Le jardin d’Olt : réalisations et bilan (1ere partie)

En mai 2013, Cécile Ratsavong-Deschamps, psychologue et présidente de l’association Médecines, Cultures et Paysages, nous présentait son projet de jardin à l’hôpital-maison de retraite Etienne Rivié à Saint Geniez d’Olt dans l’Aveyron. Dans le cadre d’un groupe de travail sur l’enfermement et la contention et avec une approche méthodique, elle avait décidé de concevoir un jardin et de mettre en place des ateliers pour les résidents. Des résidents qui sont pour la plupart des paysans qui, en entrant dans la maison de retraite, « ont fait le deuil d’aller dehors et de travailler la terre ». La psychologue nous fait la gentillesse de partager un bilan des activités du jardin au cours de la seconde partie de 2013. Je vous le livre in extenso.

La semaine prochaine, je partagerai des détails supplémentaires sur les ateliers de stimulation sensorielle et de mémoire ainsi que sur le projet de recherche que Cécile Ratsavong-Deschamps a présenté lors des 33e journées annuelles de la société Française de Gériatrie et de Gérontologie à Paris en Octobre.

« En Juillet, grâce à un don de mobiliers d’extérieur de Conforama, le jardin a pu être aménagé afin que les résidents en profitent durant l’été. Un déjeuner de travaux a été organisé. Les professionnels disponibles ont ainsi permis l’aménagement de trois carrés potagers en hauteur afin de jardiner debout.

Capture d’écran 2014-01-25 à 11.34.15Durant tout l’été, l’ergothérapeute et moi-même (psychologue) avons mis en place des ateliers de stimulation sensorielle pour les patients les plus dépendants de l’Unité de Soins de Longue Durée. Ces ateliers s’adressent aux résidents présentant des troubles cognitifs et de la communication ; des troubles gnosiques : agnosie visuelle (reconnaître les objets et les images), agnosie spatiale (reconnaître les lieux), agnosie temporelle (se situer dans le temps) ; des déficits sensoriels et physiques : troubles de la vue et/ou de l’audition, perte du tonus musculaire. Ils ont pour objectifs de stimuler les résidents afin de les éveiller et de leur permettre de sortir un peu de leur repli sur soi.

Les ateliers mémoire ont pris place dans le jardin chaque semaine et grâce aux dons de nombreuses maisons d’édition, les livres ont permis à chacun de se réapproprier des savoirs et de les partager.

Durant les vacances de la Toussaint, la météo restant clémente, les plaisirs du jardin ont pu se prolonger. La Ligue de Protection des Oiseaux est venue nous parler des oiseaux de nos campagnes et enfants et résidents ont construit des mangeoires.

Un artiste peintre est venu aider les résidents et les enfants du centre de loisirs à décorer les grands couloirs vitrés qui mènent au jardin. »

Cécile Ratsavong-Deschamps juge le bilan de ce premier été globalement positif, mais tire quelques enseignements de certaines difficultés qu’elle compte mettre en œuvre au printemps.

  • Un manque de compétences et/ou de coordination dans la mise en place des activités liées au jardinage. Dans les équipes, personne n’est formé à l’hortithérapie. Nous manquons de personnel qualifié et de matériel pour mettre en place des activités de jardinage adaptées aux résidents. Nous allons nous doter dans les semaines à venir de carrés potagers en hauteur accessibles aux fauteuils roulants.
  • Des problèmes d’arrosage se sont posés pendant tout l’été. Il en a été de même pour l’entretien des carrés potagers au sol. Les résidents ne sont pas capables de s’en occuper et l’équipe d’animation ne s’est pas encore emparé du jardin comme outil d’animation. Nous avons donc travaillé cet été à l’élaboration d’une convention de jardin partagé avec le centre de loisirs du village. Les enfants accueillis le mercredi et pendant les vacances scolaires pourront venir cultiver, quand ils le souhaitent, les carrés potagers au sol qui leur seront réservés. Les résidents pourront se consacrer aux carrés potagers en hauteur et des moments de partage et de travail collectif prendront donc place dans le jardin. Nous espérons insuffler ainsi une dynamique. De plus, les travaux de restauration de la grande salle attenante au jardin sont terminés. Cette salle sera inaugurée pour les fêtes de Noël. Les résidents pourront s’approprier les lieux et aux beaux jours profiter du jardin dans la prolongation de cette salle d’animation colorée et conviviale.
  • Le jardin n’est pas perçu par tous comme un outil de soins. Nous continuons donc notre travail de communication et formons les professionnels à l’intérêt des approches non médicamenteuses. C’est notamment dans ce but que nous avons mis en place une recherche. Nous souhaitons évaluer l’impact du jardin sur les troubles du comportement, l’humeur et l’anxiété des résidents. Nous avons présenté cette étude sous forme de poster lors des 33e journées annuelles de la Société Française de Gériatrie et de Gérontologie à Paris en Octobre.
Les résidents et les enfants ont fabriqués des mangeoires pour les oiseaux.

Les résidents et les enfants ont fabriqué des mangeoires pour les oiseaux.

Le travail de l'artiste, des résidents et des enfants du centre de loisirs.

Le travail de l’artiste, des résidents et des enfants du centre de loisirs.

Le Jardin d’Olt : les résidents d’une maison de retraite rurale renouent avec la terre

Le patio de 800 m2 était jusque là inutilisé et inaccessible.

Le patio de 800 m2 était jusque là inutilisé et inaccessible.

