Anne-Françoise Pirson : l’hortithérapie made in Belgium

J’ai eu le plaisir de rencontrer Anne-Françoise Pirson à la dernière assemblée générale de la Fédération Française Jardins, Nature et Santé. C’était fin janvier à l’école du Breuil, haut lieu de la formation à l’horticulture dans le Bois de Vincennes à Paris, où notre communauté grandissante se réunissait en compagnie de Gilles Clément. Une journée inspirante et joyeuse, des retrouvailles attendues après une période très « distancielle » et de nouvelles rencontres comme celle d’Anne-Françoise. Elle vient de rejoindre la FFJNS qui compte quelques membres hors des frontières françaises. Car Anne-Françoise avait fait le déplacement de Mons en Belgique où elle vit et vient de lancer une nouvelle aventure : le jardin qui prend soin.

« En Belgique, il existe quelques projets comme celui d’Alain Flandroit au Centre Hospitalier Universitaire et Psychiatrique de Mons-Borinage. Je vais aussi aller visiter d’autres projets, notamment à Bruxelles où un psychologue de formation est salarié d’un hôpital en tant qu’hortithérapeute », raconte Anne-Françoise, elle-même psychologue. « Cependant, l’hortithérapie me semble moins développée qu’en France. Quand je prononce ce mot, personne ne voit de quoi je parle parmi les responsables d’institutions de soin, les soignants, les métiers du végétal ou les politiques. » Ce qui n’arrête pas Anne-Françoise comme cela n’arrête pas toutes les personnes convaincues des bienfaits de la nature pour les êtres humains en situation de fragilité ou pas !

Anne-Françoise Pirson privilégie le vélo pour se déplacer dans Mons.

Le chemin qui mène à l’hortithérapie

Après ses études de psychologie, elle débute dans cette profession par des remplacements en psychiatrie et dans d’autres domaines où elle accompagne des patients en état de crise, des enfants placés ou encore des migrants nouvellement arrivés. Et puis la vie l’emmène dans une autre direction : un mari cuisinier, l’école hôtelière et un restaurant de produits du terroir sur les principes de l’économie circulaire et des circuits courts. Avant un nouveau virage vers un poste de vente de logiciels spécialisés pour les établissements de soin. « A l’approche de la quarantaine, j’avais besoin de sens et j’ai cherché un travail de psychologue conseil que j’ai trouvé dans une mutuelle. Mon moteur était l’accès et le remboursement des soins en santé mentale. Certaines choses ont bien marché, mais j’étais frustrée par le peu d’impact de mes actions malgré un travail qui prenait mes jours, mes soirs et mes weekends. »

« Le Covid est arrivé, on travaillait en visio. Et là, j’ai fait un burn out. La personne qui m’a accompagnée, Véronique, m’a suggéré un jour de réfléchir à mon rapport à la nature. Je me suis dit qu’elle était folle, que c’était pour m’occuper. Et puis comme j’avais confiance en elle, j’ai acheté un cahier pour écrire et là, c’est monté en moi et je me suis dit que j’avais trouvé ce que je voulais faire pour le reste de ma vie. Elle avait écouté ce qui me ressourçait et entendu ce lien fort avec la nature. »

Une double formation, théorie et pratique

Avec cette idée en tête, Anne-Françoise part à la recherche d’une formation. Elle se tourne d’abord vers le Canada et Mitchell Hewson, le premier hortithérapeute à obtenir le titre de « horticultural therapist registered » dans son pays et membre honoraire du Canadian Horticultural Therapy Association (CHTA). Cette formation à distance lui fournit les bases théoriques indispensables. Pour une approche « les mains dans la terre », elle se déplace en région parisienne pour suivre la formation de Terr’Happy, également membre de la Fédération Française Jardins Nature et Santé. Elle terminera cette formation le mois prochain. « La formation est active car on fait des ateliers avec des bénéficiaires et des soignants. Et puis on rencontre d’autres professionnels avec d’autres pratiques, ce qui ouvre le champ des possibles. » En parallèle, elle lit beaucoup. En anglais principalement. Elle déplore bien sûr l’absence de formation en Belgique.

