Patricia Hasbach, une psychologue pionnière de l’écothérapie

L’écopsychologie et l’écothérapie m’intéressent au plus haut point car ce sont des sujets qui touchent directement mon travail de psychologue depuis 5 ans. C’est pourquoi j’avais envie de revenir sur ce sujet que j’ai déjà abordé dans le passé (voir Géraldine Poncelet et sa pratique en Suède, l’expérience de Yann Desbrosses en région parisienne, Stéphanie Martin et ses consultations dans la nature du côté d’Aix-les-Bains ou encore Beth Collier à Londres).

Et qui de mieux placé pour en parler que Patricia Hasbach, une psychologue américaine qui s’est intuitivement dirigée vers ces pratiques à la fin des années 80 et en est devenue une des théoriciennes ? Diplômée d’une thèse en psychologie, psychothérapeute agréée, consultante, autrice et enseignante à l’université, elle propose au sein de son cabinet Northwest Ecotherapy des services de thérapie et de conseil aux adultes de tous âges, aux couples, aux familles et aux groupes avec une spécialisation dans les problèmes relationnels, les problèmes de santé, les transitions de la vie, les problèmes de carrière et la gestion de l’anxiété et de la dépression. Et elle est donc une pionnière dans la pratique de l’écothérapie, « une méthode de traitement qui reconnaît les bienfaits thérapeutiques des interactions avec la nature ».

Apprendre que Patricia habite à Eugene dans l’Oregon, mon alma mater où j’ai étudié le journalisme dans les années 80, était la cerise sur le gâteau. Je pouvais parfaitement imaginer la ville où elle vit et travaille. Ce fut une grande joie de recevoir sa réponse positive à ma demande et de causer avec elle récemment. Depuis sa maison dans la magnifique vallée de la McKenzie River, elle a répondu à mes questions.

La première étincelle

Evidemment, ma première question était de savoir comment Patricia avait commencé à s’intéresser à la connexion à la nature dans son travail de psychologue. Qu’est-ce qui avait déclenché cet intérêt ?

« Je n’avais jamais entendu parler d’écopsychologie, un terme inventé en 1995 par Theodore Roszak. Ce n’était pas quelque chose dont on nous parlait pendant nos études de psychologie. Voilà comment ça a commencé. Au début de ma carrière, à la fin des années 1980, j’avais un cabinet libéral et je travaillais avec un hôpital local où j’aidais des patients qui avaient eu des problèmes cardiaques autour des questions sociales et émotionnelles. A cette époque, chercher de l’aide auprès d’un psychologue était encore stigmatisant, surtout pour les personnes d’un certain âge. Pourtant la dépression et l’anxiété sont assez communes après ces événements et peuvent faire obstacle à la guérison. J’avais pris l’habitude d’aller me présenter aux patients lorsqu’ils venaient faire leur rééducation. C’étaient des patients qui avaient quitté l’hôpital et on sait qu’il peut y avoir pas mal de doutes à ce moment-là sur la capacité à reprendre une vie normale. Je repense à ce patient, un homme qui travaillait dans une pépinière. Il était nerveux et résistant à l’idée de me parler. Mais il se trouve que l’hôpital venait d’ouvrir une cour intérieure avec des plantes. Je lui ai proposé d’y aller et il s’est mis à me parler des plantes, celles qui avaient une chance de s’épanouir dans ce lieu et les autres. Il était enfin à l’aise et il a pu parler de ses peurs. » Voilà comment, par un matin de printemps et en suivant une intuition, une carrière peut être profondément transformée.

« Ce fut un « ha ha moment » », confirme Patricia. « A l’époque, mon cabinet donnait sur une rue et avait une vue sur des arbres. Je pense que nous savons instinctivement ce dont nous avons besoin et j’ai toujours eu un bureau avec une vue de la nature. Sauf un, mais je n’y suis pas restée longtemps ! » Un bon début, mais comment approfondir cette intuition d’un lien entre la nature et le travail thérapeutique ?

