Formation : les trois premiers jardiniers médiateurs et le premier DU

En prologue, une annonce. 

Demain, mardi 5 octobre, se tiendra en ligne une table ronde organisée par Jardins & Santé : « Un jardin à visée thérapeutique pour toutes les générations et pour tous les publics ». C’est de 19h à 20h30. J’animerai cette table ronde avec quatre invités :

  • Stéphanie Personne, conceptrice du Jardin des Possibles à l’Abbaye de Maubuisson (Val d’Oise)
  • Viviane Cronier, animatrice aux Jardins de l’Espérance à la Ciotat (Bouches du Rhône)
  • Bernard Pical, directeur du Parc des Camélias à Alès (Gard)
  • Pomme Jouffroy, médecin chef de service, initiatrice du jardin potager de l’Hôpital Saint-Joseph (Paris)

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Mélanie, Thomas et Stéphane : les pionniers des jardiniers médiateurs

Et maintenant, je vous invite à rencontrer Mélanie, Thomas et Stéphane, les trois premiers diplômés de la formation Jardinier Médiateur, une Spécialité d’Initiative Locale (SIL) du CDFAA de la Corrèze Brive-Voutezac. Ou comme elle est connue de tous, la formation créée par Emmanuel Coulombs, un enseignant passionné qui a soulevé des montagnes pour former des jardiniers avec une fibre sociale et thérapeutique.

Les stagiaires chez Gilles Clément

Mélanie : « J’ai envie de monter un tiers lieu autour du jardin »

Mélanie Grenaille est arrivée dans le groupe avec un parcours très riche dans le monde culturel et social. Après une licence en histoire de l’art, elle rencontre le public malentendant en travaillant dans une association de théâtre. Une licence professionnelle de médiatrice culturelle lui apprend les rouages du montage de projet et de la recherche de financements pour des projets aux frontières de la culture et de la santé. En 2016, elle obtient également le CAFERUIS (Certificat d’Aptitudes aux Fonctions d’Encadrement et de Responsable d’Unité d’Intervention Sociale), sésame pour gérer des structures médico-sociales.

La vie aussi est riche d’enseignements : une proche touchée par un cancer, un passage professionnel difficile lui donnent envie d’autre chose. C’est sur un Forum de l’Emploi qu’elle rencontre ce qu’elle cherchait en croisant Emmanuel Coulombs. « Ce qui me fait du bien à moi peut faire du bien à l’autre. Pour moi, c’est la nature, le jardin, observer les évolutions. Je suis petite fille de paysan, j’ai grandi à la campagne », raconte Mélanie. « Pour la formation, j’ai fait un contrat en alternance avec les Jardins de Colette, un parc floral dédié à l’écrivaine, près de chez moi en Corrèze. Mon projet a consisté à faire un diagnostic pour faire d’un endroit aujourd’hui peu utilisé un jardin de soin pour des femmes en oncologie. »

Quelques mois après la fin de la formation, que retient-elle de cette expérience ? « Je prends les formations comme des opportunités. La méthodologie de projet, je l’ai déjà. Avec cette formation, je suis entrée en contact avec des réseaux que je ne connaissais pas. Nous avions tous des attentes différentes et nous avons pioché des connaissances différentes. »

« Ma grossesse a modifié le curseur de mes ambitions ! J’ai toujours envie de monter un tiers lieu autour du jardin en incorporant tout ce que j’ai fait avant : l’insertion professionnelle, mes premiers amours avec la culture, l’écriture, des ateliers pour sortir des personnes du cadre médical. Aujourd’hui, cela me semble un peu vertigineux. » Pour l’instant, elle aimerait s’impliquer dans les Jardins du Cœur, un jardin d’insertion des Restos du Cœur.

