A Singapour, des personnes âgées et des jardins

Il y a quelques semaines, l’Université de Floride publiait un panorama de l’hortithérapie dans le monde, un panorama qui citait d’ailleurs la Fédération Française Jardins Nature et Santé. L’article distinguait les pays qui se sont dotés de programmes de référencement professionnel et d’accréditation comme les Etats-Unis, le Canada, Hong Kong et Taiwan et ceux qui n’ont pas encore atteint ce niveau de professionnalisation. L’article affirme que la pratique de l’hortithérapie se développe même dans des pays sans association professionnelle et c’est tant mieux. Tout de même, une association qui rassemble les divers professionnels « alliés » est un énorme atout pour faire connaitre et reconnaitre cette médiation encore trop confidentielle.

Dans notre tour du monde, je vais m’arrêter ce mois-ci à Singapour. Malheureusement, je n’ai pas pu discuter en direct avec les acteurs de l’hortithérapie dans ce minuscule état insulaire au sud de la Malaisie. Mais les traces en ligne d’une activité d’hortithérapie, tournée majoritairement vers les personnes âgées, sont nombreuses.

Singapour et son National Parks : une île qui se préoccupe de la nature

A en croire ce site gouvernemental, la nature et la biodiversité font l’objet d’efforts intenses depuis plusieurs décennies. « NParks va continuer à développer le réseau de parcs naturels et nous visons à avoir 200 hectares supplémentaires de parcs naturels d’ici 2030 », peut-on lire en ligne. « Ces parcs naturels servent de zones tampons et d’habitats complémentaires permettant à la faune et à la flore indigènes de Singapour de se développer, tout en permettant aux visiteurs de profiter d’activités liées à la nature en perturbant le moins possible les réserves naturelles. »

Excellente nouvelle, ces efforts font la part belle à la dimension thérapeutique de la nature et aux jardins thérapeutiques. « NParks intègre également davantage de paysages thérapeutiques dans les jardins et les parcs. Nous avons développé des jardins thérapeutiques spécialement conçus et programmés pour les personnes âgées. NParks développe également d’autres typologies de jardins pour répondre à diverses pathologies telles que les troubles de l’hyperactivité avec déficit de l’attention (TDAH), la démence, les accidents vasculaires cérébraux, les troubles cardiaques et de l’humeur. D’ici 2030, il y aura 30 jardins thérapeutiques à Singapour pour répondre à différents besoins. »

30 jardins thérapeutiques adaptés à une variété de besoins d’ici 8 ans! Pour une ville nation de 5,4 millions d’habitants vivant sur 700 km² (sous la gouvernance de la présidente, Halimah Yacob, depuis 5 ans). Pour comparaison, la France compte 65,5 millions d’habitants pour 643 801 km². Et le nombre de jardins thérapeutiques en France est, quant à lui, un mystère.

Depuis 2016, huit jardins thérapeutiques ouverts

Sur le site de National Parks ou NParks pour faire plus court, on trouve bien sûr des informations plus précises sur les jardins thérapeutiques déjà ouverts. « Nous avons développé une série d’ateliers adaptés aux groupes de personnes âgées, aux personnes atteintes de démence et à d’autres besoins spécifiques. Ces programmes sont dirigés par des guides qualifiés et ont été spécialement conçus pour : promouvoir les exercices de faible intensité et améliorer les capacités motrices, stimuler la mémoire, encourager les interactions sociales positives et la connexion avec la nature et promouvoir la pleine conscience. »

On trouve en ligne le calendrier des ateliers dans huit jardins, répartis dans autant de parcs de Singapour, auxquels on peut s’inscrire. Ainsi 16 ateliers sont proposés pour le mois de décembre ! Que fait-on dans ces ateliers ? Le site liste des activités : propagation de plantes comestibles, fabrication de sacs de senteurs, collage de feuilles, jardinage (taille, arrosage, désherbage), culture de pousses comestibles, pressage de fleurs et de feuilles sur des cartes. Les ateliers sont encadrés par des bénévoles formés et les organisateurs se disent à la recherche de nouveaux bénévoles. En 2021, un journal local se faisait l’écho de l’ouverture d’un de ces jardins thérapeutiques. A suivre, une autre initiative intéressante est l’entreprise sociale Edible Garden City qui encourage à la fois l’agriculture urbaine et l’hortithérapie. Vous pouvez en apprendre plus sur Edible Garden City et son fondateur, Bjorn Low, ici, ici et .

