Vida Pura Vida : récit d’un voyage au Costa Rica

Ce mois-ci, je passe la plume à Sébastien Guéret. La dernière fois qu’il avait écrit ici, les circonstances étaient bien différentes. Pourtant, je vois un lien direct entre les grandes lignes de vie qu’il énonçait dans ce texte écrit en janvier 2015 et ce récit de son voyage au Costa Rica, du 18 janvier au 1er mars 2022. Merci, Sébastien. Je suis contente que tu aies accepté de partager ton expérience (et de te mettre la pression pour écrire avec une date butoir).

Sébastien et les arbres

Pura Vida ! Je l’avais lu dans le « Guide du Routard » du Costa Rica, quelques jours avant mon départ. Je ne comprenais pas trop ce que ça voulait dire et le Routard m’avait paru assez flou pour définir ce que signifiait « la vie pure ». 

Je ne vais pas vous raconter toutes les complications et les indécisions liées, entre autres choses, au contexte sanitaire de ces dernières années, dans la préparation de mon voyage, mais c’est un voyage dans lequel je me projetais pour la première fois en février 2020, quinze jours avant le premier confinement. Et ces indécisions demeureront jusqu’au jour du départ, et même jusqu’au passage de la douane à San José.

Mais me voici à lire le Routard aux alentours du 10 janvier, billet en poche et, « inch Buddha », je partirai le 18 janvier pour 6 semaines ! 

Maintenant tous les indicateurs sont au vert. Tous, excepté l’aspect financier un peu critique après 2 années à travailler à 50-70%, mais qu’importe ! Je taperai dans mon « bas de laine », c’est bien à ça qu’il doit servir. 

Et si demain, telle la cigale je me retrouve sans le sou ben je me mettrai en mode fourmi et puis c’est tout ! L’heure est à la « Pura Vida » ! 

Arrivée au Costa Rica

Sur place je ne comprends toujours pas le sens de l’expression. En tous cas, pas immédiatement. L’arrivée à San José se passe très bien, j’arrive aux alentours de 19h. Le temps de récupérer mon bagage et d’arriver à l’auberge que j’ai réservée, je me couche vers minuit. Je ne veux pas rester en ville à San José. Je n’ai qu’une hâte, celle de découvrir la campagne, les montagnes, les forêts. Le village où je dois participer à un chantier de reforestation, officiellement la raison principale de mon voyage, est à 4 heures de route au Sud de la capitale, à l’intérieur des terres, et à environ 50 km de l’Océan Pacifique.

Je repars donc dès le lendemain pour retrouver Rémy qui organise le chantier de plantation. Et je découvre la « Finca Sonador » et ses environs. Une Finca est un espace agricole autour duquel s’organise un village. Ou l’inverse… Près de 700 habitants dans cette Finca, principalement des familles de paysans Ticos (nom donné aux Costariciens). C’est un village un peu particulier car développé à l’origine, à la fin des années 70, par la communauté Longo Maï, basée en France pour accueillir les réfugiés politiques du Nicaragua et du Salvador. 

Rémy m’explique rapidement que le chantier de plantation a changé de nature. En effet il s’est rendu compte sur place, en discutant à droite et à gauche que le projet initial qu’il envisageait était en fait une forme de « green whashing » pour une grosse compagnie d’ananas qui d’un côté déboise et pollue pour ses cultures et d’un autre finance des projets comme celui que nous voulions mener pour soigner son image. Donc plutôt que de forêt nous planterons des fruitiers dans le village. 

L’entrée du village

 

Découverte du village : de surprises en émerveillements

Le lendemain matin j’accompagne Rémy dans son footing matinal. Je découvre le décor dans lequel je vais évoluer et auquel je vais contribuer par mon action ! C’est juste splendide. Nous remontons la « route » principale du village (route de cailloux) jusqu’au premier site de plantations. – Le but est de planter dans des endroits accessibles aux villageois pour qu’ils puissent se servir directement des fruits qui borderont cette circulation. – Puis nous continuons pour arriver à la fin de la route, à la lisière de la forêt. Rémy m’explique qu’il y a plusieurs sentiers qui mènent à différents endroits, dont un qui va rejoindre un site appelé « El bosquet primario » : la forêt primaire. 

Quand Longo Maï a acheté la parcelle (1200 ha), une partie de la forêt était exploitée et une autre était restée vierge. La communauté a pris le partie de préserver cet espace privilégié et c’est ainsi que je découvre qu’au bout du village où je réside il y a quelques 150 ha de forêt vierge. 