De nouveau, le hasard l’aiguille. « En 1996, j’ai reçu dans le courrier une brochure pour un atelier de trois jours en Californie sur l’écopsychologie pour les enseignants. Dans le cadre de la santé mentale à l’école, il s’agissait de comprendre comment connecter les étudiants à la nature. Je suis allée à Palo Alto pour cet atelier. J’y ai rencontré Allen Kanner, co-éditeur de l’anthologie Ecopsychology : Restoring the earth, healing the mind avec Theodore Roszak et Mary Gomes publié en 1995. C’était une validation de mon intuition. A cette époque-là, on ne commandait pas les livres sur Internet. On allait dans une librairie et on devait ensuite attendre une ou deux semaines ! Ces livres m’ont passionnée. »

Dans le Pacific Northwest, les choses deviennent sérieuses

« En 2004, j’ai déménagé dans le Pacific Northwest où les gens sont très outdoorsy. Ils passent beaucoup de temps dehors et sont actifs », raconte Patricia. Le Pacific Northwest est la grande région regroupant l’Oregon, l’état du Washington, l’Idaho et la Colombie Britannique au Canada, une région bordée à l’est par les Rocheuses et à l’ouest par le Pacifique, une région très connue pour sa « nature sauvage ». « J’ai recherché l’animateur de l’atelier et je l’ai retrouvé à l’Université de Neropa à Boulder dans le Colorado. J’ai suivi un master de psychologie transpersonnelle avec une mineure en écopsychologie, puis des études post-doctorales sur le sujet. Cela m’a amenée à devenir une des pionnières de ce mouvement. » 

Définir l’écopsychologie n’était pas facile à l’époque. « Nous n’étions pas clairs et nous avons dû développer notre « elevator pitch ». L’écopsychologie est un champ de la psychologie qui s’intéresse à la relation des humains avec le monde naturel dont nous faisons partie. Plus tard lorsque j’ai enseigné dans le programme d’écopsychologie à l’université Lewis & Clark à Portland en Oregon pendant 13 ans, nous demandions aux étudiants de développer leurs propres définitions de l’écopsychologie et de l’écothérapie. »

Pour continuer à développer ce champ de la psychologie, Patricia a notamment co-édité en 2012 un livre avec Peter Kahn, professeur à l’Université de Washington : Ecopsychology: Science, Totems, and the Technological Species (MIT Presse). Dans une interview pour le journal Ecopsychology à la sortie du livre, voici ce qu’elle disait : « Peter et moi considérons l’écopsychologie comme le domaine qui est prêt à intégrer ce que nous appelons notre « moi totémique » – notre relation ou notre parenté avec le monde plus qu’humain (more-than-human world), pour emprunter un terme à l’anthropologie – à la culture scientifique et à notre moi technologique. »

Je vais prendre le temps d’inclure une autre citation de cette même interview sur la direction prise par l’écopsychologie après la première génération : « Je peux décrire les cinq orientations que nous avons retenues. La première était l’inconscient écologique, la reconnaissance de l’existence de processus inconscients, y compris ceux de l’identification et de la répression, non seulement dans la relation avec d’autres personnes, mais aussi avec la terre elle-même. Nous nous sommes inspirés du travail de Ted [Theodore] Roszak à cet égard, ainsi que de celui de Paul Shepard.

La deuxième orientation sur laquelle nous nous sommes concentrés était l’expérience sensorielle directe du phénomène de la nature, en tant que source réelle et fondamentale de connaissance et de joie, et en tant que moyen de réaliser pleinement notre potentiel humain. Il s’agit là de l’aspect phénoménologique, et nous nous sommes fortement inspirés des travaux de David Abram. La troisième orientation dont nous nous sommes inspirés est la reconnaissance de l’interconnexion de tous les êtres – représentée par la Théorie Gaïa et l’Ecologie Profonde – selon laquelle la vie humaine est interdépendante des autres vies humaines, de la vie non humaine et du monde non humain, et que nous avons besoin de cette interdépendance.

