L’Oasis : bientôt 30 ans d’atelier thérapeutique horticole pour des malades mentaux

Une grande première aujourd’hui sur Le bonheur est dans le jardin. Pour la toute première fois, je parle d’un programme français. Ce n’est qu’un début.

A Varennes le Grand entre Dijon et Mâcon, des patients de l’hôpital psychiatrique de Châlons sur Saône fréquentent l’Oasis, un atelier thérapeutique où ils travaillent au contact des plantes. Encadrés par quatre employés de l’hôpital (3 personnes à temps plein et une à mi-temps), ce sont huit patients qui peuvent bénéficier tous les jours de ce travail dans les serres où ils produisent des fleurs, et depuis peu des plants de légumes. Pourtant, le travail n’y est pas une fin en soi. Il apporte une aide à la restructuration dans le temps et l’espace, un réentrainement à l’effort.

L’Oasis à ses débuts dans les années 1980 avec un bus comme abri.

L’Oasis a vu le jour en 1983 sous l’impulsion du Dr Madinier et de M. et Mme Cléau, tous les deux infirmiers ergothérapeutes, suite à une visite du CAT Messidor à Lyon. Ce CAT était précurseur en matière d’ouverture sur la cité. Avec l’aval du corps médical, cette structure atypique fonctionnant comme une ergothérapie hors des murs s’est donnée pour objectif la réadaptation professionnelle et/ou sociale des malades mentaux. L’arrêté du 14/03/1986 relatif aux équipements et services de lutte contre les maladies mentales comportant ou non des possibilités d’hébergement donne un cadre à l’expérience et en 1989 une première convention est établie entre le CHS et l’Association qui a été créée pour gérer le succès commercial de la structure et apporter plus de souplesse. Depuis, l’Oasis fonctionne sans subvention. Le CHS met à disposition un terrain, ainsi que les installations nécessaires aux activités, les frais de téléphone, d’informatique et d’électricité et un véhicule.

« Certains patients sont encore à l’hôpital, mais la plupart sont sortis. Ce sont des adultes qui souffrent de différents troubles. Mais ils sont stabilisés et l’objectif de l’Oasis est de les remettre en contact avec une activité régulière », explique Céline Dreyer, une infirmière qui partage son temps entre l’Oasis et l’hôpital psychiatrique. « Ils peuvent venir jusqu’à trois fois par semaine à cet atelier qui est un soin parmi d’autres activités qui leur sont proposées. » A l’Oasis, les portes sont ouvertes de 7h30 jusqu’à 16h30. Dans le cadre de cette réhabilitation, les participants doivent présenter un certificat médical s’ils ne sont pas en mesure de venir travailler.

Les fleurs et les plants sont le travail des patients encadrés par une équipe soignante de quatre personnes.

Les patients s’engagent pour trois ans, une durée jugée suffisante pour se construire un parcours vers un travail le plus souvent en ESAT (Etablissements et Services d’Aide par le Travail, des établissements médico-sociaux qui relèvent du secteur protégé). Selon leur degré d’autonomie, ils peuvent travailler dans des unités d’horticulture et dans les espaces verts, mais aussi en cuisine ou dans d’autres services. Certains intègrent des équipes détachées dans des entreprises où un accompagnateur encadre une demi-douzaine de personnes.

« C’est une réhabilitation qui fonctionne bien s’ils sont volontaires. S’ils ont reconnus leur maladie et accepté leur traitement et ses effets secondaires, on voit une évolution en trois ans. Des gens qui à leur arrivée disent qu’ils ne sont plus bons à rien retrouvent de l’énergie », raconte Céline. « Ici, ce n’est pas un milieu hospitalier, il n’y a pas d’enfermement. Nous avons très peu de problèmes avec leurs troubles du comportement. S’ils ne se sentent pas bien, ils font faire un tour. » Céline aussi vit l’Oasis comme une bouffée d’oxygène après 7 ans d’expérience dans l’univers fermé de l’hôpital psychiatrique au contact de malades en crise.

La structure s’auto-finance grâce à plusieurs ventes de plantes tous les ans.

Plusieurs fois dans l’année, l’Oasis organise des ventes de fleurs et de plants. Son budget est d’environ 61000 euros et une partie des bénéfices est réinvestie dans l’outil de travail. L’Oasis propose aussi aux participants, qui ne sont pas rémunérés, des camps thérapeutiques (Corse, Espagne, Center Parks,…) et des après-midis de détente au plus fort de l’été (pêche, piscine,…).

« L’Oasis reste avant tout un lieu de soins. C’est un lieu d’écoute, de réassurance, de remise en confiance, de revalorisation. Le groupe  de patients y joue un rôle déterminant. En effet, les plus anciens aident les nouveaux à trouver leur place, ayant à  cœur de leur transmettre les connaissances acquises et l’esprit qui règne dans la structure ». Un programme pionnier en France qui fêtera l’année prochaine 30 ans d’existence.

