Les lecteurs réguliers commencent à bien connaître Nicole Brès qui a déjà écrit plusieurs billets pour Le Bonheur est dans le jardin. Dans un billet très personnel, elle nous raconte son parcours et comment elle conçoit la fusion entre l’art-thérapie et le jardin. Aujourd’hui, elle travaille aux côtés d’Anne Ribes à la Pitié-Salpétrière et elle a initié deux ateliers avec les personnes de Simon de Cyrène et celles de l’ESAT ECODAIR. Vous pouvez joindre Nicole à natureenvilletherapie (at) gmail.com.
A 20 ans j’étais étudiante à l’école du paysage de Versailles et à 21 ans, je suis partie pour Denver au Colorado (c’était avant la création de l’ Horticultural Therapy Institute de Rebecca Haller).
20 ans après, habitant à Bruxelles, j’ai suivi là des études d’Art-thérapie ainsi qu’une formation d’entrepreneur de jardin.
Aujourd’hui à Paris je suis une art-thérapeute au jardin ou une art-thérapeute dans la Nature ou une éco-art-thérapeute (terme du docteur Theresa Sweeney) ou natureenvilletherapie…
Art-thérapie et hortithérapie ont beaucoup de points communs. Les processus thérapeutiques en jeu sont les mêmes, les problèmes de formation et de reconnaissance de la profession aussi. Voici quelques réflexions à la lumière de mon parcours et des expériences que j’ai vécues en France et en Belgique en milieu psychiatrique (psychogériatrie, pédopsychiatrie, psychiatrie adulte).
Revenons tout d’abord sur les processus en jeu en Art-Thérapie : c’est bien plus que les cahiers de coloriage qui sont aujourd’hui un grand succès commercial et qui prétendent réduire votre stress. Personnellement, colorier bien dans le cadre donné, sans dépasser ne m’a jamais apaisée.
Le processus de soin est fondé sur le mouvement de la vie créative, accompagné (et non pas guidé) par le thérapeute. Il faut être trois : le soigné, le soignant et la vie créative.
« Le soin consiste à offrir à un patient, un contenant actif, un transformateur d’émotions brutes en sentiments, un lieu psychique où les éprouvés corporels ou mentaux du patient trouvent un sens. Cela à travers l’investissement dont ils sont l’objet de la part des soignants », écrit A. Evers dans Le grand livre de l’art-thérapie (p. 11).
L’art-thérapie propose aux patients des mises en situation de création qui ne nécessitent aucune capacité ou talent artistique particulier.
L’art-thérapeute possède des connaissances en psychopathologie clinique, contrôle régulièrement son travail avec des professionnels de santé, a une pratique artistique personnelle et utilise une ou plusieurs médiations, parmi lesquelles on peut citer les arts plastiques, la danse, la musique, le cinéma, la vidéo, le théâtre, l’écriture, le conte. Ces modalités d’expression vont servir à redonner une dynamique entre psychisme et relationnel, entre sujet et maladie.
C’est la triade soigné/soignant/média qui est mise en place. L’objectif de l’utilisation de la médiation est de créer du lien et du sens en renouant avec la communication non-verbale et verbale. Elle travaille à structurer la pensée, le discours, les comportements, en enrichissant l’imaginaire et en développant la capacité de symbolisation.
L’art-thérapie aide à améliorer l’estime de soi par le sentiment de croissance des capacités créatives personnelles et par le partage avec les autres. Elle peut réhabiliter des capacités endommagées et des zones psychoaffectives endolories par des traumatismes.
Dans la prise en charge art-thérapeutique, la mise en place d’une bonne relation thérapeutique est la première étape. Pour cela nous mettons en place un cadre physique (règles de bon fonctionnement de l’atelier) et un cadre moral (confidentialité, respect de soi et des autres) qui sont énoncés clairement dès le départ et sur lequel on pourra s’appuyer et qui sera revisiter si besoin. Le cadre a une fonction de contenance. En psychiatrie, sa permanence lui donne la capacité de contenir les expressions plus ou moins destructrices des douleurs psychiques.
L’alliance thérapeutique est présente quand la confiance est établie entre soignant et soigné. Bienveillante et dynamique, elle est ouverte au plaisir d’être dans le jeu créatif. Ce jeu, D.W.Winnicott le définit comme impliquant le corps avant l’esprit. Sans jeu et sans plaisir, la relation thérapeutique ne peut se déployer.
Pour tenir le cap, attention aux transferts et contre-transferts qui s’opèrent dans la relation, ce qui implique de se connaître suffisamment pour décoder nos réactions et garder la bonne distance entre nous thérapeute et l’autre. Être dans l’empathie tout en gardant la bonne distance.
Les cadres, l’alliance et les transferts comme outils dans la poche, nous passons à la vie créative. Ce terme winnicottien est une traduction de « creativity » qui, contrairement à créativité, reflète un mouvement vers, plus important que l’objet produit par l’acte créateur.
Ce mouvement peut se concevoir en trois temps : l’impression (préalable à la création), l’expression (d’une forme qui s’est imposé) et le devenir de l’œuvre (l’après création). Et là, l’art-thérapeute qui choisit la Nature comme terrain de jeu créatif, aura un matériau inépuisable d’impression et d’expression en touchant au lien imémorable entre l’Homme et la Terre qui le porte et le nourrit.
Quand la création est un objet, que va-t-on en faire ? L’Art-thérapie introduit une distance entre soi et sa production qui n’est pas « moi » mais « de moi ».
Cette mise à distance, ce recul, ce détachement renvoie à une multitude de rapports complexes qui vont interpeller le sujet et le transformer. Entre le soignant et le soigné, il y a l’œuvre qui est tierce et qui va introduire des mouvements d’attachement et de détachement. Le devenir de l’œuvre fait partie du processus thérapeutique. Cela introduit la réalité de l’éphémère, de la disparition de l’objet et du souvenir et de notre condition d’humain mortel. Quand l’œuvre est avec et dans la Nature, les mêmes réalités sont introduites.
L’Art-thérapie met en mouvement la vie créatrice de chacun et apporte une ouverture au sujet muré dans ses symptômes. Aller dehors accentue ce mouvement et cette ouverture.
La Nature peut être le cadre physique de la thérapie, l’objet d’inspiration (rien que par la vue que nous en avons à travers les fenêtres de l’hôpital), l’objet d’impression à son contact, l’objet de création par le matériau qu’elle nous fournit, les archétypes qu’elle appelle, le lien immuable, sécurisant et cicatrisant entre l’Homme et la Nature. Les soins art-thérapeutiques en psychiatrie, sans s’attacher à une pathologie particulière, rétablissent l’intégrité physique, mentale et créatrice du sujet. En s’organisant autour du végétal, ils s’enracinent alors dans une force vivante, accessible et peu coûteuse.
Lors d’une balade dehors, des enfants en pédopsychiatrie ont ramassé des végétaux et dans l’atelier ils les collent sur une feuille de couleur.
En psychogériatrie, voici une empreinte de végétaux fait sur de la pâte à modeler puis dans le plâtre ET réalisation avec des végétaux récoltés dehors et de l’argile.