Quatrièmement, nous avons examiné le niveau transpersonnel, les interactions avec la nature qui conduisent à une santé mentale optimale et aident à développer un sentiment de paix intérieure, de compassion et de confiance qui nous pousse à aller de l’avant dans le service et, enfin, le niveau transcendantal, qui s’engage dans une métaphysique du surnaturel. Telles sont, une fois de plus, les perspectives profondes sur lesquelles nous voulions nous appuyer pour essayer de concevoir ce à quoi pourrait ressembler une écopsychologie revisitée. »

La théorie nourrit la pratique

Dans le cabinet ou hors du cabinet, à quoi ressemble la pratique de l’écothérapie de Patricia ? « Après l’atelier en Californie et de retour sur la côte Est, j’ai commencé tout doucement à intégrer la nature de manière plus intentionnelle dans ma pratique. J’ai commencé à tremper un orteil dans l’eau au cours du premier entretien. En les interrogeant sur leur famille d’origine, je demandais aux patients s’ils avaient des souvenirs spécifiques de moments passés avec tel ou tel membre de leur famille. Souvent, ces souvenirs avaient trait à être dehors, à pêcher, à jardiner. C’est surtout après ma formation à Neropa que j’ai inclus des questions plus spécifiques en leur demandant de me raconter des souvenirs – merveilleux ou effrayants – dans la nature ou bien ce qu’ils aiment faire dehors et combien de temps ils y passent. Je m’intéresse à leur contact passé et actuel avec la nature. Cela ouvre le sujet dès la première séance. »

De manière « organique », le sujet du lien à la nature arrive de plus en plus directement dans les entretiens par le biais du changement climatique, des nouvelles du monde, des grands feux qui ravagent la région. « Les patients sont réconfortés que ces sujets soient importants dans la thérapie ». Depuis 9 ans, Patricia exerce dans un bureau le long de la Willamette River, l’autre rivière qui traverse Eugene. « Mon bureau est à l’étage avec quatre grandes fenêtres qui donne sur les arbres. Je suis dos aux arbres et le patient a une vue directe sur eux. J’ai une fontaine qui apporte une paix sensorielle. Par ailleurs, il y a toujours des fleurs dans mon bureau. Si la fontaine n’est pas allumée ou que j’ai jeté les fleurs, les patients le remarque immédiatement. Les couleurs et les textures sont choisies intentionnellement. J’ai aussi un panier avec des éléments trouvés dans la nature (des pierres, des lichens, des branches,…) qu’ils peuvent utiliser pour exprimer quelque chose de difficile. Nous travaillons avec des métaphores venant de la nature. »

« Talk and walk sessions » et marches sur ordonnance

Patricia propose ce qu’elle a baptisé des « talk and walk sessions », des sessions dehors où on parle et on marche. « Avoir un bureau dont on peut sortir directement le long de la rivière est un plus. C’est plus facile que d’avoir à se déplacer et à programmer un rendez-vous spécial. On peut décider à la dernière minute de sortir faire la session à l’extérieur ou pas », explique la psychothérapeute. « Je remarque que le fait d’être en mouvement et de marcher côte à côte diminue l’anxiété. Les patients sont moins agités que dans le bureau. Pour les jeunes gens, c’est plus facile de s’ouvrir car être dehors normalise la rencontre. Dehors, on n’est pas dans mon espace, mon bureau. Dehors n’appartient à personne. Cela contribue également à les mettre à l’aise. Oui, il y a souvent d’autres marcheurs ou des gens à vélo. Nous échangeons souvent une salutation en tant que membres d’une communauté « outdoors ». Nous en parlons avant de sortir : comment réagir si on croise quelqu’un qu’on connaît. On peut attendre un peu si on parle de quelque chose de sensible ou se tourner vers la rivière si on ressent des émotions fortes. »

« Ces sessions permettent de voir les feuilles d’automne ou un cerisier en fleurs au printemps, mais aussi des animaux dont beaucoup d’oiseaux. Je remarque aussi qu’il y a des heureux hasards, des événements qu’ils connectent à leur expérience. Quelqu’un qui venait de recevoir une mauvaise nouvelle inattendue a remarqué en voyant une oie canadienne se poser maladroitement sur l’eau qu’il se sentait comme cette oie. » D’autres psychothérapeutes mentionnent cette possibilité pour les patients de faire des parallèles éclairants entre leurs ressentis intérieurs et leur perception d’évènements extérieurs.