Ces jardins et les activités proposées sont basés sur les preuves. Sur cette page, National Parks explique les fondements scientifiques des interventions basées sur la nature. Les principes de conception des jardins thérapeutiques sont expliqués dans ce guide coécrit par une flopée de spécialistes en 2016, date de l’ouverture du premier jardin thérapeutique baptisé HortPark. Si vous avez été formé.e à l’hortithérapie en France, vous serez en terrain familier (biophilie, théorie de la restauration de l’attention, théorie de la réduction du stress). A cette exception près que, à part Eric Fromm pour l’hypothèse de la biophilie, les chercheurs à l’origine de ces théories ne sont pas nommés !

Des jardins thérapeutiques objets d’études

Dans la tradition des interventions fondées sur les preuves comme j’en parlais le mois dernier, ces jardins thérapeutiques et les activités dans la nature ont fait l’objet de recherches. Sur cette page déjà citée, vous trouverez les références de plusieurs publications pour la période 2017-2020. Retenons-en deux.

Un essai contrôlé randomisé étudient plusieurs biomarqueurs et mesures psychosociales. Tout d’abord, cette étude publiée en 2018 qui s’intitule « Effects of Horticultural Therapy on Asian Older Adults: A Randomized Controlled Trial ». Un essai contrôlé randomisé, le saint graal de la recherche, est une méthode rarement utilisée dans la recherche sur les écothérapies. Par « randomisé », il faut comprendre que les participants ont été assignés dans le groupe hortithérapie ou dans le groupe contrôle (une liste d’attente) de manière randomisée. Vous pouvez lire l’étude en intégralité en la téléchargeant sur ResearchGate.

En voici le résumé : « L’effet de l’horticulture thérapeutique (HT) sur les biomarqueurs immunitaires et endocriniens reste largement inconnu. Nous avons conçu un essai contrôlé randomisé avec liste d’attente pour étudier l’efficacité de l’HT dans l’amélioration du bien-être mental et la modulation des niveaux de biomarqueurs. Un total de 59 adultes âgés ont été recrutés, dont 29 ont été assignés de manière aléatoire à l’intervention HT et 30 au groupe témoin sur liste d’attente. Les participants ont assisté à des séances d’intervention hebdomadaires pendant les trois premiers mois et à des séances mensuelles pendant les trois mois suivants. Des données biologiques et psychosociales ont été recueillies.

Les biomarqueurs comprenaient IL-1, IL-6, sgp-130, CXCL12/SDF-1, CCL-5/RANTES, BDNF (brain-derived neurotrophic factor), hs-CRP, cortisol et DHEA (déhydroépiandrostérone). Les mesures psychosociales ont porté sur les fonctions cognitives, la dépression, l’anxiété, le bien-être psychologique, les liens sociaux et la satisfaction de la vie. Une réduction significative du taux plasmatique d’IL-6 (p = 0,02) a été observée dans le groupe d’intervention HT. Pour le groupe témoin sur liste d’attente, des réductions significatives du taux plasmatique de CXCL12 (SDF-1) (p = 0,003), de CXCL5 (RANTES) (p = 0,05) et de BDNF (p = 0,003) ont été observées. Une amélioration significative du lien social a également été observée dans le groupe HT (p = 0,01). Conclusion : L’HT, en réduisant le plasma IL-6, peut prévenir les troubles inflammatoires et, en maintenant le plasma CXCL12 (SDF-1), peut maintenir le soutien hématopoïétique au cerveau. L’HT peut être appliquée dans le jardinage communautaire pour améliorer le bien-être des personnes âgées. »

(Ng, K. S. T., Sia, A., Ng, M. K. W., Tan, T. Y C., Chan, H. Y., Tan, C. H., Rawtaer, I., Feng, L., Mahendran, R., Larbi, A., Kua, E. H., and Ho, R. C. M. (2018). Effects of Horticultural Therapy on Asian Older Adults: A Randomized Controlled Trial. Int. J. Environ. Res. Public Health 15, 1705.)