Mélanie en action

Thomas : « Nous avons échangé avec beaucoup de belles personnes »

Thomas Boisseau et la discipline scolaire, ça fait deux. Il lui faut du sens. « Après un Bac Pro de géographe-géomètre, j’ai commencé un BTS dans ce domaine, puis j’ai travaillé à la SPA. J’ai eu envie de faire un BTS Aménagements Paysagers, mais je n’étais pas d’accord avec l’ensemble des profs qui disaient en gros « On fait comme ça parce qu’on a toujours fait comme ça ». Pour moi, une bâche plastique, des cailloux et trois plantes qui se battent en duel, ce n’est pas ça, un jardin. On fait beaucoup de mal, on empêche le vivant de s’installer. » Pour lui qui a grandi à la campagne et affectionne les balades en forêt, notre appartenance à la nature est une évidence.

Sur son chemin, il rencontre aussi des profs qui le passionnent. L’un d’eux l’introduit à Claude Bourguignon, agronome et grand spécialiste des sols. Un autre, « une personne géniale, un prof à l’affut », l’ouvre à l’idée de mêler nature et humain. « Toi, je te verrai bien jardinier médiateur », lui lance-t-il. L’idée parle à Thomas. « J’ai toujours eu un bon contact avec les gens, les enfants, les personnes âgées, des personnes en situation de handicap. Si on peut échanger, on peut apporter quelque chose. »

Il se lance dans la formation. Il prend comme lieu de stage le Relais Nature de la Moulinette près de La Rochelle où il vit depuis plusieurs années. Cette structure d’accueil propose une éducation à l’environnement et à l’écologie pour les enfants de la ville, mais aussi pour des personnes âgées et des promeneurs. Thomas y propose notamment des ateliers pour les classes en collaboration avec l’enseignant. De la formation, il retient les rencontres et les échanges. « On a beaucoup bougé dans toute la France. Nous avons échangé avec beaucoup de belles personnes, pas prétentieuses malgré toutes leurs connaissances. »

Depuis la fin de la formation, il n’a pas chômé et les propositions se bousculent. Il a travaillé un temps avec les Jardins du Cœur, avec la mission d’ouvrir vers l’extérieur un groupe d’une vingtaine de personnes en insertion avec des parcours très variés dans le maraichage. Actuellement, il a rejoint Adhoma, une société de services à la personne, pour proposer de l’éco-jardinage. « On veut utiliser mes compétences. Cette formation fait que je suis très demandé. »

Pendant la formation, un atelier au Jardin de la Passerelle avec l’association Hortiphonie

Stéphane : « Le jardin est un prétexte pour briser les inégalités » 

Après un BTS Aménagements Paysagers et une licence Géographie et Environnement obtenus au début des années 2000, Stéphane Locoche avait déjà une solide expérience en tant que jardinier au sein de la ville d’Albi avant de commencer la formation. Sans compter une expérience pendant deux ans à Québec. A son retour en France, il se rend compte que le service des parcs et jardins d’Albi a pris à bras le corps l’auto suffisance alimentaire et l’agriculture urbaine. Du coup, il exerce depuis début 2020 la fonction de jardinier médiateur. Sa mission est de faire le lien entre les projets qui se développent dans les quartiers – jardins partagés et jardins familiaux très demandés – et les élus.

« Ce qui m’a attiré dans la formation, c’est l’aspect social. Le jardin est un prétexte pour briser les inégalités et travailler sur le bien-être de tous, pour aller à la rencontre des habitants, dont certains ont des parcours difficiles ou des troubles du comportement », explique Stéphane. « La technique, je l’ai après 20 ans d’expérience. Mais pour le lien social, je me sentais moins légitime, moins en confiance. J’avais cette fibre sociale. J’avais besoin d’apprendre à me positionner, à aborder les personnes. »

Quels souvenirs garde-t-il de la formation ? Comme Thomas, il a été enchanté par les rencontres. « Nous avons passé dix jours à Chaumont-sur-Loire, Marion Mousset m’a beaucoup apporté. » Et puis il y a Emmanuel Coulombs ! « Manu est riche de pleins de valeurs, d’humanité et d’énergie. Il nous a transmis beaucoup. » De retour à Albi, Stéphane applique ces enseignements dans ses projets dans cette ville et ce service dynamiques. « J’anime des ateliers dans des jardins avec des habitants qui ont signé une charte du jardin et s’engagent à une certaine régularité. En arrivant toutes les semaines, on boit le café en se racontant les soucis et les joies. Puis on se lance dans le travail d’entretien, de plantation, de récolte, d’arrosage….Dans un quartier, j’interviens avec l’association Les mains sur terre. Dans un autre quartier, nous avons fait un jardin éphémère dans le cadre d’une rénovation et maintenant nous préparons le nouveau jardin. Nous avons un noyau dur de jardiniers. »