Il ne faudrait pas oublier une formation au maraichage bio suivie en 2014, « parce que j’aimais et que je voulais apprendre à titre personnel, avec peut-être déjà une idée de reconversion ». Dans le cadre de cette formation, un stage dans une ferme proposant de l’insertion socio-professionnelle donne une autre base intéressante à sa reconversion. Et au départ, une sensibilité et une expérience depuis tout le temps : le goût de jardiner, de faire de la randonnée, d’aller en vélo. Tout un état d’esprit.

A la ferme Delsamme lors d’un stage d’un an dans le cadre de sa formation en maraîchage biologique

La naissance du jardin qui prend soin

Prochaine étape après les formations canadienne et française, le lancement de sa société Le jardin qui prend soin actuellement hébergée dans une couveuse d’entreprise et qui a vocation à devenir une association à but non lucratif (une Association Sans But Lucratif ou ASBL en Belgique). Sur son site, très pédagogique, Anne-Françoise évoque son parcours et explique ce qu’elle peut apporter à des établissements désireux de faire entrer la nature dans leurs pratiques. Elle a également organisé des webinaires pour expliquer son approche et sensibiliser à l’hortithérapie. LinkedIn est un autre outil utile et efficace pour se faire connaître et faire connaître l’hortithérapie. En octobre 2021, en quête de contact avec d’autres professionnel.les, elle rejoint la Fédération Française Jardins Nature et Santé.

Comme dans tout démarrage, il y a des jours enthousiasmants qui apportent de bonnes nouvelles et d’autres moins drôles où des projets tombent à l’eau comme ce jardin qui ne se fera pas dans une structure qui accueille des femmes et des enfants fuyant la violence. Le CA de la structure a décidé d’assigner le budget à réaménager l’intérieur plutôt que l’extérieur ! D’autres projets sont en discussion : un jardin pour une maison attachée à l’hôpital universitaire de Mons et accueillant pour des soins de support des personnes qui vivent un cancer, des contacts avec des maisons de retraite en Wallonie, le périmètre d’action d’Anne-Françoise.

Des ateliers d’hortithérapie au cœur du Musée des Beaux-Arts de Mons

Et la semaine dernière, une excellente nouvelle avec la confirmation d’un projet qui lui tient à cœur. « Le jardin du Musée des Beaux-Arts de ma ville, le BAM à Mons, m’accueille du 3 mai au 15 septembre pour 10 ateliers hortithérapeutiques. C’est un test que nous faisons ensemble en vue d’un projet de jardin plus grand et plus pérenne dans les années à venir, mais aussi d’une belle réflexion et collaboration sur l’accueil des publics différenciés, l’être dedans et dehors, la nature et la culture, la stimulation sensorielle, l’éveil des visiteurs et la place à l’expérience. Certains trouveront peut-être étrange de s’adosser à un musée avec un jardin hors institution, mais le musée et moi nous y voyions énormément de sens. » Non, pas étrange du tout !

« Il s’agit de 10 ateliers découverte », continue Anne-Françoise. « Chaque atelier sera vécu une seule fois par un petit groupe issu d’une institution, chaque fois différente. Ce sont des ateliers d’une heure trente, suivi pour les groupes qui le souhaitent par une visite guidée adaptée de l’exposition en cours dans le musée. Le premier atelier du mois de mai a été réservé par une maison de soins de support pour personnes ayant à faire face à un cancer. Les institutions visées sont très diverses : personnes âgées, personnes handicapées, déficients visuels, secteur de l’aide à la jeunesse, soins de santé primaire et communautaire, public précaire et sortant d’une période de sans-abrisme, psychiatrie dans et hors les murs. »

« Nous avons prévu un espace de stimulation sensorielle avec beaucoup d’aromatiques et de fleurs comestibles mais aussi deux bacs pour PMR et un bac pour travailler debout également où nous réaliserons des cultures potagères de printemps et d’été. Ce sera, je l’espère, pour moi l’occasion de montrer aussi de petits outils adaptés. »

« Aujourd’hui, mes journées sont variées, pleines de sens. Je fais de belles rencontres. Et autour de moi, mes proches pensent que ce projet me correspond », conclut Anne-Françoise. Comme quoi, une période de crise peut être porteuse de changements positifs ou comme dirait son accompagnatrice, « Vous avez réussi votre burn out ».  Quant à nous, en France, nous sommes très heureux qu’Anne-Françoise ait trouvé des ressources utiles et une communauté de cœur avec les autres membres de la FFJNS. Je crois même comprendre qu’un projet commun serait en discussion avec une membre française…A suivre.