Forêt séculaire qui n’a jamais été exploitée, n’a subi aucune autre dégradation que celle du temps qui fait son œuvre. J’ai déjà tellement envie d’y aller ! Je me sens appelé, j’ai envie d’aller me présenter à ces arbres, de les embrasser, de les câliner, de les gouter ! 

Le lendemain nous attaquerons les trous de plantations … Nous achèterons ensuite les plants chez « Angelus » un pépiniériste dont les terrains sont sur la Finca. 

Chez Angelus le pépiniériste, avec Aron et Jona deux jeunes Autrichiens en service civique dans le village

Chez Angelus le pépinièriste, avec Aron et Jona deux jeunes autrichiens en service civique sur le village

Dès mon arrivée à La Finca je suis subjugué par les paysages, la lumière et la luxuriance de la végétation. Par exemple, je découvre ce qu’ils appellent la « Caña India » (Draceana indica). Ils se servent de cette plante pour faire des piquets de clôtures. Quand on n’y prête pas attention, on ne remarque pas que ces clôtures sont vivantes par leur seule volonté propre. Je m’explique : Pour faire leurs clôtures, les Ticos coupent des piquets de Caña India. Ces bouts de bois sont ensuite plantés dans le sol pour établir la clôture. Généralement on y cloue plusieurs fils barbelés, et voilà la clôture en place. Sauf que ces piquets font très rapidement de nouvelles racines, et de nouvelles feuilles. Et voilà ces clôtures qui reverdissent à vitesse grand V ! Je m’en suis rendu compte et j’ai été assez ébahi en voyant certains de ces piquets qui avaient été laissé au sol… Certainement jugés inaptes pour ce à quoi on les destinait, ils ont été jetés par terre sans plus de considération… Et par le simple contact avec le sol et les conditions climatiques favorables, ils se sont mis, eux aussi, à refaire de la végétation et à synthétiser de la matière organique ! Miracle de la vie. Oui, on peut le dire ainsi. Nietzche parle de « la pulsion de vie ». Jusqu’alors l’image que j’en avais c’était les bambous. Bambous qui, même sous nos latitudes, ont cette faculté de repousser à partir de fragments laissés aux sols…  C’est la même chose ici avec la Caña India. 

Les photos que je fais me semblent toutes merveilleusement belles. Et pour cause !!! Les couleurs et la lumière sont tellement belles ! 

Un piquet de Caña India qui refait des racines et du feuillage après avoir été jeté au sol

 

Le mystère de la « Pura Vida » s’éclaircit

Et si c’était ça la « Pura Vida » finalement ? Des conditions de vie telles que tout pousse, sans attention particulière. Des conditions de vie telles que chacun à de quoi manger et vivre dignement ?

En fait, c’est un peu ce que semblent vivre les Ticos et je commence à mieux comprendre cette expression qu’ils lancent à tout bout de champ. 

Ces gens flegmatiques et souriants semblent naturellement heureux et paisibles. Habitants d’un pays qui a renoncé à son armée en 1949 et qui a misé dès les années 1980 sur une économie liée à l’éco-tourisme en faisant du respect, du maintien et de la protection de la biodiversité un objectif national dont tous semblent très fiers. 

Le Costa Rica, c’est un tout petit pays de 51 000 km2 (en comparaison la France en fait près de 550 000, soit 10 fois plus). Ce sont 0,05% des terres émergées du globe qui accueillent près de 5% de la biodiversité mondiale. Douze zones climatiques différentes, des hauts plateaux du centre du pays avec ses chaines volcaniques, entourées de 2 océans, Pacifique d’un côté et Atlantique (mer des Caraïbes) de l’autre. 

Et des forêts en veux-tu, en voilà : forêts tropicales basses, forêts tropicales sèches, forêts humides d’altitude, forêts pluvieuses ou « de nuages »

Sur le plan économique, c’est un des pays les plus riches de la région, avec un taux d’alphabétisation de 98% et une espérance de vie qui avoisine les 80 ans. 

Le chantier et ses défis

A la Finca Sonador, le rythme est le suivant : levé aux environs de 5h, et départ pour le chantier vers 7h. Travail jusqu’à 12-13h, puis chacun fait ce qu’il veut. Je me lèverai plusieurs fois à 4h pour aller méditer en forêt ;-). On travaille la semaine, du lundi au jeudi ou vendredi et on profite des week-ends pour visiter les environs. 

Le chantier s’est avéré n’être pas très bien organisé et au total nous avons planté peut-être une cinquantaine de sujets quand nous aurions certainement pu en planter 10 fois plus. Qui plus est, nous avons vite compris sur place que ce n’était pas le bon moment pour planter des arbres puisque nous étions au début de la saison sèche et qu’il allait falloir suivre l’arrosage de très près alors que si nous avions planté 3 ou 4 mois plus tard, les conditions auraient été beaucoup plus favorables à la reprise. Mais c’était ainsi et j’avoue franchement que ce chantier était un prétexte pour partir à la rencontre de ce pays qui m’attirait depuis un bon moment. 