Remède contre l’enfermement, le jardin intérieur de l’hôpital-maison de retraite Etienne Rivié à Saint Geniez d’Olt dans l’Aveyron est né d’une contrainte architecturale et du constat d’une psychologue nouvellement arrivée. « Nous étions confrontés à un problème avec deux unités fermées pour les personnes les plus dépendantes qui n’avaient aucun accès sur l’extérieur à cause d’une pente non conforme pour les fauteuils roulants. Des personnes sont coincées là depuis des années et ne peuvent que rarement aller dehors quand un soignant peut les accompagner », explique Cécile Ratsavong-Deschamps, psychologue et présidente de l’association Médecines, Cultures et Paysages. « Ce qui m’a frappée, c’est que pour la plupart des résidents et de leurs familles il est naturel d’être dehors et de cultiver la terre. En entrant en institution, ils font le deuil d’aller dehors et de travailler la terre. » Les deux unités fermées hébergent 70 personnes, dont une vingtaine se déplacent avec un déambulateur et le reste en fauteuil roulant. Un tiers des résidents sont atteints de démences de type Alzheimer, un tiers de troubles psychiatriques anciens et enfin un tiers sont en fin de vie et en soins palliatifs.

Citadine récemment débarquée dans ce milieu rural, Cécile constate que « leur vie agricole est la seule chose dont ils parlent avec animation et qui les rend vivants. » Avec le médecin de l’unité, elle forme un groupe de travail sur l’enfermement et la contention. Une alternative à l’enfermement est naturellement d’aller dehors. Les unités disposent justement d’un patio de 800 m2 qui n’est pas utilisé. Tirer profit de cet espace devient une évidence. « En lisant les articles principalement américains, je me suis rendu compte qu’il fallait un projet cohérent et adapté à notre population. Si on ne permettait pas l’accès pour tous, c’était l’échec assuré. »

Le projet proposé par la paysagiste Laurence Garfield.

Le projet proposé par la paysagiste Laurence Garfield.

Le groupe de travail procède avec méthode : une analyse des besoins sonde à la fois les résidents, leurs familles et le personnel. Terrasse à l’ombre, oiseaux et poissons, jardinage avec une préférence pour la culture des fleurs, les envies se dessinent. L’ergothérapeute et le kiné de l’établissement s’associent au projet et une paysagiste, Laurence Garfield, se met au travail. Elle vient de rendre un avant-projet pour l’aménagement du jardin intérieur. La phase conceptuelle a été financée grâce à des subventions du Conseil général, de la mairie et du Crédit Agricole. L’établissement a également donné une subvention à l’association Médecines, Cultures et Paysages qui s’est créée justement pour être porteuse du projet et obtenir des financements plus facilement. « Nous nous heurtons à des problèmes financiers et institutionnels. Ce n’est pas simple de mettre en place un tel projet », reconnaît Cécile.

Sur ce chemin difficile, il y a de bonnes nouvelles qui mettent du baume au cœur : le prix Mémoire Vive de la Carsat de Midi-Pyrénées assorti d’une subvention en 2012, puis un Trophée de l’accessibilité 2013 dans la catégorie Collectivité territoriale de moins de 5000 habitants décerné par le Conseil National du Handicap et l’association Accès pour tous. « Ce trophée nous a permis de communiquer vers l’extérieur et d’avoir une reconnaissance institutionnelle. Cela donne de l’élan. » Outre rendre le jardin accessible librement, l’idée est bien de proposer des ateliers de jardinage et d’hortithérapie. « Personne n’est formé ici. Nous aimerions envoyer quelques personnes se former à Toulouse [formation à l’hortithérapie sous la direction de Jean-Luc Sudres à l’université Toulouse-Le Mirail, NDLR] », explique Cécile. « Nous voulons que les résidents se réapproprient le rapport à la terre dont ils ont fait le deuil et transmettent leur savoir. »

Des bénévoles arrachent des haies pour faire place à des carrés de culture et des jardinières de récupération.

Des bénévoles arrachent des haies pour faire place à des carrés de culture et des jardinières de récupération.

Courant mai, les premières activités ont animé le jardin. Le temps d’un weekend, des bénévoles (sans argent, on se débrouille autrement) ont arraché des haies et retourné la terre. Huit carrés au sol ont été préparés et des jardinières en bois ont été récupérées auprès de la mairie (récup et débrouillardise là encore). « Depuis, nous avons fait deux premiers ateliers mémoire au jardin. Trois professionnelles – une animatrice, une ergothérapeute et moi – avons travaillé avec cinq résidents à la fois. On a choisi des fleurs, des couleurs et où les mettre. Moi, je travaille le côté mémoire et transmission de leur savoir-faire. L’animatrice va les aider à réaliser les plantations. Les résidents pourront travailler sur les jardinières et elle fera le travail au sol. » Résultat de cette première expérience au jardin ? « Ils étaient enchantés. Chacun y trouve sa place pour s’exprimer à sa façon. »

La bande de bénévoles qui a entrepris les premiers aménagements début mai.

La bande de bénévoles qui a entrepris les premiers aménagements début mai.

L’intention de l’équipe est de mener un projet de recherche pour mesurer l’impact du jardin sur la qualité de la vie et les troubles du comportement chez les résidents. « On voit beaucoup d’anxiété, d’agitation et de déambulation parce qu’ils sont enfermés. Je vois que les anglo-saxons travaillent sur l’évaluation. J’ai l’impression qu’en France, les choses qui se font sont moins valorisées. » Pour l’instant, le jardin n’est pas ouvert librement car cela nécessiterait des travaux d’aménagement importants. « Mais c’est prévu dans le projet », affirme Cécile avec optimisme.