Trois stagiaires, trois parcours, trois trajectoires. Il ne fait aucun doute que cette formation les a marqués tous les trois. « La prochaine promo doit démarrer le 3 janvier », confirme Emmanuel Coulombs. « Il y a déjà pas mal de candidats, en fait presqu’uniquement des candidates ». Pour tout renseignement sur la formation de jardinier médiateur, contactez Emmanuel Coulombs : emmanuel.coulombs (at) educagri.fr ou 06 13 29 26 03. Voici la présentation du programme.

Stagiaires emmitouflés

DU Santé et Jardins

Quand je vous disais en mars 2021 que c’était l’année de la formation ! Jamais deux sans trois. Voici une nouvelle formation qui vient couronner cette année exceptionnelle.

Un DU tant attendu…Je me souviens en octobre 2012, à Chaumont-sur-Loire, entendre parler pour la première fois de cet espoir de créer un DU. Presque 10 ans plus tard, on y est.

Dans les mots de ces créateurs : « Réintroduire les espaces végétalisés dans les lieux de soin est aujourd’hui une démarche de santé publique reconnue au niveau international. Inspirés des effets documentés du végétal sur la santé, conçus et aménagés selon des critères fondés sur les preuves, les jardins de soin régulent le niveau de stress et le niveau d’attention. Ils développent les capacités cognitives et la relation sociale. Ils prennent soin des soignés aussi bien que des soignants. Véritables lieux de ressourcement, ils sont un levier de promotion de la santé au travail. Ils représentent une clé du management dans le champ du sanitaire et du médico-social au service de la performance du soin. Ils contribuent à la structuration de nouveaux parcours de soin.

On peut aussi noter que les politiques publiques prennent le tournant de l’écologie et s’inscrivent dans une démarche environnementale globale à l’échelle nationale. Elles invitent les établissements de santé à être acteurs dans ce domaine.

Ce nouveau diplôme universitaire est porté par le Jardin des Mélisses, l’association DanaeCare qui coordonne le Réseau Loire des Jardins de Santé – Délégation locale (42) de la Fédération Française Jardins, Nature et Santé ( FFJNS ) et l’association Poisson Mécanique et en partenariat avec le Centre Référent de Réhabilitation Psychosociale ( piloté par le Groupement de Coopération Social et Médico-Social Rehacoor42 ) »

Pour tout renseignement et inscription (date butoir : 15 novembre 2021 pour une formation de janvier à juin 2022), voir la page de l’Université de Saint-Etienne

« Des jardins pour prendre soin » au CHU de Saint-Etienne : une journée énergisante

Mise à jour le 13 octobre 2019. Dr. Pommier et son équipe viennent de mettre en ligne les vidéos du colloque. Prenez le temps de les visionner une par une ou lisez mon compte-rendu ci-dessous.

 

 

Ce jour tant attendu a tenu toutes ses promesses autour d’un programme bien équilibré.

Un Jardin des Mélisses au top de sa forme pour un déjeuner sur l’herbe convivial, 175 participants pleins de dynamisme, des intervenants enthousiasmants des premiers aux derniers, une belle rencontre avec Roger Ulrich que nous avons tous cité un jour ou l’autre et avec qui nous pouvions enfin échanger en chair et en os.

Un invité qu’on ne présente plus…

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Roger Ulrich (gauche) et Romain Pommier dans le Jardin Remarquable de Saint-Chamond.

