réessayer l’an prochain au même moment » (p. 259).

On découvre dans les jardins d’Alnarp en Suède un programme pour des personnes souffrants de burn out et on rencontre Joahn Ottoson, victime d’un accident de vélo qui a écrit un article scientifique sur l’importance de la nature pour gérer une crise. Car « le jardinage peut se comprendre comme un remède spatio-temporel. Le travail au grand air nous aide à développer notre espace mental et les cycles biologiques des plantes peuvent modifier notre relation au temps » (p. 268).

« La lenteur n’implique pas dans ce contexte de faire les choses plus lentement. Quand on souffre d’épuisement au travail et de dépression, on ralentit son rythme considérablement sans aller forcément mieux pour autant. La lenteur qu’il s’agit de cultiver fait entrer dans une relation vivante avec le présent. C’est une telle expérience qu’a vécue Carl Jung dans la tour de Bollingen, sur la rive du lac de Zurich. Là-bas, sans électricité, il vivait selon les rythmes naturels, écrivant le matin, puis allant travailler dehors après une sieste, s’occupant de son carré de pommes de terre et de son champ de maïs et coupant du bois. Pendant la guerre, il cultiva un plus grand terrain, faisant pousser des haricots, du blé, et des pavots pour produire de l’huile, en plus du maïs et des pommes de terre. Ces activités le délassaient toujours et lui redonnaient des forces – « Car ce sont le corps, les émotions, les instincts qui nous relient au sol ». En s’ancrant dans la nature, il faisait l’expérience de l’interdépendance de tout ce qui forme le vivant : « J’ai parfois l’impression de me déployer dans tout ce qui existe, de survoler le paysage, et d’être moi-même dans chaque arbre, dans l’éclaboussement des vagues, dans les nuages et les animaux qui vont et viennent, dans la succession des saisons. » C’était là pour Jung un moyen d’entrer en contact avec « l’homme de deux millions d’années qui vit en chacun de nous ». » (p. 269).

Chapitre 12. Chambre d’hôpital avec vue

« Dans de nombreux cas, les jardins et la nature sont plus efficaces que n’importe quel médicament », cette citation d’Oliver Sachs ne surprendra pas les lecteurs réguliers de ce blog.

Des études ont montré que les gens qui reçoivent des fleurs font de « vrais sourire » et restent heureux plus longtemps que ceux qui reçoivent un autre cadeau d’une même valeur. D’autant plus de raisons d’offrir des fleurs à l’hôpital. La célèbre infirmière Florence Nightingale a écrit au 19e siècle sur l’importance de chambres d’hôpital claires et aérées et de bouquets de fleurs sauvages pour accélérer la guérison. Si Sue Stuart-Smith cite bien sûr l’étude de Roger Ulrich de 1984 sur la vue de la chambre, elle cite aussi une autre étude récente montrant que les patients dans une chambre fleurie sont moins anxieux, consomment moins d’anti-douleurs et ont un rythme cardiaque moins élevé (p. 282). Une vue par la fenêtre ou un bouquet dans la chambre, mêmes effets bénéfiques.

« La nature demande des efforts moins astreignants ; pour citer van den Berg, « la nature ne fatigue pas l’esprit » (car les formes naturelles offrent des structures fractales reproduites à l’infini qui facilitent le travail du cerveau). Quand notre corps est malade, quand notre énergie est au plus bas, les stimulations sensorielles doivent être juste au bon niveau – il n’en faut ni trop ni trop peu -, et la douceur des formes naturelles dans la nature y pourvoit parfaitement » (p. 287). Découvrez les Horatio Garden, construits dans des centres dédiés aux pathologies de la colonne vertébrale (p. 291).

On retrouve Oliver Sachs, comme patient à la suite d’un grave accident. Il sort de sa chambre pour la première fois après un mois d’hospitalisation. « Joie pure et intense bonheur, bonheur ineffable du soleil sur mon visage, du vent dans mes cheveux, du bruit des oiseaux, de la caresse et du spectacle des plantes vivantes que je pouvais toucher de mes doigts. Un lien essentiel, une communication avec la nature venaient de se réinstaurer après l’isolement et l’aliénation horribles que j’avais traversés. Quand on m’emmena au jardin, une partie de moi revint à la vie, un pan de mon être affamé, mort peut-être à mon insu. Un malade ou un grand blessé, écrit Sachs, a par définition besoin d’un « entre-deux », « d’un endroit calme, d’un abri, d’un refuge ». On en peut pas « se jeter de nouveau dans le monde d’un seul coup » » (p. 293).

Chapitre 13. La fleur dans la verdeur

Coincés entre minimiser la crise climatique et succomber au désespoir et à l’inaction, que pouvons-nous faire ? Voici ce que nous propose Sue Stuart-Smith.

