La vie est parfois pleine d’ironie. Alors que j’aurais dû suivre mon dernier cours de thérapie horticole avec le Horticultural Therapy Institute en Californie, j’étais de retour en France pour me faire opérer d’un cancer du sein. D’étudiante, je suis passée sans transition à participante ! De la théorie à la pratique, sans crier gare. Non, je n’ai pas rejoint un groupe organisé. Cette thérapie dans le jardin était à échelle individuelle. Ce fut d’abord désherber et préparer le jardin pour l’hiver avec mes parents qui m’ont recueillie pendant ma visite médicale en deux étapes, opération puis traitement. Entre les deux, j’ai pu rentrer en Californie pour passer un peu de temps avec mes enfants et mon mari. Un jour, nous avons tous les deux choisi et planté des jonquilles. C’était en octobre et je devais bientôt repartir pour entreprendre une radiothérapie de six semaines. Mais je savais que ces bulbes dormaient au chaud dans la terre californienne et n’attendaient que le printemps pour pousser et laisser éclater leurs couleurs. Je savais aussi que je serais de retour pour les voir. Cette pensée était réconfortante.
A mon retour en Californie, le jardin de notre maison, échangée pour un an contre notre appartement parisien, avait un peu souffert de manque d’attention. Il y avait beaucoup de choses à aimer dans cette belle maison dans les collines de Berkeley, y compris une magnifique vue de la baie de San Francisco et de magnifiques couchers de soleil extrêmement bénéfiques pour le moral. Mais le jardin était clairement un de ses atouts principaux. Toutes les semaines, j’ai passé du temps, seule le plus souvent, à désherber. Et à Berkeley, tout pousse et les mauvaises herbes avec. J’ai savouré ces moments de calme qui me permettaient à la fois de m’aérer et de me concentrer sur une tâche qui m’apparaissait symbolique. Ces mauvaises herbes que j’arrachais avec jubilation étaient comme les cellules cancéreuses que la chirurgie, puis la radiothérapie avaient éradiquées.
Si on veut pousser la comparaison jusqu’au bout, on pourrait désespérer. En effet, on ne vient jamais à bout des mauvaises herbes. Jusqu’au jour où nous avons quitté la maison à la fin juillet, la lutte a continué. Mais c’est sans doute un peu pareil avec le cancer. Il est là, il pourrait revenir. Il faut vivre avec cette idée tout en restant dans l’action et l’optimisme. Et pourtant avoir entretenu le jardin, avoir donné la chance à de belles plantes de s’épanouir a eu pour moi un effet bénéfique, thérapeutique même Pour moi, pas de groupe de paroles, mais une bêche, des ciseaux, une paire de gants et un jardin qui avait besoin de moi. Je regrettais un peu mon petit jardin potager des deux années précédentes, mais ce jardin d’ornement était une bonne prescription tout compte fait. A mon retour, nous avons également fait des pots de confitures avec les citrons du jardin et les feijoa du voisin. Pendant le reste de l’année, nous avons distribué ces petits pots en cadeaux un peu partout sur notre passage.
Le jardinage était présent par un autre biais dans ma vie depuis mon retour en Californie. Il y a 7 mois, j’ai commencé à faire du bénévolat dans un programme d’hortithérapie dans un centre de jour pour personnes âgées. Toutes les semaines, je rencontrais ces femmes et ces hommes et nous travaillions ensemble, à planter, à semer, à désherber, à fabriquer des sachets de thé à la menthe ou à sécher des fleurs pour en décorer des cartes,…La semaine dernière, j’ai dit au revoir à tout le monde puisque le retour en France approche. Dans la petite fête improvisée le jour de mon départ, j’ai compris combien j’avais reçu autant que donné à la fois des participants et de Marge, la thérapeute qui m’a pris sous son aile.
Comme ils vont me manquer tous les deux, mes jardins californiens, dans la jungle urbaine de Paris. Et comme ils vont me manquer Ida, Isabel, Candee, Liev et les autres. Il faudra que je trouve vite une opportunité pour remettre les mains dans la terre…J’ai un peu hésité à raconter cette histoire personnelle, mais j’ai été inspirée par l’exemple de Clare Cooper Marcus, grande experte américaine des jardins thérapeutiques qui ne se prive pas de raconter comment un des jardins qu’elle avait conçu l’a aidée quand elle y est revenue en patiente suivant une chimio. L’arroseur arrosé et l’aidant aidé. Finalement, la vie est bien faite.