« Plus récemment, je me suis procurée un bloc pour faire des ordonnances de nature. L’inspiration est le programme Park Prescriptions (ParkRx) lancé par Dr. Robert Zarr, un pédiatre de Washington, DC. J’ai contribué à recenser les parcs disponibles dans ma région pour ce programme. Au début, j’étais assez vague. Mais je suis devenue plus directive. Je leur donne des « devoirs » que nous concevons ensemble et j’écris ce que nous avons décidé. Quand ils reviennent, ils ont fait leurs marches ou autres devoirs. Cela a un impact. Nous avons maintenant assez de bonne recherche sur le sujet et la prescription de nature va devenir une « best practice ». J’espère que les assurances santé vont le reconnaître. Des médecins travaillent avec ces organismes pour faire reconnaître l’intérêt pour l’obésité ou le trouble de déficit de l’attention. »

Recherche et acceptation

Vous aurez un aperçu des publications de Patricia Hasbach sur sa page dédiée. Une des recherches dont elle est le plus fière s’est intéressée aux impacts d’images de la nature sur les personnes vivant dans des environnements gravement dépourvus de nature. « On estime que 5,3 millions d’Américains vivent ou travaillent dans des lieux privés de nature tels que les prisons, les refuges pour sans-abri et les hôpitaux psychiatriques. Un tel éloignement de la nature peut entraîner une « extinction de l’expérience » qui peut conduire à un désintérêt ou à une désaffection à l’égard des milieux naturels, voire à une biophobie (peur de l’environnement naturel). Les personnes qui ne passent que rarement – ou jamais – du temps dans la nature seront privées des nombreux bienfaits physiques et émotionnels que procure le contact avec la nature », était le constat de départ.

Et voici les conclusions de l’étude. « Nous rapportons les effets d’expériences de nature par procuration (vidéos sur la nature) offertes à des détenus de prisons à sécurité maximale pendant un an, et nous comparons leurs émotions et leurs comportements à ceux de détenus à qui on n’a pas offert de telles vidéos. Les détenus qui ont regardé des vidéos sur la nature ont déclaré se sentir nettement plus calmes, moins irritables et plus empathiques, et ont commis 26 % d’infractions violentes en moins que ceux qui n’ont pas regardé les vidéos. Le personnel pénitentiaire a corroboré ces résultats. Cette recherche renforce la valeur de l’exposition à la nature en tant qu’outil puissant, non seulement pour les administrateurs pénitentiaires, mais aussi pour les urbanistes et les décideurs politiques, afin de promouvoir des comportements socialement souhaitables. » Cependant, elle n’aimerait pas que cette étude serve d’excuse pour substituer de simples images à une exposition à la vraie nature.

Aux yeux de la psychothérapeute, l’American Psychological Association (APA) a mis du temps à se saisir du sujet, mais elle est dorénavant complètement engagée. Elle juge normal d’avoir attendu d’avoir assez de données probantes et conseille d’ailleurs de consulter ecoAmerica pour s’informer sur la recherche la plus actuelle. Par exemple, ecoAmerica a collaboré avec l’APA pour produire une nouvelle édition de Mental Health and our Changing Climate : Children and Youth Report, publiée le 11 octobre dernier.

