Heidi Rotteneder : une hortithérapeute certifiée des deux côtés de l’Atlantique

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Heidi Rotteneder est hortithérapeute en Californie après une formation en Europe.

« My name is Heidi Rotteneder, I’m an HTR working in the Bay Area and I’m a member of the Horticultural Therapy Association of California. We are a group of Northern Californian Horticultural Therapists forming a new networking group for people working in this field….We organize network meetings, where we share our experiences, exchange ideas and discuss the progression of the profession. We also have created a Google group to share information and ideas. » Quand j’ai reçu ce message électronique de Heidi il y a quelques semaines, en tant qu’ancienne étudiante du Horticultural Therapy Institute, j’ai été intriguée en réalisant grâce à un rapide tour sur LinkedIn que Heidi était une hortithérapeute formée en Autriche et qu’elle travaillait dans la même clinique que Suzanne Redell près de San Francisco. Quelques jours plus tard, nous étions en train de discuter sur Skype.

« Cela faisait 15 ans que j’étais travailleuse sociale en Autriche. Je travaillais avec des adultes connaissant des problèmes financiers et d’autres problèmes. Je me suis rendue compte que je n’avais pas envie de faire toute ma carrière dans un bureau. Ayant grandi dans un milieu rural avec des grands-parents paysans, je ressentais l’appel de la nature. Je jardine depuis toujours », commence Heidi. « En Autriche, j’avais entendu parler de l’hortithérapie, un peu par accident. Mais j’ai vraiment appris qu’on pouvait se former en 2010 et je me suis lancée en 2013. » La formation qu’a suivie Heidi est une collaboration entre deux institutions universitaires : l’Université du Danube Krems qui est spécialisée dans la formation continue et le Collège universitaire pour la pédagogie agraire et environnementale. On peut trouver des informations sur leur programme conjoint en anglais et en allemand (plus détaillé). « Pour postuler, il faut déjà avoir un diplôme dans le domaine des sciences sociales, de la santé ou de l’horticulture. Les cours ont lieu un weekend par mois pendant deux ans. J’ai ensuite rédigé un mémoire final et j’ai effectué un stage de 150 heures dans plusieurs endroits », explique Heidi.

« Les cours sont un mélange de concepts en éducation, en sciences sociales, en horticulture et en santé. Pour mes stages, j’ai travaillé dans un accueil pour les réfugiés. Ils avaient chacun leur lopin de terre pour cultiver des plantes de chez eux et des plantes qu’on trouve en Autriche. Le deuxième stage était dans un programme résidentiel auprès d’adolescents et d’adultes souffrant de problèmes de santé mentale avec une composante de formation car ils devaient travailler soit dans la cuisine, soit dans le jardin pour produire des ingrédients pour la cuisine. De plus, j’ai créé un jardin dans un foyer pour enfants avec un processus participatif entre les aidants et les enfants. » En juin 2015, Heidi termine sa formation.

Go west, young woman

Et en août 2015, elle déménage avec sa famille en Californie où son mari vient de trouver un travail dans la Silicon Valley. « C’était un peu effrayant car j’étais nouvelle dans ce métier, il y avait la barrière de la langue et je ne connaissais personne. » Assez vite, Heidi rencontre Suzanne Redell qui l’aiguille sur la voie de la certification américaine pour qu’elle obtienne le titre de HTR (Horticultural Therapist Registered). Elle se lance dans cette certification : il lui faut valider 480 heures de stage qu’elle effectue au Cordilleras Mental Health Center dans la ville de Redwood City et suivre des formations complémentaires en horticulture qu’elle suit au Foothill College. C’est un peu un parcours du combattant car l’American Horticultural Therapy Association (AHTA) ne lui fournit pas d’information précise. En parallèle, Heidi a également obtenu une certification en Europe à l’IGGT, l’équivalent allemand de l’AHTA, car elle est persuadée qu’elle reviendra un jour…

IMG_2791« Aujourd’hui je travaille toujours à Cordilleras avec un groupe de passionnés d’hortithérapie. Suzanne et moi sommes toutes les deux HTR, une autre personne est en cours de certification et il y a une stagiaire » Car depuis 2012 quand j’avais évoqué ce programme et son démarrage ici, il a pris de l’importance avec le soutien de la direction. A l’époque, Suzanne intervenait trois jours par semaine auprès de deux groupes. Aujourd’hui, le programme fonctionne tous les jours avec des activités de groupe et/ou des séances individuelles. Les hortithérapeutes forment une équipe avec les ergothérapeutes et les travailleurs sociaux. Tous les résidents peuvent intégrer un groupe. Pour les séances individuelles, l’équipe a mis en place un système de recommandation. En tout état de cause, les hortithérapeutes sont au courant du diagnostic et des objectifs de chaque patient.

