Salifu Manneh et Mobee Gambia : « Un jardin n’est pas juste un jardin »

Dans la langue mandinka, « mobee » signifie « nous tous », « tout le monde », « chaque personne ». C’est ce que m’explique Salifu Manneh qui a grandi en Gambie et vit en Angleterre où il est infirmier en santé mentale. Je vous invite à découvrir l’histoire de ce pays enclavé dans le Sénégal et à écouter Salifu nous parler de Mobee Gambia.

Salifu Manneh au jardin de Brufut où est basé Mobee Gambia

Avec des collègues, Salifu a créé l’association Mobee Gambia dont il me raconte l’histoire et les projets. « Je travaillais à l’époque pour Alternative Futures Group et son dirigeant, Neil Campbell, avait envie de redonner quelque chose au personnel. Nous avons choisi d’aller faire des voyages d’étude en Gambie pour voir comment le système de santé fonctionnait là-bas. » Créée en 1992 à Liverpool, Alternative Futures Group est « une organisation caritative de santé et d’aide sociale qui offre un soutien spécialisé aux personnes souffrant d’un trouble de l’apprentissage ou d’une maladie mentale. »

« A la suite de ces voyages en Gambie entre 2013 et 2015, nous ne voulions pas en rester là. En 2017, nous avons décidé de mettre sur pied un programme de santé mentale. L’idée de ce programme était de soutenir la réhabilitation des patients dans la communauté après une hospitalisation. » Par un de ces heureux hasards, Salifu entend parler de la pratique de l’hortithérapie à travers un programme dans le domaine de la santé mentale dans le Cumbria, un comté du nord de l’Angleterre. « J’ai vu que ce programme réduisait l’anxiété, apportait de la détente et que c’était naturel, pas médical. Les personnes n’étaient pas des patients, ils étaient considérés comme tout le monde. J’ai pensé qu’on pourrait utiliser cette idée dans notre projet en Gambie. »

« Un jardin n’est pas juste un jardin »

« En Gambie, le jardin est une source de nourriture et de revenus. Ma mère avait un grand jardin. Nous gardions une partie de la récolte et l’autre partie était vendue. En plus d’être bon pour la santé, le jardin est très important pour les familles et leur équilibre financier », explique l’infirmier. « Par ailleurs, nous étions convaincus que lorsqu’on retire les patients de l’environnement contrôlé de l’hospitalisation, leurs comportements et leurs interactions changent complètement. Je sais qu’il y a beaucoup de recherche à ce sujet. ». Comme le résume Salifu qui a pris soin de personnes dans de nombreuses situations au cours de sa carrière (troubles cognitifs liés à l’âge, addictologie, parcours en prison et en réhabilitation,…), l’inspiration est venue de plusieurs sources dont son expérience personnelle et le voyage d’étude en Gambie. « Un jardin n’est pas juste un jardin. Cela dépasse de loin notre compréhension. C’est un endroit sûr, une activité qui peut apporter au-delà de la médecine dans le domaine de la santé mentale. »

En février 2024, à la publication de notre entretien, Salifu est de retour en Gambie pour continuer à faire avancer les projets de Mobee Gambia. « Nous avons plusieurs objectifs : l’éducation et la promotion de la santé mentale, le traitement des addictions pour les jeunes, mais aussi la lutte contre le trafic sexuel au profit de touristes venus d’Europe et des Etats-Unis et le chômage. En Gambie, 60% de la population est jeune et s’ils ne peuvent pas travailler, les problèmes arrivent. Les jeunes gens prennent de lourds risques dans les bateaux, l’immigration illégale est très dangereuse. C’est pourquoi il est important de créer des opportunités sur place, qu’ils aient des compétences pour rester plutôt que de partir en Europe où ils font face à de nombreux défis pour vivre indépendamment. Nous allons avoir des tête-à-tête avec le gouvernement ». Et bien sûr, il abordera le green care.

Soins en institution et dans la communauté

« Il est nécessaire de faire de l’éducation à la santé mentale dans la communauté pour que chacun apprenne à protéger sa propre santé mentale. Par exemple la consommation d’alcool et de cannabis rend plus vulnérable à l’anxiété et à la dépression. Nous voudrions en faire prendre conscience et former des gens qui peuvent disséminer ces informations. En Gambie, les soins de santé mentale sont assez pauvres. Il existe un seul hôpital psychiatrique, Tanka Tanka, avec une centaine de lits qui sont toujours pleins…dans un pays de deux millions d’habitants », décrit l’infirmier psychiatrique et directeur de Mobee Gambia. Il détaille les conditions de la santé mentale en Gambie dans ce rapport publié sur le site de l’association en décembre 2023.

