Kirk Hines : motivé comme au premier jour après 30 ans d’expérience

Si vous lisez ce blog depuis ses débuts – c’est-à-dire depuis 2012, le nom de Kirk Hines devrait vous dire quelque chose. En juillet 2012, il nous avait parlé de son travail à Wesley Woods Hospital dans la ville d’Atlanta aux Etats-Unis. Il y avait créé dès 1993 un programme d’hortithérapie, intégré dans le département de rééducation et adapté aux quatre unités de cet hôpital accueillant des personnes de plus de 65 ans (médical, psychiatrie, neuropsychiatrie et soins intensifs de longue durée). Deux ans plus tard, nous l’avions retrouvé dans une nouvelle institution, A. G. Rhodes, où il était en train de développer un nouveau programme d’hortithérapie toujours au service de personnes âgées.

Alors qu’A. G. Rhodes, une institution à but non lucratif, s’apprête à fêter ses 120 ans cette année, Hirk peut, quant à lui, faire le bilan de 30 ans d’activité en tant qu’hortithérapeute. Pourtant loin d’être tournée vers le passé, notre conversation a surtout porté sur un nouveau projet enthousiasmant que je laisse Kirk, directeur de l’hortithérapie à A. G. Rhodes, vous dévoiler.

« Change is the only constant », annonce-t-il d’emblée. Il est installé dans une serre qu’il utilise pour ses activités sur l’un des trois sites que compte actuellement A. G. Rhodes (un site à Atlanta où il passe deux jours par semaine, un autre à Wesley Woods qui bénéficie aussi de sa présence deux jours et enfin un site dans le comté de Cobb où il pratique un jour par semaine). Je viens de lui demander de résumer la décennie depuis notre dernière conversation. « Lorsque que j’ai quitté mon ancien établissement après 21 ans car il se recentrait sur la psychiatrie adulte, j’ai eu la chance que mon ancien employeur et le nouveau aient de bonnes relations. Cela m’a permis de récupérer mes serres, mes plantes, mon équipement et les fonds que nous avions collectés. »

Kirk Hines (debout) avec un patient sur le site A.G. Rhodes d’Atlanta

Un hortithérapeute en temps de Covid

A son arrivée sur les trois sites, Kirk a commencé à installer des jardins thérapeutiques, mais aussi à améliorer l’environnement extérieur pour le rendre plus accueillant, plus chaleureux pour les personnes hospitalisées, leurs proches et le personnel. Cet investissement s’est révélé particulièrement utile pendant la période du Covid. « Pendant les périodes de confinement où les familles ne pouvaient pas entrer dans l’établissement, des rencontres ont eu lieu dans les jardins. Pendant cette période, j’ai aussi pratiqué ce que nous avons appelé « doorway therapy », la thérapie à la porte. Je m’installais, masqué et équipé dans le couloir, et nous faisions une séance d’hortithérapie avec le patient dans sa chambre ». Pour rappel, Kirk pratique de longue date des séances au chevet du patient.

Le Covid n’est pas uniquement un lointain souvenir. « Quand le nombre de cas augmente, nous nous adaptons. Parfois nous pouvons refaire des groupes et d’autres fois seulement des activités individuelles. Ou bien un entre deux où nous pratiquons la bonne distanciation sociale. Heureusement aujourd’hui les gens sont vaccinés. »

Il est seul à porter le programme avec quelques bénévoles. « Mais le Covid a impacté la participation des bénévoles. Je dois donc concevoir les espaces qui demandent le moins d’entretien possible. Oui, j’aimerais avoir des internes. Mais ce n’est pas facile quand on se déplace sur tout un territoire. » Ajoutez à cela de nombreuses conférences sur l’hortithérapie et le travail sur un nouveau projet depuis trois ans, on comprend que Kirk est bien occupé.

Atelier avec des fleurs coupées

Des bienfaits reconnus par l’institution

Avec son collègue musicothérapeute, Kirk collabore depuis 30 ans. Vous pouvez lire ici comment A. G. Rhodes présente ces deux interventions non médicamenteuses. « L’hortithérapie comprend des activités horticoles animées par un thérapeute agréé pour atteindre des objectifs de traitement spécifiques et documentés. Par exemple, la plantation d’herbes aromatiques aide à augmenter la stimulation sensorielle, l’arrosage aide à améliorer les capacités motrices et le jardinage en groupe aide à réduire l’isolement et la dépression », explique l’institution. Les bienfaits de l’hortithérapie sont détaillés ici et comprennent les impacts positifs bien connus sur les sphères cognitives, sociales, physiques et psychologiques. Quant aux collègues que côtoie quotidiennement Kirk, ils ont pris l’habitude de le voir en pleine activité avec les participants. Dans cette institution, les soignants restent longtemps. Certes, il faut toujours faire des efforts pour parler de l’activité et « éduquer » les équipes. Mais l’hortithérapie a trouvé sa place auprès des autres interventions thérapeutiques. Elle attire aussi l’attention des média locaux, en voici un exemple.

