Le Jardin de Cocagne de Saint-Loup : un tremplin pour retrouver place dans la société

Au Jardin de Cocagne de Saint-Loup, la fierté renait.

Au Jardin de Cocagne de Saint-Loup, la fierté renait.

« Vous avez besoin de légumes, ils ont besoin de travail. Ensemble, cultivons la solidarité ». Chantiers d’insertion à travers l’activité maraichère biologique sous forme d’associations loi 1901, les Jardins de Cocagne ont vu le jour en France en 1991 sur une idée venue de Suisse. Aujourd’hui fédérés en réseau national qui distribue des paniers de légumes à 20 000 familles adhérentes, 120 jardins sont actifs en France. Dont le Jardin de Cocagne de Saint-Loup à Rouilly-Saint-Loup près de Troyes en Champagne-Ardenne. En 2011, l’association La Porte Ouverte embauche Jean-Christophe Houot pour monter son Jardin de Cocagne. Il nous raconte le quotidien de cette entreprise maraichère pas comme les autres.

Jean-Christophe Houot (tee-shirt rouge) dans le Jardin de Cocagne Saint-Loup près de Troyes.

Jean-Christophe Houot (tee-shirt rouge) dans le Jardin de Cocagne Saint-Loup près de Troyes.

« Le jardin est un tremplin, il n’est pas question de prendre racine », annonce en préambule le chef de culture qui met en pratique son BTS analyse et conduite des systèmes d’exploitation doublé d’une licence de philosophie et d’un master de théologie. « Notre finalité est la réinsertion par le maraichage pour des gens qui n’ont pas travaillé depuis plusieurs années. Certains touchent le RSA, d’autres sont en semi liberté. Certains jeunes ont fait des études, mais sont perdus. Nous les aidons à retrouver l’estime de soi et un projet professionnel pour qu’ils ne soient plus demandeurs d’emploi, mais offreurs de projets. » La première étape est leur projet professionnel que les participants travaillent avec une accompagnatrice. Au cours de leur premier contrat de 6 mois, ils s’engagent à donner 26 heures de travail dont 2 heures d’accompagnement. Pour le 2e contrat, l’engagement est de 30 heures dont 6 heures d’accompagnement. Un maximum de 4 contrats a été fixé, histoire de ne pas prendre racine justement.

A 8h00 du matin, Jean-Christophe et ses jardiniers (12 hommes et 12 femmes à parité) sont opérationnels dans le jardin de 5 hectares. « Il faut un cadre strict pour redonner des repères. Je donne des tâches à chacun et des responsabilités en fonction de leur projet. Certains écrivent le journal qui est distribué avec les paniers. Ceux qui sont intéressés par la maçonnerie ou la mécanique ont de quoi s’occuper avec les bâtiments ou la direction du tracteur. Ce sont eux qui monté le jardin : les serres, l’irrigation, l’électricité. Il y a aussi la commercialisation et la livraison des paniers. On les lance, mais il faut qu’ils soient responsables, pas juste obéissants. Je reconnais leur travail. Il y a une fierté qui nait en eux. »

Au jardin, le temps et l’espace

« Le jardin redonne deux concepts fondateurs en l’homme : l’espace et le temps comme le dit Emmanuel Kant. L’espace, ce sont les parcelles, le lien avec la terre qui colle aux bottes. Le temps, ce sont les saisons, les légumes qu’on ne peut pas forcer à pousser plus vite », explique Jean-Christophe. « On n’a plus l’habitude d’avoir les mains sales. Ils redécouvrent leurs corps, le toucher. Quand on fait du purin d’orties et qu’on se pique avec les orties, on sent qu’on existe. Quand on plante 12 000 poireaux à la main, on a des ampoules et quand on se sert la main le soir, on peut lire notre journée dans nos mains. C’est dur, mais on retrouve une raison d’être. »

La production vendue sous forme de paniers

A tour de rôle chaque semaine, les jardiniers sont responsables de la préparation des paniers.

A tour de rôle chaque semaine, les jardiniers sont responsables de la préparation des paniers.