« Je suis très encouragée, pleine d’enthousiasme. En tant que thérapeute, nous avons l’habitude de considérer le patient dans sa dimension intra-psychique, dans ses relations interpersonnelles, dans son système familial et dans ses interactions avec la société et la culture. L’écopsychologie ajoute un nouveau cercle en plaçant le patient dans son système écologique et en prenant en compte sa relation ou sa déconnexion avec les impacts sur le bien-être. »

La crise du changement climatique

« Un autre facteur qui alimente l’intérêt pour l’écopsychologie et l’écopsychothérapie est le niveau d’émotions liées au changement climatique. Il s’agit de profonds facteurs de stress, chroniques et aigus. En septembre 2020, nous avons eu des feux terribles dans la vallée de la McKenzie, 700 maisons ont brûlé et des gens ont été évacués au milieu de la nuit. Ca a duré deux semaines. J’ai vu ensuite des personnes qui avaient des  troubles du stress post-traumatique. Nous sommes la nature. A un niveau très profond, nous vivons un deuil que nous en ayons conscience ou pas. La dépression est endémique. Je me demande quelle est la part d’une douleur profonde et non reconnue pour le monde plus qu’humain. Si en tant que thérapeute, nous n’avons pas ces éléments sur notre radar, comment pouvons-nous arriver jusqu’aux plus profonds niveaux de la dépression ? »

Grounded, un livre pratique pour le grand public

Une partie de la réponse est dans son dernier livre, Grounded (Simon and Schuster, 2022), un livre né de la pandémie Covid. « J’ai été contactée pour écrire ce livre en pleine pandémie. L’éditrice m’a dit que mon nom ressortait constamment dans ses recherches. L’objectif était d’apporter certaines de mes pratiques au grand public pendant cette période. Les urbains, même s’ils ont grandi au contact de la nature, en deviennent vite éloignés. La nature est autour de nous tout le temps, mais cela demande un effort. » Le livre a été bien reçu et entendre que des thérapeutes le conseillent à leurs patients lui fait chaud au cœur. «  La pandémie a augmenté la conscience de l’interconnexion. Elle a aussi permis aux gens de ralentir et d’apprécier le temps passé à la maison. » Le livre n’est pas disponible en français, mais il est écrit dans un anglais très accessible.

Et pour ponctuer cet échange nourrissant avec Patricia Hasbach que je remercie sincèrement, je vous signale la parution en français en octobre 2023 du livre de Theodore Roszak, Allen Kanner et Mary Gomes. Ecopsychologie : Le soin de l’âme et de la Terre est publié chez Wildproject. Et de plus la tenue d’une journée d’étude…demain, mardi 7 novembre, par la Chaire de Philosophie à l’hôpital du Cnam. Une belle façon de célébrer cette traduction française, 28 ans après la publication de l’original.

Trois professionnelles de la santé mentale s’allient à la nature

Pour conclure 2021, la parole à trois femmes croisées électroniquement ou dans la vraie vie et dont j’avais envie d’avoir des nouvelles. Je leur ai demandé où en étaient leurs projets autour du jardin et de la nature et je partage avec vous leurs réponses. Merci à elles.

Stéphanie Martin : psychologue, elle consulte dans la nature

Comment en êtes-vous venue à vous intéresser aux médiations autour du jardin/de la nature?

J’ai exercé  en tant que psychologue clinicienne pendant une dizaine d’années au sein d’établissements médico-sociaux, accueillant des personnes porteuses de handicap. Ces dernières années ma pratique a énormément évolué,  à travers mes besoins propres et auxquels j’ai trouvé un écho auprès de mes patients. Je me suis d’abord formée à la florithérapie, c’est-à-dire aux fleurs de Bach. J’ai découvert un autre univers à travers cet outil, et la puissance de la connexion avec les fleurs m’a amenée à me questionner différemment. J’ai commencé à proposer les fleurs de Bach aux patients que je suivais en institution, et j’ai pu observer des résultats incroyables. Il m’est ensuite apparu comme une évidence qu’il fallait aller plus loin, et j’ai très fortement ressenti le manque de connexion à la nature dont de nombreux patients souffraient. Cela m’est venu en observant le décalage qu’il pouvait y avoir entre les attentes et représentations de mes patients et la réalité du temps qui passe, des saisons, et du temps nécessaire à la maturation psychique. Lorsque l’on mettait en lien par exemple la saisonnalité avec le temps psychique, d’autres perspectives apparaissaient. En fait, une grande partie de mes patients vivaient en foyer d’hébergement, dans un bâtiment situé sur le même lieu que leur lieu de travail (ESAT). Ils passaient d’un bâtiment à l’autre, et en dehors des sorties organisées avec le foyer ou les associations partenaires, ils n’étaient que très peu en lien avec la nature.