Heidi travaille le plus souvent avec des patients dans les unités fermés où ils sont hospitalisés entre trois et six mois. Ses patients ont reçu des diagnostics de personnalité borderline, de schizophrénie ou d’autres troubles psychiques. Ils arrivent dans un état stabilisé, parfois après un passage dans un hôpital public, même si de nouvelles phases aiguës peuvent les ramener à l’hôpital. « Un objectif peut être de terminer une activité pendant la séance, en les aidant à se concentrer, à avancer pas à pas et à finir. On peut aussi avoir pour objectif qu’ils aient une réflexion sur l’activité pour développer leurs capacités à s’exprimer et à interagir socialement », explique Heidi. En plus de ce travail à Cordilleras, Heidi accompagne des jeunes adultes qui ont différentes difficultés dans une activité de jardinage. C’est le programme SNAP (Redwood City Special Needs Program).

La volonté de rassembler les hortithérapeutes

Quant au groupe de professionnels qu’Heidi cherche à étoffer, il s’agit d’un groupe que Suzanne et d’autres hortithérapeutes de longue date avaient envie de relancer. « Nous nous rencontrons, notre prochaine rencontre est d’ailleurs en septembre. Nous voulons nous apporter du soutien, développer des outils professionnels et partager nos expériences. » La Californie avait à une époque un gros contingent de membres de l’AHTA. Mais il faut de nouvelles énergies parfois pour relancer les choses. « Les hortithérapeutes travaillent le plus souvent dans des institutions où ils sont seuls. Je ne connais pas d’autres endroits que Cordilleras qui emploient plusieurs hortithérapeutes. Ils ont donc besoin d’échanger », constate Heidi.

« Le mouvement pour se reconnecter à la nature est fort en ce moment », se réjouit-elle. « Mon rêve serait de créer une ferme thérapeutique avec des animaux, des légumes, des fleurs. J’aimerais travailler avec différents groupes. Cela pourrait être n’importe où, le futur est imprévisible. » Avec sa double certification aux Etats-Unis et en Europe, Heidi est dans une position unique d’aider des personnes qui souffrent et de faire avancer cette jeune profession. Ayant géographiquement fait le chemin inverse de Tamara Singh, Heidi a beaucoup à apporter à l’hortithérapie. Peut-être la retrouverons-nous un jour de ce côté de l’Atlantique…

Anne Ribes nous ouvre les portes de son jardin à la Pitié-Salpêtrière

Les fidèles lecteurs se souviennent peut-être de la thérapeute horticole californienne Suzanne Redell. Alors qu’elle préparait un voyage en Europe, Suzanne m’avait contactée pour me demander si je pourrais organiser la visite d’un jardin de soin pendant son court séjour à Paris. Le candidat parfait s’est imposé facilement : depuis 1997, Anne Ribes anime un jardin au sein d’une unité psychiatrique pour enfants à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. C’est certainement un des jardins de soins les plus anciens en France. Anne accepte de nous accueillir. Je ne vais pas rater cette occasion et je me dois d’accompagner Suzanne ! Il est si facile de se perdre dans les méandres de la Pitié…

Suzanne Redell (gauche) et Anne Ribes dans le jardin d'Anne à la Pitié-Salpêtrière

Suzanne Redell (gauche) et Anne Ribes dans le jardin d’Anne à la Pitié-Salpêtrière

Dans son tablier vert complété d’un ciré et de bottes jaunes, Anne est devenue une figure familière dans cette unité pédopsychiatrique de la Pitié-Salpêtrière. Les enfants l’appellent « Anne jardin ». Dans son livre Toucher la terre, Anne raconte les débuts de l’atelier Potager-Fleurs. «  Dialoguer avec les plantes exige de la régularité, des gestes posés, pensés, réfléchis et répétitifs dans le déroulement de l’atelier. Aller au jardin devient un rituel, avec sa tenue appropriée, gants, bottes, K-way, chapeau…A chaque fois, on commencera par constater ce qu’il y a de changé. On passera du temps à observer. On respectera le calendrier des travaux en taillant, en semant, en dédoublant carottes, navets en temps voulu, en arrosant les légumes qui le demandent », écrit-elle. « Dans la mesure où il s’agit d’enfants impatients, on privilégiera un potager-fleurs à pousses rapides et légumes fragmentés : radis, carottes, fraises…Dans la mesure où les enfants ont des difficultés d’expression, on privilégiera la sensation : terre sèche, terre humide, terre froide, terre chaude, terre granuleuse. »

