La formation : quel diplôme ?

C’est un plaisir d’accueillir Stéphane Lanel, l’animateur du Jardin d’Epi cure à Maule (78), dont vous avez déjà entendu parler plusieurs fois, notamment ici et . Il aborde le sujet de la formation à travers son expérience personnelle et ses réflexions sur le sujet. Félicitations, avec un an de retard, pour l’obtention de son Bac Pro et bon courage pour la reprise de nouvelles études en septembre. Quel bel exemple !

 

Vaste question que celle de la formation des personnes intervenant dans les jardins à visée thérapeutique ou dit « de soins ».

Tout d’abord, je me présente: je m’appelle Stéphane Lanel et je suis animateur du « Jardin d’Epi cure » (et membre de l’association du même nom) depuis l’hiver 2011 dans un foyer médicalisé accueillant des adultes cérébro-lésés. Ce jardin offre la possibilité aux résidents d’aménager cet espace, de l’entretenir et de le faire évoluer. Mais également, de semer, planter, soigner, cueillir, récolter et transformer fleurs, fruits et légumes. Pour enfin consommer, offrir et partager.

Stéphane Lanel

Stéphane Lanel

En novembre dernier, j’ai participé au 4ème symposium international sur les jardins de soin au cours duquel l’une des thématiques abordée était la formation. J’ai pu constater à quel point le monde des soignants et celui des entrepreneurs (architectes, paysagistes, pépiniéristes, etc) avaient vraiment du mal à cohabiter dans « l’écosystème » du jardin de soins. Ces deux mondes sont dans une défiance et méfiance réciproques. Actuellement aucun n’ayant trouvé sa « niche écologique », nous en sommes encore au stade où chacun veut marquer et protéger son territoire. Pourtant ils doivent et devront trouver un terrain d’entente s’ils veulent travailler ensemble.

Je pense que le jardinier de soins (terme que je préfère au pompeux « hortithérapeute ») est plutôt un hybride qui peut prendre le meilleur des deux, et cela au service des personnes dont il s’occupe.

Hortithérapeute ? 

IMG_2141Avant tout, je voudrais m’arrêter sur le mot « hortithérapeute ». Tout ceux qui jardinent en institution le savent, pour l’avoir expérimenté : le jardin est de facto thérapeutique. Mais il me semble que nous ne devons pas usurper un titre qui n’est pas le nôtre. Je rappelle qu’il n’existe actuellement en France aucun diplôme d’hortithérapeute référencé au Répertoire National des Certifications Professionnelles. Ce n’est donc ni un diplôme, ni un métier reconnu par l’État.

Si nous voulons nous faire accepter des institutions, ne nous parons pas de ce titre. Je le dis pour avoir entendu si souvent des animateurs de jardins de soins se présenter et parler en tant qu’hortithérapeutes. J’ai également entendu les réticences de chefs d’établissement et de thérapeutes certifiés (qui, je le rappelle, ont fait au minimum 3 années d’études dans leur spécialité) très sceptiques à cause de l’emploi de ce terme. In fine, je pense que cela dessert la cause que nous sommes sensés servir.

Malgré cette non reconnaissance officielle, il n’en reste pas moins que nous sommes là au quotidien, auprès de ceux qui souffrent et qu’il y a une nécessité impérieuse de formation. Mais quelle(s) formation(s) ? Permettez-moi de vous parler de mon parcours personnel.

La nécessité de se former

Avant la création du jardin à la Maison des Aulnes, j’exerçais depuis une bonne dizaine d’années la profession d’Aide Medico-Psychologique. Je n’avais absolument aucune compétence en matière de jardinage, ni aucune empathie pour le monde végétal. Mais la rencontre avec Bruno, un résident du foyer, a réorienté à jamais ma vie. Il fut le premier à me vanter l’action bénéfique du jardinage sur ses propres troubles du comportement, semant ainsi une graine qui germât jusqu’à la réalisation du projet du Jardin d’Epi cure.

Dès le début de sa création, je me suis retrouvé face à mes propres limites techniques pour animer une activité de jardinage et en difficulté face à des résidents parfois très connaisseurs (je me souviens notamment d’un ancien paysagiste).

C’est pourquoi j’ai décidé dès 2012 de me former. Anne Ribes m’a tout de suite recommandé l’ESA (École Supérieure d’Agriculture) d’Angers pour la qualité de son enseignement et la possibilité de suivre une formation à distance (ma situation professionnelle et familiale ne me permettant pas de suivre une formation continue en présentiel).

J’ai donc pris contact avec l’école. Mon niveau d’études Bac +4 m’autorisait l’accès au Bac pro en classe de Première sans passer par la Seconde ainsi qu’au BTS. J’ai choisi le baccalauréat professionnel pour jouer la carte de la sécurité : j’étais conscient de la charge de travail à fournir dans les deux cas et je ne voulais surtout pas me surcharger au risque d’abandonner en cours de route. De plus, partant de zéro, il me fallait acquérir les bases.

Obstacles sur le chemin

Il m’a fallu d’abord affronter plusieurs difficultés.

> La première à été de choisir le Bac pro qui me convenait… En effet deux spécialités correspondaient aux activités proposées au jardin d’Epi cure :

  • Aménagements paysagers, qui concerne la création et les entretiens des espaces végétalisé
  • Productions Horticoles, qui concerne la floriculture, le maraîchage, etc.

J’ai choisi les aménagements paysagers sous les conseils d’Anne Ribes qui avait elle-même étudié cette spécialité mais aussi car le jardin d’Epi cure était dans sa phase de création.