Tous les jeudis matins, une centaine de paniers doivent être prêts pour la distribution. « La responsabilité du panier tourne entre les jardiniers. A la différence d’une entreprise, on ne se fait pas mettre dehors si on ne réussit pas. On discute de ce qui n’a pas été, on se dépasse et on se relève. » Au magasin situé à 1 kilomètre des champs et doté d’un jardin en version miniature, Jean-Christophe laisse la main aux jardiniers qui peuvent expliquer la récolte à leurs clients et créer un lien avec les adhérents. Les jardiniers ont aussi l’occasion de donner des conseils de jardinage sur RCF, une radio locale, avec un spot diffusé trois fois par semaine. Tout est dans le dosage. « Il faut mettre les jardiniers en valeur et être dans le dépassement d’eux-mêmes sans les mettre en échec. On a le droit de se planter, on ne va pas en faire un drame. Mais je suis exigeant. Je place la barre haut pour qu’ils puissent se dépasser. Ce n’est pas un cocon douillet. »

Parmi les projets de Jean-Christophe, un jardin pédagogique dont il a commencé à discuter avec une primaire et un collège. Le projet répond à une envie de certains jardiniers qui aimeraient travailler avec des enfants. Si le projet est validé courant juin, il pourrait débuter en septembre prochain. Mais pour l’instant, il préfère rester discret sur le sujet. Autre nouveauté, commerciale celle-là : après les paniers « famille » à 15 euros et les paniers « Duo » à 8 euros, le Jardin de Saint-Loup va proposer un jardin « Solo ».

Le rêve de Jean-Christophe quand il était plus jeune était de partir travailler en Afrique. Finalement, l’occasion de mettre en action et de transmettre ses compétences s’est présentée beaucoup plus près avec le Jardin de Cocagne de Saint-Loup. Il avoue bien quelques frustrations. « Les financements du Conseil Régional et du conseil général qui va prendre le relais nous obligent à respecter certaines normes comme un accompagnement sur deux ans. Certains ont besoin de moins et certains de plus. L’homme est trop complexe pour rentrer dans un tableau. Le but est de devenir plus indépendants par notre production. » Mais le bilan est positif. « J’ai réussi ma journée quand je ne sers plus à rien. Il y a un possible en chacun d’eux. Il faut faire que ce possible puisse sortir. »

(A noter : Le Bonheur prend deux semaines de vacances. Rendez-vous le lundi 3 mars).

Une centaine de paniers sont préparés pour les adhérents chaque semaine.

Une centaine de paniers sont préparés pour les adhérents chaque semaine.

« Il faut être passionné. La nature, ça continue à pousser le weekend. S’il fait chaud, on ne peut pas laisser les semis griller. »

« Il faut être passionné. La nature, ça continue à pousser le weekend. S’il fait chaud, on ne peut pas laisser les semis griller. »

Au départ, les jardiniers ont monté le jardin : serre, irrigation, électricité. Ils continuent à contribuer à l'entretien selon leurs compétences.

Au départ, les jardiniers ont monté le jardin : serre, irrigation, électricité. Ils continuent à contribuer à l’entretien selon leurs compétences.

Cocagne motoculteur

Cocagne choux

Le jardin d’Olt : réalisations et bilan (2e partie)

Dans cette 2e partie, Cécile Ratsavong-Deschamps, psychologue et présidente de l’association Médecines, Cultures et Paysages, explique que le jardin n’est pas perçu par tous comme un outil de soins. Merci à elle d’avoir partagé toutes ces informations avec une richesse de détails fort utiles à tous. « Nous continuons donc notre travail de communication et formons les professionnels à l’intérêt des approches non médicamenteuses. C’est notamment dans ce but que nous avons mis en place une recherche. Nous souhaitons évaluer l’impact du jardin sur les troubles du comportement, l’humeur et l’anxiété des résidents. Nous avons présenté cette étude sous forme de poster lors des 33e journées annuelles de la société Française de Gériatrie et de Gérontologie à Paris en octobre 2013. » Cliquer pour accéder au poster.

