Quand les confinés redécouvrent la nature, la biophilie explose

Sous les pavés, le jardin urbain

Un mois plus tard, nous sommes toujours en mode #restezchezvous. Confinés à la maison à plein temps ou confinés chez nous après des expéditions à l’extérieur pour aller travailler. Certains se sont adaptés à ce rythme étonnant et y trouvent même des avantages (« Nous avons récupéré beaucoup plus de sérénité en famille et une vraie vie collective », m’explique une connaissance qui télétravaille et dont le mari s’occupe à 100% des enfants en ce moment). D’autres sont sans doute en train de cocher les jours sur le calendrier comme les prisonniers dans les films ou pire de péter les plombs en attendant la date du 11 mai qui ne sera pas magique. 

Ca dépend de beaucoup de facteurs, n’est-ce pas ? Je ne passerai pas en revue toutes les conditions psycho-sociales qui font que cette crise et ce confinement représentent une période plus ou moins agréable, plus ou moins supportable, plus ou moins déstabilisante, plus ou moins anxiogène. Ce serait impossible car nous sommes toutes et tous dans des situations particulières.

Mais je me rends compte que dans mon cercle familial, amical et professionnel, il y a un truc qui se passe. Pour celles et ceux qui ont la chance de pouvoir s’immerger dans la nature – d’une manière ou d’une autre – la rencontre est intensifiée, renouvelée. Comme si nous redécouvrions la simple joie d’être en contact avec le vivant avec une force neuve lorsque nous sommes moins distraits par tout le « bruit » habituel.

Fascination biophilique

Pour me rendre à mon job actuel, je fais à la louche 5 minutes de marche, puis 20 minutes de RER et encore 15 minutes de marche agréable le long d’une rue tranquille bordée de glycines, de lilas et de roses. Depuis presque deux ans que j’emprunte ce chemin, j’apprécie cette nature urbaine sur fond de chants d’oiseaux. Il m’arrive même de faire un exercice de pleine conscience, en me concentrant sur un de mes sens par exemple. Mais alors là en ce moment, c’est carrément une explosion de sensations. Au début et à la fin de mes journées intenses, j’anticipe avec délice cette marche. 

En sortant de chez moi, dans la fraicheur du matin, je regarde mon quartier avec un œil nouveau et je lève les yeux comme jamais. C’est plus facile car il y a très peu de monde et on ne risque pas de percuter un autre passant. Je découvre des balcons fleuris que je n’avais jamais remarqués. L’air est frais. Les oiseaux chantent et c’est un mystère de savoir où ils sont perchés. A ma destination, même expérience jubilatoire. Et à la fin de la journée, les glycines en fleur m’ont donné tellement de plaisir que c’est presque indécent. Je traversais la rue pour profiter du parfum de chaque treille et les laisser frôler mon visage. Las, leurs pétales séchés commencent à joncher le sol et leur vie fleurie s’achève. Mais les roses prennent le relais. Et les oiseaux ! Mais ils sont dingues de joie. OK, j’anthropomorphise beaucoup. Peut-être devrais-je dire plutôt que leurs chants me remplissent de joie.

Sur mon balcon, jamais mes radis et mes autres semis n’ont reçu autant d’attention. Je guette la pousse comme un miracle. Parce que le temps ralenti permet cette attention ? Parce que les voir sortir de terre donne comme une injection d’espoir ? Même chose dans le minuscule jardin partagé dans notre rue dont nous prenons un soin assez léger à tour de rôle. Son petit côté sauvage me plait de plus en plus. Le géranium herbe à Robert prend ses aises. La sauge et la monnaie du pape commencent à s’entremêler joyeusement. La promesse des fraises parisiennes et des framboises poitevines est déjà visible. Les hortensias exhibent un feuillage si vigoureux et des futures fleurs si prometteuses elles aussi. Le jardin fait sa vie. Les passants sont moins nombreux en ce moment, mais je les observe alors qu’ils reçoivent aussi en plein cœur ce message du vivant. Beaucoup d’entre eux sont attirés par le jardin comme « comme des phalènes vers une lampe » selon l’expression de E. O. Wilson.

