Beth Collier, une thérapeute qui reçoit dans les bois

Si Beth Collier n’avait pas rencontré il y a quelques années un jeune garçon, enfermé dans sa colère et imperméable aux outils classique de la psychothérapie, elle n’aurait peut-être pas pris le chemin qui l’a menée à recevoir aujourd’hui tous ses patients dans des parcs londoniens, à diriger un programme de reconnexion à la nature baptisé Wild in the City et à former d’autres thérapeutes dans sa Nature Therapy School. Tous ses projets sont ancrés dans une même conviction que la nature est l’alliée de notre santé et de notre bien-être.

Une enfance à la campagne

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Beth Collier dans son cabinet de thérapeute @http://www.bethcollier.co.uk

« J’ai grandi à la campagne sur une petite ferme, immergée dans la nature. La nature a toujours été un sanctuaire qui m’a soutenue et nourrie », me raconte Beth au téléphone. Je suis assise chez moi à Paris, Beth me parle depuis un parc à Londres. Aujourd’hui psychothérapeute, elle a commencé par des études de religions comparées et d’anthropologie, puis elle a travaillé pendant 15 ans notamment auprès de réfugiés. C’est pour les accompagner qu’elle a entamé de nouvelles études de thérapeute, même si elle travaille aujourd’hui avec un public plus vaste.

Revenons au jeune garçon qui a montré à Beth une nouvelle voie. « Ce garçon de 11 ans était plein de colère, il vivait dans un quartier difficile et était en danger de rejoindre un gang. Il n’avait pas de lieu pour courir et explorer, pour dépenser son énergie », se souvient-elle. « J’ai commencé à emmener des groupes d’enfants dans les parcs. Eux qu’on critiquait toujours pour leur comportement pouvaient enfin être loués pour leurs compétences d’observateurs et de leaders. » A l’époque, Beth travaillait comme bénévole avec des enfants tandis que sa pratique privée s’adressait à des adultes.

Naturellement, elle a commencé à proposer à ses patients de les voir à l’extérieur. « Cela me permettait d’être plus authentique puisque je savais bien tout ce que m’apporte la nature. Le lieu est important et beaucoup de gens ne sont même pas conscients de leur perte de lien avec la nature car certains n’ont jamais fait cette expérience. » Adepte de la théorie de l’attachement de John Bowlby et Mary Ainsworth, elle prend en compte le fait que le lien avec la nature est très différent de personne à personne. « La nature est en mesure d’offrir les conditions de base d’une personne qui prodigue des soins et, par conséquent, un attachement positif, en tant que véritable mère, ce qui crée le potentiel thérapeutique nécessaire pour nous aider à développer des liens secureavec les gens et le monde naturel », explique Beth sur son site.

« Mon unique cabinet est la nature »

« Depuis 2014, je pratique la psychothérapie exclusivement dans la nature », ajoute Beth. Ses patients sont des adultes démographiquement très divers qui se débattent avec des difficultés liées au deuil, à des ruptures, à du harcèlement. Très souvent, ils ont vécu des évènements traumatiques. « Face à face, parler du traumatisme peut être intimidant. Alors qu’en marchant ou assis dans la nature, c’est plus facile et la personne peut mieux réguler ses émotions. » Sa pratique est intégrative (thérapie centrée sur la personne, psychodynamique, humaniste, cognitivo-comportementale, thérapie brève, techniques de relaxation et de méditation). Le cadre reste la nature.

« On travaille sur les relations et en particulier la relation à la nature. La pluie par exemple, on peut l’aimer ou la ressentir comme oppressante. Le soleil peut induire un sentiment de culpabilité si on se reproche d’être déprimé malgré le beau temps. On ne peut pas faire de suppositions. La thérapie dehors, comme dans un bureau, consiste à explorer les émotions et les relations. »

« Pendant la séance, j’ai moi aussi une relation à la nature. Et eux ont une relation avec moi et avec la nature. J’aime beaucoup les séances à cette période de l’année (septembre) quand le soleil se couche et qu’on voit les étoiles à la fin de la séance. Le cadre est dynamique et différentes émotions sont évoquées. Je fais aussi des séances dans le noir parfois. » Si un patient doit lui parler par téléphone, elle même prendra l’appel dans un parc.

