Au Japon : bain de forêt, jardins, fleurs et émerveillement

Il est extrêmement rare que je me mette en scène dans ce blog dédié aux jardins et à la nature qui prennent soin des humains. Mais une fois n’est pas coutume, j’ai envie de partager mon récent voyage au Japon, une expérience que je vais avoir du mal à transmettre avec des mots. Les photos y parviendront peut-être mieux. A voir.

Quand on a écrit un livre intitulé « Le shinrin-yoku en famille : invitation aux bains de forêt », impossible d’envisager un voyage au Japon sans aller goûter à cette pratique là où elle est née. Fort heureusement, les amis français qui étaient nos hôtes et nos guides pendant ce séjour japonais étaient enthousiastes à l’idée. Ils nous ont même présenté une Française qui est en train de se former à la sylvothérapie pendant qu’elle vit au Japon : vous ferez la connaissance de Karen dans un instant.

Tout le monde était unanime. Pour faire un bain de forêt au Japon, pas trop loin de Tokyo, rien ne vaut Okutama et sa base de « forest therapy ». C’est ainsi que notre groupe de cinq Français a pris le train pour Okutama un beau lundi matin à l’approche du printemps. Arrivés sur place sous le soleil, nous rencontrons à la sortie de la petite gare une représentante du programme et une guide anglophone. Elles nous remettent deux documents : un petit carnet personnalisé et un livret très complet expliquant les bienfaits de la « forest therapy ». Le carnet prévoit de noter certaines mesures avant et après l’activité (pression artérielle, pouls, amylase salivaire). Quand il devient évident que nous allons faire l’impasse sur ces mesures, nous demandons pourquoi. La réponse est que le Covid est passé par là…

Nous allons emprunter la « Fragrance Road Toke-Trail », « un sentier d’environ 1,3 km, avec un dénivelé de 50 m. Il est sans obstacle sur 420 m. Il s’agit du premier sentier exclusivement thérapeutique au niveau national ». Notre guide ne nous explique pas vraiment en quoi consiste la « forest therapy ». Elle n’a aucun moyen de savoir que plusieurs membres de notre groupe ont certaines notions sur le sujet alors que d’autres sont tout à fait novices. Tout le monde en apprendra plus sur le chemin du retour lorsque nous aurons le temps de nous poser pour lire le livret!

En quittant la gare d’Okutama, nous faisons un premier arrêt près d’un temple où nous observons comment les arbres sont intégrés à la structure du bâtiment et pratiquons quelques étirements. Puis nous descendons sur les rives du confluent de deux rivières, Tama et Nippara, avant de remonter dans la forêt. Notre guide nous encourage à nous tourner vers le coteau ou vers la vallée pour apprécier différentes qualités de sons pendant que nous nous élevons sur le sentier. Après quelques minutes, nous arrivons à la base de « forest therapy » constituée d’un espace extérieur et d’un bâtiment. Là, on nous sert un déjeuner sous forme de bento que nous dégustons dehors au soleil. Nous constatons qu’un monorail pour fauteuils roulants a été installé pour donner accès à des points plus haut dans la colline.

Puis nous partons sur les sentiers de la « Fragrance Road Toke-Trail ». Notre guide nous indique des plantes, répond à nos questions. Pour avoir pratiqué plusieurs fois des bains de forêt en France avec Christopher Le Coq, qui a été en partie formé au Japon, je ne ressens pas la même guidance, la même invitation à ralentir, à explorer par les sens, à respirer, à pratiquer diverses activités. L’expérience est très plaisante : la forêt est tranquille et majestueuse, le soleil joue dans les feuilles, nous ne rencontrons personne sur le sentier, le silence règne. Nous faisons une escale dans une hutte dont les grandes baies vitrées donnent sur la forêt et nous nous réchauffons avec une tisane. Un peu plus tard, nous sortons de la forêt et avançons de nouveau dans les rues du village. Retour à la base où nous remplissons un questionnaire de satisfaction et exprimons les points positifs de l’expérience ainsi que nos réserves.

Puis nous sommes dans le train du retour. Un peu sceptiques, un peu abasourdis, mais détendus. Nous avons fait une promenade plaisante en forêt, mais nous attendions autre chose. La difficulté venait-elle du fait que nous ne parlons pas japonais et qu’on a dû trouver une guide anglophone, mais pas experte ? Peut-être est-ce une des situations où quelque chose est « lost in translation ». Il faut dire aussi que nous avons gardé nos téléphones pour prendre des photos, ce qui n’est pas la meilleure façon de se plonger dans l’expérience. A ce jour, je reste dubitative, avec un regret de ne pas avoir posé des questions plus précises à la fin de la journée pour en avoir le cœur net.