D’ailleurs, c’est comme si, après avoir lu E.O. Wilson dans la théorie, je passais à la pratique en immersion. Tiens, ce billet avait été écrit après l’attentat du 13 novembre 2015 : je remarque en passant que tous les bouleversements potentiellement traumatiques ramènent certains, dont moi, à la nature. Un peu comme un enfant qui revient à sa figure d’attachement comme l’a décrit John Bolwby

« Je définirais la “biophilie” comme la tendance innée à se concentrer sur la vie et les processus biologiques. Depuis notre prime enfance, nous nous préoccupons avec bonheur de nous-mêmes et des autres organismes. Nous apprenons à faire le départ entre le vivant et l’inanimé et nous nous dirigeons vers le premier comme des phalènes vers une lampe. » E. O. Wilson

Une nouvelle connexion plus profonde

« Au début, j’ai fait du jardinage », m’explique une amie qui, aujourd’hui plus que jamais, éprouve une grande gratitude pour son jardin urbain. Et puis elle a fait une expérience qui l’a bouleversée : elle s’est sentie attirée par les plantes de son jardin d’une manière tout à fait différente de l’utilitaire et de l’habituel. Elle a pratiqué une observation détaillée, une immersion et vécu des moments de fascination qu’elle avait oubliées et qui lui ont rappelé des expériences d’enfance. D’ailleurs devant un iris venu de son jardin d’enfance et qui est en train de fleurir pour la première fois depuis longtemps, elle a ressenti des émotions intenses qu’elle a eu envie de partager.

Le mois dernier, j’ai parlé de Philippe Walch qui vient de publier le très beau et utile Et au milieu de l’hôpital fleurit un jardin. Si vous suivez Philippe sur les réseaux sociaux, vous savez qu’il aime partager des vidéos de jardins et de plantes. Avant le confinement, je les regardais déjà. Mais là, ses vidéos prennent une autre dimension. Son jardin après la pluie, un nid d’oiseau, un rosier absolument extraordinaire, ses vidéos nous plongent dans une sorte de ravissement. Voici une de ses vidéos. Merci à lui pour ce partage.

Beaucoup de gens à qui je parle en ce moment mentionnent la vue depuis leur domicile, leurs chères plantes d’intérieur qui absorbent les rayons du soleil ou bien leur bonheur d’avoir un jardin où ils peuvent se promener parmi les roses qui donnent aussi du plaisir aux passants ou bien pour certains jardiner, être actif, bouger leur corps. 

Dans toute situation stressante, nous nous appuyons sur les ressources à notre disposition en nous et dans notre environnement pour faire face. Aux ressources et comportements dysfonctionnels (violence, auto-agressivité, substances,…) peuvent répondre des ressources hyper adaptées comme la connexion au vivant. Au lieu de deux heures sur BFM, prescrivons-nous à nous-mêmes une petite dose de nature dans la mesure du possible, avec un esprit aussi ouvert que possible. Et observons avec curiosité ce qui se passe en nous (peut-être rien d’ailleurs). 

Les hortithérapeutes ne sont pas des Belles au bois dormant… 

Pendant le confinement, ceux et celles qui pratiquent l’hortithérapie ou l’écothérapie professionnellement continuent, dans le meilleur des cas, à prendre soin de leurs jardins même si les activités sont suspendues à cause des mesures actuelles. Un crève-cœur en plein printemps et à un moment où le besoin de nature et de dehors peut se révéler très fort comme on vient de le voir.

Les lecteurs très réguliers du Bonheur est dans le jardin se souviennent peut-être de Sally Cobb, une hortithérapeute américaine qui travaille dans le domaine de la fin de vie et des soins palliatifs (un lieu d’hospitalisation et l’accompagnement de patients à domicile à Greensboro, Caroline du nord). A 68 ans, elle déclare ne pas avoir l’intention de prendre la retraite tout en préparant sa relève. Elle s’occupe activement  des « healing gardens », l’espace autour de l’établissement hospitalier de 14 lits et d’un magnifique Children’s Garden, ainsi que de nombreux pots et conteneurs. Nous bavardons depuis quelques jours et je vous rapporte, avec sa permission, comment elle vit cette période de confinement dans l’état de la Caroline du nord. 

« Travaillant en extérieur, je peux continuer à venir travailler avec les restrictions liées au COVID-19! J’ai aussi appelé les patients que je visitais avant que cela n’arrive, et j’ai proposé d’apporter des fleurs fraîches coupées à laisser sur leur porche – les sept ont accepté. Je le fais une fois par mois parce que leurs maisons sont éparpillées dans toute la ville ! Je fais également attention aux patients ici sur notre terrain, en remplissant les mangeoires à oiseaux à l’extérieur de leurs chambres, et en m’assurant qu’ils ont des fleurs – pas de contact face à face en ce moment. »

« Je vous envoie des photos de Pâques. Pour les patients ici pour qui Pâques avait un sens – leurs familles ne pouvaient pas leur rendre visite, alors j’ai pensé que ce serait bien d’avoir le symbole des fleurs sur la croix. »

Le mois prochain, je vous parlerai d’autres hortithérapeutes qui nous raconteront comment ils se préparent au « monde d’après ». D’ici là, j’espère que vous aurez l’occasion de sentir les roses ou d’observer un ballet d’oiseaux dans le ciel…

Vue depuis une chambre d’AuthoraCare – Hospice &Palliative Care
Dans le jardin des enfants, la très touchante sculpture « Come take my hand ».