J’ai alors commencé à proposer des consultations à l’extérieur, en marchant, notamment à une patiente pour qui je sentais au plus profond de moi que c’était cela dont elle avait besoin. Nous sommes allées dans un petit bois tout proche de l’établissement, et c’est comme si le contact avec la nature, avec les feuilles au sol, avec les couleurs, la luminosité, la reconnectait peu à peu à la vie. J’ai vu son niveau d’anxiété baisser drastiquement au cours de cette courte consultation, et je l’ai sentie s’apaiser au fil de la balade.

Suite à cela j’ai commencé à imaginer un espace thérapeutique en institution, sous forme de jardin. Un espace préservé, pensé pour et avec les patients, où l’on pourrait à la fois proposer des consultations, des groupes thérapeutiques, des temps de méditation, etc…, et à la fois laisser un accès libre afin que chacun puisse s’approprier cet oasis. J’ai alors commencé à faire des recherches en ce sens et j’ai découvert qu’il existait d’autres lieux comme celui que j’imaginais. Malheureusement la conjecture du moment n’a pas permis à ce projet de voir le jour.

De mon côté j’ai ensuite quitté le milieu médico-social avec lequel je me sentais de plus en plus en décalage pour m’installer en libéral, avec toujours en tête cette idée de jardinage thérapeutique.

Quelle est votre implication actuelle ?

Actuellement, je viens d’ouvrir mon cabinet de psychologue clinicienne et psychothérapeute en ville. Je n’ai pas pu trouver un lieu d’exercice qui me permettait d’avoir un jardin thérapeutique sur place, mais j’ai trouvé un cabinet avec une immense baie vitrée donnant directement sur un bel espace de verdure, avec en fond d’un côté les montagnes et de l’autre le lac du Bourget. Cela a été mon compromis pour finalement avoir quand même la nature au sein du cabinet !

Je reçois les patients (enfants, adolescents, adultes) au cabinet, où je leur propose différents outils pour accompagner la psychothérapie. Je travaille toujours avec les fleurs de Bach comme alliées du travail psychique. Et surtout, je propose également des consultations à l’extérieur, en milieu naturel. J’ai la chance de travailler dans un cadre exceptionnel, où les espaces naturels sont proches et accessibles (bords de lac, forêt, jardin vagabond…), alors je m’en saisis pour accompagner mes patients.

Je continue également d’accompagner des personnes en situation de handicap, ce qui a été ma spécialité pendant de nombreuses années. J’utilise différents moyens de communication et de support thérapeutique afin de m’adapter aux spécificités de chacun. Nous mettons aussi en place ensemble des outils qui permettent de transposer dans la vie quotidienne ce qui est travaillé en séance.

Enfin je suis en train de me former en phytothérapie et aromathérapie afin de compléter ma palette thérapeutique et de proposer un accompagnement plus global de chaque personne.

Quels sont les projets que vous souhaitez entreprendre dans ce domaine?

D’ici quelques temps je vais également proposer des groupes thérapeutiques au jardin, en partenariat avec une maraîchère permacultrice. Nous attendons le printemps pour que la saison soit plus appropriée, et aussi que ma patientèle soit plus développée afin de construire un projet solide.

J’ai pas mal d’idées qui bouillonnent dans ma tête, des envies de partenariats avec d’autres professionnels, des envies de formation… mais j’essaie de me raisonner et de ne pas tout attaquer en même temps ! Moi aussi j’apprends à me reconnecter à la saisonnalité, et au temps réel de la vie !

Pour en savoir plus sur Stéphanie, vous pouvez visiter son site.

Marion de Lamotte : infirmière, elle accompagne des patients au jardin

Comment en êtes-vous venue à vous intéresser aux médiations autour du jardin/de la nature?

Depuis ma plus tendre enfance, la nature fait partie de mon environnement. J’ai grandi à la campagne, puis m’en suis éloignée pour me centrer sur mes études d’infirmière. 