Salifu s’inquiète d’ailleurs de la qualité des soins en institution où existent de nombreux risques d’abus et il estime que rester connecté à sa communauté où l’on peut être respecté et soutenu est plus bénéfique. Par ailleurs, la médecine traditionnelle est une force à ne pas négliger. « En Gambie, la médecine traditionnelle qui se base sur des plantes est pratiquée en collaboration avec le ministère de la santé. Bien sûr, elle n’est pas validée par des essais comme les médicaments et, dans les cas sévères, les médicaments restent nécessaires. » Cette pratique vivante de la médecine traditionnelle (feuilles, racines,…) cohabite avec une croyance culturelle que l’on vit en meilleure santé lorsque l’on consomme moins d’aliments transformés, riches en sel et en sucre et plus d’aliments frais.

Et on en revient à l’importance des jardins dans le pays. Ces jardins présentent une particularité qui saute aux yeux selon l’infirmier. « Si vous regardez les jardins en Gambie, vous verrez 99,5% de femmes cultivant les légumes. Si les femmes s’arrêtaient, les marchés seraient vides en une semaine », constate Salifu. « Comment pouvons-nous les aider à rendre le travail moins dur ? Par exemple en améliorant l’irrigation avec des forages, des pompes, des réservoirs pour l’eau. Car je le redis, les revenus produits par la vente des légumes aident les familles à la fois directement et en étant investis dans la microfinance. »

Mobee Gambia en action

Organisation non gouvernementale, Mobee Gambia est « une organisation caritative à but non lucratif, impartiale et non partisane dont la mission est de soutenir les personnes ayant des problèmes de santé mentale ». Son bureau principal est situé à Brufut, Kombo North, dans la région de la côte ouest. Par ailleurs, Mobee UK, une organisation caritative enregistrée au Royaume-Uni, supervise et contrôle la gouvernance, y compris le système de responsabilité financière de Mobee Gambia.

Salifu raconte comment le projet a commencé, les avancées prometteuses et les obstacles rencontrés dont….le Covid. « A Brufut, nous cherchions un terrain. Nous avons rencontré le dirigeant de la ville qui nous a confié un terrain appartenant à la ville. Pour nous, cela assure une pérennité. Avant le Covid, nous avions rencontré des groupes de femmes. Nous leur avions confié ce terrain en les laissant s’organiser », explique-t-il.

« Dans ce jardin, on appelle les gens par leur nom. Ce ne sont pas des patients.  Nous avons clôturé le terrain et avons le projet de construire un bâtiment pour héberger des groupes, des cours. Nous faisons attention aux connexions locales et essayons d’être le moins impliqués possible. Par exemple, nous n’avons pas de personnel sur place. Il faut dire que la mort de Neil Campbell a ralenti le projet. Mais nous n’abandonnons pas et nous continuons à frapper aux bonnes portes, notamment pour des financements du gouvernement ou des entreprises. »

Les partenariats peuvent prendre toutes sortes de formes. Ainsi des étudiants en travail social de Liverpool Hope University ont fait des séjours en Gambie pour apporter leurs compétences et un informaticien bénévole, Robert Hufton de Higher Ground UX, gère le site de Mobee Gambia depuis l’Angleterre. Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues.

Salifu rappelle que la saison sèche court d’octobre à avril, la saison des pluies de juin à septembre. « Pendant la saison des pluies, nous avons planté du manioc (cassava en anglais) pour le vendre et acheter de l’équipement et des graines afin de relancer le jardin ». Concombres, tomates, poivrons, carottes, pastèques, laitues et choux sont au programme.

Un programme d’addictologie à Bulock

Devant l’absence de programme de traitement des addictions aux substances, Mobee Gambia a également proposé un service dans la ville de Bulock où Salifu a grandi et fréquenté l’école primaire. Là, le projet est de créer un lieu d’accueil, près de la rivière pour son effet apaisant, avec des activités comme l’apprentissage des outils informatiques pour augmenter les compétences des personnes concernées.

« Nous voulons encourager les gens à mieux se gérer eux-mêmes pour mieux vivre. C’est un projet massif, mais faisable », annonce Salifu plein d’espoir et d’enthousiasme. « Nous avons envie que les gens en Gambie s’appuient plus sur leurs propres ressources que sur des ressources extérieures. Nous visons l’autosuffisance. Par exemple, à côté de l’aide en addictologie, nous voulons aussi développer un programme de formation pour devenir tailleur. Dans le programme de Brufut, nous avons déjà une boulangerie. » Les idées fusent.

« En Gambie, il y a tant de manque en santé mentale. Je veux aider », conclut-il.

MISE A JOUR. Pendant son séjour en février 2024, Salifu écrit : « Hier, de 17h00 à 20h00, nous avons organisé avec succès une promotion de l’éducation et du bien-être mental auprès d’un groupe de jeunes à l’école secondaire supérieure de Sukuta. Je portais une robe traditionnelle blanche et un chapeau bleu. Le thème était les effets de la drogue et de l’alcool sur le bien-être mental des jeunes dans nos communautés. »

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