Le syndrome d’Asperger au contact de la terre

The Gardens at Heather Farm est un jardin paradisiaque à une quarantaine de minutes de San Francisco en Californie. Une jardinière et une armée de bénévoles entretiennent de magnifiques jardins de 2,5 hectares sans recourir à des produits chimiques et en économisant l’eau, véritable défi dans cet état toujours au bord de la sécheresse chronique. En déambulant dans la propriété, on découvre de nombreux univers : un jardin de roses, un jardin mural, un autre conçu pour attirer les papillons, un autre encore mettant en avant des plantes indigènes. Dans le jardin des sens, on trouve souvent des écoliers en train de toucher et de sentir des plantes qui poussent à leur portée. L’association qui gère les jardins organise de nombreux ateliers pour les jardiniers de la région.

Plusieurs fois par mois, un groupe très spécial vient se ressourcer dans les jardins de Heather Farm. Une demi-douzaine de jeunes lycéens atteints du syndrome d’Asperger, un diagnostic dans la partie haute du spectre de l’autisme encore peu reconnu en France, quittent leur école pour retrouver Patrice Hanlon, la jardinière en chef à Heather Farm qui est aussi une thérapeute horticole certifiée. J’ai récemment suivi le groupe de six garçons pendant leur matinée dans les jardins.

Première mission, débarrasser leur jardin potager des escargots qui s’attaquent aux feuilles de salade. La tâche devient un jeu et chacun s’écrit de bonheur quand il découvre une colonie d’escargots sous une feuille. Les garçons, âgés de 15-16 ans, travaillent avec enthousiasme. Un des bénéfices de leur passage à Heather Farms est l’interaction avec les bénévoles adultes qui s’affairent autour d’eux dans les jardins. Ils se saluent et échangent quelques mots. D’ailleurs les escargots collectés sont offerts à une des bénévoles qui s’en servira de déjeuner pour ses poules.

Deuxième tâche, récolter quelques salades et les laver pour les ramener à l’école. Les participants font l’expérience agréable de récolter le fruit de leur travail. C’est un moment de grande satisfaction qui a des ramifications en dehors des jardins. Dans un troisième temps, ils rentrent à l’intérieur pour terminer un projet manuel. Ils découvrent des fleurs qu’ils ont mises sous presse quelques semaines plus tôt. Avec ces fleurs séchées, ils fabriquent des cartes pour la fête des mères. Pendant toutes les activités, Patrice leur parle des plantes, leur posent des questions. Les participants sont enthousiastes, visiblement heureux d’être là.

Erica est leur professeur à l’école et les accompagne à Heather Farm. « Je pense que tous les étudiants tirent profit du programme de façons différentes. C’est bon pour tout le monde d’être dehors et au soleil. Certains ont découvert un intérêt pour le jardinage qu’ils ont étendu au-delà du temps qu’ils passent à Heather Farm. Pour certains, l’avantage est de pratiquer un travail physique, de se salir les mains. Ils acquièrent aussi beaucoup de connaissances qui leur serviront de base pour le cours de botanique qu’ils vont suivre plus tard », explique Erica. « C’est aussi une bonne expérience professionnelle car nous cherchons à augmenter leur tolérance au travail pour qu’ils ne soient pas frustrés dans leurs futurs jobs. » Elle est heureuse que ses étudiants, comme n’importe quels jeunes, fassent une expérience nouvelle et découvrent un monde qu’ils ne connaissaient pas.

Horticulture et handicap

Sandra Diehl est une thérapeute horticole dont le profil est fermement ancré dans l’horticulture. Paysagiste pendant 20 ans, elle a aussi été fleuriste et a géré une pépinière. Quand on lui propose de s’occuper d’un programme d’horticulture adaptée au Solano Community College (école universitaire de premier cycle) près de San Francisco, elle accepte immédiatement. Sa mission ? Concevoir un programme d’initiation à l’horticulture qui accueillera une trentaine d’étudiants porteurs de divers handicaps physiques, mentaux et comportementaux. Cette initiation débouche, pour certains, sur un travail en milieu protégé.