Soins palliatifs et deuil : le rôle des plantes

Hospice and Palliative Care of Greensboro en Caroline du nord est un établissement qui accueille des malades en fin de vie et propose des services gratuits aux personnes en deuil, adultes et enfants. Chaque jour, le personnel du centre se rend chez environ 400 patients hospitalisés à domicile. Mais le centre dispose aussi de 14 chambres privées.

Sally Cobb au jardin en compagnie d’un patient.

Il y a bien des années, Sally Cobb était une simple bénévole quand elle a fait remarquer que les plantes défraichies ne donnaient pas la meilleure image du centre. Elle s’est mise au travail pour créer un environnement plein de beauté pour les patients, leurs familles et le personnel. Aujourd’hui les chambres donnent sur plusieurs jardins magnifiques et le jardin des enfants est un endroit propice au recueillement et aux séances thérapeutiques.

Dans le jardin des enfants, la très touchante sculpture « Come take my hand ».

Les jardins sont simplement là pour le plaisir de tous. Sally n’offre pas de séance de jardinage. Mais parfois elle prend les devants. « J’avais entendu qu’une jeune fille handicapée de 19 ans qui venait ici suite à la mort d’un soignant et de son chien d’aveugle avait dit que le « jardin était magique ». Je lui ai parlé et on a planté ensemble des roses qu’elle a choisies. Je viens de lui trouver des fées à mettre dans le jardin », raconte-t-elle. Elle essaie de faire sortir les gens dans le jardin et les aide à jardiner s’ils en expriment l’envie comme ce jeune ado qui venait de perdre son frère. « Il se trouve qu’il a commencé à me parler de son frère, je ne commence pas la conversation. Je ne suis pas une thérapeute spécialisée dans le deuil, je suis là en soutien.»

Un panier propice à la stimulation des sens sert de démarrer la conversation quand Sally visite un patient.

Elle assiste toutes les semaines aux réunions de l’équipe soignante. Si elle entend parler d’un patient qui aime jardiner ou d’un autre qui semble renfermé, elle va les voir en apportant souvent son panier des sens pour lancer la conversation. Elle peut amener un bouquet pour la famille si le patient est sans connaissance ou de la lavande pour calmer un patient agité. « Je pars du principe que nous sommes tous les deux vivants aujourd’hui. On peut trouver un endroit pour se rencontrer. C’est une question de qualité de vie. Deux personnes atteintes de la même maladie et avec la même espérance de vie peuvent avoir des réactions différentes. Certains se diront que c’est déjà fini et d’autres essaieront de sortir de leur lit à tout prix. »

Sally est venue au métier de thérapeute horticole après avoir été enseignante, puis mère au foyer. « Après mon divorce, j’ai commencé à jardiner. Je me suis dit que quand je retournerais au travail, j’aimerais apporter aux gens le même bonheur que j’avais ressenti dans le jardin. Je n’avais pas envie de faire du paysagisme pour des gens riches. Je faisais du bénévolat à l’hospice, puis j’ai suivi la formation du Horticultural Therapy Institute avec Rebecca Haller. ». Sally est aujourd’hui une « registered horticultural therapist ».

Chaque papillon en métal symbolise un enfant mort à l’hospice. Au premier plan, un « vitex tree » ou « arbre chaste » à la forte odeur.

Plus rarement, Sally peut aider à créer un « memory garden », un jardin en mémoire d’un proche disparu. « J’ai aidé une femme qui avait perdu sa fille de 16 ans et qui voulait faire quelque chose pour célébrer sa vie. Le plus, c’est qu’un patient de l’hospice est venu travailler chez elle avec moi pour créer un jardin », se souvient Sally qui parle à des groupes de deuil sur le thème des jardins de mémoire. « Il suffit d’une jardinière. On peut planter du romarin, la plante du souvenir, ou attirer les oiseaux avec des mangeoires. Il faut se concentrer sur la personne et ce qu’elle aimait. »

Un patient visiblement très heureux, deux semaines avant sa mort.

« Qu’est-ce que vous aimeriez voir en face de vous à l’heure de votre mort ? Un mur, une télé ou un jardin ? » C’est la question rhétorique à laquelle Sally a répondu en concevant et en entretenant, avec des bénévoles et des dons, des jardins qui célèbrent la beauté et la vie.

La vue d’une des 14 chambres de l’hospice de Greenboro.

Plusieurs chambres ont vue sur le jardin de roses.

Sally a la chance de pouvoir compter sur de généreux dons comme celui-ci d’une pépinière locale.

Quand elle a demandé aux thérapeutes ce qu’ils aimeraient dans le jardin, ils ont suggéré un pont (même sans ruisseau) avec un siège pour deux. Le pont a été réalisé par une troupe de jeunes filles scouts.