« Dans notre ère de mondes virtuels et de faits inventés, le jardin nous ramène à la réalité. Pas au sens où celle-ci serait connue et prévisible, car le jardin nous surprend toujours et nous fait accéder à un autre type de connaissance – sensorielle et physique –, tout en stimulant les aspects affectifs, spirituels et cognitifs de notre être. En ce sens, le jardinage est ancien et moderne à la fois. Ancien en raison de l’adéquation évolutive du cerveau et de la nature, également en tant que mode de vie, entre cueillette et agriculture, exprimant notre besoin profond de nous attacher à un endroit. Moderne, parce que intrinsèquement il va de l’avant et que le jardinier envisage toujours meilleur futur.

Cultiver son jardin, cela marche dans les deux sens : c’est un travail intérieur autant qu’extérieur, et cela peut devenir une hygiène de vie. Dans un monde de plus en plus dominé par la technologie et la consommation, le jardinage nous met directement en contact avec la réalité de la création et de l’entretien de la vie dans toute sa fragilité et sa fugacité. Maintenant plus que jamais rappelons-nous que nous sommes des créatures de la terre » (p. 310).

Pour écrire son livre, Sue Stuart-Smith a rencontré et rendu visite à des dizaines de personnes, dont Anne et Jean-Paul Ribes qu’elle cite dans les remerciements. Espérons qu’elle aura bientôt l’occasion de revenir en France visiter d’autres jardins thérapeutiques dans des temps plus favorables.

L’équilibre du jardinier : Renouer avec la nature dans le monde moderne, Sue Stuart-Smith, Albin Michel, 2021

Quand les confinés redécouvrent la nature, la biophilie explose

Sous les pavés, le jardin urbain

Un mois plus tard, nous sommes toujours en mode #restezchezvous. Confinés à la maison à plein temps ou confinés chez nous après des expéditions à l’extérieur pour aller travailler. Certains se sont adaptés à ce rythme étonnant et y trouvent même des avantages (« Nous avons récupéré beaucoup plus de sérénité en famille et une vraie vie collective », m’explique une connaissance qui télétravaille et dont le mari s’occupe à 100% des enfants en ce moment). D’autres sont sans doute en train de cocher les jours sur le calendrier comme les prisonniers dans les films ou pire de péter les plombs en attendant la date du 11 mai qui ne sera pas magique. 

Ca dépend de beaucoup de facteurs, n’est-ce pas ? Je ne passerai pas en revue toutes les conditions psycho-sociales qui font que cette crise et ce confinement représentent une période plus ou moins agréable, plus ou moins supportable, plus ou moins déstabilisante, plus ou moins anxiogène. Ce serait impossible car nous sommes toutes et tous dans des situations particulières.

Mais je me rends compte que dans mon cercle familial, amical et professionnel, il y a un truc qui se passe. Pour celles et ceux qui ont la chance de pouvoir s’immerger dans la nature – d’une manière ou d’une autre – la rencontre est intensifiée, renouvelée. Comme si nous redécouvrions la simple joie d’être en contact avec le vivant avec une force neuve lorsque nous sommes moins distraits par tout le « bruit » habituel.

Fascination biophilique

Pour me rendre à mon job actuel, je fais à la louche 5 minutes de marche, puis 20 minutes de RER et encore 15 minutes de marche agréable le long d’une rue tranquille bordée de glycines, de lilas et de roses. Depuis presque deux ans que j’emprunte ce chemin, j’apprécie cette nature urbaine sur fond de chants d’oiseaux. Il m’arrive même de faire un exercice de pleine conscience, en me concentrant sur un de mes sens par exemple. Mais alors là en ce moment, c’est carrément une explosion de sensations. Au début et à la fin de mes journées intenses, j’anticipe avec délice cette marche. 

En sortant de chez moi, dans la fraicheur du matin, je regarde mon quartier avec un œil nouveau et je lève les yeux comme jamais. C’est plus facile car il y a très peu de monde et on ne risque pas de percuter un autre passant. Je découvre des balcons fleuris que je n’avais jamais remarqués. L’air est frais. Les oiseaux chantent et c’est un mystère de savoir où ils sont perchés. A ma destination, même expérience jubilatoire. Et à la fin de la journée, les glycines en fleur m’ont donné tellement de plaisir que c’est presque indécent. Je traversais la rue pour profiter du parfum de chaque treille et les laisser frôler mon visage. Las, leurs pétales séchés commencent à joncher le sol et leur vie fleurie s’achève. Mais les roses prennent le relais. Et les oiseaux ! Mais ils sont dingues de joie. OK, j’anthropomorphise beaucoup. Peut-être devrais-je dire plutôt que leurs chants me remplissent de joie.

Sur mon balcon, jamais mes radis et mes autres semis n’ont reçu autant d’attention. Je guette la pousse comme un miracle. Parce que le temps ralenti permet cette attention ? Parce que les voir sortir de terre donne comme une injection d’espoir ? Même chose dans le minuscule jardin partagé dans notre rue dont nous prenons un soin assez léger à tour de rôle. Son petit côté sauvage me plait de plus en plus. Le géranium herbe à Robert prend ses aises. La sauge et la monnaie du pape commencent à s’entremêler joyeusement. La promesse des fraises parisiennes et des framboises poitevines est déjà visible. Les hortensias exhibent un feuillage si vigoureux et des futures fleurs si prometteuses elles aussi. Le jardin fait sa vie. Les passants sont moins nombreux en ce moment, mais je les observe alors qu’ils reçoivent aussi en plein cœur ce message du vivant. Beaucoup d’entre eux sont attirés par le jardin comme « comme des phalènes vers une lampe » selon l’expression de E. O. Wilson.