Certaines personnes sont-elles déroutées ? « Il peut y avoir plus d’anxiété. Nous ne fermons pas la porte d’un bureau, on peut nous voir. L’alliance thérapeutique est là pour fournir un cadre. On peut parler de ce que l’on ressent dans ces conditions », explique la thérapeute qui sait aussi s’adapter, changer de direction, choisir des coins plus tranquilles, se taire en croisant un groupe. « Dans cet espace, j’invite le patient à prendre la responsabilité d’où ses pas le portent. »

 

Wild in the City

Wild in the City

Les programmes de Wild in the City reconnectent des citadins à la nature qui les entourent. @http://wildinthecity.org.uk

Je n’ai pas pensé à lui demander si elle avait lu Last Child in the Woods, le livre de Richard Louv sous-titré « Sauver nos enfants du trouble du déficit de nature » sorti en 2005. Il y a de grandes chances. Car en 2013, Beth a lancé Wild in the City, une association qui propose des activités dans la nature à tous les publics de 3 à 103 ans pour améliorer leur bien-être. « La nature est souvent au pas de leur porte sans qu’ils ne le sachent. Certains parents, eux mêmes déconnectés de la nature, ne savent pas comment faire avec leurs enfants. Nous pouvons leur faire reprendre confiance en les reconnectant, en les immergeant dans la nature », explique-t-elle. Marches de nuit pour observer les chauves-souris, sorties pour identifier les oiseaux, activités de « bushcraft » faisant appel à des techniques ancestrales pour se connecter à la nature, les propositions de Wild in the City sont vastes et souvent gratuites pour les participants.

« Notre programme Nature Connectors s’adresse aux personnes de couleur qui passent encore moins de temps dans la nature parce que, pour elles, il existe des barrières et un sentiment d’insécurité. Par petits groupes d’une dizaine de personnes, nous explorons des espaces naturels locaux en nous posant des questions. Il s’agit d’intimité avec la nature et avec les autres. Nous créons une communauté de personnes de couleur. »

Wild in the City et quatre autres organisations locales ont créé Natural Health Service, un nom choisi en référence au système de santé britannique le National Health Service. « Nous travaillons en lien avec des médecins généralistes (GP). On sait que 40% des consultations ont pour objet l’isolement social et la solitude plus que la maladie. L’idée est aussi d’offrir une alternative aux médicaments, d’utiliser la nature pour encourager la santé et le bien-être tout en soulageant le National Health Service. »

 

Former d’autres thérapeutes à la Nature Therapy School

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La thérapie basée dans la nature @http://naturetherapyschool.com

Au départ, la Nature Therapy School offrait uniquement des thérapeutes déjà diplômés, dans le cadre de leur formation continue sous forme d’atelier de trois jours (CDP ou continued professionnal development) ou d’une formation plus longue (un « diploma »). « Soit ils veulent faire leurs premiers pas pour voir leurs patients dehors, soit ils le font déjà et ont besoin de la théorie autour. On parle du cadre, du processus, des limites. » La Nature Therapy School se développe. « Je travaille en ce moment pour faire accréditer un « diploma » qui formera des thérapeutes spécialistes de la psychothérapie dans la nature, mais cette fois des personnes qui ne sont pas déjà thérapeutes. »

Beth publie aussi un blog, Nature’s Therapy, un peu délaissé depuis quelque temps pour se consacrer à un livre à paraître, en 2019 si tout va bien, sur la théorie et la pratique de la « nature-based psychotherapy ». Fatiguée, Beth Collier ? « La nature me donne de l’énergie et me calme. Elle me nourrit. Quand je suis à l’intérieur, je me sens toute somnolente.  J’ai tellement de chance d’avoir pu inventer ce travail dans la nature. »