Un nouveau bâtiment et ses deux jardins sortent de terre

Convaincu par l’importance de l’hortithérapie, A. G. Rhodes a intégré cette thérapie au cœur d’un nouveau bâtiment qui sera inauguré cette année sur le site du comté de Cobb. « Notre nouveau bâtiment est un projet en réflexion depuis 10 ans. Son architecture est spécialement conçue pour accueillir des personnes qui ont des troubles cognitifs, ce que nous appelons « memory care ». Notre équipe s’est rendue en Hollande pour étudier les pratiques là-bas. L’idée est de créer une communauté plutôt qu’un hôpital », explique Kirk. Voici trois ans que la conception des jardins a commencé avec une équipe composée d’un architecte paysagiste et de paysagistes extérieurs. « Avec cette équipe créative, nous avons conçu l’aménagement paysager et deux nouveaux jardins thérapeutiques spécifiques, un pour la rééducation et l’autre pour les troubles cognitifs. »

Kirk rentre dans les détails. « Un jardin est dédié à la rééducation physique où travailleront des ergothérapeutes, des kinés, des orthophonistes et bien sûr l’hortithérapeute. Ce jardin est conçu pour être utilisé de manière active ou passive. Son point central est une pièce d’eau. Nous avons aussi pris soin de laisser beaucoup d’espace. Ce n’est pas seulement l’accessibilité aux fauteuils roulants, mais aussi le fait que lorsque nous organisons des évènements, c’est parfois trop bondé. Comme l’espace est conçu pour accueillir plusieurs activités (un espace pour un terrain de bocce, un jeu de horseshoe et de lancer de bean bags pour travailler l’amplitude des mouvements et l’équilibre dynamique), il faut avoir de l’espace. Des surfaces de plusieurs sortes permettront de faire de la rééducation dans les conditions qu’ils retrouveront à l’extérieur : pierres, asphalte, briques, ciment,… Nous aurons aussi des chaises et des espaces pour s’asseoir, des parasols et bien sûr des jardinières à hauteur. L’idée est de solliciter tous les sens. Ce sera un jardin très fonctionnel pour que les thérapeutes s’en servent avec les patients, mais aussi un jardin dont on pourra simplement profiter en s’y posant. »

Les personnes accueillies seront en soins « subacute ». « En « acute care », les personnes doivent pouvoir supporter trois heures de thérapie par jour. C’est souvent trop pour des personnes âgées. En « subacute care », ils arrivent de l’hôpital et font de la rééducation pour ensuite retourner vivre chez eux ou bien dans un établissement moins intensif ». En ce moment, les abords du nouveau bâtiment sont en ébullition : on plante des arbres, on s’affaire sur la finition de la pièce d’eau et l’irrigation est en cours d’installation (rappelons-nous que Kirk doit gérer seul l’entretien – sur les sites existants, il a installé après coup des systèmes d’irrigation intégrés).

Un nouveau jardin dédié au memory care

Et puis il y a le jardin dédié au « memory care » (un accompagnement plus approprié pour procurer un environnement sécurisé à des personnes touchées par des troubles cognitifs importants). A savoir que les deux jardins sont justement « sécurisés » grâce à des clôtures invisibles car elles sont entourées de plantes des deux côtés. Dans ce nouveau service de « memory care », on accueillera des résidents à long terme à partir de 65 ans, mais plus typiquement entre 80 et 90 ans.

« Les allées ramènent toujours au point de départ. Les espaces ont du sens et on ne peut pas s’y perdre. Nous avons conçu des espaces pour s’asseoir, choisi des plantes stimulantes, installé un pavillon de jardin, un cabanon pour les outils, des jardinières adaptées. Et aussi un système son pour mon collègue musicothérapeute. Nous cherchons d’ailleurs des éléments appropriés pour faire de la musique au jardin. Une pièce d’eau apporte aussi une stimulation sonore », détaille Kirk. Par ailleurs, chaque « communauté », des unités de 12 personnes, aura accès à un balcon sécurisé avec des jardinières et à un solarium.