Pour joindre Anne-Françoise : anne-francoise.pirson (at) lejardinquiprendsoin.be

En parlant de suivre, voici des nouvelles qu’Anne-Françoise m’a fait parvenir en décembre 2022. Je vous les livre en direct.

  • Au niveau du « véhicule entrepreneurial » : J’ai quitté la couveuse d’entreprise et créé une association sans but lucratif, tout en reprenant un travail de salariée à mi-temps pour couvrir mes besoins personnels :
    • Cela correspond plus à nos valeurs ;
    • Autres avantages :  il n’est pas possible de suspecter l’activité de quelques façons que ce soit – non il n’y a pas d’intérêt personnel et financier à cette activité ;
    • Permet de participer à des appels à projets (seul ou en collaboration avec d’autres)
  • Le projet test des ateliers au jardin du musée s’est très bien passé, son évaluation est très positive. Le point essentiel que nous retenons c’est que travailler sur l’espace public ajoute une très belle dimension à quasi tous les objectifs que l’on peut poursuivre en atelier. Voici le lien vers une vidéo qui parle de ces ateliers
  • Le jardin qui prend soin a lancé deux études de projets pour des jardins thérapeutiques en maisons de repos, l’une en Gaume à la campagne sur un grand terrain, l’autre à Huy, dans un contexte urbain, sur un plus petit terrain. Les deux études de projets sont portées par une petite équipe locale que j’accompagne pas à pas dans les réflexions (personnel de différents horizons, résidents, ouvriers, direction) sur la dynamique et le sens du projet, l’analyse des besoins à rencontrer, les aménagements à faire, la palette végétale ;
  • Nous sommes de temps en temps interpellé pour faire des petites conférences ou des micro-formations sur l’hortithérapie ou encore pour participer à tel ou tel salons ;
  • Nous avons reçu un morceau du budget participatif de la ville, soit un budget de 16.017€ (à utiliser sur deux ans) afin d’aménager un tiers-lieu jardin thérapeutique adossé à un musée du Pôle muséal de ma ville. Cela fait suite aux ateliers découvertes menés en été 2022 dans le jardin du musée des beaux-Arts. Cette fois, et grâce au budget décroché, nous allons pouvoir nous installer pour de nombreuses années et ancrer le projet et le programme très localement, dans une démarche participative et inclusive sur un autre terrain, adossé à un autre musée, qui se trouve en sortie de ville dans une zone semi-urbaine et socialement défavorisée, il s’agit du jardin du Musée Van Gogh à Cuesmes. 
  • Nous continuons à tisser des liens et à faire connaissance avec les autres acteurs belges francophones, principalement des soignants, avec entre autres le projet d’une petite semaine vélo en Août 2023 pour faire découvrir au monde tout ça (avec Romane) – à confirmer courant janvier, fonction de mon nouveau boulot de salariée et de nos possibilités d’être toutes les deux en congé en même temps

En Belgique, le « Grand Jardin » de l’hôpital «Chêne aux Haies»

Chose promise, chose due. Cette année, j’avais promis qu’on voyagerait hors des frontières. Cette semaine, direction la Belgique. Et puis, ce sera la pause estivale. Bon été et à la rentrée.

 

Alain Flandroit, le concepteur du Grand Jardin au CHP de Mons-Borinage en Belgique.

Alain Flandroit, le concepteur du « Grand Jardin » au CHP de Mons-Borinage en Belgique.