Je pourrais citer le chapitre entier dans lequel Anne explique comment elle utilise ses 50 m2 (30 m2 supplémentaires viennent de lui être attribués) pour le bonheur des enfants de ce service qui a fait le pari de se concentrer sur des activités plutôt que des médicaments pour aider les enfants. Sur décision de leur médecin, ils viennent par groupe de 4 ou 5. Les enfants qui sont majoritairement autistes sont accompagnés par des soignants,  psychomotriciens ou éducateurs (un adulte pour deux enfants est le bon ratio). Les jeudis après-midis, Anne peut accueillir deux groupes de 45 minutes chacun. Avec des rituels donc. En arrivant au jardin, les enfants chaussent des bottes. A la fin de l’activité, ils écrivent dans le cahier avec Anne et boivent une tisane assis devant la cabane de jardin. Entre les deux, ils plantent, arrosent, récoltent selon les besoins du jardin. Ou ils se passionnent pour un escargot trouvé sur place.

L'arrosage est une activité très prisée des enfants.

L’arrosage est une activité très prisée des enfants.

Isabelle, la psychomotricienne qui accompagne les enfants le jour de notre visite, explique que les enfants apprennent à bêcher, à conduire une brouette, à ouvrir et fermer une porte. Mine de rien, ils travaillent des notions importantes pour leur schéma corporel en répétant ces gestes qui les ancrent dans la réalité. A la fin de la séance, une petite fille pétrit quelques feuilles qui se trouvent à sa portée. Isabelle précise qu’au début, elle arrachait systématiquement les plantes. Elle a beaucoup changé au contact du jardin. Suzanne observe à une distance respectueuse pour ne pas perturber les enfants. Mais après leur départ, elle discute avec Anne, lui montre des photos de son programme à elle en Californie. On sent des différences (l’approche américaine est sans doute plus cadrée et plus organisée), mais on sent surtout une conviction commune que travailler avec le vivant est bénéfique pour les personnes atteintes de troubles mentaux avec lesquelles elles travaillent toutes les deux. (D’autres photos du jardin Potager-Fleur de la Pitié à la fin du billet).

Quelques nouvelles du côté de Suzanne maintenant. Depuis que j’avais décrit voici plus d’un an son programme au Cordilleras Mental Health Center près de San Francisco, il s’en est passé des choses. Suzanne supervise actuellement trois stagiaires issus du Horticultural Therapy Institute. Une des stagiaire est la directrice clinique de Cordilleras qui, séduite par cette discipline, a décidé de l’étudier de plus près. Une belle victoire pour Suzanne ! Une autre stagiaire a 20 ans d’expérience dans le paysagisme et approfondit la dimension « pré-professionnelle » avec certains participants du programme de Suzanne. Le dernier stagiaire a pour objectif de créer un jardin de plantes indigènes en impliquant les résidents dans toutes les étapes du projet. Trois stagiaires, c’est du travail. Mais c’est aussi le signe que le programme est reconnu et ne cesse de prendre de l’ampleur.

Comme si cela ne suffisait pas, Suzanne conduit régulièrement des séances de formation sur la thérapie horticole auprès de personnel psychiatrique, de thérapeutes, d’infirmières dans la région. Pendant l’une de ses séances, elle a « séduit » le directeur adjoint du groupe auquel appartient Cordilleras (Telecare Corporation) qui aimerait introduire des jardins dans les autres établissements du groupe. Elle se lance avec un médecin dans une étude sur les bienfaits de la thérapie horticole et vient d’être contactée par l’hôpital du VA (Veteran Administration) qui voudrait créer un jardin dans son département de soins intensifs pour ces anciens soldats. Occupée, Suzanne ? Oui, plutôt !

Des pensées récemment plantées.

Des pensées récemment plantées.

Anne et Suzanne devant la cabane de jardin où sont entreposés bottes, outils, brouette, etc...

Anne et Suzanne devant la cabane de jardin où sont entreposés bottes, râteaux, binettes, bêches, brouette, etc…

Anne montre un cahier dans lequel elle consigne les activités du jardin (le temps, les travaux, les remarques des enfants,...)
Anne montre un cahier dans lequel elle consigne les activités du jardin (le temps, les travaux, les remarques des enfants,…)

Le jardin vient de s'agrandir...

Le jardin vient de s’agrandir de 30 m2 supplémentaires…

« Jardiner aide les schizophrènes à être dans le moment »

Suzanne Redell dans un oasis de verdure avec une patiente du Cordilleras Mental Health Center.