Le nouveau bâtiment représente un coût de 32 millions de dollars, financé notamment grâce au soutien de la communauté et à des membres du conseil d’administration très connectés. Le volet « hortithérapie » du projet a bénéficié de sa propre campagne de levée de fonds, « Seeds for Seniors ». Rien ne vous empêche d’y contribuer d’ailleurs ! Dans une pratique assez répandue aux Etats-Unis, il est possible de voir sa contribution concrétisée dans une brique estampillée « In memory of…. » or « In honor of…. ».

« Nous avons aussi profité de Giving Tuesday. C’est une journée après Thanksgiving en novembre, en réaction au consumérisme du Black Friday. Les associations à but non lucratif parlent de leurs besoins et reçoivent des dons. Une autre forme d’aide me vient de Trader Joe’s, une chaine de supermarchés, qui me donne des fleurs coupées et des plantes. Les patients adorent. » Ci-dessous, le jardin de « memory care » à l’heure actuelle.

30 ans de recul sur le monde de l’hortithérapie

« Un défi pour moi à A. G. Rhodes a été de travailler avec les mêmes patients pendant 10 ans alors qu’en « acute care », j’étais habitué à les prendre en soin pendant deux semaines. D’une part, on bâtit une relation plus personnelle. D’autre part, il faut apporter de la nouveauté et garder de la fraicheur aux activités. Je m’inspire de visites dans des jardins botaniques et des pépinières et bien sûr de lectures en ligne pour trouver de nouvelles plantes et de nouvelles idées », explique Kirk.

Plus globalement sur l’état de l’hortithérapie, le bilan est cependant mitigé. « Une tendance est qu’il y a moins de programmes de formation dans les universités que quand j’ai commencé il y a 30 ans. On voit plutôt des programmes de formation accrédités par des universités ou par l’AHTA. » Pour sa part, il a obtenu une licence en horticulture ornementale (avec une concentration en hortithérapie) au Berry College en Géorgie en 1992 et a effectué son stage en hortithérapie à l’hôpital régional de Géorgie du Nord-Ouest avant de rejoindre Wesley Woods Hospital of Emory Healthcare pour y créer son premier programme en 1993. Il a été membre du conseil d’administration national de l’AHTA, membre fondateur du conseil d’administration du chapitre Géorgie-Alabama de l’AHTA et président de 1999 à 2002.

« Quand j’étais un « bébé thérapeute », je pensais que l’hortithérapie allait continuer à se développer et gagner en reconnaissance. Malgré la masse critique de recherche, ce n’est pas tout à fait le cas. Je comprends que ce soit dur pour des universités de proposer des formations quand il y a si peu de débouchés sur le marché du travail. L’autre sujet est que d’autres thérapies comme l’ergothérapie, la kiné et l’orthophonie sont remboursées. Mais ce n’est toujours pas le cas pour l’hortithérapie, la musicothérapie ou la thérapie récréative. Du coup, les hôpitaux ne les proposent pas puisque ce n’est pas rentable. »

Kirk continue à pousser une idée qui était déjà importante pour lui il y a 10 ans. « J’ai toujours expliqué à A. G. Rhodes que le remboursement n’est pas la seule manière d’impacter le résultat financier. Avoir de bons résultats pour les patients, contribuer à la satisfaction des familles, améliorer notre attractivité est aussi très important. » Clairement, il a été écouté puisque ce nouveau bâtiment sera doté de jardins et d’aménagements paysagers réfléchis contribuant à l’environnement thérapeutique et au plaisir.

Une autre tendance, qu’il repère dans des discussions ici et là, est l’importance grandissante de la qualité de vie et de l’approche centrée sur la personne. Il s’explique. « Les autorités de l’état de Géorgie qui nous régulent accordent de plus en plus d’importance à la qualité de vie des patients. Ce ne sera pas un changement rapide, mais il y aura une évolution dans le futur. D’autre part, je vois aussi un intérêt grandissant pour le soin centré sur la personne : choisir ses repas et son rythme ou avoir son animal de compagnie par exemple. A. G. Rhodes avance déjà dans ce sens. Notre personnel est formé et nous sommes certifiés par The Eden Alternative (leur credo est le « bien-être est un droit humain »). On s’éloigne d’un environnement clinique, stérile et on parle de vivre sa vie pleinement, de continuer à s’épanouir (thrive, en anglais, en écho à l’association anglaise, NDLR). »

Un bilan en demie teinte qui apporte cependant une note d’espoir. Rendez-vous dans 10 ans pour en discuter ?

Activités sur le site d’A.G. Rhodes Atlanta

Activités sur le site d’A.G. Rhodes dans le comté de Cobb (dont une séance de « doorway » therapy »)

Activités sur le site de Wesley Woods

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