L’invité exceptionnel de cette journée, Roger Ulrich, avait répondu immédiatement présent à l’invitation du Dr. Romain Pommier et de toute l’équipe organisatrice du CHU de Saint-Etienne et du Centre de Réhabilitation Psychosociale REHAlise (un grand bravo aux organisateurs, Yann Boulon et tous les autres !). Oui, par curiosité, par envie de découvrir la psychiatrie en France, sans doute aussi en réaction à l’enthousiasme de l’invitation. Profitant d’une semi-retraite en Scandinavie où il est professeur d’architecture au Center for Healthcare Building Research à l’Université de technologie Chalmers en Suède et professeur adjoint d’architecture à l’Université d’Aalborg au Danemark, il est venu en voisin.

Prenons une minute pour retracer sa riche carrière. A l’échelle internationale, Roger Ulrich est le chercheur le plus souvent cité dans le domaine de la conception d’établissements de santé fondée sur les données de la recherche. Il a d’ailleurs contribué à créer ce terme, « evidence-based design » et la certification EDAC (Evidence-Based Design Accreditation and Certification) qui reconnaît les connaissances dans ce domaine. En résumé, il s’agit de documenter les effets du design dans toutes ses dimensions (les espaces, les objets, les applications) sur la santé en utilisant les méthodologies issues du domaine médical (« evidence-based medecine »). On a ainsi aujourd’hui apporté la démonstration scientifique que la conception des établissements de santé, l’intérieur et l’extérieur, influence la durée des séjours et réduit le temps de guérison dans les hôpitaux somatiques, diminue l’agressivité en psychiatrie, mais aussi combat le burnout chez les soignants.

Après des études d’économie et de psychologie environnementale notamment auprès de Steve et Rachel Kaplan à l’Université du Michigan, Roger Ulrich a fondé et co-dirigé à partir de 1993 le Center for Health Systems and Design de la Texas A&M University, un centre interdisciplinaire hébergé conjointement dans les écoles d’architecture et de médecine. De 2005-2006, il est sorti du cocon académique à l’invitation du National Health Service anglais pour servir en tant que conseiller principal sur les environnements de soins aux patients dans le cadre d’un programme britannique de création de nombreux nouveaux hôpitaux. Au total, son travail a eu un impact direct sur la conception de milliards de dollars de projets de construction d’hôpitaux et a amélioré la santé et la sécurité de patients dans le monde entier.

Même si nous citons tous son célèbre « La vue à travers la fenêtre peut influencer le rétablissement suite à une opération chirurgicale » paru dans Science en 1984, la bibliographie de Roger Ulrich est très vaste et continue de s’étoffer. Ses travaux ont notamment porté sur les effets des chambres à un lit ou à plusieurs lits sur la transmission des infections, les effets négatifs du bruit dans les hôpitaux sur les patients et les infirmières, et sur comment la nature, les jardins et l’art peuvent réduire la douleur, le stress et les coûts des soins de santé.

Pour en revenir aux jardins, il a publié récemment deux nouvelles études : l’une en 2017 sur l’impact d’un jardin à l’hôpital sur des femmes enceintes et leurs partenaires et une autre en 2018 sur l’impact d’une pause dans un jardin vs. dans une salle de repos sur l’épuisement professionnel chez des infirmières en soins intensifs.

 

Prélude à la journée « Des jardins pour prendre soin »

En préambule à la journée organisée le 24 mai à la Faculté de Médecine Jacques Lisfranc sur le campus du CHU de Saint-Etienne, Roger Ulrich a profité d’une journée de découvertes. Dans le Jardin Remarquable de Michel Manevy à Saint-Chamond d’abord pour des échanges « noyés dans la nature » et éminemment biophiliques avec le jardinier des lieux, Romain Pommier et France Pringuey, co-conceptrice du Jardin des Mélisses. Puis dans le service de psychiatrie du CHU avec pour guide la professeure Catherine Massoubre, chef du pôle de psychiatrie, et pour compagnons l’équipe d’architectes et paysagiste chargé de la construction d’un nouveau bâtiment qui d’ici 2020 va venir s’accoler au Jardin des Mélisses et accueillir plusieurs unités dont une consacrée aux patients souffrant de troubles du comportement alimentaire (TCA). De cette visite dans les coulisses, Roger Ulrich a partagé plusieurs remarques et conseils avec les équipes. Entre autres, il s’est dit impressionné par les chambres individuelles systématiques, un point essentiel à ses yeux en terme de qualité de l’environnement.