Activités dans la nature et bien-être chez les personnes âgées sous les tropiques. Dans une autre étude publiée en 2020, Angelia Sia de NParks et ses collaborateurs se sont intéressés à l’impact des activités de nature pour « les personnes âgées asiatiques vivant sous les tropiques ». Les résultats de leur étude ont confirmé les bienfaits multiples constatés chez des personnes âgées dans d’autres endroits du monde. Pour accéder à l’article entier.

En voici le résumé. « La littérature actuelle montre que l’interaction avec la verdure urbaine peut avoir un large éventail de résultats positifs pour la santé. Des programmes ciblés basés sur la nature, tels que l’horticulture thérapeutique, se sont avérés avoir de multiples effets bénéfiques sur la santé des personnes âgées résidant dans des environnements tempérés, mais beaucoup moins de recherches ont été menées sur des populations au phénotype différent, telles que les personnes âgées asiatiques vivant sous les tropiques. L’étude actuelle a examiné les effets d’un programme d’horticulture thérapeutique de 24 sessions sur 47 participants âgés à Singapour, avec un plan expérimental pré-test post-test. Nous avons constaté que les participants ont conservé des habitudes de sommeil saines et une bonne santé psychologique, et ont montré une réduction de l’anxiété et une amélioration du fonctionnement cognitif (p < 0,05). En outre, ils ont signalé une augmentation du score moyen de bonheur après chaque session. Cette étude fournit de nouvelles preuves en utilisant un ensemble complet d’indicateurs dans les domaines affectif, cognitif, fonctionnel, psychosocial et physique, soutenant la littérature actuelle sur les avantages des programmes de nature, avec un accent nouveau sur les environnements tropicaux. Elle fournit des preuves que l’intervention basée sur la nature a le potentiel d’être transposée à des programmes au profit des personnes âgées dans les tropiques. »

(Sia, A., Tam, W.W.S., Fogel, A., Kua, E. H., Khoo, K. and Ho, R. C. M. (2020). Nature‑based activities improve the well‑being of older adultsSci Rep 10, 18178.)

Et la formation ?

Avec cet accent mis sur les jardins thérapeutiques pour les personnes âgées – mais pas que, on peut imaginer que Singapour s’est saisi de la question de la formation. Il en existe en effet plusieurs. Comme ce certificat en hortithérapie proposé par…NParks dans son Centre for Urban Greeny and Ecology (CUGE) présenté comme un cours pour des professionnels déjà sensibilisés (pas de date actuellement proposée cependant). Ou encore cette formation continue de 4 jours, une introduction à l’hortithérapie offerte par Nanyang Polytechnic (NYP). Ou encore ce certificat sur 12,5 jours, également proposé par un organisme de formation continue, celui de Ngee Ann Polytechnic (School of Life Sciences & Chemical Technology !). Mais là non plus, aucune date annoncée.

Quelques figures de l’hortithérapie à Singapour

J’ai déjà cité Angelia Sia qui est à l’origine de plusieurs études sur le sujet en tant que chercheuse au Centre for Urban Greenery & Ecology pendant plus de 10 et aujourd’hui comme directrice adjointe de la recherche au National Parks Board. Un de ses principaux centres d’intérêt est la connexion entre contact avec la nature et santé humaine.

Maxell Ng travaille pour NParks où il supervise le développement de l’hortithérapie. Il est le co-auteur de plusieurs études conduites à Singapour et en 2021 il était invité à présenter le mouvement de l’hortithérapie à Singapour par le Trellis Seminar Series de l’association écossaise en 2021.  Vous pouvez l’écouter dans cette vidéo (en anglais).

On peut aussi citer Tham Xin Kai, un paysagiste formé en Australie qui conçoit des jardins thérapeutiques dans des établissements de santé et ailleurs. Il travaille au sein de l’entreprise Hortian Consultancy qui a dédié une entité aux jardins thérapeutiques, Hortherapeutics. Découvrez quelques « case studies » et le profil de Tham Xin Kai. Et pour la route, une interview du jeune paysagiste. A savoir que Hortherapeutics ainsi que Angelia Sia semblent en contact avec Elizabeth R.M. Diehl (RLA, HTM) de l’Université de Floride. L’hortithérapie ne connaît pas les frontières.

Therapeutic garden at a nursing home in Singapore | Tham Xin Kai