D’ailleurs, c’est comme si, après avoir lu E.O. Wilson dans la théorie, je passais à la pratique en immersion. Tiens, ce billet avait été écrit après l’attentat du 13 novembre 2015 : je remarque en passant que tous les bouleversements potentiellement traumatiques ramènent certains, dont moi, à la nature. Un peu comme un enfant qui revient à sa figure d’attachement comme l’a décrit John Bolwby

« Je définirais la “biophilie” comme la tendance innée à se concentrer sur la vie et les processus biologiques. Depuis notre prime enfance, nous nous préoccupons avec bonheur de nous-mêmes et des autres organismes. Nous apprenons à faire le départ entre le vivant et l’inanimé et nous nous dirigeons vers le premier comme des phalènes vers une lampe. » E. O. Wilson

Une nouvelle connexion plus profonde

« Au début, j’ai fait du jardinage », m’explique une amie qui, aujourd’hui plus que jamais, éprouve une grande gratitude pour son jardin urbain. Et puis elle a fait une expérience qui l’a bouleversée : elle s’est sentie attirée par les plantes de son jardin d’une manière tout à fait différente de l’utilitaire et de l’habituel. Elle a pratiqué une observation détaillée, une immersion et vécu des moments de fascination qu’elle avait oubliées et qui lui ont rappelé des expériences d’enfance. D’ailleurs devant un iris venu de son jardin d’enfance et qui est en train de fleurir pour la première fois depuis longtemps, elle a ressenti des émotions intenses qu’elle a eu envie de partager.

Le mois dernier, j’ai parlé de Philippe Walch qui vient de publier le très beau et utile Et au milieu de l’hôpital fleurit un jardin. Si vous suivez Philippe sur les réseaux sociaux, vous savez qu’il aime partager des vidéos de jardins et de plantes. Avant le confinement, je les regardais déjà. Mais là, ses vidéos prennent une autre dimension. Son jardin après la pluie, un nid d’oiseau, un rosier absolument extraordinaire, ses vidéos nous plongent dans une sorte de ravissement. Voici une de ses vidéos. Merci à lui pour ce partage.

Beaucoup de gens à qui je parle en ce moment mentionnent la vue depuis leur domicile, leurs chères plantes d’intérieur qui absorbent les rayons du soleil ou bien leur bonheur d’avoir un jardin où ils peuvent se promener parmi les roses qui donnent aussi du plaisir aux passants ou bien pour certains jardiner, être actif, bouger leur corps. 

Dans toute situation stressante, nous nous appuyons sur les ressources à notre disposition en nous et dans notre environnement pour faire face. Aux ressources et comportements dysfonctionnels (violence, auto-agressivité, substances,…) peuvent répondre des ressources hyper adaptées comme la connexion au vivant. Au lieu de deux heures sur BFM, prescrivons-nous à nous-mêmes une petite dose de nature dans la mesure du possible, avec un esprit aussi ouvert que possible. Et observons avec curiosité ce qui se passe en nous (peut-être rien d’ailleurs). 

Les hortithérapeutes ne sont pas des Belles au bois dormant… 

Pendant le confinement, ceux et celles qui pratiquent l’hortithérapie ou l’écothérapie professionnellement continuent, dans le meilleur des cas, à prendre soin de leurs jardins même si les activités sont suspendues à cause des mesures actuelles. Un crève-cœur en plein printemps et à un moment où le besoin de nature et de dehors peut se révéler très fort comme on vient de le voir.

Les lecteurs très réguliers du Bonheur est dans le jardin se souviennent peut-être de Sally Cobb, une hortithérapeute américaine qui travaille dans le domaine de la fin de vie et des soins palliatifs (un lieu d’hospitalisation et l’accompagnement de patients à domicile à Greensboro, Caroline du nord). A 68 ans, elle déclare ne pas avoir l’intention de prendre la retraite tout en préparant sa relève. Elle s’occupe activement  des « healing gardens », l’espace autour de l’établissement hospitalier de 14 lits et d’un magnifique Children’s Garden, ainsi que de nombreux pots et conteneurs. Nous bavardons depuis quelques jours et je vous rapporte, avec sa permission, comment elle vit cette période de confinement dans l’état de la Caroline du nord. 

« Travaillant en extérieur, je peux continuer à venir travailler avec les restrictions liées au COVID-19! J’ai aussi appelé les patients que je visitais avant que cela n’arrive, et j’ai proposé d’apporter des fleurs fraîches coupées à laisser sur leur porche – les sept ont accepté. Je le fais une fois par mois parce que leurs maisons sont éparpillées dans toute la ville ! Je fais également attention aux patients ici sur notre terrain, en remplissant les mangeoires à oiseaux à l’extérieur de leurs chambres, et en m’assurant qu’ils ont des fleurs – pas de contact face à face en ce moment. »

« Je vous envoie des photos de Pâques. Pour les patients ici pour qui Pâques avait un sens – leurs familles ne pouvaient pas leur rendre visite, alors j’ai pensé que ce serait bien d’avoir le symbole des fleurs sur la croix. »

Le mois prochain, je vous parlerai d’autres hortithérapeutes qui nous raconteront comment ils se préparent au « monde d’après ». D’ici là, j’espère que vous aurez l’occasion de sentir les roses ou d’observer un ballet d’oiseaux dans le ciel…

Vue depuis une chambre d’AuthoraCare – Hospice &Palliative Care
Dans le jardin des enfants, la très touchante sculpture « Come take my hand ».