> La seconde difficulté a été de gérer la problématique du stage en milieu professionnel obligatoire de six semaines à effectuer sur une année. Pour quelqu’un qui ne bénéficie que de cinq semaines de congés annuels, le problème était de taille… Ma chance a été d’avoir eu la possibilité de prendre « Le jardin d’Epi cure » comme lieu de stage et Anne Ribes comme maître de stage.

Malgré tout, ça n’a pas été facile à faire valider par la responsable pédagogique du CERCA (pôle de formation de l’ESA) qui ne comprenait pas le sens de ma démarche dans cette reprise d’études. Elle n’arrivait pas à comprendre le sens de mon stage car je me destinais à utiliser ces compétences avec des personnes amatrices (avec toute la charge péjorative que peut prendre ce mot), de surcroît handicapées plutôt qu’à entrer dans une logique professionnelle classique basée sur des rapport commerciaux et hiérarchiques. Je rappelle que le titulaire d’un Bac pro est habilité à créer son entreprise et/ou à encadrer une équipe d’ouvriers.

> La troisième difficulté a été de pouvoir assister aux sessions de regroupement à l’ESA d’Angers (six regroupements d’une semaine chacune sur les deux années). Là, je n’avais d’autre solution que de m’y rendre en prenant sur mes congés payés.

> La quatrième et dernière difficulté, et non des moindres, a été le financement… Notre beau système français de formation continue étant ce qu’il est, deux solutions s’offraient à moi:

  • Faire une demande de CIF (Congé Individuel de Formation) et attendre une prise en charge à 100% dans un délai pouvant aller de 3 à 10 ans.
  • L’auto-financement.

Je n’ai eu donc d’autre solution que cette dernière, mais pour régler les frais annuels de scolarité (1200 €) le CERCA propose des facilités de paiement très intéressantes.

Le cursus du Bac pro AP

  • Contenu des cours théoriques

J’ai reçu en novembre 2012 les manuels scolaires. Très bien faits, mais malheureusement édités en noir et blanc. Ma première impression a été la panique face à la quantité de nouvelles connaissances à intégrer, avec une mention spéciale pour la biologie végétale et la reconnaissance des végétaux (en latin, s’il vous plait!!!!). Mais je dois dire qu’à l’issue de la formation, ce sont les deux matières que j’ai préférées et qui m’ont le plus apporté.

Dès la réception de ces contenus pédagogiques, il m’a fallu m’imposer une discipline stricte dans l’étude des matières (1h30 quotidienne minimum) et la réalisation des devoirs (un quota étant exigé pour le passage en terminal).

Les 2 premiers mois, la tête dans le guidon, j’avais l’impression de ne rien apprendre et d’être submergé par la charge de travail. Et sans comprendre pourquoi, j’ai réalisé un jour que les connaissances commençaient à faire sens dans ma tête et que des connections s’établissaient entre les différentes matières. Cette prise de conscience m’a permis de garder ma motivation jusqu’au bout de la formation.

  • Sessions de regroupement

Je me suis rendu à la première session de regroupement en décembre. Expérience très étrange que de se retrouver à l’école le jour avec des adultes et à l’hôtel la nuit, loin de ma famille. Mais expérience très enrichissante, avec des cours extrêmement condensés et des horaires de cadre, le tout dans une ambiance studieuse. Et à l’instar de tout lycée, des profs pédagogues, passionnés et passionnants (biologie végétale) et d’autres moins…

Et après ?

En juin 2014, j’ai obtenu mon diplôme avec une belle mention. Mais concrètement quels ont été les bénéfices concrets de cette formation au service du jardin d’Epi cure ?

3Je me suis rendu compte tout au long de ces deux années que l’acquisition de compétences me permettait de m’affranchir de plus en plus des contraintes techniques, pour une meilleure animation des séances. Cela s’est avéré encore plus tangible dans l’activité pédagogique qui accueille des enfants de l’école élémentaire et du centre loisirs de la commune avec leurs cortèges de « pourquoi ».

J’adore également la philosophie sobre, humaniste et joyeuse d’Epicure et, pour moi, le Jardin est un formidable espace philosophique, il est le support d’une multitude de réflexions métaphoriques. L’acquisition de ces connaissances m’a donné des clefs pour faire parler ce monde.

Malheureusement (ou heureusement), j’ai depuis touché les limites de cette formation. Le jardin étant un écosystème résilient, il doit être appréhendé dans sa globalité. En effet, ouvrir une porte de l’univers du vivant c’est se retrouver devant une autre, puis une autre, puis une autre…

IMG_1917Le Jardin d’Epi cure, n’a cessé d’évoluer depuis 2012: les activités et l’espace de production légumière se sont développés (notamment pour la cuisine thérapeutique) et une parcelle dédiée aux Restos du Cœur a été créée. Et malgré mes lectures et la documentation sur le maraîchage et la production horticole en général, j’éprouve encore cette nécessité de formation. En septembre, je commencerai une formation de jardinier permaculturel à la Ferme du Bec-Hellouin en Normandie. Et j’espère me lancer en 2016-2017 dans un BTS Production Horticole à dominante Agriculture Bio. Boulimique ? Peut-être. Passionné, certainement ! Dans tous les cas, voir le projet du Jardin d’Epi cure avancer avec l’investissement, l’enthousiasme et la joie des résidents me donne envie d’offrir à ce projet le meilleur de moi-même.

Conclusion

Voici mon expérience personnelle, qui n’est que ce qu’elle est, et surtout liée au contexte et au public particulier du jardin d’Epi cure. Je souhaite à chaque personne prenant en charge des personnes vulnérables dans le cadre d’un jardin de soins de trouver SA formation adaptée à ses variables. En conclusion, je pourrais dire que se lancer dans une formation reste une aventure vitale qu’il faut vivre pour se nourrir soi et nourrir les autres en retour.