Rencontres sensibles avec les plantes et les arbres

Les premiers arbres que je côtoie lors de mes méditations, sont Chiricano et Chonta (orthographe phonétique), des arbres endémiques et emblématiques de ces régions. Mais je les ai rencontrés sans chercher à connaître leur nom. Pendant ce voyage et pour la première fois depuis très longtemps pour un voyage à l’étranger (et hors d’Europe qui plus est), je n’ai pas vraiment cherché à identifier les végétaux que je rencontrais. 

En 1995, lors de mon voyage en Polynésie après avoir atterri à Papeete, j’étais complètement perdu car je ne reconnaissais rien de la végétation. Jeune jardinier, je me sentais complètement démuni de ne rien reconnaître. Alors très rapidement je m’étais acheté une flore locale pour me rendre compte qu’en fait je connaissais la plupart des espèces. Simplement, je ne les reconnaissais pas dans leur environnement naturel et à leur taille naturelle. 

Le pothos (Scindicapsus),  par exemple, qui est une plante d’intérieur très commune chez nous doit avoir une feuille qui mesure entre 10 et 20 cm de long. Là-bas, elles mesuraient peut-être un mètre ou 1,5 mètre, donc l’échelle était totalement différente… 

Par la suite j’ai pris l’habitude quand je voyageais d’acheter dès l’arrivée des livres de reconnaissance des végétaux locaux pour me familiariser avec le pays. Je disais souvent que j’aimais bien connaître les plantes, par leur nom latin notamment car je me sentais partout chez moi sur la planète dès lors que je reconnaissais les plantes et que je connaissais même leurs « petits noms». 

D’ailleurs je me souviens que quand j’ai commencé à travailler avec Jean-Paul et Anne RIBES cela faisait écho à leur discours lorsqu’ils disent que le jardin de soin se doit d’être familier. Je me disais, en fait moi mon jardin c’est la planète. 

Mais pour ce voyage j’en avais décidé autrement. Je ne voulais pas rencontrer ces arbres et ces plantes de manière « intellectuelle », ou scientifique, à la manière d’un botaniste. Je voulais juste une rencontre sensible. Peu m’importait comment ces plantes s’appelaient, seules leur présence et notre rencontre m’importaient. J’ai donc arpenté les forêts sans me soucier de chercher à reconnaitre les êtres qui les peuplaient. Pas toujours facile pour moi de lâcher là-dessus. 

Mais les rencontres furent nombreuses et vibrantes. En fait là-bas on prend un vrai « shoot » de nature. 

C’est maintenant prouvé dans toute la littérature au sujet de la sylvothérapie, le contact de la forêt modifie beaucoup de choses en nous. Et même si je vis déjà ça au quotidien en France, au Costa Rica j’ai vraiment eu des sensations intenses. 

Après 2 années passées dans un contexte sanitaire hyper anxiogène et qui nous a privés d’une part de nos libertés, et notamment celle, pas des moindres, d’aller et venir à notre guise où bon nous semble, qu’il était bon de se sentir libre et au contact de cette nature luxuriante. Pour moi qui vis à Marseille, ville très minérale et très sèche, je redécouvre la joie de me retrouver dans ces forêts vertes et humides, au fil de l’eau. 

Après l’effort, le réconfort

 

Une douce ivresse avec la nature comme guide

Je ne vais pas vous raconter tout mon voyage car ce n’est pas le propos mais ce qu’il m’apparaît important de relater ici, au-delà de cette sorte d’ivresse douce causée par la nature c’est aussi la merveilleuse sensation d’être guidé en permanence par les végétaux et les éléments. 

Je le dis maintenant régulièrement dans les bains de forêt que j’anime une fois par mois : ces êtres sont de précieux alliés pour ceux qui « savent » les écouter. Et je mets exprès des guillemets car il ne s’agit nullement d’un savoir au sens de connaissance, et encore moins de secret, mais bien de compétences, ou de qualités que nous avons tous au fond de nous. 

J’ai redécouvert il y a peu sur un post de Romane Glotain cette citation de Victor Hugo : « C’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain n’écoute pas ».

