En Ouganda, un chercheur s’intéresse aux effets bénéfiques du jardinage

Dans une étude menée auprès d’aidants, Herbert Ainamani et ses collaborateurs posent le contexte : « Des données provenant de pays à revenus élevés suggèrent que le jardinage est associé à une réduction de la dépression, de l’anxiété et du stress. Les avantages du jardinage sont moins bien compris par les praticiens de la santé mentale et les chercheurs des pays à faibles et moyens revenus. » Ils se sont donc attelés à la tâche de mieux comprendre les bienfaits du jardinage en Ouganda.

Herbert Ainamani, Maître de conférences – Psychologie clinique
École de médecine de l’université de Kabale (KABSOM) en Ouganda
Département de santé mentale

C’est à travers le prisme de la maladie d’Alzheimer, une question également peu étudiée jusque là dans cette région du monde, qu’ils ont abordé la question. « L’idée même de la maladie d’Alzheimer est nouvelle en Afrique et dans les pays en développement. En 2018, j’ai reçu un financement des NIH pour étudier la démence et le fardeau des aidants familiaux », m’explique Herbert Ainamani pendant une conversation en visio. Deux études viennent éclairer cette question, l’une qualitative et l’autre quantitative. Elles concluent que « les aidants familiaux des personnes atteintes de démence dans les zones rurales de l’Ouganda sont très sollicités, ce qui est associé à des symptômes de dépression et d’anxiété. Les interventions visant à réduire cette charge peuvent avoir d’importants effets bénéfiques sur la santé mentale. »

Suite à ces deux études, le chercheur en psychologie au Département de Santé Mentale de l’Ecole de Médecine de l’Université de Kabale, reçoit un coup de fil d’IMMANA (The Innovative Methods and Metrics for Agriculture and Nutrition Actions). Ce programme s’est donné pour objectif le développement d’une solide base de données scientifiques nécessaires pour guider les changements dans les systèmes agricoles et alimentaires mondiaux afin de nourrir la population mondiale d’une manière à la fois saine et durable.

« IMMANA cherchait quelqu’un qui avait déjà des données comme celles de mes études précédentes. En jouant sur nos données avec les outils statistiques, nous avons vu qu’il y avait bien une relation entre le jardinage, la dépression et l’anxiété », s’émerveille Herbert Ainamani. « J’ai commencé à réaliser qu’il y avait toute une littérature sur le jardin et les espaces verts en relation à la santé mentale, mais rien en Afrique. J’aime la nature et je me suis passionné pour le sujet. » Mais le mentor du chercheur ne se satisfait pas de ces données « recyclées » qui n’avaient pas été collectées dans cette intention. Il faut une nouvelle étude.

Activités de jardinage et amélioration de la santé mentale chez les aidants familiaux

« J’ai écrit une proposition d’étude pour obtenir un financement d’IMMANA. Nous avons pu collecter de nouvelles données pour étudier la relation entre activités jardinage et amélioration de la santé mentale chez les aidants familiaux de personnes atteintes de démence dans les zones rurales de l’Ouganda, spécifiquement dans les districts de Rukiga et Rubanda dans le sud ouest du pays. »

L’hypothèse ? « Nous avons émis l’hypothèse que les aidants familiaux qui participent activement au jardinage présenteraient moins de symptômes de dépression, d’anxiété et de stress que les aidants familiaux qui ne participent pas au jardinage. »

Pour la méthode, « Dans le cadre d’une étude transversale, nous avons interrogé 242 aidants familiaux de personnes atteintes de démence afin de connaître leurs activités de jardinage, leurs symptômes de dépression, d’anxiété et de stress (Depression Anxiety Stress Scales) et le fardeau de la prise en charge (Zarit Burden Interview).  Sur les 242 participants, 131 (54%) aidants familiaux pratiquaient le jardinage. »

Et la conclusion ? « la participation des aidants à des activités de jardinage a été associée à une moindre gravité des symptômes de dépression, d’anxiété et de stress. S’ils sont reproduits, nos travaux suggèrent une intervention potentielle susceptible d’être à la fois culturellement acceptable et potentiellement efficace pour améliorer le bien-être mental de cette population à haut risque. »

Le district de Rukiga où Herbert Ainamani a mené une partie de son étude

Jardinage de subsistance vs. jardinage de loisirs

Les chercheurs pointent une limitation. « Nous notons que le contexte culturel de la présente étude diffère considérablement des quelques études existantes sur les avantages du jardinage pour la santé mentale, qui sont basées sur des données collectées dans des pays à revenu élevé, où la participation au jardinage est largement considérée comme une activité de loisir volontaire, contrairement à de vastes régions d’Afrique subsaharienne, où la participation à une activité de jardinage est souvent essentielle pour la subsistance …il est possible que l’insécurité alimentaire puisse fausser nos estimations. »

Mais ils concluent en s’appuyant sur d’autres recherches sur l’insécurité alimentaire : « Nous sommes donc raisonnablement convaincus que notre incapacité à ajuster l’insécurité alimentaire, ou d’autres indicateurs du statut socio-économique tels que la richesse des ménages n’a probablement pas faussé nos estimations au point que les associations estimées seraient complètement expliquées par un tel ajustement. »