Karen : une sylvothérapeute en formation

Qu’à cela ne tienne. Nous avons du temps devant nous dans le train du retour. Karen et moi en profitons pour trouver un coin tranquille et discuter. Depuis 10 ans, cette Française vit à l’étranger, une vie d’expatriée qui déménage avec sa famille toutes les quelques années. En arrivant au Japon, une lassitude de son travail et un désir de réorientation l’amène à un coaching, puis à un an de mentorat avec l’association Faciliter l’ambition des femmes au Japon et finalement au Club Entrepreneures. « J’avais ciblé l’activité « animatrice nature » et puis j’ai entendu parler de la sylvothérapie. Par ailleurs, à l’été 2021, j’ai fait une expérience très forte en m’adossant à un arbre pendant une période très chaude. L’arbre m’a transmis sa sécheresse, j’ai été interloquée. Je ressentais des émotions très puissantes sous certains arbres. J’ai identifié ce bien-être auprès des arbres d’abord personnellement. Je me suis dit « C’est ça » et ma mentor m’a encouragée », me raconte Karen avec enthousiasme. Le fait que je partage clairement ses convictions sur le pouvoir du vivant la met à l’aise car je sens qu’elle trouve parfois délicat d’expliquer tout cela à tout un chacun.

Elle se lance dans une formation en plusieurs étapes. En juillet 2023, elle se forme en France avec Laurence Monce dont vous pouvez consulter le site et dans la foulée commence à proposer des  bains de forêt au Koishikawa Botanical Garden à Tokyo qui est doté d’un arboretum et procure une ambiance assez « sauvage » dans cette métropole. « J’ai d’abord visité les lieux seule plusieurs fois pour les redécouvrir et imaginer des activités en prenant en compte la sécurité, la météo, la saison. Je propose une succession d’activités pour amener à un état de pleine conscience. Les activités se font seul, en duo ou en groupe. Par exemple, une marche avec un bandeau sur les yeux en se laissant guider, la chenille en se tenant par l’épaule, la concentration sur les odeurs, du land art, l’exercice du photographe,… ».

« Ma prochaine formation sera au mois de mai avec Bernadette Rey et Géraldine Grand qui tient le Kodama Lodge ici au Japon à Otari et qui est également guide Shinrin Yoku. Sylvothérapie ou Shinrin Yoku, je dois encore comprendre les différences », explique-t-elle. « Je suis sur la bonne voie, j’ai encore du chemin à faire. Ce n’est pas suffisant pour gagner sa vie. Mais préparer les bains de forêt est en soi du temps pour moi et ouvre ma créativité. Je ressens la différence, un apaisement, un bien-être, un émerveillement. J’ai envie de poursuivre dans l’endroit où nous allons bientôt déménager, puis à mon retour en France plus tard. »

Vous pouvez suivre Karen sur Instagram (ki_no-ki_sylvothérapie). Voici une ressource en anglais qu’elle recommande : les rubriques en anglais de la Société de Thérapie Forestière japonaise (dont les 62 parcours certifiés dans le pays) ici et .

Les jardins dans les temples

Les contradictions sont incontournables. A la pointe de la technologie et exploitant la nature sans vergogne comme le dénoncent les films de Hayao Miyazaki, les Japonais sont aussi très attachés au shinto, religion nationale qui considère les éléments de la nature comme sacrés, ainsi qu’au bouddhisme, les deux religions cohabitant harmonieusement puisque beaucoup de gens les pratiquent en parallèle. En tout cas, un voyage au Japon risque fort de comporter une forte fréquentation de sanctuaires et de temples. Pour le shinto, les kami sont les esprits qui habitent des lieux ou bien représentent les éléments comme le vent, les rivières ou les montagnes. L’arrivée du printemps et la floraison des cerisiers donnent lieu à une fête nationale et à de ferventes scènes de pique-nique sous les cerisiers en fleurs pour le hanami (observer les fleurs). L’amour des plantes, des fleurs semble partout évident.

Parmi mes plus beaux souvenirs du Japon, les jardins des temples resteront en bonne place. Et en premier lieu à Kyoto au temple Ryôan-ji connu pour son jardin zen et inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco comme son voisin, le temple Kinkaku-ji (Pavillon d’Or), si populaire que la visite est plutôt un bain de…foule. Pour être honnête, le jardin sec et ses rochers de formes et tailles variées m’ont impressionnée, sans me séduire. J’ai été beaucoup plus sensible aux jardins verts où la mousse est reine. En particulier, un déjeuner monastique de « yu dofu » (du tofu servi avec du chou et des condiments) dégusté assis à une table basse face à une vue de jardin m’a complètement transportée et laisse en moi un souvenir tranquille. Plus loin dans Kyoto, le temple Ginkaku-ji (Pavillon d’Argent), construit par le petit-fils du shogun qui s’était construit le Pavillon d’Or comme retraite transformée en temple après sa mort, me séduit surtout par ses jardins, alternance de sec et de vert, que nous parcourons sous le soleil, à un rythme lent et contemplatif.