« Le défi est de penser les activités pour des étudiants qui ont une grande variété de handicaps », explique Sandra qui a suivi la formation en thérapie horticole du Horticulture Therapy Institute basé à Denver (par souci de transparence, sachez que j’ai aussi suivi cette formation). « Nous avons une zone du jardin, par exemple, avec des platebandes surélevées (raised beds) pour les étudiants à mobilité réduite ou en fauteuil. Nous adaptons les outils pour ceux qui n’ont pas de force dans les mains. J’ai créé des planches avec des trous à intervalles appropriés pour que les semis soient réguliers. » Il faut aussi prendre en considération que les étudiants travaillent à un rythme plus lent et ont besoin d’instructions très simples.

Au fil d’une année, les étudiants suivent cinq modules : introduction à l’horticulture, gestion d’une serre, gestion d’une pépinière, gestion d’un potager/verger et propagation. A 80%, le programme se déroule sur le terrain dans la pépinière, la serre, le verger et le jardin potager de l’école. Mais les étudiants doivent parfois suivre quelques cours en classe et Sandra a appris à s’adapter dans ce domaine aussi. « J’utilise des polices plus grosses, j’écris sur du papier jaune qui rend la lecture plus facile, je crée un classeur codé par couleurs pour les cinq modules. »

Une autre leçon qu’elle a apprise depuis 5 ans que le programme existe est qu’il lui faut de l’aide. L’école ayant un programme de formation pour les assistantes sociales, Sandra recrute des stagiaires qui viennent l’aider à encadrer ses étudiants. « Ces stagiaires n’ont pas forcément de connaissances en horticulture. J’ai créé une liste d’activités avec tout ce qui est nécessaire. Les stagiaires peuvent gérer les activités. » Son programme reçoit l’aide d’une dizaine de stagiaires chaque semestre et, parmi eux, trois ont développé un intérêt pour la thérapie horticole.

Depuis deux ans, Sandra a créé des relations avec des employeurs locaux, des jardineries et des paysagistes chez qui elle a réussi à placer certains étudiants dans des emplois protégés. Ne pouvant travailler indépendamment, ils ont besoin d’un « job coach » qui suit leur progrès. Mais la crise financière qui touche la Californie a rendu ces postes plus rares et l’insertion de ces travailleurs plus difficile.

D’ailleurs, le financement est le principal souci de Sandra. « Pour des raisons budgétaires, l’école va être fermée cet été. Mais je ne peux pas abandonner les plantes pendant tout l’été. Alors je vais venir et je vais organiser des bénévoles pour maintenir le site pendant trois mois…». Pour motiver ses étudiants tout en aidant la survie financière du programme, Sandra et son équipe organise tous les printemps une vente de plantes. La dernière a levé 6 500 dollars (5 100 euros) qui lui permettent d’acheter du matériel et de proposer des bourses aux étudiants désavantagés.

Pourquoi le bonheur est-il dans le jardin?

Depuis toujours, l’idée de cultiver me tente. J’ai pris un autre chemin, mais la vie est en train de me ramener à cette idée première. Il y a environ deux ans, j’ai découvert la thérapie horticole ou hortithérapie, la pratique du jardinage pour améliorer le bien-être et la santé de patients ou participants. Les pays anglo-saxons utilisent depuis longtemps le jardinage pour aider une multitude de gens : des malades de tous horizons (accidents vasculaires, traumatismes crâniens, cancers, dépression, Alzheimer,…), des personnes souffrant de troubles du comportement, des jeunes à la dérive, des personnes âgées ayant besoin de stimulation, des prisonniers coupés de la réalité du monde, des vétérans sous le choc. En France, la discipline est naissante. C’est pourquoi, armée de mon expérience californienne à la fois en salle de classe et sur le terrain, j’ai envie de montrer ce qui se fait dans ce domaine. Pour donner des idées, pour susciter des envies.

La thérapie horticole sera mon sujet principal, mais il m’a semblé trop étroit de s’y limiter. L’engouement actuel pour le jardinage touche quelque chose de très profond qui rejoint le mouvement pour le « manger local », l’agriculture raisonnée ou encore les produits biologiques. Nos âmes de citadins ont soif de nature et de connexion avec la terre. Tout le monde ne peut pas s’installer à la campagne ou se reconvertir dans l’agriculture. Mais nous pouvons tous faire pousser quelques fleurs sur notre balcon ou quelques tomates dans notre jardin. Nous pouvons tous visiter un jardin et laisser les plantes, les oiseaux, les papillons nous faire un bien durable. Plus je jardine, plus je suis convaincue que le bonheur est dans le jardin.