J’exerce depuis 15 ans dans un hôpital psychiatrique en Vendée, le centre hospitalier Georges Mazurelle qui est réputé pour son parc paysager, pensé pour le bien être des patients, soignants et famille (voir le portrait de Dominique Marboeuf en 2014, son successeur est Michel Grelier). Sur les premières années, en collaboration avec l’équipe et le paysagiste de l’hôpital, j’ai monté de petits projets de jardins attenants aux unités d’hospitalisation. De petits « havres » de tranquillité pour les patients mais qui se pérennisaient rarement dans le temps, faute de moyens et car la mobilité nous amène à changer régulièrement de poste. 

En 2016, je suis arrivée sur un Hôpital de Jour pour une durée de 4 ans, structure de l’hôpital proposant des activités thérapeutiques. J’ai tout naturellement monté un groupe Jardin, avec une collègue infirmière et un groupe de 7 patients. Groupe ayant lieu tous les lundi matin. La dimension thérapeutique a pris tout son sens au travers du cadre proposé, des objectifs posés et du temps régulier mis à disposition pour la pratique mais aussi pour la régulation du projet. Le jardin a entièrement été conçu avec le groupe. Une expérience collective très riche. 

C’est vraiment sur cette période que les questions sur mon devenir professionnel se sont dessinées, que j’ai pris connaissance des savoirs théoriques et scientifiques existants et que j’ai contacté la Fédération Française Jardins Nature et Santé dont je suis devenue membre sympathisante. J’ai récemment décidé d’en devenir membre active.

En parallèle, depuis la naissance de mes enfants, j’avais eu besoin de la nature et du jardin pour me restaurer psychiquement et physiquement. J’ai donc pu expérimenter personnellement et collectivement les bienfaits de la nature. Je me suis tournée vers la permaculture qui m’a apporté une vision et une éthique proche de mes valeurs, qui m’accompagne aujourd’hui dans mon quotidien personnel et professionnel.

Quelle est votre implication actuelle ?

Depuis un an, je suis sur une autre structure de jour de ce même hôpital. Le fonctionnement est le même que sur l’hôpital de jour avec une dimension sociale approfondie du soin.

J’accompagne donc un groupe de 7 patients souffrants de pathologies psychiatriques, avec une collègue ergothérapeute, sur un jardin partagé dépendant d’une maison de quartier de la ville. Au-delà de l’aspect groupal, où se travaille déjà le lien à l’autre, se joue l’aspect sociétal, emprunt de représentations de la maladie mentale et le but est d’étayer puis autonomiser les patients dans la restauration ou la mise en place d’un lien à l’autre sécurisant. Le jardin faisant tiers dans la relation. Les autres aspects de la médiation sont également déployés à savoir la dimension physique, psychique et cognitive. 

Il y a un peu plus d’un an, je me suis formée au Jardin de soin module de base de Chaumont sur Loire, pour asseoir et formaliser des pratiques, acquérir des connaissances et surtout échanger avec des professionnels intéressés.

Quels sont les projets que vous souhaitez entreprendre dans ce domaine?

Depuis 2 ans, je réfléchis, en collaboration avec l’actuel responsable des espaces verts de l’hôpital, à un projet de jardin partagé sur l’hôpital. Un évènement que nous avons nommé « Parlons jardin » a réuni au mois de novembre les équipes et usagers intéressés par le sujet pour échanger sur les pratiques actuelles et lancer une dynamique collective et participative de réflexion. Un souhait commun, voir les premières plantations au printemps 2022.

Je suis persuadée que ce type de projet répond aux enjeux actuels. Il peut redynamiser l’institution, créer du lien entre les équipes, favoriser le bien être des patients, des soignants, des familles, créer un « ailleurs » ressource, faire des ponts avec des projets culturels et être favorable à la biodiversité et aux enjeux écologiques.