La passion des Japonais pour la mousse, dans les jardins et dans la nature, est ancienne. Cet article en parle très bien. Contrairement aux jardins occidentaux où elle n’est pas bienvenue et traitée plutôt comme une calamité, les jardins japonais font une place prépondérante à la mousse qui en recouvre de larges portions, créant une impression de douceur, de fraicheur et de simplicité reposante. Mon attirance naturelle pour la mousse s’est trouvée comblée au Japon et comme validée, renforcée.

Des fleurs et des jardins des villes

L’amour des plantes, des fleurs semble partout évident, comme je le disais plus haut. En voici quelques exemples.

Cette structure en osier devant la gare d’Himeji et des parterres de fleurs, apparemment entretenus par des citoyens et par des entreprises, accueillent les touristes venus visiter le célèbre château local, un exemple de château médiéval des mieux conservés et lui aussi inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco. A côté, un jardin aux multiples ambiances a été conçu récemment pour donner une vue sur le château (j’en retiens l’étang sous la pluie et ses poissons).

A Osaka, dans des quartiers d’affaires assez sobres ou des lieux passagers, des îlots de verdure sont bien présents.

A Tokyo, temple de l’urbanisation, un jardin sur le toit. En passant, que ferait-on sans Google Translate et Google Maps pour se repérer au Japon, voire pour échanger, comprendre une affiche, parler avec quelqu’un (même si cela donne l’impression d’être sous emprise)?

Le long des voies de chemins de fer empruntés en Shinkansen, le train rapide, pour se rendre entre les grandes villes, ou dans de petites villes parcourues à pied des jardins vivriers sont omniprésents. Les maisons sont souvent fleuries. Cette année, les sakuras étaient légèrement en retard. Ils faisaient cependant leur effet et cette ferveur à les attendre à fleurir est communicative.

Des arbres et des hommes

 

Le bonheur est dans le jardin, mais aussi dans la forêt. Ce blog a déjà fait des détours par la forêt, notamment début 2018 quand on a vu paraître en France plusieurs livres sur les bains de forêt, puis un an plus tard quand j’ai cédé moi-même à la tentation en écrivant un livre sur ce sujet pour les familles. Depuis quelques mois, j’ai de nouveau l’impression que les arbres sont partout. Alors parlons-en de nouveau.

Ergothérapie, hortithérapie et oncologie

Mais tout d’abord, je vous signale ce travail de six étudiants en ergothérapie qui ont planché sur la mise en place d’une activité jardin à l’Oncopôle de Toulouse où existait déjà un jardin de bien-être depuis 2016. Vous pouvez lire leur rapport complet si le croisement de l’ergothérapie, de l’hortithérapie et de l’oncologie vous intéresse.

Voici une partie de leur conclusion : « D’après les données recueillies, le jardin thérapeutique est un environnement qui permet à l’usager de reconstruire une identité occupationnelle et de se réengager dans une participation occupationnelle grâce à des activités au sein du jardin, qu’elles soient individuelles ou en groupe. Nous avons également remarqué que le jardin peut être un espace de repos, de rencontre et de réunion avec la famille qui est tout autant important dans le processus de changement du patient. »

Témoignage d’un arboriste : « Je gère la relation entre les humains et les arbres en ville »

Ben Wooldridge est un membre de ma famille même si je ne l’ai pas vu depuis qu’il était ado. Ses parents avec qui j’ai passé une partie de l’été me parlait de son job : tree surgeon ou arboriste en français. Cela m’a intriguée. Après un coup de fil avec Ben cette semaine, j’en sais un peu plus.  « Après quelques années dans le paysagisme, j’ai eu envie de changer. Mon père et mon frère s’intéressaient aux arbres et c’est comme cela que j’ai commencé à me former. En Angleterre, nous avons un système de formation et de certification très avancé dans cette discipline. » Après avoir travaillé à Londres, le voilà depuis quelques mois à Cologne en Allemagne avant peut-être la Nouvelle Zélande qui le tente.