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Le Jardin des Mélisses est accessible à quatre unités psychiatrique au CHU de Saint-Etienne et accueille des séances de médiation deux fois par semaine.

 

Des bâtiments bas avec accès direct au jardin sont aussi un facteur positif selon toutes les études. La visite du jardin lui a inspiré des louanges qu’il a répétées pendant le reste de son séjour. « Un jardin en psychiatrie qui mélange ainsi une utilisation à volonté et une médiation active est tout à fait innovant et unique à ma connaissance », a dit et redit Roger Ulrich aux équipes. Et il est vrai qu’il est extraordinaire ce jardin où se promènent des patients s’entraidant et commentant les plantations au potager, cueillant des aromatiques pour la tisane du soir, recevant des visiteurs dont des jeunes enfants dont les cris de joie pendant une partie de foot improvisée sur l’herbe font résonner la vie. « Améliorer l’accueil des patients et de leur famille et contribuer à porter un autre regard sur les soins dispensés en psychiatrie » fait le premier objectif du Jardin des Mélisses. Mission accomplie.

 

Dans le vif du sujet : recherches récentes en psychiatrie

Vous m’excuserez si le compte-rendu de la journée n’est pas exhaustif. Servir d’interprète à Roger Ulrich aux côtés d’Alexia Le Poulain, infirmière en psychiatrie venue du monde du cinéma, pour que son intervention soit traduite, mais aussi pour qu’il profite lui aussi des présentations, a sollicité mes neurones à 100%. Les présentations ayant été filmées, j’espère que nous pourrons partager bientôt des vidéos qui seront plus parlantes que des écrits.

De la présentation de Roger Ulrich, je retiens la théorie du rétablissement du stress, une extension de l’hypothèse biophilique de E. O. Wilson. En tant qu’humains modernes, nous avons gardé des vestiges d’une adaptation génétique qui comprend un mécanisme de réduction du stress au contact de certains éléments de la nature (végétation, fleurs, eau). Nous n’avons pas cette attirance pour lesmatériaux employés dans les constructions(béton, métal, verre). Il en découle qu’il serait judicieux d’utiliser ces mécanismes bienfaisants qui réduisent le stress pour créer des établissements de soin plus apaisants et plus guérisseurs.

Les données sur la conception des hôpitaux somatiques sont maintenant très nombreuses. Elles ont mené à s’intéresser aux hôpitaux psychiatriques, lieux d’enfermement souvent imposé où le stress et l’agressivité ont du coup tendance à monter en flèche. En 2010, la recherche d’une ancienne étudiante de Roger Ulrich, Upali Nanda, a démontré qu’afficher une grande photo montrant une nature réaliste dans une salle commune en service psychiatrique permettait de diminuer le nombre d’injections d’anxiolytiques (comparé à un mur blanc, à de l’art abstrait ou un tableau abstrait de nature comme un Van Gogh par exemple). Pour le dire en termes économiques, on avait économisé 23,845 euros de médicaments en un an grâce à une photo de nature coûtant 25 euros comparé à un mur blanc.

Dans une étude publiée en 2018, Roger Ulrich et plusieurs collaborateurs ont pu démontrer que « La conception des services psychiatriques peut réduire les comportements agressifs». Des études précédentes suggéraient que la conception psychiatrique traditionnelle est cause de stress et déclenche l’agressivité des patients. En comparant trois hôpitaux psychiatriques suédois (un hôpital ayant déménagé dans de nouveaux locaux et un hôpital contrôle), l’étude met à l’épreuve la théorie que des unités conçues avec des caractéristiques réduisant le stress (jardins, chambres individuelles, meilleure insonorisation notamment) réduiront le comportement agressif. Résultat ? Le nombre d’injections sous contrainte, le nombre d’injections par patient et le nombre de contentions physiques baissent ! Les faits sont éloquents ! Ecoutons-les.