Ateliers de stimulation sensorielle pour les résidents les plus repliés sur eux-mêmes

Par ailleurs, Cécile a aussi répondu à quelques questions supplémentaires sur les ateliers, réponses qui fournissent de précieux renseignements concrets à d’autres praticiens. D’abord les ateliers de stimulation sensorielle. « Les ateliers de stimulation sensorielle visent à stimuler par les sens des personnes qui sont extrêmement repliées sur elle-même et communiquent peu (même de manière non verbale). Ce sont souvent des personnes qui ont peu ou pas de famille, qui ont des démences très évoluées ou des troubles psychiatriques anciens entraînant un repli autistique. Nous animons ces ateliers à 2 professionnelles, l’ergo et moi-même, et nous ne prenons que 4 résident(e)s. Ils durent 20 à 30 min. Nous choisissons un thème et essayons de le décliner pour chacun des sens. Le jardin a été d’une grande aide pour les plantes aromatiques, aller voir les fleurs, les cueillir, préparer un bouquet, préparer une belle table, écouter les oiseaux, sentir le vent. Même quand il ne faisait pas assez chaud pour rester à l’extérieur (l’atelier a lieu en milieu de matinée), nous y allions pour goûter à ces différents plaisirs. Nous « baignons » les résident(e)s dans un flot de paroles car nous estimons qu’ils ont besoin d’être stimulés verbalement afin que quelque chose se déclenche. Nous avons fait plusieurs ateliers sur le thème des plantes et des fleurs avec une bande sonore évoquant la nature, des sirops de fleurs à goûter, des pétales à toucher, des images, livres, une belle table à regarder, des odeurs à sentir. Les résident(e)s sont particulièrement réceptif(ve)s aux odeurs et au toucher (ils sont souriants, certains émettent des sons, manifestent une détente musculaire). Et nous observons une augmentation de leur attention au fil des ateliers. »

Ateliers mémoire avec le jardin comme support

Capture d’écran 2014-01-25 à 11.34.38

Voici ses explications sur les ateliers mémoire, suspendus pendant l’hiver. « Ils avaient lieu au jardin quand le temps le permettait. Ce sont aussi des ateliers thématiques et pendant cette saison, nous évoquons souvent les fleurs et les plantes du jardin et du potager. Il s’agit de permettre à chacun d’évoquer ses activités passées, de transmettre un savoir-faire, d’échanger sur ce qu’ils aiment, faisaient, ce qu’ils cultivaient, comment, les astuces, les recettes de cuisine. Aller voir ce qui pousse, comment, pourquoi ça marche ou ça ne marche pas, consulter quelques livres pour avoir des précisions sur telle ou telle variété, faire un quiz sur les fleurs, les légumes, trouver des noms de fleurs ou de plantes ou de légumes ou fruits commençant par chaque lettre de l’alphabet, préparer la liste des courses pour faire telle recette puis se souvenir de ce que l’on avait mis sur cette liste (travailler le rappel libre, le rappel indicé)… »

Fête du printemps et activités avec les enfants du village

Pendant cette période de repos du jardin, Cécile et son équipe pensent déjà au printemps avec une fête intergénérationnelle déjà programmée pour accueillir son arrivée. « Nous allons préparer une fête du printemps. Construire un jeu de mémo géant sur le thème des plantes et/ou des fleurs + préparer les semis pour le jardin et pour offrir aux enfants de l’école maternelle du village qui de leur côté nous offrirons un épouvantail (ils travaillent sur l’image du corps) et qui viendront le jour du printemps pour une après-midi. Nous prévoyons des jeux (mémo, pétanques…) et les enfants apprennent une chanson ancienne sur le thème du printemps que les résidents reconnaîtront sans doute. Nous espérons acquérir 3 carrés potagers Terraform adaptés aux fauteuils roulants et les inaugurer ce jour-là. Par ailleurs, nous sommes en train de signer une convention de jardin partagé avec le centre de loisirs afin que les enfants cultivent les carrés potagers au sol. Nous travaillerons plusieurs mercredis avec les enfants sur la rédaction de la Charte, ce qui incitera à des échanges entre enfants et résidents sur le thème du jardin. Et nous allons essayer de mettre en place des ateliers de jardinage pour les résidents dépendants avec ergo et animatrice. »

Parlons financements

Enfin et, parce que les finances sont un point clé, la psychologue nous apporte des éléments complémentaires sur le don de Conforama et d’autres. « Il s’agissait d’un don de mobilier de jardin d’une valeur de 1000 euros TTC qui nous a été d’une grande aide. Evidemment la question financière est le plus gros frein dans ce projet mais ça avance petit à petit. Nous avons signé une convention de mécénat avec EDF de 3000 euros et recevrons courant 2014 (probablement fin 2014) la subvention + de vie (environ 6000 euros). Nous continuons à répondre à des appels à projet de fondations pour mener à bien ce projet. »