Alors quelle est la mission des arboristes? « Nous avons plusieurs missions : les réductions d’arbres car on ne peut pas les laisser grossir en ville et il faut les débarrasser de parties mortes, le renforcement pour empêcher des branches de tomber surtout en ville près des immeubles, les traitements contre les maladies en enlevant les nuisibles et l’abattage d’arbres morts. Chaque arbre est différent et chaque mission est différente. C’est pourquoi j’aime ce métier qui est aussi un métier dangereux. Il y a beaucoup d’adrénaline. » Ben explique qu’il y a deux types de réductions : des réductions radicales où on étête l’arbre qui parait nu et dépouillé pendant un an (c’est plus économique pour une ville) et des réductions plus soigneuses qui ne mettent pas l’arbre à nu, mais sont plus chronophages.

« Je suis d’accord qu’on devrait laisser les arbres tranquilles. Mais en ville, on veut des arbres et du vert et en même temps, il faut protéger les bâtiments et les gens. Il faut donc gérer la relation entre les humains et les arbres. Les arbres en ville vivent dans de mauvaises conditions : le sol est mauvais, l’air est pollué. En Angleterre, nous avons de la chance car les arbres sont protégés. Avant de toucher à un arbre, il faut demander la permission. A Swansea au Pays de Galles, un promoteur vient d’être condamné pour avoir illégalement coupé des dizaines d’arbres dont un redwood de 200 ans, » explique Ben qui est sensible aux cerisiers en fleur et aux sycomores. « Il faut respecter l’arbre. »

 

Un guide de forêt sur le chemin de la formation

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Cette semaine, j’ai aussi discuté avec Christopher Le Coq. Ce Franco-Américain est en train de se former aux bains de forêt pour guider des groupes en région parisienne. Après une formation en Belgique avec Bernadette Rey, spécialiste canadienne du sujet, il s’apprêtait à s’envoler pour le Japon où il a notamment rendez-vous avec le Dr. Qing Li. Autant dire un parcours de formation très sérieux pour faire évoluer une pratique qu’il a commencée par intérêt personnel dans la forêt de Fontainebleau en s’installant en France. Devant les bienfaits que ressentaient les participants à ses groupes, il a voulu aller plus loin. Déjà ses cours en Belgique lui ont donné des idées pour modifier les parcours proposés. On reparlera sûrement de lui  bientôt. Il nous apprend aussi l’existence de l’association francophone de shinrin-yoku.

Nous les Arbres

UNADJUSTEDNONRAW_thumb_1ad7aL’expo Nous les Arbres a investi la Fondation Cartier pour l’art contemporain boulevard Raspail à Paris jusqu’au 5 janvier 2020. Cela vous laisse du temps, mais ne tardez pas trop. Laissons aux commissaires de l’exposition le soin de nous la présenter. « Nous les Arbres réunit les témoignages, artistiques ou scientifiques, de ceux qui portent sur le monde végétal un regard émerveillé et qui nous révèlent que, selon la formule du philosophe Emanuele Coccia, « il n’y a rien de purement humain, il y a du végétal dans tout ce qui est humain, il y a de l’arbre à l’origine de toute expérience ». »

Voici quelques parties de l’expo qui m’ont plus particulièrement touchée lors de ma visite cet été. Le botaniste Stefano Mancuso, pionnier de la neuro-biologie végétale, explique que les plantes sont intelligentes car elles savent résoudre des problèmes dans leur environnement. Avec Thijs Biersteker, il a imaginé une installation qui « donne la parole » aux arbres grâce à une série de capteurs : leur réaction à l’environnement ou à la pollution, le phénomène de la photosynthèse, la communication racinaire ou l’idée d’une mémoire végétale sont rendus visibles

Le botaniste Francis Hallé partage ses carnets qui « conjuguent l’émerveillement du dessinateur face aux arbres et la précision de l’intime connaissance du végétal ».

Un film de Raymond Depardon et Claudine Nougaret montre les relations fortes entre les humains et les arbres. Ces portraits de platanes ou de chênes sont aussi les portraits de ceux et celles qui les côtoient tous les jours.

Plus loin de nous géographiquement, des artistes de communautés indigènes comme les Nivaklé et Guaranídu Gran Chaco au Paraguay et des Indiens Yanomami d’Amazonie apportent leur vision des arbres et de la forêt.

 

A.R.B.R.E.S. et les arbres remarquables

Depuis 1994, l’association A.R.B.R.E.S. (Arbres Remarquables: Bilan, Recherche, Études et Sauvegarde) milite pour la reconnaissance des arbres remarquables. Remarquables par leur âge, leur taille, leur valeur historique ou esthétique. Sorties de terrain, création du label arbres remarquables (une carte interactive vous permet de les identifier), encouragement aux recherches, l’association est très active sous la direction de son président, Georges Feterman, professeur agrégé de sciences naturelles et auteur de nombreux ouvrages sur les arbres et les végétaux. Il a également réalisé un film projeté dans de nombreuses salles en France depuis le printemps.

Et pour finir, un lien recommandé par Jérôme Pellissier.