Suzanne Redell est une rescapée de la Silicon Valley qui a trouvé le bonheur dans le jardin. Après avoir travaillé chez Apple et dans d’autres sociétés high-tech, elle cherchait un environnement plus serein, moins sous pression. « J’avais vécu en Angleterre où j’avais vu les programmes impressionnants de Thrive, en particulier avec des adultes atteints de troubles du développement. Je n’avais aucun contact avec la nature dans mon travail et je voulais changer. Mon mari jardinait et le jardinage m’aidait à me poser. Après un diplôme en horticulture, j’ai appris qu’une école à Oakland, Merrit College, offrait une formation en thérapie horticole. » Suzanne possède également une maitrise en psychologie.

Sa première expérience sera auprès de jeunes adultes avec un double diagnostique d’addictions et de maladies mentales. Puis elle apprend l’existence d’un programme qui se lance plus près de chez elle, un programme s’adressant à des adultes handicapés cette fois. Elle se propose comme bénévole. De ce programme auquel elle aura participé pendant 7 ans, elle garde un souvenir ému. Un jeune homme atteint de paralysie cérébrale et participant à son programme annonce fièrement à sa mère : « J’ai un travail maintenant. » Son programme lui survit grâce à un cahier où elle consigne toutes ses activités pour que quelqu’un puisse continuer. Prochaine étape, un centre de jour pour personnes âgées, « un groupe de gens très intellectuels, souvent de l’université de Stanford, habitués à un jardin et vivant dorénavant en immeuble. »

Suzanne travaille individuellement avec certains résidents dans le cadre de leur formation professionnelle.

Depuis 5 ans, Suzanne est la thérapeute horticole au Cordilleras Mental Health Center dans la ville de Redwood City au sud de San Francisco. Cet établissement accueille 130 résidents atteints de troubles mentaux qui sont soit assignés sans possibilité de sortie (locked up), soit plus indépendants et ouverts vers l’extérieur. Elle intervient trois jours par semaine auprès de ces deux groupes. C’est une assistante sociale qui poursuivait des études de nutrition qui s’est dit que faire attention à la nourriture et proposer de l’exercice, comme le jardinage, seraient deux changements bénéfiques pour les résidents.

Suzanne et une patiente

Aussitôt un terrain de 8 000 m2 derrière la résidence est mis à disposition du programme et Suzanne est embauchée comme consultante. « C’est dans une zone préservée en pleine nature. On voit souvent des faucons. Je suis tombée amoureuse de cet endroit », explique Suzanne. « Quand cette assistante sociale est partie, j’ai eu peur pour le programme. Mais en fait il n’a fait que grandir et une des dirigeantes du centre est en train de suivre une formation en hortithérapie ! » Une serre vient d’être construite et le programme travaille maintenant individuellement avec des résidents qui reçoivent une formation professionnelle (vocational training).

Parmi les défis que présente cette population, Suzanne cite le caractère imprévisible des résidents. « Parfois leur maladie les met dans l’incapacité de venir à l’activité. Mais c’est un tel plaisir de les voir développer leur potentiel comme ce jeune homme de 25 ans à qui nous avons donné une zone dont il est responsable. Son défi a été de le nettoyer et de concevoir les plantations en demandant leur avis aux autres résidents. »

Un résident pendant l’arrosage

« Ils ont des hauts et des bas. Parfois le groupe commence mal. Récemment, une personne qui est schizophrène est partie en colère car on avait dérangé la routine. J’ai cru que tout allait mal se passer, mais une autre participante a fait un travail merveilleux, elle a désherbé une zone et planté des dahlias. On ne peut pas pousser les participants à faire quelque chose. Il faut arriver avec une attitude ouverte. » Le groupe de jardiniers va bientôt assumer la responsabilité d’entretenir les terrains autour du centre, un travail qui était jusque là confié à une équipe du comté. « Cela leur donne un sentiment de fierté. »

« Jardiner n’enlève pas la maladie mentale, mais cela améliore leur qualité de vie. Je peux attester que jardiner aide les schizophrènes à être dans le moment », conclut Suzanne qui se dit combler spirituellement par ce travail et reconnaissante « à un niveau viscéral ». Son programme a reçu plusieurs récompenses dont le Tony Hoffman Community Mental Health Services Award. « A la cérémonie, des résidents sont venus parler de ce que le jardin représente pour eux. »

La récolte est utilisée en cuisine dans le respect des objectifs de départ : une meilleure nutrition et de l’exercice.