Les patients travaillent au contact des plantes.

« Jardiner aide les schizophrènes à être dans le moment »

Suzanne Redell dans un oasis de verdure avec une patiente du Cordilleras Mental Health Center.

Suzanne Redell est une rescapée de la Silicon Valley qui a trouvé le bonheur dans le jardin. Après avoir travaillé chez Apple et dans d’autres sociétés high-tech, elle cherchait un environnement plus serein, moins sous pression. « J’avais vécu en Angleterre où j’avais vu les programmes impressionnants de Thrive, en particulier avec des adultes atteints de troubles du développement. Je n’avais aucun contact avec la nature dans mon travail et je voulais changer. Mon mari jardinait et le jardinage m’aidait à me poser. Après un diplôme en horticulture, j’ai appris qu’une école à Oakland, Merrit College, offrait une formation en thérapie horticole. » Suzanne possède également une maitrise en psychologie.

Sa première expérience sera auprès de jeunes adultes avec un double diagnostique d’addictions et de maladies mentales. Puis elle apprend l’existence d’un programme qui se lance plus près de chez elle, un programme s’adressant à des adultes handicapés cette fois. Elle se propose comme bénévole. De ce programme auquel elle aura participé pendant 7 ans, elle garde un souvenir ému. Un jeune homme atteint de paralysie cérébrale et participant à son programme annonce fièrement à sa mère : « J’ai un travail maintenant. » Son programme lui survit grâce à un cahier où elle consigne toutes ses activités pour que quelqu’un puisse continuer. Prochaine étape, un centre de jour pour personnes âgées, « un groupe de gens très intellectuels, souvent de l’université de Stanford, habitués à un jardin et vivant dorénavant en immeuble. »

Suzanne travaille individuellement avec certains résidents dans le cadre de leur formation professionnelle.

Depuis 5 ans, Suzanne est la thérapeute horticole au Cordilleras Mental Health Center dans la ville de Redwood City au sud de San Francisco. Cet établissement accueille 130 résidents atteints de troubles mentaux qui sont soit assignés sans possibilité de sortie (locked up), soit plus indépendants et ouverts vers l’extérieur. Elle intervient trois jours par semaine auprès de ces deux groupes. C’est une assistante sociale qui poursuivait des études de nutrition qui s’est dit que faire attention à la nourriture et proposer de l’exercice, comme le jardinage, seraient deux changements bénéfiques pour les résidents.

Suzanne et une patiente

Aussitôt un terrain de 8 000 m2 derrière la résidence est mis à disposition du programme et Suzanne est embauchée comme consultante. « C’est dans une zone préservée en pleine nature. On voit souvent des faucons. Je suis tombée amoureuse de cet endroit », explique Suzanne. « Quand cette assistante sociale est partie, j’ai eu peur pour le programme. Mais en fait il n’a fait que grandir et une des dirigeantes du centre est en train de suivre une formation en hortithérapie ! » Une serre vient d’être construite et le programme travaille maintenant individuellement avec des résidents qui reçoivent une formation professionnelle (vocational training).

Parmi les défis que présente cette population, Suzanne cite le caractère imprévisible des résidents. « Parfois leur maladie les met dans l’incapacité de venir à l’activité. Mais c’est un tel plaisir de les voir développer leur potentiel comme ce jeune homme de 25 ans à qui nous avons donné une zone dont il est responsable. Son défi a été de le nettoyer et de concevoir les plantations en demandant leur avis aux autres résidents. »

Un résident pendant l’arrosage

« Ils ont des hauts et des bas. Parfois le groupe commence mal. Récemment, une personne qui est schizophrène est partie en colère car on avait dérangé la routine. J’ai cru que tout allait mal se passer, mais une autre participante a fait un travail merveilleux, elle a désherbé une zone et planté des dahlias. On ne peut pas pousser les participants à faire quelque chose. Il faut arriver avec une attitude ouverte. » Le groupe de jardiniers va bientôt assumer la responsabilité d’entretenir les terrains autour du centre, un travail qui était jusque là confié à une équipe du comté. « Cela leur donne un sentiment de fierté. »

« Jardiner n’enlève pas la maladie mentale, mais cela améliore leur qualité de vie. Je peux attester que jardiner aide les schizophrènes à être dans le moment », conclut Suzanne qui se dit combler spirituellement par ce travail et reconnaissante « à un niveau viscéral ». Son programme a reçu plusieurs récompenses dont le Tony Hoffman Community Mental Health Services Award. « A la cérémonie, des résidents sont venus parler de ce que le jardin représente pour eux. »

La récolte est utilisée en cuisine dans le respect des objectifs de départ : une meilleure nutrition et de l’exercice.