« Des jardins pour prendre soin » au CHU de Saint-Etienne : une journée énergisante

Mise à jour le 13 octobre 2019. Dr. Pommier et son équipe viennent de mettre en ligne les vidéos du colloque. Prenez le temps de les visionner une par une ou lisez mon compte-rendu ci-dessous.

 

 

Ce jour tant attendu a tenu toutes ses promesses autour d’un programme bien équilibré.

Un Jardin des Mélisses au top de sa forme pour un déjeuner sur l’herbe convivial, 175 participants pleins de dynamisme, des intervenants enthousiasmants des premiers aux derniers, une belle rencontre avec Roger Ulrich que nous avons tous cité un jour ou l’autre et avec qui nous pouvions enfin échanger en chair et en os.

Un invité qu’on ne présente plus…

UNADJUSTEDNONRAW_thumb_1ab08

Roger Ulrich (gauche) et Romain Pommier dans le Jardin Remarquable de Saint-Chamond.

L’invité exceptionnel de cette journée, Roger Ulrich, avait répondu immédiatement présent à l’invitation du Dr. Romain Pommier et de toute l’équipe organisatrice du CHU de Saint-Etienne et du Centre de Réhabilitation Psychosociale REHAlise (un grand bravo aux organisateurs, Yann Boulon et tous les autres !). Oui, par curiosité, par envie de découvrir la psychiatrie en France, sans doute aussi en réaction à l’enthousiasme de l’invitation. Profitant d’une semi-retraite en Scandinavie où il est professeur d’architecture au Center for Healthcare Building Research à l’Université de technologie Chalmers en Suède et professeur adjoint d’architecture à l’Université d’Aalborg au Danemark, il est venu en voisin.

Prenons une minute pour retracer sa riche carrière. A l’échelle internationale, Roger Ulrich est le chercheur le plus souvent cité dans le domaine de la conception d’établissements de santé fondée sur les données de la recherche. Il a d’ailleurs contribué à créer ce terme, « evidence-based design » et la certification EDAC (Evidence-Based Design Accreditation and Certification) qui reconnaît les connaissances dans ce domaine. En résumé, il s’agit de documenter les effets du design dans toutes ses dimensions (les espaces, les objets, les applications) sur la santé en utilisant les méthodologies issues du domaine médical (« evidence-based medecine »). On a ainsi aujourd’hui apporté la démonstration scientifique que la conception des établissements de santé, l’intérieur et l’extérieur, influence la durée des séjours et réduit le temps de guérison dans les hôpitaux somatiques, diminue l’agressivité en psychiatrie, mais aussi combat le burnout chez les soignants.

Après des études d’économie et de psychologie environnementale notamment auprès de Steve et Rachel Kaplan à l’Université du Michigan, Roger Ulrich a fondé et co-dirigé à partir de 1993 le Center for Health Systems and Design de la Texas A&M University, un centre interdisciplinaire hébergé conjointement dans les écoles d’architecture et de médecine. De 2005-2006, il est sorti du cocon académique à l’invitation du National Health Service anglais pour servir en tant que conseiller principal sur les environnements de soins aux patients dans le cadre d’un programme britannique de création de nombreux nouveaux hôpitaux. Au total, son travail a eu un impact direct sur la conception de milliards de dollars de projets de construction d’hôpitaux et a amélioré la santé et la sécurité de patients dans le monde entier.

Même si nous citons tous son célèbre « La vue à travers la fenêtre peut influencer le rétablissement suite à une opération chirurgicale » paru dans Science en 1984, la bibliographie de Roger Ulrich est très vaste et continue de s’étoffer. Ses travaux ont notamment porté sur les effets des chambres à un lit ou à plusieurs lits sur la transmission des infections, les effets négatifs du bruit dans les hôpitaux sur les patients et les infirmières, et sur comment la nature, les jardins et l’art peuvent réduire la douleur, le stress et les coûts des soins de santé.

Pour en revenir aux jardins, il a publié récemment deux nouvelles études : l’une en 2017 sur l’impact d’un jardin à l’hôpital sur des femmes enceintes et leurs partenaires et une autre en 2018 sur l’impact d’une pause dans un jardin vs. dans une salle de repos sur l’épuisement professionnel chez des infirmières en soins intensifs.