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Hôpital psychiatrique d’Östra à Göteborg en Suède

 

 

 

Le Jardin des Mélisses, terrain de recherche

Dans la lignée du « evidence based design » et « evidence based medecine », au Jardin des Mélisses, les équipes savent que la recherche fera avancer la reconnaissance des jardins de soin dans la prise en charge des patients. C’est pourquoi les équipes soignantes en psychiatrie adulte se sont lancées dans un PHRIP. Un Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale financé par le ministère de la Santé pour évaluer la médiation jardin sur l’anxiété des patients. Blandine Cherrier et Valérie Suraud ont décrit le protocole de la recherche de la lettre d’intention à l’état actuel de la recherche.

La médiation d’abord. Elle consiste en deux séances hebdomadaires au jardin pour des groupes de 6 à 8 patients. Les séances sont encadrées par deux infirmiers d’unités différentes qui tournent (un plus pour la cohésion des personnels qui se connaissaient peu et un dispositif qui fait des patients les fils conducteurs). Un rituel bien défini rythme chaque séance : présentation autour d’une boisson, discussion des attentes de chacun, tour du jardin après un échauffement physique et activités adaptées aux besoins du jardin et aux envies de chacun. Tout au long, la participation est notée dans le dossier médical des patients et discutée en équipe. Avant et après la séance, les patients jardiniers remplissent le questionnaire PANAS qui mesure les affects positifs et négatifs.

 

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Pendant les présentations, il faut bien être à l’intérieur pour parler de la nature et du jardin.

Pour ce qui est du protocole, il se base sur une inclusion randomisée par tirage au sort dans le groupe jardin ou dans un groupe contrôle participant à la thérapie habituelle (pas une mince affaire pour des infirmières de « priver » certains patients d’une médiation qu’elles jugent efficace). Les patients inclus participent à 8 séances et remplissent avant et après chacune un auto-questionnaire HADS qui évalue la dépression et l’anxiété. Une fiche de synthèse générale est remplie à l’issue des 8 séances. L’objectif est de recruter 190 patients, un objectif à moitié rempli à ce jour. Des résultats préliminaires ont déjà été exposés dans plusieurs conférences et notamment à l’ICEPS, un congrès consacrés aux interventions non-médicamenteuses en mars 2019 à Montpellier.

L’objectif à terme au-delà de la publication des résultats est de donner accès à la médiation du jardin à plus de patients grâce à un poste infirmier dédié, de diffuser cette médiation auprès d’autres spécialités au sein du CHU, mais aussi auprès d’autres types de structures au niveau du département. Et pourquoi de créer un jour un réseau national des jardins thérapeutiques dans les CHU et de proposer une formation dans ce domaine. Pour contacter l’association Le Jardin des Mélisses et les soutenir, voici leur adresse jdm (at) chu-st-etienne.fr

Des initiatives locales au CHU et au-delà

Après deux heures de déambulations gourmandes au Jardin des Mélisses, un moment de détente et de restauration productif, il était temps de reprendre le fil des présentations. Idée de génie secondée par une météo parfaite.

 

 

 

Deux infirmières et un infirmier de l’hôpital de jour TCA, aujourd’hui délocalisé du campus principal mais qui le rejoindra bientôt dans le nouveau bâtiment en préparation, ont présenté leur travail sensoriel dans la prise en charge des TCA. L’équipe comprend Céline Brun, une ancienne soignante qui a participé au Jardin des Mélisses. Leur approche se centre sur les parallèles entre le développement des plantes et le processus de soin.