Ce que Herbert Ainamani maintient lors de notre discussion. « Pour la plupart des gens, le jardinage est obligatoire dans ces zones rurales. Il s’agit d’un jardinage de subsistance qui fait partie de ce qu’ils doivent faire pour survivre. Cela va de pair avec la sécurité alimentaire et constitue un tampon contre le développement de troubles mentaux. En outre, l’activité physique est une protection contre les maladies cardiovasculaires. Et s’occuper du jardin, c’est s’occuper de quelque chose et avoir un rôle et un but. »

Le district de Rubanda, également lieu d’étude pour les chercheurs ougandais

Incorporer une nouvelle intervention dans la prévention en santé mentale

Fort de ces conclusions, Herbert Ainamani se fait l’avocat des activités de jardinage dans un deuxième article publié en 2022 dans la même revue, Preventive Medicine Reports. « Notre commentaire fournit des preuves tirées de la littérature selon lesquelles la participation à une activité de jardinage est psychologiquement thérapeutique, améliore la sécurité alimentaire et la santé physique. » Première étape.

« Nous proposons que les cliniciens, les chercheurs et les décideurs politiques considèrent la participation à des activités de jardinage comme une intervention préventive potentielle en matière de santé mentale pour les personnes de tous âges. Les cliniciens et autres prestataires de soins de santé devraient encourager leurs patients à aménager un petit jardin dans leur cour ou leur propriété, et à créer des espaces verts avec des arbres et des fleurs autour de leur maison. Des jardins et des espaces verts devraient être aménagés autour des hôpitaux et des autres centres médicaux. En outre, les salles d’hôpital devraient être dotées de fenêtres permettant aux patients de voir des scènes naturelles et des arbres à l’extérieur des bâtiments. »

D’une préoccupation environnementale à une application thérapeutique

Le chercheur a déjà d’autres projets en tête. « J’aimerais explorer ces questions dans un cadre clinique, avec des personnes souffrant de diagnostics tels que la dépression, en comparant deux groupes, l’un composé de personnes ayant un jardin à la maison et l’autre de citadins n’ayant pas de jardin. J’aimerais réaliser des études à l’aide de tomodensitogrammes. Si nous trouvons de l’argent, il serait intéressant de donner aux gens des jardins pour qu’ils y participent pendant un an et de réaliser une étude contrôlée. J’aimerais également étudier le jardinage pour les réfugiés. » En effet, son domaine d’expertise est le syndrome de stress post-traumatique et la recherche de traitement psychologique au sein de communautés en situation de conflit et d’après-conflit, telles que celles du Burundi, du nord de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo (RDC). Il est notamment formé à la thérapie d’exposition narrative (NET-KIDNET), une intervention de traitement psychologique pour les enfants et les adultes traumatisés.

Il fait remarquer qu’il existe en Ouganda une politique nationale de mise en place d’espaces verts autour des bâtiments résidentiels. « Cette politique n’est pas suivie », regrette-t-il. « Il n’y a pas de prise de conscience des effets bénéfiques sur la santé. C’est juste de la littérature scientifique pour le moment. En Ouganda, on parle un peu de deuil écologique, des personnes qui ont pu constater les changements depuis leur jeunesse et qui s’inquiètent. Ils ont peur de la déforestation, du changement climatique. La politique sur les espaces verts est née de cette inquiétude, mais pas d’un souci pour la santé mentale. » Rien n’empêche les deux préoccupations de se renforcer l’une l’autre.

Les études d’Herbert Ainamani et de ses collaborateurs

Ainamani, H. E., Bamwerinde, W. M., Rukundo, G. Z., Tumwesigire, S., Kalibwani, R. M., Bikaitwaho, E. M., & Tsai, A. C. (2021). Participation in gardening activity and its association with improved mental health among family caregivers of people with dementia in rural Uganda. Preventive medicine reports, 23, 101412.

L’étude complète

Ainamani, H. E., Gumisiriza, N., Bamwerinde, W. M., & Rukundo, G. Z. (2022). Gardening activity and its relationship to mental health: Understudied and untapped in low-and middle-income countries. Preventive Medicine Reports, 29, 101946.

L’étude complète

Autres pistes en Afrique

Quand on cherche des exemples d’intervention en Afrique, on trouve peu de choses. Voici quelques pistes. J’espère que cet article suscitera des réactions et des témoignanges…

« Conception d’un modèle de thérapie horticole et d’un plan d’affaires pratique pour un horticulteur interagissant avec un professionnel de la santé » : une étude dans le cadre d’un master dans un département d’horticulture et de technologie alimentaire en Afrique du Sud. Malheureusement depuis sa publication en 2004, plus de trace de son auteur.

Plantastic with Kui : la chaine YouTube d’Irene Kui au Kenya. Aidante de son mari qui souffre d’une maladie neurologique, elle a découvert que le jardinage était très thérapeutique. Son portrait ici.

SOS villages d’enfants. Je vous avais déjà parlé de Josette Coppe, psychologue clinicienne et art-thérapeute, qui anime des ateliers d’expression et des ateliers thérapeutiques avec les équipes SOS villages d’enfants au Bénin depuis 2010 à travers son association Résonances. Elle avait partagé son expérience lors d’une table ronde en ligne organisée par Jardins & Santé en novembre 2021. Vous trouverez son intervention à la minute 59 dans cette vidéo, avec les témoignages filmés de deux professionnels béninois.