 

Prélude à la journée « Des jardins pour prendre soin »

En préambule à la journée organisée le 24 mai à la Faculté de Médecine Jacques Lisfranc sur le campus du CHU de Saint-Etienne, Roger Ulrich a profité d’une journée de découvertes. Dans le Jardin Remarquable de Michel Manevy à Saint-Chamond d’abord pour des échanges « noyés dans la nature » et éminemment biophiliques avec le jardinier des lieux, Romain Pommier et France Pringuey, co-conceptrice du Jardin des Mélisses. Puis dans le service de psychiatrie du CHU avec pour guide la professeure Catherine Massoubre, chef du pôle de psychiatrie, et pour compagnons l’équipe d’architectes et paysagiste chargé de la construction d’un nouveau bâtiment qui d’ici 2020 va venir s’accoler au Jardin des Mélisses et accueillir plusieurs unités dont une consacrée aux patients souffrant de troubles du comportement alimentaire (TCA). De cette visite dans les coulisses, Roger Ulrich a partagé plusieurs remarques et conseils avec les équipes. Entre autres, il s’est dit impressionné par les chambres individuelles systématiques, un point essentiel à ses yeux en terme de qualité de l’environnement.

OLYMPUS DIGITAL CAMERA

Le Jardin des Mélisses est accessible à quatre unités psychiatrique au CHU de Saint-Etienne et accueille des séances de médiation deux fois par semaine.

 

Des bâtiments bas avec accès direct au jardin sont aussi un facteur positif selon toutes les études. La visite du jardin lui a inspiré des louanges qu’il a répétées pendant le reste de son séjour. « Un jardin en psychiatrie qui mélange ainsi une utilisation à volonté et une médiation active est tout à fait innovant et unique à ma connaissance », a dit et redit Roger Ulrich aux équipes. Et il est vrai qu’il est extraordinaire ce jardin où se promènent des patients s’entraidant et commentant les plantations au potager, cueillant des aromatiques pour la tisane du soir, recevant des visiteurs dont des jeunes enfants dont les cris de joie pendant une partie de foot improvisée sur l’herbe font résonner la vie. « Améliorer l’accueil des patients et de leur famille et contribuer à porter un autre regard sur les soins dispensés en psychiatrie » fait le premier objectif du Jardin des Mélisses. Mission accomplie.

 

Dans le vif du sujet : recherches récentes en psychiatrie

Vous m’excuserez si le compte-rendu de la journée n’est pas exhaustif. Servir d’interprète à Roger Ulrich aux côtés d’Alexia Le Poulain, infirmière en psychiatrie venue du monde du cinéma, pour que son intervention soit traduite, mais aussi pour qu’il profite lui aussi des présentations, a sollicité mes neurones à 100%. Les présentations ayant été filmées, j’espère que nous pourrons partager bientôt des vidéos qui seront plus parlantes que des écrits.

De la présentation de Roger Ulrich, je retiens la théorie du rétablissement du stress, une extension de l’hypothèse biophilique de E. O. Wilson. En tant qu’humains modernes, nous avons gardé des vestiges d’une adaptation génétique qui comprend un mécanisme de réduction du stress au contact de certains éléments de la nature (végétation, fleurs, eau). Nous n’avons pas cette attirance pour lesmatériaux employés dans les constructions(béton, métal, verre). Il en découle qu’il serait judicieux d’utiliser ces mécanismes bienfaisants qui réduisent le stress pour créer des établissements de soin plus apaisants et plus guérisseurs.

Les données sur la conception des hôpitaux somatiques sont maintenant très nombreuses. Elles ont mené à s’intéresser aux hôpitaux psychiatriques, lieux d’enfermement souvent imposé où le stress et l’agressivité ont du coup tendance à monter en flèche. En 2010, la recherche d’une ancienne étudiante de Roger Ulrich, Upali Nanda, a démontré qu’afficher une grande photo montrant une nature réaliste dans une salle commune en service psychiatrique permettait de diminuer le nombre d’injections d’anxiolytiques (comparé à un mur blanc, à de l’art abstrait ou un tableau abstrait de nature comme un Van Gogh par exemple). Pour le dire en termes économiques, on avait économisé 23,845 euros de médicaments en un an grâce à une photo de nature coûtant 25 euros comparé à un mur blanc.

Dans une étude publiée en 2018, Roger Ulrich et plusieurs collaborateurs ont pu démontrer que « La conception des services psychiatriques peut réduire les comportements agressifs». Des études précédentes suggéraient que la conception psychiatrique traditionnelle est cause de stress et déclenche l’agressivité des patients. En comparant trois hôpitaux psychiatriques suédois (un hôpital ayant déménagé dans de nouveaux locaux et un hôpital contrôle), l’étude met à l’épreuve la théorie que des unités conçues avec des caractéristiques réduisant le stress (jardins, chambres individuelles, meilleure insonorisation notamment) réduiront le comportement agressif. Résultat ? Le nombre d’injections sous contrainte, le nombre d’injections par patient et le nombre de contentions physiques baissent ! Les faits sont éloquents ! Ecoutons-les.