Romain Pommier a évoqué le jardin comme pratique orientée vers le rétablissement. Citant Patricia Deegan, une psychologue américaine qui a fait du rétablissement pour les patients en santé mentale sa mission après avoir reçu un diagnostic stigmatisant de schizophrénie, il explique que le rétablissement est un processus autogéré de guérison et de transformation. Rétablissement social et fonctionnel, il fait du patient un acteur de sa guérison à travers l’éducation thérapeutique du patient (ETP). « Il s’agit d’inscrire d’emblée la prise en charge dans une évolution, de miser sur le potentiel des individus dans une approche communautaire », explique-t-il. « Le jardin permet de travailler sur l’institution comme espace de soin et de lutter contre une ambiance défavorable. »  Et en passant, je veux dire que Romain Pommier me frappe comme l’un des psychiatres les plus bienveillants et les plus sensibles croisés dans ma nouvelle vie de psychologue ou dans la précédente. Il profite de sa tribune pour annoncer un évènement programmé pour le 6 juin dans le cadre d’un réseau local Jardins de santé par Anne de Beaumont (adebeaumont (at) free.fr, pour toute information). Le Dr. Pommier dont la propre thèse adoptait une approche qualitative a milité pour cette méthodologie complémentaire des études quantitatives indispensables.

Si vous avez encore un peu d’énergie, restez encore un instant pour entendre l’expérience du Dr. Adeline Frankhauser qui a participé à des ateliers thérapeutiques horticoles comme espace de transition entre soins et inclusion sociale à l’hôpital du Vinatier et au centre de réhabilitation psychosociale de Lyon. Dans ces ateliers, les patients peuvent rester de quelques mois à deux ans. Ils ne sont plus des patients d’ailleurs, mais des stagiaires en train d’acquérir des connaissances sur les plantes et leur cycle de vie. « Les ateliers thérapeutiques horticoles agissent sur les angoisses psychotiques en permettant à la pensée de se focaliser sur la tâche et sur les symptômes dépressifs en augmentant la confiance en soi et l’estime de soi. De plus, on constate une remobilisation qui replace dans l’action, des symptômes qui sont difficiles à traiter avec des médicaments. » Parmi les autres mécanismes d’action, l’ancrage dans un quotidien vivant, une dynamique avec un rythme qui faisait défaut dans la maladie, une empathie ou un accordage dans le prendre soin de la plante qui permet aussi de porter un regard différent sur ses propres fragilités et sans doute aussi la reprise de la créativité psychique.

Pour conclure cette belle journée, la parole est revenue à Julie Sauzedde, administratrice du GEM (Groupe d’Entraide Mutuelle) Les Moyens du Bord qui cultive deux parcelles dans un jardin collectif local – Saint-Etienne étant très bien pourvu en jardins collectifs dans la tradition du prêtre jésuite Félix Volpette initiée au 19esiècle. L’association organise une saison culturelle et participe à la Fête des Plantes, une façon de se faire connaître et là encore de changer le regard. « Le jardin, c’est un bol d’air, une vue imprenable, un espace de sevrage de la psychiatrie, une passerelle de la guérison, une petite famille », explique Julie Sauzedde dans un beau texte délivré avec une grande émotion.

Merci à tous les organisateurs, intervenants et participants pour cette journée qui a donné des forces à tous. Et si elle devenait un rendez-vous annuel?

Le Jardin des Mélisses du CHU de Saint-Etienne fédère les soignants

Aujourd’hui, je laisse avec grand plaisir la parole à Romain Pommier, interne en psychiatrie au CHU de Saint-Etienne, qui nous raconte la genèse du Jardin des Mélisses quelques semaines après son inauguration officielle. Que de chemin parcouru depuis le premier email de Romain reçu en juin 2014. « Depuis quelque temps germe en moi l’idée de mêler mon activité soignante et la pratique de la culture des plantes. J’ai commencé à évoquer autour de moi l’idée, et je trouve beaucoup d’oreilles attentives ! », écrivait alors ce jeune médecin qui avait commencé par se présenter comme un petit-fils de maraicher. Avec un enthousiasme contagieux, il a fédéré toute une équipe et son projet est devenu réalité. Cet été, les premiers patients ont profité du Jardin des Mélisses.

 

L'équipe

L’équipe

Le Jardin des Mélisses est un projet de soin conçu sur un mode participatif. Il a mobilisé des soignants des 4 secteurs de psychiatrie adultes présents au voisinage d’un grand parc de 3000 m2. Toutes les énergies et les compétences étaient déjà là, il a suffi de la rencontre d’un infirmier et jardinier Bertrand Ollier, et de Romain Pommier, interne en psychiatrie, pour qu’il démarre. Il a ensuite été soutenu par l’ensemble du Personnel des services de psychiatrie de l’hôpital.