Savoir écouter la nature qui nous entoure, c’est simplement être attentif. Attentif à cette nature, mais attentif avant tout à soi. Depuis tout petit, je vis une forme de paradoxe vis-à-vis de cette nature. Natif de Paris, je me suis toujours senti « en manque » de nature. Et dans notre société, tout nous pousse à nous croire séparés de la nature. On parle de l’environnement, comme quelque chose d’extérieur à nous-même. Et le paradoxe que j’ai toujours senti en moi, enfant et jeune adulte, était de croire comme on a voulu me l’inculquer qu’il y avait l’homme d’un côté et la nature de l’autre. Mais nous sommes la nature. 

Gilles Clément parle d’écologie humaniste. L’écopsychologie depuis les années 1990 nous dit que « la crise extérieure n’est peut-être finalement que le reflet de nos crises intérieures ». (Jean-Pierre Le Danf, revue L’Ecologiste, n°33 hiver 2010). Carl Jung parlait déjà de la dérive du monde moderne qui pousse les humains à se vivre comme séparés de la nature. 

Savoir écouter la nature c’est donc avant tout savoir s’écouter. Sentir ce qui est bon pour nous, sentir ce qui nous attire, sentir ce qui nous repousse. 

Et tout mon voyage s’est déroulé comme guidé par la forêt, la montagne, les océans et tous leurs habitants. 

Quelle merveille ! Tout du long j’ai eu la sensation d’être sur mon chemin. Toutes les portes s’ouvraient devant moi lorsque je voulais aller quelque part. J’ai rencontré plusieurs personnes (souvent des jeunes) à qui il arrivait des « galères ». Ils pensaient avoir « la poisse » et que moi j’avais « la baraka ». Mais je ne crois pas à cela et je leur disais d’accepter ce qui leur arrivait comme quelque chose de positif, même quand cela leur semblait difficile. 

Pour ma part à chaque fois que je n’arrivais pas à obtenir quelque chose, j’avais le sentiment profond que quelque chose de meilleur, pour moi, m’attendait autre part. A chaque fois que je ne pouvais pas aller quelque part, c’est qu’il y avait un autre endroit qui m’attendait. Je pense que c’est aussi ça, être à l’écoute de la nature, de sa nature. 

On parle souvent de la loi de l’abondance. Et beaucoup réduisent l’abondance à l’argent. Beaucoup attendent de cette loi naturelle, confort matériel et argent. Ce qui est compréhensible dans le contexte dans lequel nous vivons aujourd’hui et vu la place prépondérante que prend l’argent dans nos vies. Mais l’abondance, c’est avoir ce qu’il vous faut pour vivre, dignement et dans la joie. Ni plus, ni moins. Et pour ça nul besoin d’être riche.

Je dis souvent que je ne joue pas au Loto parce que je ne veux pas gagner. Je ne veux pas devenir riche. Que deviendrait le sens de ma vie si je devenais riche ? Que deviendrait mon discours si j’étais riche ? Les gens me diraient : « C’est facile de prôner la simplicité, et la confiance quand on n’a pas de soucis à se faire pour son avenir », sous entendu, pas de soucis financiers. Mais l’abondance c’est aussi, et surtout, avoir une bonne santé, être entouré de gens aimants, avoir un travail qui vous nourrisse intellectuellement, culturellement, humainement… Voilà ce qu’est l’abondance…

Vol de Pélicans au dessus du Pacifique

A l’écoute

Etre à l’écoute des arbres et de la nature, c’est donc être centré (on parle d’alignement aussi : esprit, corps, cœur) pour ressentir à leur contact, dans quelle direction aller. 

Certains poseront des questions directement. D’autres plutôt une intention, d’autres encore seront en réflexion, ou totalement ouverts, en état méditatif et sans pensées… Et les réponses peuvent être multiples et variées. Pour ma part parfois il s’agit de visualisations, d’autres fois d’intuition, ou encore de signes qui m’apparaissent comme évidents… Les réponses sont parfois immédiates, mais d’autres fois elles viennent plus tard. Il m’est arrivé de me sentir « en errance » et de « questionner » un arbre sans obtenir de réponse et puis deux ou trois jours plus tard, l’arbre m’apparaît subitement et la réponse avec, comme une évidence…

Trouvé sur mon chemin dans la forêt lors de ma méditation matinale, le lendemain d’une belle rencontre… Parfois les signes sont très clairs 😉 Faut-il encore les voir

Alors vous me direz qu’on s’est peut-être éloigné de l’hortithérapie dans ce voyage au Costa Rica et c’est vrai, je le conçois. Mais l’hortithérapie n’est rien d’autre qu’une application pratique parmi d’autres de cette harmonie que nous devons chercher à retrouver avec la nature, avec notre nature. Notre propre nature d’homme-animal et notre nature au sens où cet environnement est bien notre nature et pas La nature.

Forêt humide d’altitude – Cerro Chirripo