Capture d’écran 2019-06-02 à 12.55.39

Hôpital psychiatrique d’Östra à Göteborg en Suède

 

 

 

Le Jardin des Mélisses, terrain de recherche

Dans la lignée du « evidence based design » et « evidence based medecine », au Jardin des Mélisses, les équipes savent que la recherche fera avancer la reconnaissance des jardins de soin dans la prise en charge des patients. C’est pourquoi les équipes soignantes en psychiatrie adulte se sont lancées dans un PHRIP. Un Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale financé par le ministère de la Santé pour évaluer la médiation jardin sur l’anxiété des patients. Blandine Cherrier et Valérie Suraud ont décrit le protocole de la recherche de la lettre d’intention à l’état actuel de la recherche.

La médiation d’abord. Elle consiste en deux séances hebdomadaires au jardin pour des groupes de 6 à 8 patients. Les séances sont encadrées par deux infirmiers d’unités différentes qui tournent (un plus pour la cohésion des personnels qui se connaissaient peu et un dispositif qui fait des patients les fils conducteurs). Un rituel bien défini rythme chaque séance : présentation autour d’une boisson, discussion des attentes de chacun, tour du jardin après un échauffement physique et activités adaptées aux besoins du jardin et aux envies de chacun. Tout au long, la participation est notée dans le dossier médical des patients et discutée en équipe. Avant et après la séance, les patients jardiniers remplissent le questionnaire PANAS qui mesure les affects positifs et négatifs.

 

OLYMPUS DIGITAL CAMERA

Pendant les présentations, il faut bien être à l’intérieur pour parler de la nature et du jardin.

Pour ce qui est du protocole, il se base sur une inclusion randomisée par tirage au sort dans le groupe jardin ou dans un groupe contrôle participant à la thérapie habituelle (pas une mince affaire pour des infirmières de « priver » certains patients d’une médiation qu’elles jugent efficace). Les patients inclus participent à 8 séances et remplissent avant et après chacune un auto-questionnaire HADS qui évalue la dépression et l’anxiété. Une fiche de synthèse générale est remplie à l’issue des 8 séances. L’objectif est de recruter 190 patients, un objectif à moitié rempli à ce jour. Des résultats préliminaires ont déjà été exposés dans plusieurs conférences et notamment à l’ICEPS, un congrès consacrés aux interventions non-médicamenteuses en mars 2019 à Montpellier.

L’objectif à terme au-delà de la publication des résultats est de donner accès à la médiation du jardin à plus de patients grâce à un poste infirmier dédié, de diffuser cette médiation auprès d’autres spécialités au sein du CHU, mais aussi auprès d’autres types de structures au niveau du département. Et pourquoi de créer un jour un réseau national des jardins thérapeutiques dans les CHU et de proposer une formation dans ce domaine. Pour contacter l’association Le Jardin des Mélisses et les soutenir, voici leur adresse jdm (at) chu-st-etienne.fr

Des initiatives locales au CHU et au-delà

Après deux heures de déambulations gourmandes au Jardin des Mélisses, un moment de détente et de restauration productif, il était temps de reprendre le fil des présentations. Idée de génie secondée par une météo parfaite.

 

 

 

Deux infirmières et un infirmier de l’hôpital de jour TCA, aujourd’hui délocalisé du campus principal mais qui le rejoindra bientôt dans le nouveau bâtiment en préparation, ont présenté leur travail sensoriel dans la prise en charge des TCA. L’équipe comprend Céline Brun, une ancienne soignante qui a participé au Jardin des Mélisses. Leur approche se centre sur les parallèles entre le développement des plantes et le processus de soin.

Romain Pommier a évoqué le jardin comme pratique orientée vers le rétablissement. Citant Patricia Deegan, une psychologue américaine qui a fait du rétablissement pour les patients en santé mentale sa mission après avoir reçu un diagnostic stigmatisant de schizophrénie, il explique que le rétablissement est un processus autogéré de guérison et de transformation. Rétablissement social et fonctionnel, il fait du patient un acteur de sa guérison à travers l’éducation thérapeutique du patient (ETP). « Il s’agit d’inscrire d’emblée la prise en charge dans une évolution, de miser sur le potentiel des individus dans une approche communautaire », explique-t-il. « Le jardin permet de travailler sur l’institution comme espace de soin et de lutter contre une ambiance défavorable. »  Et en passant, je veux dire que Romain Pommier me frappe comme l’un des psychiatres les plus bienveillants et les plus sensibles croisés dans ma nouvelle vie de psychologue ou dans la précédente. Il profite de sa tribune pour annoncer un évènement programmé pour le 6 juin dans le cadre d’un réseau local Jardins de santé par Anne de Beaumont (adebeaumont (at) free.fr, pour toute information). Le Dr. Pommier dont la propre thèse adoptait une approche qualitative a milité pour cette méthodologie complémentaire des études quantitatives indispensables.