Il a pu voir le jour grâce à la générosité de nombreuses personnes qui ont cru dans cette idée et aux compétences de toux ceux qui s’y sont investis, avec une mention spéciale pour l’équipe des Jardiniers qui n’ont pas ménagé leurs efforts. La direction du CHU n’a pas hésité un seul instant à soutenir ce projet innovant impulsé par les équipes soignantes, sachant entendre et faire fructifier les attentes. C’est donc un groupe de 20 personnes (infirmiers, cadres de santé, internes, médecins, ergothérapeute) qui ont créé l’espace dans un premier temps et qui ont pensé le projet de soin.

Des massifs aux couleurs vives.

Des massifs aux couleurs vives.

L’objectif principal vise à enrichir les soins d’une nouvelle activité thérapeutique. Il s’agit ainsi de favoriser l’amorce de nos patients dans le processus de rétablissement. Se reconnecter au monde vivant par le jardin qui favorise l’apaisement et les émotions positives. S’ouvrir au monde et à la relation aux autres, jusqu’à retrouver la capacité d’agir pour lutter contre la maladie mentale.

Des massifs aux couleurs apaisantes.

Des massifs aux couleurs apaisantes.

Grâce à ce nouveau dispositif, un groupe de 6 patients, animé par 2 infirmiers de services différents est accueilli sur indication médicale pour des activités thérapeutiques à médiation deux fois par semaine, pendant 1 mois, et ceci toute l’année. Il bénéficie aussi largement au personnel qui trouve ainsi un apaisement et un lieu idéal de partage de leur pratique.

 

Ce jardin propose aussi d’améliorer l’accueil des familles afin de rendre moins pénible cette difficile étape de leur parcours de vie. C’était aussi l’occasion de participer au développement en France d’une pratique innovante, qui allie humanité du soin et évaluation scientifique. L’accompagnement professionnel du Dr France Pringuey qui avait déjà réalisé le Jardin de l’Armillaire au CHU de Nice a permis sa concrétisation.

Que Mr Francis Hallé, grand défenseur de l’arbre et de sa place dans nos vies, ait accepté de parrainer l’association qui porte le projet est un gage important de l’authenticité  et de la qualité de la démarche. L’inauguration du Jardin s’est déroulée le 30 Septembre 2015 sous un soleil radieux en présence d’un nombre très important de soignants et de partenaires ayant participé au projet.

Romain Pommier au jardin.

Romain Pommier au jardin.

Ils confirment tous que ce Jardin n’est pas celui de quelques-uns, il est celui de tous ceux qui veulent croire que nous pouvons faire beaucoup ensemble, les uns avec les autres. Le Jardin des Mélisses n’est pas un jardin clos. Il est le trait d’union avec les autres espaces verts et citoyens de Saint-Etienne. Et c’est dans cette direction que ses branches se déploient.

Aujourd’hui ce n’est qu’un début…L’aménagement du cœur du jardin et les résultats bénéfiques déjà observés pendant les mois d’été doivent nous encourager à poursuivre les efforts car le projet de soins n’exprimera son plein potentiel que LORSQUE l’ENSEMBLE DU PARC SERA AMENAGE. Les hommes et les femmes sont prêts, les plans le sont aussi. Mais il manque des moyens matériels et financiers.

L’Association du Jardin des Mélisses qui supporte le projet est aujourd’hui reconnue d’intérêt général. Déjà largement soutenue par de nombreux adhérents, elle appelle à la générosité d’autres mécènes. Le fond de dotation du CHU permet aussi de recueillir des dons pour le projet.

 

Bertrand Ollier, infirmier et jardinier, a porté le projet avec Romain Pommier.

Bertrand Ollier, infirmier et jardinier, a porté le projet avec Romain Pommier.

 

Le plan final du Jardin des Mélisses

Le plan final du Jardin des Mélisses, signé France Pringuey.

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