Sur un terrain en friche précédemment occupé par des chevaux (merci, l’engrais naturel), Alain Flandroit a fait pousser un beau jardin qui rassemble les patients du Centre Hospitalier Universitaire et Psychiatrique de Mons-Borinage depuis son ouverture en 2013. « Différents pavillons avaient déjà des jardinets avec surtout des fleurs, mais j’avais envie de toucher un maximum de personnes et d’ajouter un potager », explique cet horticulteur de formation qui a passé un diplôme d’éducateur après avoir commencé à travailler dans le milieu psychiatrique (cette reconversion me fait penser à l’expérience de Jean-Luc Valot, mais aussi dans l’autre sens à celle que Stéphane Lanel nous racontait la semaine dernière). Après l’obtention de son diplôme, il commence naturellement un petit jardin dans le service d’admission à l’hôpital. Ce jardin n’est qu’un début…

Le jardin occupe un espace anciennement utilisé pour l'hippothérapie.

Le jardin occupe un espace anciennement utilisé pour l’hippothérapie.

Grâce aux 10 000 euros reçus dans le cadre du concours « Colour Your Hospital » de la Belfius Foundation, il réussit à s’équiper de serres tunnels, d’outils, de plantes et de semences. Avec l’accord de la direction pour le terrain et le financement pour l’équipement, il peut réaliser son rêve. « J’utilise les principes de la permaculture. On a mis les éléments les plus importants près des bâtiments et les fruitiers, où on va moins souvent, au fond du jardin. Dans les serres, on fait des semis et des tomates. Il y a un terrain pour les cucurbitacées, les courgettes, les potirons, les potimarrons, pour faire la soupe. »

« Qui veut venir au jardin? »

Pour faire connaître le jardin, il va de pavillon en pavillon expliquer son projet. Aujourd’hui, le mode de fonctionnement est simple. « J’envoie un email pour dire que je serai au jardin de telle heure à telle heure. Je fais le tour des chambres et je demande qui veut venir au jardin. Le jardin s’adapte aux patients selon leurs capacités, leur mobilité, leur âge et leurs connaissances. Je ne les sous-estime pas car ils ont des capacités. L’important est de bien se faire comprendre. Et puis se tromper fait partie de la thérapie. S’il y a plus de monde, on travaille plus sur le social. S’il y a moins de monde, on peut plus guider, c’est plus individuel. »

Flandroit 1Les patients viennent accompagnés par des kinés, des infirmières, des ergothérapeutes, des animateurs. « Ils se basent tous sur le travail de jardinage avec une observation propre à leur métier. Le kiné va regarder la posture, l’ergothérapeute la fonction des mouvements dans l’exécution, l’éducateur l’autonomie et le cognitif. Tous les professionnels voient les patients dans un autre lieu qui permet de se détendre et de plus parler. »

Un lieu de rassemblement

Le jardin est devenu un lieu de rencontre. « Ils viennent de différents pavillons, mais ici ils partagent une passion commune. Tout en travaillant, ils se racontent des choses et il y a de l’entraide. Je dis souvent aux patients que le jardin existe grâce à eux. Quand un grand groupe débarque, des projets se réalisent et ils sont satisfaits de l’évolution. Quand ils quittent l’hôpital et doivent malheureusement revenir, ils repassent par le jardin. »

Flandroit 3« Nous travaillons sur le bien-être général du patient, sur l’espace et le temps. Au printemps, on sème. En automne, on récolte. Un patient voulait semer en hiver. Ca fait partie du jardin de travailler sur la frustration.  En tant qu’horticulteur, je passe du temps à raconter pourquoi on fait le travail. Le plus dur est d’amener les personnes au jardin. Avec la pluie, le soleil, le vent, c’est une difficulté. J’explique les travaux de saison et je les laisse choisir. C’est une victoire en soi si quelques personnes se trouvent bien au jardin. » Le Grand Jardin d’Alain Flandroit me fait bien sûr penser au jardin de soins partagé créé au Centre Hospitalier Départemental de Daumezon autour d’Anne Babin et de Laurent Chéreau.

« En Belgique, ça se développe doucement. Je pense que la France a pris de l’avance. On est vraiment au début. A ma connaissance, il n’existe pas de formation », explique Alain Flandroit en pionnier d’un mouvement qui a choisi de tracer son chemin.