Si vous avez encore un peu d’énergie, restez encore un instant pour entendre l’expérience du Dr. Adeline Frankhauser qui a participé à des ateliers thérapeutiques horticoles comme espace de transition entre soins et inclusion sociale à l’hôpital du Vinatier et au centre de réhabilitation psychosociale de Lyon. Dans ces ateliers, les patients peuvent rester de quelques mois à deux ans. Ils ne sont plus des patients d’ailleurs, mais des stagiaires en train d’acquérir des connaissances sur les plantes et leur cycle de vie. « Les ateliers thérapeutiques horticoles agissent sur les angoisses psychotiques en permettant à la pensée de se focaliser sur la tâche et sur les symptômes dépressifs en augmentant la confiance en soi et l’estime de soi. De plus, on constate une remobilisation qui replace dans l’action, des symptômes qui sont difficiles à traiter avec des médicaments. » Parmi les autres mécanismes d’action, l’ancrage dans un quotidien vivant, une dynamique avec un rythme qui faisait défaut dans la maladie, une empathie ou un accordage dans le prendre soin de la plante qui permet aussi de porter un regard différent sur ses propres fragilités et sans doute aussi la reprise de la créativité psychique.

Pour conclure cette belle journée, la parole est revenue à Julie Sauzedde, administratrice du GEM (Groupe d’Entraide Mutuelle) Les Moyens du Bord qui cultive deux parcelles dans un jardin collectif local – Saint-Etienne étant très bien pourvu en jardins collectifs dans la tradition du prêtre jésuite Félix Volpette initiée au 19esiècle. L’association organise une saison culturelle et participe à la Fête des Plantes, une façon de se faire connaître et là encore de changer le regard. « Le jardin, c’est un bol d’air, une vue imprenable, un espace de sevrage de la psychiatrie, une passerelle de la guérison, une petite famille », explique Julie Sauzedde dans un beau texte délivré avec une grande émotion.

Merci à tous les organisateurs, intervenants et participants pour cette journée qui a donné des forces à tous. Et si elle devenait un rendez-vous annuel?

Récit de voyage en Scandinavie biophilique

Ce mois-ci, la parole est à Philippe Walch, paysagiste pendant 30 ans et aujourd’hui formateur en jardins à but thérapeutique (le terme qu’il préfère) dans des unités de soin en Ehpad, hôpitaux et ailleurs. Nouveau membre de la Fédération Française Jardins, Nature et Santé, il nous invite à partager l’expérience d’un récent voyage au Danemark plein de découvertes. Merci, Philippe. Vous pouvez le joindre à phwalch (at) lesjardinsavie.com. 

En parlant de voyager, je vous suggère un voyage sur la Costa Brava avec le projet très sympa de mes amis Louise Brody et Charles Poisay. Car il touche aussi à notre rapport à la nature et à l’invention d’une nouvelle vie. https://www.santelm66.com

Quand tant d’autres de nos concitoyens courent après quelques heures de chaleur et de farniente – et on les comprend, j’ai eu l’occasion de passer quelques jours au nord de Copenhague, Danemark, au mois de janvier 2019.

Le Danemark, petit voisin de la Suède référence européenne du concept de biophilie, n’échappe pas à cet amour de la nature que l’on voit à tout moment en se promenant ou en roulant. Certes, ce plat pays nordique et islien de 5,5 millions d’âmes ne souffre pas de sècheresse, mais on remarque vite que les forêts et bois le long des routes sont gérés avec un respect de la biodiversité et des cycles de croissance et de dégradation naturelle : on coupe ce qui est mort et on le laisse sur place.

Les cimetières sont de cette même veine verte, domestiquée mais foisonnante, avec une minéralité minimisée. J’ai même vu un local de poubelles planté d’un bouleau bien vivant!

Un musée d’art moderne en plein air

Une visite au musée d’art moderne de l’île Seeland, Louisiana à 30 km au Nord de la capitale, vous laisse pantois car ce musée est autant à l’intérieur qu’à l’extérieur.le jardin est parsemé d’œuvres sculpturales ou architecturales, et ce en bordure de mer. Il a beau eu fait 1°C avec un ciel bas, on ne peut que déambuler avec joie dans ce parc–musée, entre deux visites de salles !

Dans un arborétum royal, sylvothérapie et hortithérapie en action

Et puis…il y eut cette douce révélation non préméditée avec la découverte de cet arboretum royal (le Danemark est encore un royaume ), réaménagé à partir d’un patrimoine végétal par la chaire « Forêt et Environnement » de l’Université de Copenhague par Ulrika Stigdotter et son équipe, dont Ulrik Sidenius. Cet arboretum qui n’est jamais dénommé parc (connotation trop paysagère) est depuis 2004 une forêt de santé (Helserskov en danois)  nommée « Octovia », se voulant un concept modèle de sylvothérapie et au sein de laquelle est inclus le jardin de thérapie « Nacadia ».

20190129_150142

L’entrée de la serre de séances hortithérapeutiques : invitation au repos « restauratif »

« Octavia « fourmille de 2000 espèces et cultivars de ligneux, arbres et arbustes et c’est en effet une gourmandise botanique étonnante, traversée de sentes et allées.