Pour ma part, après avoir argumenté, défendu le projet, rencontré des partenaires, mon avenir se dessine ailleurs. Je déménage à Angers prochainement et n’emporte pas mon statut de fonctionnaire avec moi. Je souhaite cependant continuer à œuvrer dans cette dynamique et proposer mes services aux institutions et aux particuliers ayant des problématiques de santé et voulant y répondre par l’intermédiaire du jardin. 

Pour retrouver Marion de Lamotte, voici son compte LinkedIn.

Elisabeth Cuchet Soubelet : chercheuse en reconversion, elle choisit un jardin thérapeutique comme terrain de stage

Comment en êtes-vous venue à vous intéresser aux médiations autour du jardin/de la nature ?

De formation scientifique, j’ai fait de la recherche pendant plus de 25 ans dans l’industrie de l’imagerie médicale. Chercheuse en innovation technologique puis responsable de la recherche clinique, j’ai collaboré avec des chirurgiens du monde entier. Si ce métier m’a passionné, il impliquait aussi beaucoup de travail, de responsabilités, de voyages et de stress. J’ai essayé la méditation pour réduire ce stress, mais c’est une pratique que je trouve difficile. Par contre, j’ai crée il y a 3 ans un petit jardin sur le toit de mon garage en banlieue parisienne, qui est rapidement devenu mon lieu « ressource » : je me suis rendu compte que quelques minutes passées les mains dans la terre ou à regarder les insectes butiner me permettaient de m’apaiser. 

Il y a quelques mois, j’ai vécu une période difficile, entre le rachat de mon entreprise et des difficultés personnelles. J’ai alors décidé de partir « changer d’air » quelques jours en me formant à la permaculture dans la Drôme, à l’université des Alvéoles.  Ce stage a été pour moi une révélation : j’ai découvert que la permaculture ne touche pas seulement au végétal mais aussi à l’humain ! Cette approche écosystémique bienveillante où l’humain retrouve toute sa place au sein de la nature, qui allie des connaissances scientifiques très poussées mais laisse aussi une grande part à l’expérimentation du travail de la terre, m’a permis de me ressourcer et de me remettre en marche. Ce temps passé au plus près de la nature a été pour moi une véritable thérapie : en seulement une semaine, j’avais retrouvé l’envie de faire des projets et de me projeter dans l’avenir. 

Au retour de ce stage, à 53 ans, j’ai quitté mon travail et je me suis inscrite à l’université, en master de psychologie, avec l’idée d’explorer le pouvoir thérapeutique de la nature. J’ai alors découvert la littérature scientifique déjà très importante sur ce sujet, et trouvé de nombreux contacts grâce à la Fédération Française Jardins Nature et Santé. 

Quelle est votre implication actuelle ? 

Grâce à la FFJNS, j’ai pris contact avec l’hôpital Cognac Jay où je suis actuellement en stage de M1 de psychologie en service nutrition et obésité. Cet hôpital a été rénové en 2006 par l’architecte Japonais Toyo, autour d’un magnifique jardin. Anne Surdon, médiatrice en jardin thérapeutique, y organisait des ateliers thérapeutiques jusqu’à l’arrivée de la pandémie de COVID 19.  Anne avait envie depuis quelques mois de proposer à nouveau ces ateliers, et mon souhait de mener un projet de recherche sur les effets thérapeutiques du jardin pour les patients souffrants d’obésité a motivé toute l’équipe à redémarrer cet atelier. Je suis encore en phase de définition de mon projet de recherche, mais j’ai déjà observé lors du premier atelier combien les patients étaient fiers de ce qu’ils avaient pu réaliser au jardin !

Quels sont les projets que vous souhaitez entreprendre dans ce domaine?

Je souhaite dans deux ans exercer en tant que psychologue clinicienne, en tant que soignante, et utiliser la nature comme médiation thérapeutique dans ma pratique. Je reste cependant passionnée de recherche clinique, et j’aimerais donc pouvoir continuer à mener des recherches sur la valeur thérapeutique de la nature, en particulier pour des patients souffrant de psychopathologies sévères. 

Pour retrouver Elisabeth Cuchet Soubelet, voici son compte LinkedIn.

Bon courage à toutes les trois ! Bonne fin d’année à vous toutes et tous.