Le jardin « Nacadia », ouvert à tous l’après-midi, est dédié le matin à l’expérimentation de besoin de nature pour des patients (c’est ce terme qui est utilisé dans les séances guidées) psychiquement et mentalement fatigués. Les séances commencent dans une serre fermée de 170 m2, aménagée en salle spacieuse toute de bois au sol avec des recoins , mini-pièces végétalisées où l’on vient respirer, poser son regard (suivant la théorie « Attractive Restoration Therapy » des Kaplan), fermer les yeux, faire quelques pas, dire quelques mots à son voisin… puis sortir au dehors pour flâner lentement, toucher les troncs, contempler, le long des chemins parsemés de bancs de bois et d’espaces naturels peu encombrés mais tout de vert vêtus, enfin dans la belle saison : Bouleaux, Chênes , Tilleuls, Noyers cendrés, Sorbiers, Erables, Hêtres, Magnolias soulangeana… et bien d’autres espèces plus rares mais comme chez elles !

20190129_152425

Les danois appellent ces perspectives ouvertes et lointaines « fields ».Une ouverture paysagère lorsque les patients entrent dans le mouvement physique et celui du regard . »Nacadia » en est pourvu de nombreuses !

Le fait d’avoir visité le Danemark en janvier appelle à revenir en mai ou en juin…pour profiter de la même expérience en robe de verdure et en fleurs au sol comme sur les arbres. Les Vikings qui n’ont peur de rien, aiment tellement le vert qu’ils ont osé nommer le palais arctique Groenland, c’est-à-dire le « pays vert », pour donner envie d’y venir !

Oliver Sacks, le cerveau et le jardin

En révisant mon cours de neuropsychologie cognitive et particulièrement la partie sur les aphasies et les amnésies (c’est coriace, mais passionnant), comment ne pas repenser à ces beaux récits de patients apaisés par le jardin tirés du livre L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau d’Oliver Sacks (1933-2015)? Bien que le lien avec le jardin soit beaucoup plus ténu, je vous conseille aussi son livre Awakenings (L’Eveil en français) ou la version cinématographique avec Robin Williams et Robert de Niro.

Certains sont branchés par la biophilie. Le « truc » d’Oliver Sacks était la musicophilie, sujet d’un de ses livres et de travaux importants dans sa carrière. Voici ce qu’il écrit sur la musique:

 

« Music can lift us out of depression or move us to tears – it is a remedy, a tonic, orange juice for the ear. But for many of my neurological patients, music is even more – it can provide access, even when no medication can, to movement, to speech, to life. For them, music is not a luxury, but a necessity. »

Grâce à Buzzfeed (!!), je découvre d’autres citations d’Oliver Sacks qui parleront peut-être à certains d’entre vous. Dans celle-ci, il décrit sa conception de la neurologie, mais surtout sa perception du rapport entre le malade et sa maladie ainsi que le rapport entre le malade et son médecin.

« I always wanted to get people’s stories and access to their lives. I feel I’m at the interface of biography and biology, person and person-hood. I remember one man with Tourettes, who wrote and said that he had ‘a tourettised soul’, it affects one and one affects it—there’s a liaison of a sort. A condition is sometimes a collusion, and sometimes a compromise.

Although it’s up to me as a neurologist to diagnose the disease and to think in therapeutic terms, I always want to address the person as much as the disease, and I’m very glad my own doctor feels similarly. I’m not just a case to him, I’m a person responding to the situation. So I somehow sit between the biology and the humanist point of view. »

Et à la fin de sa vie…

« I cannot pretend I am without fear. But my predominant feeling is one of gratitude. I have loved and been loved; I have been given much and I have given something in return; I have read and traveled and thought and written. I have had an intercourse with the world, the special intercourse of writers and readers.

Above all, I have been a sentient being, a thinking animal, on this beautiful planet, and that in itself has been an enormous privilege and adventure. »

 

L’amour du vivant

En réaction aux attentats du 13 novembre, laissons la parole au biologiste américain et spécialiste des fourmis, E.O. Wilson, qui nous dit que les êtres humains sont instinctivement et inconsciemment attirés vers les autres êtres vivants. C’est ce qu’il a appelé la biophilie, l’amour du vivant qu’il soit animal ou végétal. Un message qui fait du bien.

« Je définirais la “biophilie” comme la tendance innée à se concentrer sur la vie et les processus biologiques. Depuis notre prime enfance, nous nous préoccupons avec bonheur de nous-mêmes et des autres organismes. Nous apprenons à faire le départ entre le vivant et l’inanimé et nous nous dirigeons vers le premier comme des phalènes vers une lampe. Nous apprécions en particulier la nouveauté et la variété. Tout cela se conçoit d’emblée, mais il y a encore beaucoup à en dire. J’entends démontrer qu’explorer la vie, s’affilier à elle, constitue un processus profond et complexe du développement mental. Dans une mesure encore sous-évaluée par la philosophie et la religion, notre existence repose sur cette inclination.

La biologie moderne a conçu une façon toute nouvelle de considérer l’univers, laquelle s’accorde avec ce point de vue de la biophilie. En d’autres termes, l’instinct, pour une fois, s’aligne sur la raison. J’en tire une conclusion optimiste : c’est pour autant que nous en viendrons à comprendre d’autres organismes que nous leur accorderons plus de prix, comme à nous-mêmes. »

Pour aller plus loin, on peut lire Biophilie de E.O. Wilson (1984) ou cette interview récente en anglais.